mardi 22 octobre 2019

I love the quiet of the night time




Jean-Mascu aime bien qu'on sache qu'il a un gros cerveau, donc il parle de ce qu'il pense, et il en parle fort.
Ce soir, Jean-Mascu est de sortie. Etudiant en ciné, il avait le choix entre un James Gray ou A girl walks home alone at night
Manque de bol pour moi, c'est cette seconde option  que Jean-Mascu et sa chemise proprette ont choisie.
Quand Jean-Mascu s'est assis à côté de moi, il a fait comme si le siège était celui de sa daronne et m'a foutu un coup de coude, avant de carrément s'asseoir en tailleur et de parler à la personne derrière lui tout en restant dirigé vers l'écran.
Un peu comme si Jean-Mascu et sa petite vingtaine étaient les C.E.O de la cinémathèque. 
Alors qu'il gueulait en cherchant à savoir comment il allait faire pour contourner la volonté de son co-scénariste pour faire passer ses idées à lui (d'ailleurs, il comprenait pas trop pourquoi l'autre s'entêtait à en avoir des différentes, et il était bien emmerdé par l'existence de ce putain de droit d'auteur), ses compagnons ont tenté de recentrer le sujet sur le film qu'on allait voir.
D'un coup, même si je ne pouvais pas ne pas entendre, j'étais déjà plus intéressée. J'allais savoir ce que Jean-Mascu foutait dans une séance d'un film indé tourné en persan et en noir et blanc qui puise ses références vampiriques du côté féministe de la force (mais bon, peut-être qu'après tout, je me trompais complètement sur Jean-Mascu.)
C'est alors que sa réponse se fit limpide "bah un western iranien avec des vampires, moi ça me dit bien."
Je souris en coin, et je prie pour qu'il arrête ses bruits de bouche quand le film commencera - oui, parce qu'en plus de parler fort, il parvient à tuer le silence quand il se tait. 
J'imagine que Jean-Mascu s'est déjà pris un coup de poing dans le nez, parce qu'il respire si fort qu'il ne peut qu'avoir le septum dévié.
Le film commence et je me concentre quatre minute avant de l'entendre mastiquer puis ouvrir très lentement un paquet de biscuits.
Au bout de 15 minutes, il s'agite, se tord, souffle, soupire, rouspète. 
Je pense que Jean-Mascu comprend que claironner son avis est socialement inacceptable mais que c'est pas pour ça qu'il se prive de le donner.
Plus Jean-Mascu bougeotte, plus son eau de Cologne (il en a trop mis, comme tout bon Mascu) me parvient par bouffées et entre ça et les effets de caméra, ma tête tourne bientôt.

Mais Jean-Mascu n'aura pas réussi à m'enlever la jouissance de voir ce film.
Du meilleur chat acteur de tous les temps (Masuka <3 blanc.="" de="" du="" et="" i="" noir="" somptueux="">Death
 et de toute la scène enveloppée par White Lies. De Dracula et de sa cape. De l'envie de faire du Skate dans une ville déserte.
C'est un film féministe plus qu'un film de vampire, c'est un film d'amour plus qu'un film politique. C'est un film sur la fragilité de ce qui peut sauver une vie. Sur chaque geste, chaque mouvement, qui compte. C'est un film où les regards en disent plus que les mots.

...alors bien sûr, quand les lumières se sont rallumées, Jean-Mascu a bondi, et avant que quiconque lui ait demandé son avis a gueulé : "ET BEN J'AI DÉTESTÉ, OHLALA QU'EST CE QUE JE ME SUIS ENNUYÉ CA FAISAIT TRÈS LONGTEMPS QUE JE M’ÉTAIS PAS ENNUYÉ COMME CA. C'EST TOUT CE QUE J'AIME PAS."

J'ai laissé Jean-Mascu s'époumoner et surtout ne jamais remettre en question ses goûts ou sa vision du monde car, après tout, pourquoi faire ? Qu'aurait-il à y gagner ? 
J'ai mis mon casque et je suis partie, j'ai pris la ligne 6 et j'ai marché seule dans la nuit. 

mercredi 16 octobre 2019

Black Tie White Noise




Assise dans l'estafette des CRS, alors qu'ils se passaient des mitraillettes sous mon nez, sous-estimant donc grandement le fait que j'aurais pu la chopper en deux mouvements et par là même prouvant qu'ils sont moyens formés tout de même, j'ai pu profiter du moelleux des sièges financés par mes impôts. 

Il fallait bien que ça arrive, me dis-je, alors qu'on me fait décliner mon identité et que je sers mon meilleur stand up à toute la horde de robocops qui m'entourent. Non pas parce que je viens de faire une action illégale, et que j'en fais quand même des tas depuis le début de mon militantimsm, mais parce que je me demandais quand, exactement, on allait me dire symboliquement "aller, ferme ta bouche et rentre à ta maison, femme".

C'est à peu près dans ces termes, d'ailleurs, que m'a invectivée le CRS qui venait de m'empoigner moi et ma casserole - destinée à faire du bruit pour "réveiller" notre cher président et attirer son attention sur les chiffres terribles des femmes mortes en France des mains de leurs compagnons ou exs - il m'a regardé avec de la rage dans les yeux et a craché "Les casseroles, ça reste dans la cuisine". On sentait que tout son corps se retenait d'ajouter : "Et les femmes aussi". 
Alors que je soutenais son regard, pas totalement inconsciente du danger mais carrément habituée à l'auto-destruction, j'ai senti qu'il était à deux doigts de me mordre. C'est alors que ses collègues l'ont forcé à partir et s'éloigner de la situation. 
M'est avis que le monsieur n'en est pas à sa première bavure. 

Donc me voilà dans l'estafette, à demander des nouvelles de ma casserole, à déclarer que c'est bien bête qu'on me l'ait confisquée, parce qu'on aurait pu conclure cette charmante soirée par une bonne bouffe eux et moi, et à tenter de m'inviter à manger chez le chef de la troupe, tentant de garder haut les cœurs des pioupious autour de moi qui étaient là à leur première action, certains à peine majeurs. 

Je suis pas bien plus vieille qu'eux question militantisme, mais je sens bien que ce soir, mon rôle, c'est de maintenir le calme et d'éviter que ça se passe trop mal. Parce que mon intuition me dit qu'on est pas sortis le cul des ronces.

Un des policiers m'avait dit de me dépêcher à sortir ma carte d'identité, que sinon c'était quatre heures au poste et que ni eux ni nous n'avaient envie de ça. Je me suis exécutée puis je me suis avancée vers une femme qui m'a fouillée et m'a demandé "Et dans vos poches ?" 
"Oh, bah, vous savez sur les vêtements féminins, y a jamais de poches..."
"Oh la la m'en parlez pas..."
Et d'un coup d'un seul on était deux femmes en connivence, même si elle avait un peu droit de vie et de mort sur moi à cet instant là.

Les journalistes gravitaient toujours autour de nous, mais tout était flou, à ce moment-là, je croyais que le mec disait vrai, qu'ils allaient pas nous embarquer pour "avoir fait du bruit dans la rue". Et puis, quand je suis sortie du fourgon et qu'on m'a parquée avec interdiction de sortir mon téléphone, j'ai senti le vent tourner.

Les blagues, plus ou moins drôles, fusaient. Je n'avais pas vraiment peur, j'étais profondément amusée de l'absurdité de la situation : avoir quasi 2 crs par militants, voir une étudiante en journalisme enfermée avec nous alors que son équipière n'avait pas été inquiétée. 

Le chef m'a aussi fait parler de pourquoi on était là, sans pouvoir dire qu'on avait raison, il a tout de même dit que nos motifs étaient compréhensibles. Alors pourquoi s'en prendre à nous, 16 meufs, avec acharnement (car la soirée, qui avait débuté avec l'action à 21h45, s'est terminée à 2h du mat')

Quand on a appris qu'on allait être embarquées, les choses se sont transformées : on s'est concentrées sur les infos à retenir quand on est en garde à vue, on s'est écrit des numéros d'avocat sur les mains et on a récupéré bien sagement nos papiers.

Le voyage dans ce bus en plastique, aux vieux relans d'urine de gilets jaunes enfermés là avant nous, s'est fait cahin-caha jusqu'au comico du 17e où on nous a arrêté sans mot dire pendant un long moment, dans le noir. 
Entre chants militants, prises de selfies et interview données à la presse, le temps est passé plutôt vite au départ, jusqu'à ce que certaines d'entre nous éprouvent les premiers signes de faiblesse.

Quand on a signalé que certaines avaient des tampons à retirer ou des éco cups à retirer, nos gardiens ont vite laissé leur place à "une meuf" parce que, voyez, les règles toussa... elle nous a distribué des serviettes hygiéniques puis s'est cassée. Nous étions à nouveau seuls pour une demi heure, nous demandant s'ils s'attendaient vraiment à ce qu'on se changent les unes devant les autres, sans moyen de se laver les mains ? 

Puis on a insisté fort fort pour aller aux toilettes chacune notre tour, jusqu'à rendre fou notre préposé pipi-room. 

Finalement, 3h30 après, je suis passée 25 secondes devant une dame qui m'a remis une convocation pour une audition libre sans garde à vue, le mois prochain. Tout ça pour ça. 

Ce que je retiens ? Que quelqu'un a forcément donné l'ordre de faire de nous un exemple, de saper notre moral pour qu'on ne récidive pas. 
Que beaucoup de moyens (énormément, même) sont mis à dispo de la protection d'un seul type dans son château (peut-être qu'il regrette d'avoir demandé aux foules de "venir le chercher") quand il y en a zéro pour prendre les plaintes (souvenirs de cette après-midi d'été passée à attendre mon tour dans un préfabriqué pour porter plainte pour agression devant un homme dubitatif qui a tout mis sur le compte de l'alcool). 
Qu'au nom de l'état d'urgence, on peut être embarqués quatre heures et se voir priver de tous droits, parce qu'on a usé de son droit de manifester.  
Qu'à seize (quinze meufs et un mec)(et une casserole), on s'est sacrément serré les coudes, que cette épopée intergénérationnelle m'a appris énormément, a donné la rage de continuer aux plus jeunes et celle de crier un peu plus fort, encore, à toutes.

Alors RIP petite casserole, ta disparition n'était pas en vain. Peut-être seras-tu adoptée par un policier, peut-être seras-tu récupérée par quelqu'un dans le besoin. J'espère que ta seconde vie sera paisible, loin de moi. 

jeudi 10 octobre 2019

I wish you'd swallow all your lingering doubts




Je pensais pouvoir commencer à chiller dans mon nouvel appart si durement acquis quand, tout à coup, le ciel s'est assombri.
Alors l'apocalypse ne m'aurait pas plus surprise que ça, vu les événements mondiaux actuels, mais quand même, il était 10h du mat' et aucune éclipse n'était annoncée.
Bon, un lever de tête plus tard et je me rendais compte qu'un carton venait de boucher le puits de lumière de ma salle de bains exposée plein sud.
Je me suis alors dit que ça devait avoir un rapport avec l'échelle qui venait d'apparaître devant ma fenêtre et qui était assez judicieusement placée pour que les ouvriers puissent me voir dans la douche par les 10 cm de fenêtre non obstrués par un floutage.
J'ai alors ouvert la dite fenêtre et découvert Jean-Barbe et Jean-Con, Jean-Barbe avait l'air d'être le chef, donc je lui ai parlé, lui demandant courtoisement quel était le fuck tandis que Jean-Con tenait, en arrière-plan, plus ou moins ce langage : "gnégnégnégnégnégné t'as qu'à allumer la lumière si t'es pas contente".

En gros, le nouveau mec du syndic (que je paie donc avec mes deniers de proprio), était passé le vendredi d'avant pour les autoriser à grimper sur MON toit et danser dessus pendant trois semaines.
J'ai refermé la fenêtre et appelé Jean-Syndic à qui j'ai laissé un message rouge sang, avant d'aller vaquer.

En gros, quand il m'a rappelé, il a confirmé que ce serait Johnson-journée-techno pendant les trois semaines à venir mais qu'il allait veiller à ce qu'aucun dégât ne soit fait. J'ESPERE BIEN JE TE PAYE POUR CA, JEANNOT.

C'est ainsi que depuis, mon gros chat passe ses jours le cucul sur le carrelage, le museau en l'air à se demander quelles sont ces grosses souris qui galopent sur notre toit. (J'ai beau lui expliquer, tant qu'elle a pas les visuels, elle me croit pas).

Bref, j'étais déjà de méchante humeur et puis là je me suis aperçue que j'avais plus mon porte-monnaie. Tout d'un coup, ça a fait tilt, j'étais rentrée éméchée la veille et un type inconnu m'avait ajoutée sur FB. J'avais décliné l'invitation en grommelant "mort au patriarcat" et en m'endormant bouche ouverte.

Vite fait bien fait, je le recontacte et bingo : il avait retrouvé mon porte-monnaie. Fort heureusement, ma CB y était toujours car j'avais choisi le moment où les fonds pour le paiement des travaux étaient sur mon compte courant pour faire ma connerie.

Je rentre chez moi en me jurant qu'on ne m'y reprendra plus et je me fais de la purée (si, c'est important pour que vous compreniez à quel point je suis un chat noir).
Je mâchonne en regardant un peu dans le vide tout en écoutant France Info et ses joyeusetés quand tout à coup CRACK.

La purée était devenue dure et carrée.

Ou alors ma couronne venait de tomber.
Pas ma couronne de princesse, mais celle qui m'avait fait un mal de chien quand on me l'avait posée, en 2010, genre plus mal encore que mon opération des deux pieds en 2006.
(Oui, tu sauras tout, petit lecteur)

Dans ma tête, c'était "FUUUUUUUUUCK", mais j'ai quand même mis la dent dans un tupperware et la purée dans une petite boîte (ou l'inverse) avant de parcourir Doctolib à la recherche de qui serait ma sauveuse.

Miracle des miracles, je trouve un rendez-vous pour plus tard dans l'aprem dans le 5e arrondissement, ce qui est pas trop trop loin et pas trop trop tard, donc je me dis que ma chance a tourné comme du lait qu'on aurait laissé sur le rebord d'une fenêtre en plein soleil de midi.

Je m'autorise une petite sieste où je grogne et rumine puis je me mets en route, sous une pluie torrentielle, vers le cabinet.

Une fois sur place, quand la porte s'ouvre, c'est le 9e cercle des enfers. Les assistantes dentaires courent dans tous les sens les bras en l'air, la salle d'attente est pleine de kékés en plein manspreading, l'un d'eux finit par me laisser sa place et on m'annonce que les fusibles ont sauté.
Ah.
Que se passe-t-il dans ce cas là ? On répare les dents à la faucille et au marteau ?
On vient m'informer qu'on pourra peut-être pas me prendre, et je repense à mon optimisme, au lait tourné et à toussa pendant 50 longues minutes.

Au final, on me reçoit, et on m'annonce que le chantier dans ma bouche va me coûter à peu près autant que celui de mon chez-moi ce à quoi j'ai envie de répondre "Yeah, no surprises".

Bref, c'est pas parce qu'il y a eu une accalmie que j'ai perdu ma guigne. 

samedi 5 octobre 2019

And we keep loving anyway




Les cartons vides viennent de partir dans les bras d'un jeune couple. Molly ne leur a presque pas grogné après. Ca marque la fin de mon déménagement, même si j'ai toujours du mal à réaliser. 

Il faut que je réfléchisse dans quelle rue tourner, depuis une semaine, pour rentrer. J'ai un moment de stress au moment d'entrer le digicode. Je n'ai pas encore repéré où étaient toutes les poubelles et quels jours passaient les éboueurs. Je me bagarre quotidiennement avec la serrure de la boîte aux lettres.

Mais les livres sont sortis de leurs carcans et tout a trouvé sa place, si bien que ce matin, à genoux devant une table basse défoncée, j'ai commencé à peindre des lettres. Pour l'instant je n'avais la place pour faire sécher que "FEMMES VICTIMES DE" alors je suis partie à la recherche d'épingles à linge pour pouvoir compléter "VIOLENCES : ON VOUS CROIT" avant d'aller l'apporter à notre nouveau QG. 

Je me suis octroyé le petit kiff d'aller coller en face de mon boulot, sur un rond point très fréquenté. Courir sur les pavés déformés entre deux feux à la lumière des réverbères a été une délivrance.
Dimanche dernier, alors que le camion de déménagement tournait quasi sur deux roues sur cette même place, j'ai senti un appel d'air sur ma droite : si ma pote n'avait pas mis sa ceinture, elle aurait peut-être roulé sur la chaussée, si elle avait tenu mon chat dans ses bras, je n'en aurais plus. 

C'est pour ça, et parce que le déménageur que j'ai engagé a provoqué un dégât des eaux dans l'appart dont je partais, que j'ai fini le déménagement à tenter de contrôler une crise d'angoisse qui montait inexorablement.

Je n'en avais plus eu de telle depuis des mois. 

Entre la réorganisation du mouvement, le déballage des cartons, les états des lieux, les dons d'objets et le boulot, je n'ai pas vu la semaine passer. J'ai couru d'un endroit à l'autre, d'une cause à l'autre, que ce soit celle de ma gueule ou d'autres moins égocentrées. 

J'ai vissé mon plus fake smile devant ma boss pour éviter qu'elle trouve quoi que ce soit à redire au fait que je ne vienne plus aussi souvent. Pour autant, je n'ai plus la motivation d'avant concernant ce job qui a tant compté. 
Un jour viendra où la culpabilité d'être à 90% de mes capacités au lieu des 120 habituels prendra le dessus, mais ce n'est pas le moment, pas quand j'ai 20 ans de dette à rembourser et du matos à payer pour aller retapisser les rues et espérer faire frémir les choses. 

Bouger autant m'empêche de réfléchir trop, notamment au fait que j'ai 31 ans, accompli à peu près tout ce que je rêvais d'accomplir dans ma vie, et que je n'ai pas la moindre idée de quoi faire, de quoi vivre ensuite.





mercredi 2 octobre 2019

Pretty eyed, pirate smile




Maintenant que je suis une féministe de la rue (you can call me "Jean-Luc"), je passe sacrément de temps dans les magasins de bricolage. Ca aussi, c'était un endroit où j'aurais pas eu idée de traîner. Où je suis allée à pas de loup, sans avoir les réf, en me faisant bousculer par des gros bras et des petites vieilles aussi perdues que moi. 

Et puis j'ai fini par prendre mes marques. A savoir quelle marque de peinture glisse mieux sur une feuille A4 et fait les lettres qu'on voit le plus loin. Quel pinceau est végan (chut). Quelle colle pour papier peint fait moins de grumeaux. 
Et puis, l'autre jour, j'ai tellement pris la conf, que je suis carrément allée avertir un vendeur qu'ils étaient bientôt à cours de peinture noire (et c'est pas avec du "corail" ou du "satin ajouré" qu'on va peinturer nos slogans) et qu'on allait lui en acheter plein dans les jours à venir.

C'était un risque. Parce qu'il allait forcément me demander pourquoi. Et qu'il allait falloir que je m'explique, sur mon activité. Activité illégale. BREF, c'était pas tant ça le problème que le décompte qui s'est formé dans ma tête quand j'ai expliqué qu'on était une "asso" (alors que bon, pas du tout officiellement), et ça faisait genre "3... 2... 1... MANSPLAINING". Ca n'a pas loupé, il m'a dit qu'on ferait mieux d'aider les vivantes, et qu'on s'y prenait mal, et que... Il a dû voir que j'écoutais plus trop et que mon regard s'était étrangement fixé sur les abattants à chiotte depuis le début de sa litanie, parce qu'il a fini par comprendre que c'était pas cool, ce discours, alors il en a changé et m'a expliqué que dans "son pays" ils avaient un encore plus gros problème de violences faites aux femmes, et que les victimes de viol étaient systématiquement accusées de l'avoir cherché, et qu'on différenciait femmes et femmes et que l'omerta régnait. J'ai été hyper surprise, j'avais des a priori, des préjugés même sur le fait de parler à un homme mûr dans un pré carré de menly men et voilà que j'échangeais à coeur ouvert sur le féminimsm avec le dit homme (même s'il avait fallu dépasser la case "paternalisme"), il m'a même proposé de récupérer les produits abîmés qui pourraient servir, et c'est le coeur léger et le seau à colle au vent que je me suis dirigée vers notre nouveau Q.G.

Une ambiance de vieilles routardes commence à s'immiscer, entre celles qui ont connu les premières heures de cette action phénomène, l'ancien Q.G, les questions qui fâchent et celles qui unissent et les nouvelles qui débarquent fraîches comme la rosée malgré les injonctions à "arrêter d'envoyer 12 000 messages sur les groupes de conversation bordeldecul". 

Former la relève, c'est du boulot, mais c'est extrêmement motivant aussi. On se dit que notre boulot a touché des gens, a inspiré et que si on flanche, tout ne s'arrêtera pas. 

Parce que j'ai paniqué, quand on m'a annoncé que le semblant d'orga qu'on avait toujours connu (toujours ici se résume à un mois, mais le militantisme, c'est du temps long) volait en éclat et qu'il fallait tout reconstruire (ce qui n'est pas vraiment vrai, pas "tout", la base est là, la base est forte, le concept est simple, efficace, et le problème terriblement actuel). 

C'est déstabilisant que cette petite routine me fasse tant de bien. Que je me sente vide si je ne pose pas mon cul régulièrement dans la crasse pour peindre des lettres épelant des exactions commises sur mes semblables, dans mon pays, dans mon présent. 
C'est dur à gérer, comme émotion, mais c'est toujours mieux que de regarder le vide en scrollant sur les internets, les larmes aux yeux. 

On ne pleure plus, on agit. On ne perd pas de temps en parlotte : on écrit, on peint, on colle et on recommence. 

Alors oui, tout n'est pas parfait, mais, pour une fois dans ma vie d'éternelle pessimiste, je retiens surtout la bienveillance des gens, et leur éveil aux problématiques qu'on soulève. 
On n'a aucun laurier sur lesquels se reposer, mais, en même temps, il n'est plus question de fermer les yeux, et encore moins de dormir.