lundi 11 novembre 2024

I knew the pathway like the back of my hand

 



Il fait plus sombre, dans le XXème, la nuit.

C'est peut-être parce que maintenant je vis dans le sud. De Paris.

Alors que je reviens à ma première adresse, je trouve le ciel plus haut, plus opaque. Comme quand je le regardais depuis le 4e étage, Porte de Bagnolet. 

Mes grandes fenêtres m'offraient une vue sur un petit jardin sur les toits, en biais, et sur le torse alangui de l'étudiant du 3e étage, en face.

C'était un appartement sans repos : bruyant, humide, envahi, moisi. C'était mon premier, à Paris. 

Quand je suis retournée dans mon quartier, je ne m'y suis pas sentie en sécurité. En cela, rien n'a changé. Des hommes sur des chaises de camping devant des échoppes où personne d'autre n'entre que la misère. Beaucoup d'escrocs, de gens perdus, mais aussi de vrais prédateurs organisés à deux pour me prendre en étau et me pourchasser jusque dans ma cage d'escalier.

Le voisin échevelé du dessus, qui transformait son appart en club d'after toutes les nuits à 5h. Le boucher du rdc qui commençait, peu de temps après, à taper si fort dans ses carcasses que les murs en tremblaient. L'épicier d'en face qui balayait du rien sur le goudron en tentant de chasser son ennui à chaque coup de bras, la voisine nympho, de l'autre côté du mur, qui a succédé au vieux sourde et sa télé tonitruante. Lui, au moins, se couchait tôt, se réveillait tard et ne complimentait pas en hurlant la performance de ses amants.

Le "vieux" quarantenaire décati, juste en-dessous, une sorte de Vernon Subutex sans superbe, qui a vécu des années avec une vitre cassée. Le clodo de la place, qu'on n'a plus revu lui et sa radio beuglante, une fois qu'il a invoqué Al Qaïda. 

Dans cet appart, j'ai passé mon chômage de fin d'études devant les révolutions arabes, puis Fukushima, en me réjouissant, en tremblant. En fêtant d'une pizza dégueu à la truffe mon premier job de grande. J'y ai vécu avec My Sorry Ever After, même s'il ne fallait pas le dire.

Enfin pas trop.

Enfin pas comme ça.

Les voisins doivent se souvenir de moi comme l'hystéro accro au karaoké qui a retenu la jambe d'un colosse russe suspendu au-dessus du vide depuis sa fenêtre. 

J'y ai eu mon premier amant, un autre, et sur mon canapé-lit, se sont succédés des gens qui font toujours partie de ma vie. Alors oui, le ciel est plus sombre, dans le XXème, mais dans mon coeur, il est aussi plus claire et quand j'y songe, il rend mon âme bien plus légère.

mercredi 7 août 2024

And I don't want the world to see me

 

[... 'Cause I don't think that they'd understand]

Je me suis toujours trimballé une épée de Damoclès au-dessus du crâne. Comme pour tout, on s'y habitue. 

Quand on représente le plus grand danger pour soi-même, on acquiert une sorte de légèreté par rapport aux aléas de la vie. 

J'ai très vite fait tope-là avec la mort, sachant qu'elle accompagnerait chacun de mes pas et qu'il valait mieux m'en faire une alliée. 

Comme de beaucoup d'autres de mes compagnonnes, je me languis d'elle en ce moment. Pas d'une manière ultra dramatique comme j'en ai eu longtemps l'habitude, mais d'une manière un peu plus lasse, comme une mamie centenaire en soins palliatifs qui s'exclamerait "bon, c'est pas bientôt fini ces conneries ?"

Je n'ai jamais été très optimiste, et le monde m'a donné raison, sur beaucoup de plans. Ces "à quoi bon ?" que j'enfilais comme des perles, alors qu'il me restait des buts, des envies, des choses pour raviver le feu, ont trouvé une résonnance réelle dans un quotidien passée cloîtrée devant un écran, tout ça pour gagner une vie qui n'aura jamais vraiment valu la peine d'être vécue. 

Tant que j'étais dans l'action, la jeunesse, que je me focalisais sur l'après, j'étais animée d'une vibration à peu près inarrêtable. L'après, on m'avait toujours dit que ce serait mieux. Qu'à un moment tout se stabiliserai, le fric, le statut social, la santé mentale. Qu'on était couronné, à la fin du marathon, par une forme de sagesse, comme dirait l'autre trou de balle, qui permettait que tout glisse sur soi pour enfin se mettre en place.

Comme s'il y avait une solution providentielle au problème que représente la vie. Comme j'ai longtemps cru qu'il y aurait quelqu'un de providentiel, me prenant porte sur porte en allant chercher du côté des hommes (décevant, ne tentez pas l'expérience à la maison) pour trouver un semblant de réponse avec un groupe d'amies qui flotte toujours dans ma périphérie sans plus trop me connaitre vraiment, parce que pas le temps, parce que leurs épées de Damoclès à elles aussi tremblotent sur leurs fils, ou parce qu'elles, elles ont trouvé leurs personnes providentielles.

Mais voilà, pas de famille, d'origine ("j'aurais jamais dû te faire, tu es la plus grosse erreur de ma vie"), ni de destination. Je n'appartiens à personne, je suis encore moins indispensable que tout un chacun. Je regarde mes années honnies, de souffrance véritable, du lycée, de mes jeunes années étudiante, et je me demande si malgré toute la violence que j'y ai récolté, ce n'était pas les meilleures ? 

OK, boomeuse, un peu. Mais oui, ça y est, la vieillesse est là, et pas que dans mes articulations. Mon mental a du mal à suivre et pas seulement à cause de ma radicalité. Je sens que des choses m'échappent et que la mise à jour met du temps à être déployée dans mon système interne.

Mes lumières sont deux boules de poil à l'espérance de vie bien moindre que la mienne et, comme Antinoüs pour Hadrien, je sacrifierais volontiers mes "bonnes" années pour leur en octroyer plus. Mais non, la science ne va pas dans ce sens là. Elle développe des robots qui viennent ajouter à la concurrence. Ecrire et traduire à ma place. 

Me revoilà à frapper à toutes les portes pour obtenir des missions qui étaient, à l'époque, mon job étudiant, pour vous dire combien ça paye. Et même ça, c'est la croix et la bannière pour l'obtenir, malgré mon CV long comme un jour sans chats.

On me fait faire des sauts de cabri pour un CDD précaire payé au SMIC dans des conditions affligeantes, plus de deux mois d'essais et d'entretiens, d'enquêtes, de tests, de validations, plus longtemps en fait que la mission durera. 

Rien n'a de sens, alors les psys me disent d'en chercher auprès de mes personnes totems. Ils pensaient me faire découvrir la roue en me disant que je pouvais m'adresser dans ma tête aux personnes qui m'inspirent, pour trouver un peu de réconfort auprès d'elles et me sentir moins seule.

Sauf qu'intuitivement, c'est ce que j'ai toujours fait. Et mon petit côté fantasque de meuf qui décrète qu'elle va rendre visite à Oscar quand elle va en fait mener son pèlerinage vers sa dernière demeure, ça a été une forme primaire de thérapie. Un truc un peu pété que mon cerveau a trouvé tout seul pour rester à flot, malgré la merde qu'il m'envoyait à gérer par ailleurs. 

La vie bohème, c'est pas ouf sans absinthe, sans danseuses de cancan et sans de grands artistes sans le sous avec qui s'attabler jusqu'aux petites heures du matin. De nos jours, c'est étriqué. Je suis obligée de me tourner vers des petits jeux mobiles merdiques pour avoir assez de dopamine pour me motiver à aligner les chapitres de romans dont la morale me donne la gerbe. 

Les ailes qui avaient poussé avec l'afflux d'argent pèsent lourd maintenant que je suis de retour en galère. OK, ça ne fait pas le bonheur, mais ça y contribue tellement. La solitude était tellement moins grave quand je pouvais partir sur un coup de tête m'évader au West End, ou explorer les lieux que mes personnes totem ont arpenté de leur vivant, en essayant de courir après cette connexion qui n'aura jamais lieu, pour cause de problème d'espace-temps. 

Donc oui, rien n'est glorieux. On salue mon courage. Moi j'ai envie de répondre que j'ai pas le choix. Il faut bien profiter des moments où je ne suis pas en dépression pour mettre toutes mes forces dans la bataille de la survie parce que pour l'instant, j'ai légalement pas encore le droit de mourir.  


lundi 13 novembre 2023

Is one more love out to break your heart

 



"Ah oui, quand même."

Si je devais compter le nombre de fois où d'éminents spécialistes du domaine médical ont eu cette réaction en découvrant mes résultats à divers tests (mais jamais de Q.I, hein, entendons-nous), je perdrais le fil.

Là, c'était l'éminente spécialiste du sommeil. Avec son prénom trop classe, dans son cabinet trop classe, de son arrondissement trop classe qui a été le premier où j'ai mis les pieds en stage, quand j'étais un bébé éditrice. 

J'ai attendu 5 mois, ce rendez-vous, rempli consciencieusement mon agenda du sommeil, et la bardée de questionnaires qui l'accompagnaient. 

Et voilà. Dans ses yeux, je lis la circonspection. 

Moi, je déborde. Dans tous les sens. Je suis en pleine intoxication alimentaire (ou alors est-ce le sevrage de mes antidépresseurs, décidé unanimement par me, myself & I qui est un peu plus velu que prévu ?) et j'ai les larmes au bord des yeux constamment, parce que mes règles veulent pas arriver et je suis bloquée en SPM depuis deux semaines. 

Oui, c'est pas facile facile d'être locataire de ce corps.

C'est le bordel dans le bureau de l'éminente spécialiste, et mon regard furette dans tous les sens tandis qu'on fait l'état des lieux de tous les bordels qui m'habitent. Je vois des schémas avec des gens couverts d'appareils monstrueux. Des casques qui feraient se pâmer d'envie les Daft Punk. Et un petit mot scotché disant "Il est interdit de manger ou de changer des enfants dans ce cabinet" avec une virgule rajoutée à la main avant le "ou". 

Je vais pour rire discrètement quand elle réitère : 

"Ah oui, quand même"

Apparemment, je suis tellement une personne "du soir" que j'explose tous les scores.

D'aussi loin que je m'en souvienne, je l'ai toujours été. Mon cerveau sort toujours de sa torpeur à la tombée de la nuit et devient aiguisé, rapace, presque. Comme si je m'apprêtais à sortir guetter de la jugulaire à dévorer.

Mais généralement, je me contente de faire des listes pour la moi du lendemain qui, l'esprit embrumé après ses 14h de sommeil, exécutera tout au radar. 

L'éminente spécialiste me demande si je mange équilibré, ce à quoi je réponds "LoL". Elle fronce les sourcils. Commence à me dresser une liste impressionnante de compléments alimentaires. Je me dis "et zé parti pour l'homéopathie" en levant les yeux au ciel internalement. 

Déjà, quand elle m'avait vanté les mérites d'une lampe de luminothérapie à 150 boules, j'avais commencé à douter. Je m'étais dit que comme beaucoup d'éminents spécialistes, elle allait charger mes problèmes psys et me renvoyer à la maison sans régler mon souci.

Puis elle enchaine sur "...et je vais vous envoyer deux jours à l'hôpital."

D'un coup, je rigole plus du tout, et j'essaye de me concentrer.

Elle m'explique que je vais passer 48 h tout confort avec vue sur Notre-Dame (ou, en tout cas, dans une chambre solo à l'Hôtel Dieu). 

Elle enchaine avec "et pour ce que vous avez, je crains qu'il faille voir le cardiologue avant que je vous prescrive quoi que ce soit, parce qu'on parle de drogues dures là."

Ah, tiens.

Je suis surprise qu'on prenne mon petit problème d'hypersomnie au sérieux, d'un coup. Alors que je combats l'incendie avec un pistolet à eau depuis un an et que la plupart des gens oscillent entre le jugement pur et simple et le "oh bah, si tu dors autant, c'est que tu dois en avoir besoin !" Que mon psychiatre en a, dirons-nous, pas grand-chose à foutre, parce que pendant que je dors, j'essaye pas de me pendre (true, dat). Que ma psychologue se limite à me dire que j'ai une sale gueule quand je débarque dans son cabinet à 15h30, au saut du lit. Et que ma psy EMDR joue au "ni oui ni non" quand je lui demande si tout ce bordel ne pourrait pas avoir un lien avec mes traumas mal soignés ? Ma job coach, elle, pense que c'est un complot de Big Ph*rma, et que mes antidépresseurs sont à l'origine de tous mes maux, et qu'il faudrait que je boive plus de tisane au foin. 

J'ai commencé la thérapie de groupe, à la rentrée, "bonjour, Johnson, 35 ans, célibataire", et j'ai été un peu rassurée quand j'ai entendu mes co troublés de la personnalité dire qu'elleux aussi avaient connu des phases d'hibernation.

Mais juste des phases.

Je pars donc du cabinet cossu de l'éminente spécialiste avec une éclaircie au-dessus de la tête (même si, en vrai, il pleut tellement fort qu'une dame me tape sur l'épaule pour me dire que mon sac prend l'eau). La possibilité d'un traitement.

Un truc étrange, qui réchauffe de l'intérieur et dégage un peu l'horizon.

L'espoir, ça s'appelle, je crois. 


jeudi 26 octobre 2023

Baby, do you miss the days before hope knocked on your door?

 

Au bon vieux temps où tout le monde avait un blog, je pestais devant mon écran quand mes prefs ne postaient qu'une ou deux fois par an.

J'avais ce sentiment d'abandon que je ressens à la moindre occasion. Ne serait-ce qu'avec le temps qui passe.

Et maintenant, c'est moi qui le cause. Sûrement. S'il reste quelqu'un par ici. 

J'ai un peu halluciné en voyant que je n'avais posté qu'une fois, en 2023.

C'est pas parce que j'ai conscience que plus personne ne vient ici, en vrai, j'en sais rien, j'ai jamais vraiment suivi ça. J'écris pour moi avant tout. C'était ma première forme de thérapie, quand j'étais pas sûre de ce que j'avais de tordu dans le cerveau, quand je pensais que c'était forcément du génie.

J'ai pas le souvenir d'avoir vendu mon âme au diable. De toute façon, elle vaut pas grand-chose, vu le nombre de fois où j'ai failli me foutre en l'air. Mais mon souhait s'est quand même réalisé, avec la même dérision que si j'avais signé mon nom en lettres de sang.

Je vis de ma plume.

Je gagne même plus d'argent que quand je bossais en entreprise. Job où j'écrivais, certes, mais c'était anecdotique.

Là, j'aligne les pages, les chapitres, les tomes, les séries. Tout est de ma main sauf les quelques mots d'un lexique trop précis que je google trad. 

Et non seulement ça ne me rend pas heureuse, mais en plus j'ai maintenant la preuve que, si je ne suis pas un génie, je suis encore moins talentueuse, et même pas "douée".

C'est un mythe qui a été entretenu parce que la littérature a toujours été le sujet le moins mauvais pour moi dans un environnement scolaire de province nécrosée.

Arrivée à Paris, c'est ma pugnacité et ma détermination sans égales qui ont fait la différence, mais jamais, je n'avais pris le temps de réaliser que j'étais mauvaise à ce qui me passionne le plus.

L'année passée, on me l'a dit sur tous les tons, comme dans la tirade du nez de ce bon vieux Cyrano. 

C'est donc acté. 

Je ne suis pas la plus mauvaise, certes. Il y a toujours pire que soi. 

Mais mes éditeurices soufflent devant mon travail, au mieux, ou même grimacent, ou même pleurent, je crois.

Les gens comme moi seront, de toute façon, bien vite remplacés par des I.A.

Je commence à réfléchir à ce que ça donnerait, une Johnson qui essuie des verres, dans le fond du café.

Ou une Johnson sans dents, qui vivrait de son allocation adulte handi.

Il ne faut jamais réaliser ses rêves, comme il ne faut jamais rencontrer les gens qu'on admire.

J'aurais aimé rester la petite fille innocente qui écrivait les aventures de son groupe de copines qui tombait inopinément sur leur star du moment (le footballeur Michael Owen, tmtc) et l'aidait à traverser des embûches avant qu'il ne tombe éperdument amoureux de la moi de 14 ans.

Ouais, bon. 

Je suis retombée dessus il y a peu et j'ai souri avec tendresse devant cette auto fanfic complètement cabossée sur la forme mais avec tellement de drôlerie et de bons sentiments dans le fond. 

Ma job coach, ma psy, me ressassent que je devrais écrire pour des humoristes.

Je ne suis pas sûre qu'elles fréquentent les scènes de stand-up et qu'elles se rendent compte d'à quel point le secteur est bouché.

Mais j'ai déjà le titre de mon spectacle : "DERNIÈRES AVANT EUTHANASIE".

Sur le bureau de mon ordinateur, trône toujours en bonne place la petite plaquette de Dignitas. 

J'ai effectué mon premier voyage en Suisse le mois dernier.

L'idée est toujours là, repoussée par une fatigue qui, si elle m'empêche de vivre, m'empêche aussi de me battre pour mourir.

Les raisons de se réjouir deviennent plus rares avec l'âge. Je ne suis pas de celles qui se marient ou se reproduisent et créent donc leurs bonheurs. 

Moi, je vis sous mes chats, en m'accrochant à eux comme à un gilet de sauvetage du Titanic, en comptant leurs jours en même temps que les miens.

 Et je pense souvent, à la moi haute comme trois pommes, déjà bien niquée par la vie, mais qui vivait sa meilleure existence dans le jardin de ses grands-parents, entourée par une atmosphère sépia, entre ennui confortable et amour véritable. Mon Rosebud à moi.