jeudi 26 mai 2016

At the expense of the death of a bachelor



Asseyez-vous en rond autour du feu de bois, jeunes pousses de l'hormone, je vais vous parler d'un temps que les moins de 25 ans ne connaissent qu'à peine.

Il y a 10 ans, j'étais à mon pic, mon cap, ma péninsule. J'avais 17 ans, mon bac en poche, un appart' à moi, des amis plus âgés et plus bretons qui m'avaient appris à boire, un mec qui m'a envoyé "je t'aime" par texto en cours d'édition et... beaucoup de cheveux en moins.

Il faut savoir que mes parents ont passé leur vie à me faire comprendre que j'étais sûrement la moins jolie de leurs trois filles et que je faisais rien pour m'arranger, MAIS ils ont toujours considéré mes cheveux comme aussi sacrés que ceux de Samson. Du coup, ils ne les ont jamais coupés. 

J'ai donc eu mon bac avec des cheveux qui m'arrivaient aux cuisses. 
Un an plus tard, dans la lumière tamisée de mon appartement face à la gare du Havre, j'en ai coupé 20 bons centimètres.

Pourquoi ? 

Pour ressembler à lui :

William Eugene Beckett.

Je ne sais où mon cerveau s'est perdu entre mes années lycée, où j'écoutais Blur, Les Libs et les Strokes, mainly, et cette première année de liberté où je suis tombée en pleine scène Dance-rock américaine. 

On peut résumer cette scène par un label (Fueled by ramen) et une poignée de noms : Fall out boy, Less than Jake, Cute is what we aim for, Gym Class Heroes, Cobra Starship et, bien sûr, The Academy is (mené par William Beckett, voir photo plus haut) et... Panic! at the disco.

Et justement, hier, c'était à un concert de ces derniers qu'on m'a invitée. 
Je ne vous fait pas un dessin, ma folie furieuse pour cette scène s'est limitée, à l'époque, aux balbutiements de youtube et à myspace, ces groupes n'ont quasiment pas percé en France et je n'ai donc jamais eu l'occaz de les approcher, de près ou de loin. Heureusement The Academy is a eu une idée de génie : lancer la première webtv suivant les backstages d'un groupe de rock. Je savais donc TOUS LES JOURS ce que faisaient Beckett et ses boys. Ca s'appelait TaiTV et c'était drôle, inventif et mortel. Monté avec des bouts de ficelle et beaucoup de mauvais esprit. 

Ce qui était réjouissant, à cette époque, c'est l'unité totale entre les garçons du label. Fall out boy faisaient clairement la course en tête mais invitait tous les potes dans leurs clips, leur laissant une part non-négligeable du gâteau.

C'est ainsi que des morceaux de bravoure clipesques tels que A Little Less Sixteen Candles, A Little More "Touch Me" ont vu le jour :



Les Fall out jouent leur propre rôle, Pete Wentz (LA star de l'époque, le mec qui a inventé la dickpic, quand même) a été transformé en vampire par le chef d'une clique de Dandy Dentus qui est incarné par... Bill Beckett, le chevelu qui me fascinait à l'époque, et le rôle du bras droit de ce vampire est tenu par un nouveau venu, 19 ans à tout péter, un grand front, une grosse bouche et pas mal de panache... j'ai nommé Brendon Urie. 
Le chanteur de Panic! at the disco. 

Ca peut sembler compliqué comme ça, mais en fait c'est plutôt simple. Brendon a été intronisé par les stars de l'époque et a tout appris à leur contact pour, au final, être l'un des seuls à durer et à s'imposer encore maintenant comme une putain de popstar. 
Panic! pourrait être renommé "The Brendon Urie show", easy.



J'étais dans un état de surexcitation totale au moment d'envahir la Cigale. 17 ans dans ma tête, une envie de retrouver mes golden years et de sautiller comme je n'ai pas pu le faire à l'époque.
La salle est pleine et gonflée à bloc, ça hurle comme j'ai jamais entendu à la Cigale - et pourtant, j'en ai déroulé du câble, là-bas... (Non ? non.)
L'ambiance est totalement bon enfant, tout le monde a l'air aussi excité que s'ils visitaient Disneyland pour la première fois, et c'est de plus en plus contagieux. 

J'ai 28 ans, je ne me coupe plus les cheveux comme mes pop-rockstars préférées, et pourtant, quand j'ai vu B. débarquer avec son petit pantalon en cuir et sa veste ajustée sur un torse nu glabre et offert à la foule de jeunes gens de tous horizons se pâmant devant lui... j'ai failli oublier que j'avais développé un goût sûr, et que maintenant je fréquente des concerts de naughty boys à la conscience politique développée

Brendon est "à l'américaine". Il fait un putain de show. Impeccable, carré, mais dépassé par l'énergie des fans qui couvrent sa voix et qui font craquer son masque parfait le temps de sourires trop forts pour qu'il les retienne. 

Panic!, c'est musicalement toujours la même chose : des hymnes de easy listening avec des choeurs faciles à reprendre et des paroles qui entrent toutes seules dans le crâne. Panic!, c'est avant tout une esthétique bossée, avec des clips toujours plus inventifs et un frontman qui se renouvelle et se fout pas de la gueule de ses fans (hyper fidèles et impliqués, à un niveau rarement vu à cette échelle, j'insiste). 

C'est hyper agréable à regarder, ça fait sautiller malgré soi, et puis il y a le putain de charisme de Brendon, qui vous cloue sur place, même quand il oublie de rentrer son bidou entre deux chansons (surtout, j'ai envie de dire). 

Et puis il y a un moment suspendu - celui que j'attendais - où il se plante sur l'estrade de la batterie, dos à nous, les bras en croix. L'instant dure, dure, dure. On est tous fascinés par le tracé des muscles de son dos, c'est pas le problème, mais on se demande un peu quand il va lâcher les iench. 
Et là.

Le putain de salto arrière. 
Le.Putain.de.salto.arrière.

Ca se voit pas quand on me regarde, mais j'ai longtemps fait de la gym, et j'ai jamais atteint - ou approché - ce niveau là.
Je suis restée coite. Et quand il a entamé une reprise de Bohemian Rhapsody, je lui ai juste tendu mes ovaires et mon utérus pour qu'il s'en fasse un chapelet. 

Y a un moment, tu peux pas lutter.
Parce que malgré les apparences et les "gneuhgneuhgneuh" des puristes, c'est pas facile facile de tenir sur la longueur avec un fond de commerce musicale foncièrement positif. Sans jouer sur ses fêlures. Sans tomber pour autant dans la guimauve. En surfant sur l'air du temps sans pour autant faire un copier/coller grossier des tendances.

Brendon est fin, Brendon se mange sans faim. (Enfin... je pense). 

Alors oui, la gamine de 17 ans en moi s'époumone que "le plus fort ce sera toujours Beckett", mais la jeune fille de 19 ans que j'ai été aussi me rappelle que William Eugene lui a brisé le coeur en se révélant être un phony, un menteur et un lâche. Et la Johnson de 19 ans... elle pardonnait pas. 

Alors remettre un pied dans la Fueled by ramen nostalgia, ça a fait un bien énorme. Voir un morceau vivant de cette époque être toujours fidèle aux valeurs de fête, d'humour bienveillant et de fraternité qui les caractérisait, ça a fait chaud à mon coeur de française qui est censée ne pas voir au-delà du cynisme ambiant. 

Merci Brendon. 
Je n'oublierai ni ta chute de reins vertigineuse, ni ton playback au piano (le mec chassait des moustiques avec les mains pendant sa partition), ni tes yeux brillants d'émotion.
C'est toi le champion de la Fueled by Ramen génération, je t'avais pas vu venir, et tu as su rallier toutes les Johnson que j'ai pu être à ta cause.



Pour le kiff je vous ai fait une playlist. Ne me remerciez pas.

dimanche 22 mai 2016

Big black abyss



Je vis rarement des moments de ralentis dignes de films, parce que je ne suis pas un cliché. 
Mais quand le chanteur de Fat White Family a vidé sa Guinness sur la tête de mon voisin de droite en l'invectivant, je vous jure que le temps s'est arrêté et que j'ai pu voir les gouttes brunes flotter un moment avant de venir se déposer sur ma chevelure divine.

Quand le temps a repris son cours, j'ai pensé très fort à l'apéro qui avait précédé le show où une amie me demandait pour qui je pouvais bien faire le déplacement jusqu'en fucking Normandie. Je lui ai donc décrit le dernier groupe vraiment punk encore en état de marche (ou de titubance) en précisant bien que ce n'étaient pas que mes propos mais une sorte de consensus, ce qui est assez rare dans le rock pour ne pas être basé sur de la vérité vraie. Mon amie m'a alors répondu de ne jamais oublier que c'est elle qui m'a versé ma première bière sur le crâne, en soirée étudiante, il y a dix ans de cela. 
J'en tire donc la conclusion qu'elle a 1) des pouvoirs psychiques de prémonition ou 2) soudoyé mon voisin de droite du concert en lui demandant de grave énerver Lias Saoudi pour l'amener à réitérer ce cérémonial. 
Affaire à suivre.

Cette amie, donc, m'a déposé sur les quais de Rouen, au niveau du 106, la salle proprette qui est dans un hangar mais qui sent toujours le plastique et le bois de taille. Salle que j'ai fréquenté à son ouverture et où tous mes espoirs ont été ruinés en une phrase : "ah non mais le bar ne sert pas d'alcool".
Mais les choses ont changé, et maintenant ils servent de la mauvaise bière trop chère, comme tout le monde, oui, mais avec le sourire.
Et c'est important, à Rouen, le sourire. Parce que c'est pas chez les quidams que tu le trouves. 
Je suis arrivée à la bourre devant la salle, avec mon 1,5 litre de bière dans le sang, j'étais au top et motivée quand tout à coup je me suis cassée le nez sur des portes closes avec à tout péter 8 personnes devant. 
J'ai cru que c'étaient des fumeurs mais en fait non, la salle n'était pas ouverte. Je l'ai compris après avoir demandé à ces huit personnes qui, pour la plupart, m'ont regardé comme si j'étais le démon en faisant un signe de croix avec leurs deux index. 

J'avais oublié à quel point le Rouennais est fermé et hautain et à quel point je répondais "tss tss tss" à mes quelques amis qui me disaient "jamais j'irai à Paris, ils slapettent trop". 
Putain de sa race la petite bourgeoisie rouennaise est une plaie (la preuve, on l'a élue à la tête de la République et vous voyez ce que ça donne). A Paris, on est des bons vivants chaleureux à côté. 
Je suis pas la meuf la plus ouverte et la plus commode mais putain, au moins 4 personnes à qui j'ai demandé des infos se sont détournées sans daigner me répondre. Des personnes ADULTES.

C'est pour ça que j'étais ravie de tomber sur un visage souriant au bar qui m'a informé que le concert se jouerait dans la toute petite salle et là je me suis dit que j'avais pas envie de revivre un pogo-wall-of-death dans une chambre de bonne.
Alors je suis allée mettre sur pied mon plan d'attaque en m'attablant à la première tablounette rencontrée.
J'ai descendu ma pinte, le regard vide, à me demander quelle stratégie adopter : me mettre tout derrière et pâtir de ma myopie mais rester en vie ? Me mettre au milieu, avoir une vue super, mais décéder ? Me mettre tout devant, avoir un torticolis et des risques de projections non-identifiées sur mon visage béat ?

Et puis, comme si Dieu me parlait, j'ai entendu la voix de Lias. 
Là je me suis dit que quelque chose clochait, parce que 1 litre 5 ne suffisent pas à me faire avoir des hallucinations et que normalement je rencontre les rockstars dans les toilettes et que là, j'étais pas du tout dans des toilettes. 
Alors j'ai levé la tête, comme un petit chien des sables, à l'affut d'une silhouette Burtonesque dépressive et mal attifée et j'ai rencontré visuellement les deux billes noires de Lias, comme il y a 3 mois à la Maroquinerie, mais cette fois derrière une vitre.
J'étais en fait posée devant le studio de radio (je suis la meuf la moins observatrice du monde, surtout sans mes lunettes) où il allait donner une interview dont j'ignorais l'existence. 
Je me suis dit que quand même, j'avais le chic pour me poser où il fallait. J'ai donc décidé de zapper la 1ere partie très très locââââle pour écouter ce que Lias avait à dire (parce que généralement, je bois ses paroles, notamment quand il parle écriture). 

C'était sans compter sur les questions débiles dont on l'a bombardé, même si l'interprète était tout à fait badass et censurait les parties les plus chiantes à la traduction. Ainsi, je n'ai rien appris, de toute façon une fois qu'on a fait le tour de ce que The Quietus avait à dire sur les Fat White, c'est un peu indépassable. Alors je me suis attardée sur l'observation. Ce qui m'a frappé, c'est le calme, la politesse et même l'affabilité du mec. Il est patient, il sourit, il boit son demi tranquille pendant que ça blablatte. A ses réactions, je réalise qu'il comprend la plupart de ce qui se dit en français (England: 12 points.) 
Il est habillé avec goût. A la limite d'être classe (!). 
Je ne suis pas si surprise de le découvrir posé, mais pour un type co-leader d'un groupe animé par une colère proche de la fureur qui milite pour une purge de la société (au sens stalinien du terme, oui oui), je le trouve quand même hyper conciliant. 
J'ai d'autant plus de points d’interrogations dans les yeux quand je le vois claquer des bises "à la française" à des journalistes qui font les yeux ronds tellement c'est inhabituel. 

Après une pause toilette où je cherche - en vain - David Bowie ou Mick Jagger derrière les chasse d'eau (ça ne marche pas à tous les coups...), je pénètre dans le salle pour la dernière chanson du groupe locââââl, qui me rappelle les heures les plus sombres des concerts gratuits normands. A la mi-temps, je finis par trancher pour le premier rang, décidée par le fait que je pourrai planquer mon sac sous la scène et me défendre de mes deux bras en cas de balançage de tête de cochon mort (de la part du groupe) ou de mineurs saturés à la Kro (par le public). 

Autour de moi, des groupettes qui s'inquiètent en voyant le logo du groupe et se demandent "mais... ils seraient pas un peu communistes ?", des jeunes ultra lookés dont je devine l'instagram au cordeau et des djeunz-petits-cons-bourrés qui commencent déjà les "popopopopooo" et les "A poils".
J'essaye d'oublier que j'en suis à ma deuxième pinte de Kro, à Rouen, et que ma reum vient me chercher à la fin du concert pour ne pas repartir mentalement 10 ans en arrière et avoir une poussée d'acné spontanée. 

Je suis entre le micro de Lias et la guitare de Saul. 
Petit point Voici-Gala-ParisMatch du rock&roll : ils sont deux des membres fondateurs, le premier écrit la plupart des paroles, le second la plupart de la musique, ils prennent toutes les décisions qui consistent généralement à virer les autres gens du groupe. Depuis... deux ans ? Plus rien ne va entre les deux, toute une partie de la dernière tournée s'est faite sans Saul qui avait de gros problèmes de super-héroïne et qui a été contraint à un exil dans le désert américain pour se rebooter. (Toute ressemblance avec la trajectoire d'un certain Carl B. et de Pete D. serait fortuite et non avenue)(ou pas). Je l'avais découvert tout frais à la Maro en début d'année, pleine de joie et de frétillement parce que Saul fait peur mais c'est un putain de musicien et (oserais-je) de génie omnipotent créatif. C'est lui qui porte le groupe, en vrai. Et son absence, c'est un peu comme un Oreo sans crème : un peu sec et étouffant.

Mais sa guitare est là alors je m'autorise à sourire, à prendre en photo la scène en l'accompagnant d'une remarque, sur les réseaux, mentionnant mes doutes quand à la quantité astronomique de bouteilles d'eau mises à dispo du groupe.

Puis ils arrivent. Et je mets une bonne minute de Tinfoil Deathstar à m'apercevoir que la guitare est restée au sol et que Saul n'est pas là. 
En bonne fan des Libertines, je me dis qu'il est en backstage, qu'il y a encore une chance, qu'il va arriver... 
Je jette un coup d’œil à Lias qui baisse la tête aux premières salves de "Where is Saul?" venant des jeunes saturés de Kro derrière moi. Il choisit d'envoyer du bois et de passer à Whitest boy on the beach. Sage décision, même si sa mine défaite refoule tout espoir en moi de voir le line-up entier ce soir. Il finit par répondre "He's asleep", vaine tentative de clore le débat.

J'envoie un message rapide à M., l'équivalent pour le rock&roll d'un agent secret triple, qui a des réseaux tentaculaires et qui m'informe dans la minute que "pourtant il est à Rouen", photo à l'appui. AH BAH SUPER LE PROFESSIONNALISME. Je me laisse 30 secondes de dépit, mais les premières notes de ma chanson d'amour préférée, Is it raining in your mouth?, défilent avec tendresse dans mes oreilles, alors je me laisse porter. Mais c'est là, je crois, qu'arrive le drame.
Mon voisin de droite a changé de tête, et il s'agit désormais d'un jeune Kromagnon, qui vient défier Lias en bord de scène pour le harceler de phrases à base de "Where is Saul????" "Go wake him up!". J'ai envie de lui faire un plaquage viking et de le censurer à coup de verre consigné dans la gueule, mais Lias, qui avait répété patiemment que son compère était asleep, a été plus rapide. Avec un regard de colère noire dont j'aimerais ne jamais être le destinataire, il a fait deux pas de chats agiles, repéré sa proie et visé, puis vidé sa Guinness sur le crâne de mon voisin l'accompagnant d'un cinglant (et mérité) "YOU go wake him up!".

Bien sûr, j'ai été largement baptisée moi aussi, mais j'étais préparée psychologiquement à cette éventualité et en plus, j'ai trouvé que me faire asperger de la boisson nationale irlandaise par celui qui m'a redonné goût à l'art (et à la vie) était un très bon résumé de mon année 2016, so far.
Alors je me suis gaussée, un peu peinée de voir Lias aussi touché - parce que c'est loin d'être la première fois que ça arrive, que ça ne peut que continuer, et que pour avoir *un peu* suivi la carrière des Libs, c'est toujours Carl qui a le mauvais le rôle et qui s'en prend plein la gueule. 
J'ai donc été animée d'une pitié bienveillante. Me repassant les images du mec qui tentait de porter à bout de bras la promo de son groupe avec un sourire affable, des cheveux propres et des coutumes frenchy mais qui se heurte à un putain de mur incontrôlable : la connerie humaine de son public pas capable d'en vouloir à la bonne personne, et le point de non retour de son partenariat artistique avec un électron libre aussi sauvage qu'un wildling de Game of Thrones. 
J'avais le nez sur la setlist et j'ai un peu mieux compris l'absence de Hits Hits Hits, qui fait le parallèle entre la relation abusive de Ike et Tina Turner et celle de Saul et Lias ("Sister Tina don't be shy, patience is starting to bruise", indeed).

Cet incident a eu pour effet d'achever la transformation de Dr Jekyll en Mister Hyde, et j'avoue avoir été assez fascinée. Après un concert à la Maro où Lias était composé, dans la maîtrise (et même l'amour universel, roulages de pelle inclus), j'avais l'occasion de voir l'envers du décors anarchique, épileptique, ahurissant. 
Dans le reste du groupe, c'était la débandade. C'est Saul qui donne le La habituellement, personne ne sait quand commencer quoi. Lias est obligé d'aller faire le métronome humain pour remettre Nathan, son petit frère aux claviers, sur les rails. 
Je suis mi-figue mi-raisin. J'assiste à un vrai morceau d'histoire rock&roll. A une lutte interne que la plume de Tolstoï n'aurait pas pu mieux me faire ressentir.
C'est diablement romanesque tout ça, même si ça n'augure rien de bon pour l'avenir de la musique.

En lisant les interviews de Lias (qui est, je le répète quelqu'un de passionnant, de réfléchi et de lettré, qui ne fait pas que dans l'arrosage alcoolisé de jeunes pousses), j'ai repéré un écrivain. C'est mon job à moi. Et mon radar ne se trompe jamais. C'est un type qui cherchait désespérément une manière d'exprimer sa vision unique de la vie et qui est tombé un peu par hasard dans ce groupe parce qu'il était blindé de charisme. Il a bossé comme un malade pour devenir un frontman digne de ce nom, combattant son introversion initiale - largement à coup de drogues, même si sa nature chétive a vite mis un frein aux excès, (comme pour Carl B., you know it!). Je ne me fais donc pas de souci pour l'après FWF pour ce type, qui a beaucoup de choses à dire, et qui est assez magnétique pour capter une audience quelque soit le médium qu'il choisira (hell, il a bien réussi à pécho Lady Gaga après avoir emballé Sean Lennon).

Si jamais tout ce beau monde explose en vol tel un missile soviétique, j'aurai la satisfaction d'avoir assisté à un drame grec sur fond de musique qui tabasse et qui aura ressuscité, même pour un instant, l'esprit d'une scène que je ne pensais jamais croiser de mon vivant.

mercredi 18 mai 2016

Your light fingers threw the dart



Dans ma carrière amateure d'aimant à rockstar, il y a un point que j'ai toujours souhaité ne pas dépasser.
Le point Groupie. Appelons-le le Point G. 

Attention : oui, je suis une amatrice de rock et de jolis minois, surtout quand les deux vont de paire, et je me pâme en sautillant hystériquement et en hurlant des prénoms à consonance anglo-saxonne, souvent. Mais c'est pas ça une groupie.

Croyez-moi, j'en ai fréquenté (brièvement), il y a quelques années à la fashion week (don't ask) et même si je voulais : je fais pas le poids. Ou je fais trop le poids.
Une groupie, c'est trois mètres au garrot, dont deux et demi de jambes. Un style vintage-trendy-post-avant-gardiste on point et une impeccabilité esthétique à l'épreuve des tourbus sans douches. 
Non vraiment, même si j'étais née aussi bonne que la plus bonne de tes copines, j'aurais pas pu concourir, moi qui ait besoin de 18h de sommeil pour ressembler à quelque chose qui s'éloigne un tant soit peu de la petite fille de The Ring. 

Je n'ai donc jamais sauté le pas du sexe avec une rockstar (haaaaaan)(la déception est palpable, I know). Il y a eu des bisous (Aaaaah !), des câlins à l'arrière de taxis, des dodos sages perdus dans Paris, mais pas de sexe. C'est ma barrière perso, pas un jugement. Rien de plus facile que de toucher le zizi d'un musicien - mais je ne saurais que trop vous conseiller de vous protéger, parce que rien de plus facile que de toucher le zizi d'un musicien. 

Tout ça pour dire que quand je me suis pointée ce soir à la Mécanique Ondulatoire (aka la salle la plus poisseuse cracra de Paris), à 20h55, alors que la 1ere partie débutait dans 5 minutes (j'aime pas attendre, j'aime pas les gens, alors je me faufile comme une furette au dernier moment), j'ai décidé de faire un tour aux WC. Et là, je suis tombée nez à nez avec le frontman de Paws qui devait jouer dans 5 minutes donc, mais qui, pour l'instant, semblait pris dans les phares d'une voiture entre les dits-WC et ma personne. Le Monsieur (qui ressemble à un mix de Kelly Jones et de Jason Schwartzmann, si tu sais pas : google) avait un regard paniqué que je connais bien : celui de la rockstar in the corner, qui peut plus s'échapper et qui va devoir - fioulala - COMMUNIQUER avec la populace fanatique.
J'ai donc pris mon air le plus détaché (parce que bon... ce n'est que le mec qui ressemble à KJ et JS d'un groupe que personne connait à part moi à Paris) et j'ai pointé les toilettes du doigt. 
Comme un gros bâtard, il m'est passé devant et y est resté trois plombes. Son activité n'impliquant aucune chasse d'eau et le contexte étant qu'il devait jouer dans 5 minutes (je le rappelle), je vous laisse tirer les conclusions qui s'imposent quant à la raison pour laquelle il a failli me faire imploser la vessie. 

Comme si ça suffisait pas, les deux autres membres du groupe me sont également passés devant (et non dessus, on a éclairci ce point plus haut) pour aller se repoudrer le nez.
Je commençais à être sacrément vénère, et encore, j'avais pas encore découvert que la tireuse à bière était en panne (sacrebleu). 
Le bon côté de tenir la porte des WC à des rockeurs, c'est qu'on rate pas leur concert pendant ce temps là. Du coup je suis descendue en même temps qu'eux, et j'ai profité de la trouée qu'ils ont percé dans la foule pour me tailler une place de roi dans la toute petite salle. 

Là, j'ai eu un sentiment de flottement, un truc allait pas. J'ai mis quelques instants à comprendre et puis ça m'est apparu : je voyais trop bien. Tout était dégagé entre mon mètre soixante quatre et la scène.
J'ai analysé vite fait l'audience autour de moi, malgré mon absence de lunettes, et j'ai failli dire tout haut "Jésus Marie Josette". 
Car... j'étais entourée par toute la 3eB du collège Albert Camus de Jeunots-sur-Seine. 
Il était trop tard pour m'extraire de cette pelleté d'école des fans, alors j'ai serré les fesses.
Puis j'ai entendu derrière moi les 4 seuls autres énergumènes majeurs du concert s'étonner à voix haute de l'âge du public d'oompah-loompah nous entourant. 
Au-delà du racisme anti-jeune primaire qui est sorti de moi par vagues, ces marmots ont putain de réussi à aller chercher mon instinct maternel très loin dans l'intestin grêle où je l'avais remisé. Des minots d'1m50, certaines en nu-pieds, d'autres avec leurs eastpacks qui commençaient à chouiner que "c'est fort quand même hein !"

Et puis le moment que les autres majeurs et moi on craignait tous est arrivé. Le POGO.
Un carnage.
Des bras mineurs, des jambes mineures, pas forcément verticales, partout. Des slams ratés, des faces écrasées sur un sol depuis longtemps non-nettoyé. 
J'ai regardé El Bastardo faucheur de WC sur sa petite scène et je me suis dit que l'investissement en poudreuse valait pas forcément la chandelle vu le pouvoir d'achat de la jeunesse qui les écoutait (et qui a même pas de CB...)
Et je me suis dit bien fait pour leur gueule de voleurs de toilettes.

Musicalement (parce que oui, y a quand même eu du son)(fort), ça se tenait. Mais les amplis étaient saturés, donc je jugerai d'avantage sur l'énergie, qui est exactement ce qu'on attend d'un groupe punk anglo-saxon, même si j'aurais préféré qu'ils tacheronnent pas leurs meilleures chansons en débutant par elles et en les expédiant (tâcherons !)

Pendant la mi-temps, j'ai vite compris que les schtroumphs puceaux étaient là pour SWMRS, un groupe californien formé de 3 blonds et de mini-Joe Armstrong. Le fils de Green Day. 
Le chanteur - un des blonds - est le sosie de Jon Robinson (google it, mate, I'm not your fuckin' mother), s'habille comme Kurt C. et essaye de couvrir les larsens de son frère désaccordé avec une voix à peine sortie de sa mue. Il est chou. Ils sont choux. Ca n'empêche, Mini-Joe (il s'appelle Joe comme son darron, trou story) les écrase tous de charisme, même caché derrière sa batterie. C'est le sosie de Papa, le rideau de cheveux en plus qui doit sans doute lui offrir un peu d'anonymat, de temps en temps. 
Ça pogote comme jamais. Je me planque derrière la muraille de majeurs (nous nous sommes réunis pour faire face ensemble au cas où les mômes aient une crise de croissance subite et décident de nous dévorer). 
Ca se passait pas trop mal. J'ai touché beaucoup de jeunes garçons, mais je vous jure que, pour une fois, c'était pas voulu. J'ai réussi à me prendre personne dans la gueule et la musique s'améliorait de morceaux en morceaux. Je kiffais ma race, je dois l'avouer, moi qui était venue pour Paws et qui n'avait compris qu'ils n'étaient "que" 1ere partie un peu sur le tard. 
Et là, ce fut le drame.

Jon Robinson look-alike, dans un français parfait, a annoncé un "Mour de la mort". Devant la mine dubitative de toute la 3emeB, il a ajouté "A Wall of Death, y'know?" en faisant le signe de séparer la foule en deux, tel un Moïse surfeur boy d'Oakland. Les majeurs et moi avons secoué la tête en synchronisation totale, interdits devant cette idée-à-la-con bien digne d'une belle bande de jeunes.
Précisons que la Méca doit faire 6 mètres de large pour pas beaucoup de haut. C'est une PETITE cave. 
Mais la foule de prépuceaux veut faire plaisir à notre ami francophile - surtout les groupettes de devant, celles qui doivent avoir des crampes à force de faire des coeurs avec les doigts - et tout le monde s'écarte. C'est la mer noire. Enfin, la mer rouge.
Et me voilà atterrée, une main sur un mur, histoire de rester avec les gens qui jouent pas le jeu, quand les boys lâchent les tigres et déchaînent les bombes à hormones qui leur sert de public.
C'est WWI. On cherche tous des tranchées où se planquer, mais impossible. Nous sommes condamnés à sautiller pour essayer d'échapper au gaz sarin qui s'échappe des aisselles de ceux qui ont oublié de demander à leur reum de leur racheter du Axe. 
Je suis à deux doigts d'aller tirer les (si jolis) cheveux de Mini-Joe quand Cole (oui, en fait le chanteur a un vrai prénom) me fout un taquet mental que j'ai pas vu venir et qui m'éclate sur le parquet de mes quinze ans à moi.
Cole dit qu'il va jouer Can't stand me now.
(Là, si tu vois pas de quoi je parle, non seulement tu googles, mais tu arrêtes de venir ici car à quoi bon, si je t'ai pas inculqué ça en 11 ans de blogage, on ne tirera plus rien de toi). 
Can't stand me now ou la chanson fratricide du groupe contemporain DE MA VIE. Le groupe de Carl B. 
Et là, c'était serious business.
Parce qu'autant vous dire que piquer ma place aux toilettes, c'est pas une bonne idée sachant que j'ai déjà assommé un Russe de trois têtes de plus que moi, mais reprendre cette chanson (qui est celle par laquelle j'ai connu les Libs) en live, en ma présence, c'est un risque de l'ordre de la fission nucléaire.

J'ai regardé Fake-Jon-FranColePhile dans les yeux et je lui ai mentalement ordonné de pas se prendre les pieds dans la moquette. (Si les Paws aiment à n'en plus douter la poudre, les SWMRS fleuraient bon les herbes de Provence). 
Son bro' n'avait toujours pas accordé sa guitare mais, à deux chansons de la fin, tout le monde avait abandonné, surtout le bassiste, et il n'y avait bien que Mini-Joe pour sauver la rythmique de tout ce petit monde.

Et puis Bam.
An ending fitting for the start, quoi.
Je dirais même plus : You twist and tore our love apart.

Y avait plus de barrière entre les quinzenaires et moi. C'était la reprise la plus punk de cette chanson mythique que j'aie jamais entendue. 
J'étais comme mille ronds de flan, au moins. A deux doigts de la transe.
Et c'était lumineux. Comme les yeux de Cole Becker quand il s'excuse pour son français parfait et fait des parallèles entre la haine des parisiens pour Marseille et celle des Oaklandais (?) pour L.A.

Je suis ressortie avec trois points d'ouïe en moins à chaque oreille, un nouveau groupe à faire tourner en boucle dans mes playlists - et pas celui auquel je m'attendais. 
J'ai vécu le Wall of Death le plus surréaliste du monde (et ça vient de la meuf qui a porté Philippe Katerine lorsqu'il a slammé sur son public assis) et je sais pas trop quoi rajouter de plus.

A vous les studios. 



dimanche 8 mai 2016

Hell hath no fury like a failed artist


[or a successful communist /
But that ain't no excuse to treat my purple fury /
quite like a big black abyss]

Tu n'es plus qu'un vague concept. Comme si tu n'avais jamais été palpable. Comme si mes doigts ne t'avaient jamais parcouru. 

C'est même dégueulasse maintenant, de me dire qu'on s'est autant touchés. 
Mes yeux myopes distinguent à peine la péniche au bout du canal. Je suis là avec un veggie burger et trois filles épatantes et pourtant je ne pense qu'à toi. 

C'est un peu le résumé de ces presque deux ans que tu as niqué en trois nuits. En ne me niquant pas moi, mais toute mon âme si, sur ton passage.

J'ai évoqué que j'avais revécu, que mon coeur avait redémarré, sur ce blog, au début de l'année. Je ne me suis pas appesantie. C'était au concert des Fat White Family, à la Maroquinerie. 
Ma fureur a percé comme un furoncle à la gueule du monde. Lias et moi on s'est regardés, on était flous l'un pour l'autre. A la même hauteur, moi sur ma marche, lui sur sa scène, et j'ai capté son regard juste le temps de comprendre qu'il était aussi sincère que je l'espérais. 

Anyway. Je suis assise sur ce quai qu'on a parcouru de long en long. Cet endroit où je ne suis pas revenue, jamais. Cet endroit que tu as essayé de saucissonner lorsque je t'ai annoncé que je te sortais de ma vie, mais que je t'ai laissé. 

Je vois un point lumineux flou, au loin. Peut-être que tu y es, peut-être que tu n'y es pas. 
De toute façon peut-être que tu es mort. 
C'est ce que je me suis demandé en novembre.
Ca me tue que tu sois la première personne à laquelle j'ai pensé.
Un mec avec qui j'ai même pas couché. Un mec avec qui j'ai partagé trois de mes nuits.
Mais les deux meilleures. Et de loin.

Je ne connais rien à l'amour. Et j'aimerais bien me dire que ça n'en était pas. Je n'attends qu'un prochain qui me ferait comprendre ce que c'est vraiment.

Mais j'ai jamais rien ressenti d'aussi fort que ces deux nuits où pour toi "il ne s'est rien passé".

Alors je reste assise entre le bleu nuit et le canal et je fixe ce point flou à l'horizon. 
T'as rien laissé du tout, comme on chantait bourré(e)s à cette époque.   
Je ne pensais pas que ces quelques paroles minables pourraient sonner vrai, un jour.