vendredi 31 août 2012

My sorry-ever-after [Part VII]



Nous avons repris nos habitudes, chez l'un, chez l'autre.
Il a raté son avion, une fois, parce qu'il préférait faire la grasse matinée chez moi.

Il a proposé de s'occuper de mon déménagement. M'a demandé si ça me dérangeait, s'il venait dormir dans mon nouvel appartement, parce que ça l'arrangeait, pour son nouveau stage. 
Il a été le premier à avoir un double de mes clefs.

Cette situation inacceptable l'était dans ma tête car je devais m'en contenter, parce que je ne valais pas mieux. 

Pourtant, quelque chose avait changé, le chahut était devenu moins innocent, lorsqu'il laissait traîner ses mains sur moi, ce n'était plus pour me faire rire mais pour me pincer. Lorsqu'il me plaquait sur le lit ça n'était plus pour me faire rire, mais pour me faire taire.

Une nuit, quand il a fait le choix de ne pas revenir dormir chez moi, mais chez nos amis, j'ai acquiescé et j'ai souri.

Je me rappelle clairement avoir marché jusque chez moi. La place, silencieuse, froide, la pub illuminée de Nicole Kidman pour Chanel N°5.

Je me rappelle clairement qu'arborant toujours ce sourire, j'ai senti à chaque pas mon coeur se déchirer un peu plus.

La sensation exacte d'une feuille de papier que l'on coupe en deux très lentement.

Je pensais avoir touché le fond.

Mais...

Il y eut une soirée particulièrement critique dans notre historique de soirées critiques.

Alors qu'il m'ignorait à nouveau lors d'une soirée et que j'avais à peu près deux bouteilles de vin dans l'estomac, je l'ai vu danser avec son ex. Je savais fondamentalement qu'il ne se passerait rien entre eux, mais l'idée, la simple idée, qu'il puisse être avec une autre m'a fait basculer.

Au sens propre comme au figuré : je me suis laissée tomber en arrière depuis le podium où tout le monde dansait, une fois par terre, je les ai regardé une dernière fois et je suis partie en courant. 

Je cherchais dans ma tête de quel endroit de ce lieu inconnu je pouvais me jeter.
Il avait les clefs de son bâtiment. J'ai donc couru à travers les pelouses jusqu'à ce qu'on me plaque sur le sol. Il m'avait rattrapée - bien sûr. Il m'a hurlé dessus. Je me suis mise à pleurer. Il m'a serrée dans ses bras, plus fort que jamais, puis il y a eu un grand silence.

Il m'a dit "Je croyais que c'était fini."

Je lui ai répondu "C'est pas parce que c'est fini que ça s'arrête."

Quand je l'ai regardé à nouveau, une larme coulait sur son profil. C'était la première fois. Je ne me serais jamais imaginée qu'il en était capable. Je le sais très sensible mais aussi très doué pour tout cacher. 

Puis j'ai compris : ce n'était pas la situation. Ce n'était mon désarroi. Ce n'était pas cette situation étouffante, invivable.

Non.

Il venait, volontairement, de s'écraser sa cigarette sur la cheville.


N'importe qui aurait été horrifié.
N'importe qui, sauf moi. 

mercredi 29 août 2012

My sorry-ever-after [Part VI]

Il m'appelait le soir et me demandait ce que je faisais.

C'était simple : à part lui, à part eux, je n'avais pas de vie à Paris. Alors je lui répondais "pas grand-chose". C'était son code pour "je peux venir dormir chez toi ?".

Mon 10m² était l'appartement le moins praticable du monde pour deux personnes (dont un géant).

Des essais de cuisine ratés, de grandes discussions sur le gouffre qui nous séparait, sur ma différence, sur le fait que j'étais incompréhensible, beaucoup de musique, du vin, aussi, et s'endormir dans les bras l'un de l'autre. 

Bientôt, je suis devenue son +1 féminin officiel. Celle qu'il amenait un peu partout pour occuper ses soirées quand les autres n'étaient pas dispo. Car je l'étais toujours pour lui. Si je savais qu'il y avait une minime chance pour qu'il s'incruste chez moi un soir, je refusais tout autre plan.

Il m'a invitée à venir chez lui (même si, bizarrement, à chaque fois ses colocs n'étaient pas là), m'a fait la cuisine, m'a fait visiter son campus.

Nous étions toujours tous les deux, et, la partie la plus naïve de mon moi prenait ça pour une bonne chose. Je pensais que j'étais spéciale et qu'il aimait passer du temps rien qu'avec moi.

J'ai compris que je faisais fausse-route durant deux soirées, quelques semaines après.

La première était importante pour moi : l'inauguration du Salon du livre de Paris.

Tout a très bien commencé, il était plutôt content, de bonne humeur, l'alcool était gratuit.

Le ciel s'est assombri quand il a compris que je connaissais à peu près tout le monde. 

Il carrément commencé à faire la gueule après qu'on m'ait demandé, en le désignant "c'est ton copain ?"

La cinquième fois qu'on m'a posé la question, il est parti se perdre dans la foule. La personne a rajouté "si c'est pas ton copain, c'est pour bientôt !". J'ai eu un sourire triste et je suis partie à la poursuite de La Bête qui ne m'a plus adressé la parole de la soirée.

Je crois que c'était la première fois que je rentrais chez moi en pleurant par sa faute. 

La deuxième soirée était dans notre groupe habituel.

La préchauffe était plutôt très enthousiaste - et très lourde en alcool. Je m'étais contentée de rosé - mon signature drink de 18 à 20 ans. 

J'avais remarqué que je n'avais pas beaucoup parlé à La Bête ce soir là, mais je ne m'en effrayais pas. On avait tellement passé de temps ensemble qu'il me semblait normal qu'on respire chacun de notre côté.

Puis nous avons pris la route. J'ai embarqué une des bouteilles, car le chemin était long.

Dans le métro, sans rien me dire, sans me regarder, il m'a arraché la bouteille des mains.

Après un moment de stupeur (à l'époque, pour n'importe qui d'autre, m'arracher une bouteille des mains était une déclaration de guerre), je me suis levée, et j'ai tenté de récupérer mon bien.

Puis j'ai négocié "je te la rends après.". Il m'a repoussée, une fois, deux fois, la troisième fois je me suis pris une rangée de fauteuils (j'étais saoule, et maladroite). 

"Tu as confiance en moi ?" C'était une question rhétorique dans ma tête.

Il m'a jeté un regard de dégoût et a tourné les talons.

Je suis restée les yeux grand ouverts, accrochée à mon sac, et j'ai commencé à comprendre.

Pour je ne sais quelle raison le groupe s'est séparé en deux, et j'ai choisi celui où il n'était pas. Je me suis mise à pleurer en silence. 

Quand le groupe s'est réuni, à l'entrée de la boîte, il m'a à nouveau attendue et attirée à l'écart.

Son regard était noir, ses gestes brusques, ses mots durs. Il m'a hurlé dessus. Le message était que je n'avais pas le droit de me mettre dans cet état là pour lui. 

Le sous-texte, je l'ai pris en pleine figure quand un de ses potes est sorti de la boîte pour lui dire "La serveuse que tu veux pécho est là, qu'est-ce que tu fous ?"

J'ai compris, j'ai séché mes larmes, je suis entrée. J'ai gâché la soirée de la plupart des gens ce soir là. Jusqu'à ce que sa serveuse lui colle un troisième râteau et qu'il finisse dans mes bras. Dans une salle à part de tous nos amis.

Le serrant contre moi, j'ai accepté d'être la fille de l'ombre. Celle avec qui il ne voulait pas être vu par ses amis. Par personne d'important. J'étais la fille d'entre quatre murs. 

Il avait honte.


N'importe qui avec un minimum d'amour propre l'aurait envoyé chier.
N'importe qui, sauf moi.




My sorry-ever-after [Part V]


Je suis arrivée à ce point très exact entre l'amour et la peur où je ne pouvais plus me taire.
Où je ne pouvais pas parler non plus.

Nous étions sur le chemin de l'amitié et il fallait absolument, pour ma santé mentale, que je sache qu'il ne se passerait jamais rien entre lui et moi. Il fallait qu'il le sache, aussi. 

C'est devenu une obsession : quand, comment lui dire ?

Il s'asseyait toujours à côté de moi, mais ne me parlait, ou seulement par gestes, là il me pinçait, ici il laissait traîner ses doigts pour voir si j'étais chatouilleuse. Il riait à mes blagues. Je riais aux siennes. Mais, je crois que nous ne nous adressions jamais vraiment l'un à l'autre.

Et puis est venue la soirée. 
Tout avait très bien commencé. J'étais saoule. Mais dans un état léger. Flottante. Sûre de mon fait. 
Tout le monde riait.
Puis les cris ont éclaté.
Le couple qui nous recevait a claqué la porte et nous nous sommes retrouvés, entre invités, à se demander pourquoi.

La Bête les a suivis. 
Une heure après, les gens qui devaient dormir sur place ont décidé de rentrer. 

Je suis restée car j'habitais à 5 minutes, j'ai rangé.

Je m'inquiétais.

J'ai fini par attraper mes affaires et descendre.

J'ai trouvé La Bête seule dans le jardin, à écouter d'une oreille distante l'explication dorénavant calme et laconique de ses meilleurs amis, cachés derrière le bâtiment.

Je lui ai demandé si ça allait. Je lui ai expliqué la situation. Il m'a dit qu'il fallait les laisser.

J'ai dit que je partais. Il a dit que lui aussi. 

J'ai fait deux pas vers la sortie.

Puis deux pas en arrière.

"Tu veux dormir à la maison ?"

Il a levé la tête et l'a hochée doucement. 
Il n'y avait jamais de mots quand on avait quelque chose d'important à se dire. 

Il est monté chercher ses affaires, j'ai passé la tête pour dire au revoir au couple, et annoncer que la voie était libre, et que je ne faisais que passer.

La Bête m'attendait déjà dans la rue. 

En la descendant, je me suis aperçue qu'il était saoul aussi. 

Je lui ai dit que c'était en tout bien tout honneur, et j'ai pensé qu'il n'avait peut-être pas compris, puisque les expressions étaient un peu son talon d'Achille linguistique.

Je lui ai dit qu'on était amis. Il a passé son bras autour de moi.

On est arrivés chez moi. 

J'ai entrepris, complétement ronde, de changer les draps. 

Ca s'est fini en bataille rangée d'oreiller, de peluches et de lui sur moi, moi dans le drap. 

Ca s'est fini dans des rires aux éclats, couchés, dans le noir, face à face.

Je lui ai parlé du malaise avec mes amis, celle qu'il avait embrassée et celle avec qui il avait à moitié couché.

Il m'a dit que ça ne devait pas être de très bonnes amies.

Je lui ai dit qu'elles avaient une bonne raison de m'en vouloir.

Il n'a plus répondu.

Je lui ai demandé s'il voulait savoir.

Il m'a dit oui.

Je lui ai dit que moi aussi, j'étais tombée amoureuse de lui.

Je lui ai dit que je n'allais rien en faire. Que ça resterait comme ça.
A cause de mes amies.
Je ne lui ai pas dit les autres raisons, je sous-estimais à raison son cerveau masculin.

Il n'a rien dit. Rien de rien.

Le silence a rempli des minutes.

Puis il a passé sa main sous mon T-shirt.

J'ai retenu mon souffle.

Ce n'était plus de la proximité, c'était un envahissement. 

Je n'ai pas réagi. Je ne me suis pas dégagée. Il me tétanisait. Toujours déchirée entre ma détermination à ce qu'on n'aille pas plus loin et ma peur de le perdre. 

Je lui ai juste demandé ce qu'il faisait et il a ri comme un adolescent.

Il a fini par enlever sa main et s'assagir.

Le lendemain, je me suis réveillée bien avant lui. Je lisais quand il a passé son bras autour de moi à nouveau. 

Sa première question, après le débrief de la soirée, a été "Pourquoi tu as voulu te tuer ?"

"Combien de fois tu as essayé ?"

"Comment ?"

J'étais une machine à vérité en sa présence et les mots sont sortis de ma bouche, précis, chirurgicaux, détaillant ma vie, chez mes parents. L'impossibilité d'être. La fuite à tout prix. 

Je n'étais pas sûre qu'il avait compris et j'allais avoir la confirmation quelques temps après.

Et puis nous avons eu faim, mais je n'avais rien. 

Il m'a autorisé à monter dans sa voiture pour la première fois (il avait pour elle l'attachement équivalent de celle d'une grand-mère à son Yorkshire).

Nous avons atterri dans un boui-boui immonde où je n'avais de l'appétit pour rien. Ce qu'il n'a pas compris étant donné qu'il payait. Je lui ai expliqué que je n'avais pas faim d'autant plus s'il payait.

Notre incompatibilité s'affirmait de plus en plus et malgré cela nous sommes restés tout l'après-midi là, à se regarder. J'ai dû parler de moi pour combler les trous. Lui poser des questions sur lui. Ce qu'il haïssait. Parce qu'il y avait peu à dire selon lui et qu'il le répétait tout le temps : d'où il venait, pourquoi il était en France, sa famille, ce qu'il voulait faire...

Jamais il n'a abordé le sujet de la nuit précédente.

Lorsque je suis rentrée chez moi après qu'il ait insisté pour me raccompagner, j'étais la personne la plus vide au monde.

Je m'étais livrée, corps et âme, à La Bête.

Il avait tout entre les mains. 
Et je n'allais pas tarder à savoir ce que c'était de confier son cœur à un enfant.

N'importe qui se serait tu.

N'importe qui, sauf moi.

lundi 27 août 2012

My sorry-ever-after [Part IV]


Je n'étais pas morte.
J'avais laissé le choix au sort, et j'avais survécu.

Je me suis donc levée pour rejoindre ma copine qui, en un girltalk rayonnant m'a raconté sa nuit.
Puis, après son départ, alors que je restais en compagnie de La Bête et de son meilleur ami, j'ai eu le droit à sa version.

L'espace de ce "boytalk" ils ont oublié que Johnson, la copine-pote un peu garçon encore moins fille, était là.

Chaque mot était un éclair dans mon ciel, la foudre se répandait dans mon estomac, aidée par l'odeur de brûlé de mes vêtements.

C'était la première fois que j'entendais des garçons hétérosexuels parler entre eux de ça. 
Une certitude s'est insinuée : celle que jamais un garçon capable de dire ça à propos d'une fille ne me toucherait.

Je n'ai pas prononcé un mot de la journée, fascinée par le fait que je venais de réaliser mes sentiments pour un garçon - le garçon qu'il ne fallait pas aimer - et que, si ça n'était pas un péché mortel, puisque j'avais survécu, je ne pourrai jamais l'avoir. 

Parce que je n'étais et ne suis pas de ce bois. Du bois des filles pour qui peu importe le garçon en face, pourvu qu'elles aient l'ivresse.

Les heures passaient. J'étais une carcasse muette, incapable de quitter l'appartement.
Je me suis posée avec eux devant des vidéos. Je ne riais pas. 
Je sentais le feu.

Je sentais si fort cette odeur de mort que je me serais fuie moi-même, en d'autres circonstances.

Je me disais ça quand j'ai senti son poids sur mon épaule.
Sa tête, dans le creux de mon cou, qui est descendue, après, sur mes cuisses.

Je frissonnais en continu. Mon cerveau était un champ de bataille et le serait pour les mois à venir. 

Mes mains étaient molles de part et d'autre de mon corps. J'essayais de disparaître dans le canapé. La culpabilité d'être si proche d'un garçon qui venait de passer la nuit avec une amie. Le chaos de ma raison et de mes sentiments. L'ignominie de ce qu'il avait pu lui faire, de ce qu'il avait pu en dire. La chaleur, enfin, de sa proximité, comme si, enfin, j'avais trouvé ma place.

N'importe qui aurait pris ses jambes à son cou.
N'importe qui, sauf moi. 


vendredi 24 août 2012

My sorry-ever-after [Part III]




Il m'a ajoutée sur MSN (oui) et je crois que nous avons passé toutes les vacances de noël à parler.
Moi beaucoup, lui peu, mais les discussions démarraient toujours de son initiative.

J'essayais de cerner ses goûts en matière de fille, car j'avais une mission : lui trouver quelqu'une. 

C'est d'ailleurs dans ces circonstances qu'on s'est revus, fin janvier. J'avais ramené une autre copine à moi. Et j'avais bu, beaucoup, beaucoup bu. 

On s'est retrouvé devant une boîte de nuit sans vraiment que je comprenne comment. J'étais en crise et personne ne pouvait m'aider. Parce que personne ne savait. 

On m'a poussée à l'intérieur. Je tremblais. J'étais accrochée à mon sac. 

Ma pote n'était d'aucune aide. Elle me disait de me taire. D'être discrète.

J'ai voulu faire marche arrière. J'ai voulu prendre mes jambes à mon cou. Je me suis élancée vers la porte... et je me suis ramassée contre un mur de chair qui m'a soulevée, a fait un signe au videur, et m'a embarqué dans la boîte.

La Bête m'avait empêchée de courir seule dans les rues de Paris et de m'évanouir entre deux poubelles.

Je me suis tortillée pour qu'il me lâche. Il m'a retenue par le bras. M'a dit "viens avec moi". J'ai dit "Non. Pourquoi. Non. Pourquoi ?", il m'a regardé comme pour me demander "Tu as confiance en moi ?". 

Et j'avais confiance en lui. C'est bien ce qui me terrifiait. Je ne le connaissais pas, et j'avais l'impression de pouvoir tout lui dire.

Je l'ai suivi jusqu'aux vestiaires. Il m'a posée contre le mur. M'a dévisagée. Encore. 

Nos échangions de longs dialogues muets.

Ma copine, sa promise, est intervenue, ils sont descendus.

J'ai suivi. 

J'étais toujours en crise.

Je me suis endormie debout. En transe. Au milieu de la piste de danse.

Quand j'ai rouvert les yeux, La Bête avait la langue dans la bouche de ma copine et la main dans son pantalon.

Je me suis rendormie.

En dormant, debout, en transe, j'ai voulu partir en courant. C'est un ami de La Bête qui m'a rattrapée en me faisant "non" de la tête.

Finalement, je ne sais pas si nous avons décidé de partir ou si la boîte nous a viré, mais je me suis retrouvée dans la rue, à l'air frais. En queue de peloton. Nous avons entamé la longue marche pour rentrer à pieds de Paris à notre proche banlieue.

Durant notre pèlerinage, je me souviens d'une main ou deux sur mes fesses, la soirée était clairement devenue n'importe quoi. Je traînais avec des garçons hétéro. Je ne m'étonnais plus de rien.

J'avais mal au coeur.

Puis La Bête m'a passé une main autour de la taille. J'ai vérifié à deux fois que c'était bien lui, puis je lui ai dit, entre mes dents "c'est pas avec moi que tu devrais être."

Il a fait semblant de ne pas m'entendre. 

"Il va falloir que tu te décides
_ ...
_ Il faut qu'elle sache où elle dort...
_ ..."

Puis, un kilomètre après, il a fini par me lâcher et par rejoindre ma pote.

Le convoi passait en premier devant ma porte. Il était convenu entre tous les partis que ma pote rentrait avec La Bête et qu'on me déposait là. 

J'étais soulagée d'être à deux étages de chez moi. Je me sentais vide à l'intérieur. Sûrement la faim. 

J'ai dit au revoir, au fur à mesure que le groupe dépassait ma porte. Ma pote est passée. Et lui s'est arrêté.

Complétement saoul, il m'a prise par l'épaule, m'a secouée. Il n'articulait plus. Je ne le connaissais pas depuis assez longtemps pour comprendre ce qu'il voulait.

Il me disait qu'il voulait qu'on se voit tous les deux. Qu'il voulait qu'on dine ensemble. Qu'il voulait m'emmener au restaurant.

J'ai décidé que je ne comprenais décidément pas ce qu'il me disait. 

Il a essayé de passer derrière pour s'engouffrer dans l'escalier qui menait à mon appart'. Je lui ai bloqué le passage.

Je lui ai dit "Bonne nuit.", il m'a dit "Non" et m'a trainée jusqu'à un bac à fleur où il nous a assis. 

Il a commencé à me dévisager. Encore.

M'a attrapé une main. 

En l'espace d'une seconde, je suis redevenue sobre. 

Il m'a fait signe de m'approcher, je lui ai fait signe que non.

Il s'est mis alors à déblatérer sur tout et sur rien. Ca a duré un moment. J'ai compris qu'il voulait gagner du temps.

Et puis ma copine, ivre de rage, est arrivée, nous balançant un cinglant "Dites le tout de suite si je dois aller prendre mon train."

Je l'ai rassurée en lui disant qu'il arrivait tout de suite. Il lui tournait le dos et me regardait avec de grands yeux désespérés en murmurant "je veux pas, je veux pas, je veux pas.".

J'ai dit à ma pote "vas y, il te rejoint."

J'ai parlé très bas à La Bête. Je lui ai dit que s'il avait pas envie, il était obligé de rien, qu'ils pouvaient juste dormir. 

Il a gémi. 

J'étais tiraillée entre l'embarras de laisser ma pote attendre et celui d'avoir sur les bras ce grand garçon borné.

Et puis j'ai entendu la voix de mon amie, à nouveau "T'avais qu'à le dire si tu voulais qu'il monte chez toi !", et puis elle est partie.

C'est à ce moment là que j'ai compris que cette fille n'était plus mon amie.
Que si elle m'avait vraiment connue, elle aurait su que jamais je n'aurais fait un coup pareil. Que je me sentais déjà trop abjecte, trop malfaisante pour sortir avec un garçon dans des circonstances "normales". Elle aurait su qu'il ne se passerait jamais rien entre ce garçon et moi.

J'ai levé La Bête, il s'est assis à nouveau en disant "non non non". 

Je lui ai dit "tu fais ce que tu veux, moi je rentre."

Il a poussé un soupir plaintif. 

Je lui ai répété que rien de l'obliger à faire quoi que ce soit.

Il ne bougeait pas. Il y avait manifestement quelque chose qui m'échappait. 

Je lui ai dit que je pouvais l'accompagner jusqu'à l'appart' où il devait dormir, s'il voulait : ça a été le déclencheur. Il a secoué la tête négativement. J'ai insisté. Il m'a crié dessus "Non !". Et il est parti en courant, plus vite qu'aucun autre garçon que j'avais pu voir courir dans ma vie. 

En une seconde, il était en haut des marches, en deux, il avait disparu dans la nuit.

Je suis montée chez moi, lentement, repassant le film de la soirée dans ma tête.
Je me suis haïe. J'ai allumé les plaques électrique pour faire chauffer l'eau. Je me suis assise sur mon lit.

Je me suis dit "ce serait con que tu t'endormes, la cuisine prendrait sûrement feu."

Et je me suis endormie.

Quelques heures plus tard, je me suis réveillée dans une fournaise de tous les diables. A moitié intoxiquée. Ma garde-robe sentirait le cramé pour les mois à venir.

J'ai ouvert mes rideaux, mes fenêtres, mes volets, pour aérer.
J'ai frissonné.

Ma main était mouillée.
Le sol était blanc.
La neige avait enterré la nuit d'avant.


N'importe qui en serait resté là.
N'importe qui, mais pas moi.





jeudi 23 août 2012

My sorry-ever-after [Part II]

L'épisode suivant s'est passé dans un bar.
J'étais saoule comme rarement je l'ai été depuis. 

Mes nouveaux amis m'avait chargée de chercher de la chair fraîche pour La Bête. J'étais la nouvelle du groupe, j'avais forcément des copines bonasses et La Bête se sentait seule. 

Notre échange musclé dans la salle de bain était d'ailleurs né de ce sujet sensible, La Bête et les Belles. 

J'avais docilement obéi et amené une amie à la soirée, mais, les choses ne se passant jamais comme prévu, ma copine se retrouva dans les bras d'un autre.

Quant à moi, j'étais tellement paumée, persuadée d'être une créature monstrueuse et ne voulant m'impliquer avec personne pour que personne n'ait à me subir, que j'ai choppé dans mon coin en sachant très bien que ce n'était que l'affaire d'une soirée.

A peine sortie de cet épisode peu glorieux, j'ai cherché quelqu'un des yeux pour m'enfuir et ne pas avoir à parler au garçon que j'avais embrassé. Mais ma pote était gluée à son trophée, mon couple d'amis était dans un coin du bar et les autres n'en avaient pas grand chose à faire.

Une main s'est tendue vers moi, je l'ai saisie timidement.

La Bête m'a attirée contre lui. J'étais assez bourrée pour danser, danser pendant des heures. Il m'a tenue à une distance respectable pendant au moins une moitié de chanson, ce qui, étant donné nos états respectifs, était le maximum de gentlemanitude qu'on pouvait tirer de lui. J'étais à nouveau contre lui, mais sans porte derrière moi. Le proximité, le rythme, le fait qu'il m'ait sauvé d'une situation gênante... tout tournoyait dans ma tête. Il a posé une main sur mon cou. Une invitation. Mais je gardais la tête désespérément baissée. Parce que je savais très bien ce qui se passerait si je la levais. Et que ce type là n'était pas un type lambda. Si je relevais la tête, je prenais d'énormes risques.

Alors, comme d'habitude, quand la chanson s'est terminée, j'ai réagi à ma façon : je me suis sauvée. 



Pour l'anecdote, j'ai fait tout ça avec un pied cassé, sans savoir qu'il était cassé.

Je suis rentrée chez moi, un peu confuse, et je me suis évanouie sur mon lit après avoir ingurgité des calmants.

Cette nuit là ma première filleule naissait, le lendemain j'ai appris que j'allais passer noël avec des béquilles et, quand enfin j'ai eu le cul posé dans le train vers la Normandie, j'ai réalisé que j'étais dans la merde.

Ca aurait arrêté n'importe qui.
Ca ne m'a pas arrêté moi.

mercredi 22 août 2012

My sorry-ever-after [Part I]


[Je tiens à préciser que je ne fais partie d'aucune secte à la gloire d'Oscar - je suis une secte]

On m'avait beaucoup parlé de lui. Mon nouveau groupe d'ami était le sien. Ils étaient tous extrêmement admiratifs de lui. Pas parce qu'il était brillant. Pas parce qu'il était drôle. Et beau. 
Parce qu'il était furieusement lui-même. 
Avec toutes les conséquences que cela implique. 

Un peu à la masse avec le français, parfois, puisque ça n'était pas sa langue maternelle, un peu renfrogné dès que quelque chose n'allait pas, silencieux quand l'alcool ne s'en mêlait pas ou s'en mêlait trop : le reste du temps il était solaire.

J'attendais de le rencontrer avec beaucoup d'impatience. On m'avait raconté ses mythes et légendes en long, en large et en travers et je voulais voir de quel bois La Bête se chauffait. 

Notre rencontre serait, par ailleurs, un test, pour voir si mon intégration à leur groupe d'ami était viable. Mais ça, c'était du non-dit.

Lorsqu'il est arrivé, j'avais déjà trois verres derrière moi. Je lui ai dit bonjour sans le regarder dans les yeux - il faut au moins six verres pour ça. 

J'ai continué ma vie, échangé trois débilités avec lui, en toute politesse. Je l'ai surtout observé :

A une poignée de centimètres des deux mètres, les cheveux clairs, les yeux tristes, taillé comme un nageur professionnel. Il ne ressemblait à rien de ce que je voyais tous les jours. Il était à l'opposé de tout ce que je connaissais. 

Je me demandais comment diantre aborder La Bête, quelle technique d'approche ne me ferait pas passer pour une débile, ou, pire, une intello. 

Je me demandais ça en me lavant les mains dans la salle de bain. 
Je me demandais ça et puis je l'ai vu, derrière moi, dans le miroir.

Il est entré - c'était minuscule - et s'est assis sur le rebord de la baignoire, il m'a regardée, l'air goguenard et a dit quelque chose comme "alors c'est toi la fameuse Johnson ?"

J'ai dû sourire comme une idiote et rougir et bafouiller et lui demander ce qu'il avait entendu dire sur moi. Il est resté vague, poli. Il a employé des demi-mots, des silences, puis il m'a retourné la question. 

C'est là que tout a basculé. J'étais - je suis - incapable de cacher quoi que ce soit, l'honnêteté incarnée, doublée d'un diable en boîte lorsqu'il s'agit de tester les nouveaux gens de ma vie.

Car je teste systématiquement, dans un but très simple : évaluer vite fait bien fait si la personne en face est susceptible de me faire du mal, si elle est à ma hauteur dans la répartie et pour éradiquer tout doute quand à la destination de notre relation (je ne peux vivre aucune amitié s'il existe le moindre doute de romance/désir potentiel en face). Pour moi La Bête était intouchable, car très amie avec mes amis, et foirer quelque chose avec La Bête aurait été foirer ma vie sociale dans son ensemble. 

Je l'ai donc testé brutalement, lui balançant tout ce qu'on m'avait dit sur lui, n'épargnant pas les faits les moins glorieux, j'ai vu son visage angélique se liquéfier. Ses longs doigts se refermer contre le rebord de la baignoire - j'ai eu peur pour elle, l'espace d'un instant. 

Il s'est embrasé aussi vite qu'un puits de pétrole.

J'ai compris qu'il était à ma hauteur, même sans répartie, il était à ma hauteur car nous avions le même égo, la même hypersensibilité et une valeur en commun : l'amitié au-dessus de tout. Il était furieux et j'étais contente de moi, en bonne égoïste.

Et puis j'ai rajouté le détail qui a fait déborder sa marmite intérieure.

Il s'est levé, trop vite pour que mon esprit embué par l'alcool puisse réagir autrement qu'en essayant de lui barrer la route.

La catastrophe sociale était proche : s'il sortait, s'il reprochait à ses amis d'avoir trop parlé, j'allais créer un cataclysme dans leur amitié. Tout à coup je m'en foutais complétement d'être éjectée du groupe, je ne voulais juste pas briser le caractère sacré du leur.

J'ai réalisé le caractère absurde de la situation : moi, 1m60 et des brouettes, tentant d'empêcher une montagne de se ruer hors d'une pièce de 2m².

Il m'a demandé d'abord calmement de me pousser, me défiant des yeux. J'ai tenté de le calmer - mais je ne savais pas encore que rien ne pouvait jamais le calmer.

Dans un acte quasi suicidaire, alors qu'il allait m'empoigner pour me déplacer, je me suis collée le dos à la porte, nous enfermant tous les deux hors du monde.

Ma réaction compromettait énormément une sortie non-violente de la pièce. Il était désarçonné. 

Il s'est collé à moi contre la porte, m'a regardé droit dans les yeux, et m'a ordonné de bouger. 

Je crois que ces quelques secondes de défi - perdu d'avance - ont été les plus érotiques de ma vie. 

L'enjeu n'était plus si grand. 

Je suis tout de même restée quelques secondes de plus sans bouger, histoire de marquer mon désaccord, puis j'ai glissé sous son bras.

Il a fait voler la porte et a commencé à hurler sur ses amis.

Je suis allée m'assoir sur le rebord de la baignoire en essayant de rassembler mes hormones, mon cerveau et ma conscience.

Un long moment s'est écoulé.

Puis je suis sortie : tout le monde était passé à autre chose.

Le lendemain, lors du debrief de la soirée, on me dirait que j'avais fait très bonne impression à La Bête, et qu'il m'avait trouvée drôle et sympa.
 


N'importe qui se serait méfié. 
N'importe qui, sauf moi.


 



lundi 20 août 2012

The ties that bind us they will never ever fray


[I'm not a Funeral-crashing dropout with a ghost friend]



Ces chaleurs assourdissantes me rappellent invariablement un été romain. 

Mes parents m'avaient embarquéz pour une croisière méditerranéenne, je partageais leur minuscule cabine, autant vous dire que c'était trouble in paradise. 

J'avais 14 ans et j'étais obsédée par les clips musicaux. Dans notre cabine, il y avait justement une petite télé qui diffusait en boucle les dernières vidéos à la mode. 
Cet après-midi là était sans escale, et mon père avait décrété qu'il ne voulait pas que je regarde cette chaîne - pas que je ne regarde pas la télé, non, juste pas cette chaîne, sûrement parce que c'était l'unique chaîne qui représentait un intérêt pour moi. 

Quand je n'ai pas changé assez vite la chaîne - j'ai dû parlementer - il s'est levé comme une furie et s'est abattu sur moi. J'ai juste eu le temps de rentrer la tête (comme on nous apprend à faire à la gym), de la coller contre mon ventre, derrière mes genoux, pour accuser les coups. 

Une pluie de coups. 

Ce jour là, il s'est bien déchainé, mais toujours pas assez pour que ma mère sorte de la salle de bain et me vienne en aide. 

Quand il a eu fini, il a attrapé la télécommande, changé de chaîne et s'est assis, un doigt dans le nez, comme à son habitude, comme si rien ne s'était passé.

En larmes, j'ai cherché à tâtons le premier bouquin qui passait par là et je suis sortie de la cabine.

J'ai cherché, en vain, un endroit où me planquer sur ce bateau aux murs transparents, où les autres vacanciers occupaient tout l'espace. J'ai fini enfermée dans les toilettes des femmes.

J'y ai passé l'après-midi entier. 5 heures. 

Quand je suis enfin sortie, j'ai voulu me rafraichir devant le miroir, c'est là que j'ai vu la marque sur mon épaule et mon omoplate.

Les cinq doigts de la grosse main de mon père imprimés sur ma chair. Ca n'avait rien de superficiel. Ca allait bleuir, verdir, et ça allait prendre une bonne semaine à s'en aller.

J'ai grogné. Je me suis traînée jusqu'à la cabine.

Le lendemain nous faisions escale à Rome, et, toute la journée j'aurai le droit aux vociférations de ma mère concernant mon gilet. 

Il faut m'imaginer en robe d'été et gilet en laine, par 35 degrés, marchant sur les pavés, poursuivie par une petite femme répétant inlassablement "l'hiver tu te balades à moitié à poil et là tu veux pas retirer ce foutu gilet" et me traitant de folle. C'était la double-peine.

Heureusement, comme pour me donner raison et faire taire ma mère, la pluie s'est mise à tomber.

C'est ce jour-là que je suis tombée amoureuse de Giovanni, le guide (évoqué rapidement là)

Le dernier regard que j'ai eu pour lui sur le quai avant d'embarquer à nouveau dans la prison flottante reste une des images mentales les plus ancrées dans ma rétine.


L'année d'après cette gentille petite chanson pleine d'amour est devenue l'hymne de mon adolescence :

dimanche 19 août 2012

Funeral-crashing dropout with a ghost friend

[Vous voudrez ptet relire ça pour tout bien comprendre à ce qui suit]
[Ou alors ptet que vous faites partie des gens qui n'ont pas besoin de comprendre les choses dans la vie et sachez que je vous envie]

Une journée à émotions fortes et une nuit qui n'avait pas très envie de descendre en dessous des 30 degrés.

Je me suis allongée, les bras en croix, trempée. Comme ce héros d'un livre très mal écrit, celui qui m'a le plus touchée au monde, cela dit.

J'ai réalisé un peu tard que ma douche ne produisait pas véritablement d'eau froide. J'ai donc pris une douche tiède.

A ce moment au croisement de l'alcool, de l'épuisement physique, du nervousbreakdown et du soulagement de savoir que bientôt, j'allais m'évanouir.

Je ne sais pas m'endormir, alors je me pousse dans mes retranchements et le manque de sommeil l'emporte. C'est dans ces moments là qu'ils reviennent.

"Jooooohnsooooooooooon !!!
_ Non, Cerveau, tu n'es pas entrain de fondre.
_ Je vais couler par tes oreilles et me répandre jusqu'à la multiprise et ON PRENDRA FEU !
_ Tu penses toujours à des trucs cool avant qu'on s'endorme, c'est ça que j'aime bien chez toi.
_ Enlève des vêtements !!
_ Non. J'ai ouvert la fenêtre. Il faut attendre.
_ Si on doit attendre je vois même pas ce qu'on fout à regarder le plafond...
_ ...et pourquoi j'ai toujours pas mis le DVD du Phantom encore, je sais...
_ Ah. Quand même. Ca faisait plus de 24h. On a failli se sevrer malgré nous.
_ Dis, c'est pas une vieille idée de Coeur de regarder ça en boucle ? Parce que ça te ressemble pas des masses le mode repeat. Fallait toujours que tu voies des nouveaux trucs et que tu les amalgames avec d'autres trucs pour faire un troisième truc qui ressemblait à rien et que t'abandonnais au beau milieu.
_ Comme notre roman ? Notre court-métrage et maintenant notre comédie musicale ?
_ Ouais. C'pour ça que je pense que Coeur est pas étranger à l'affaire.
_ Oh tu sais depuis la dernière fois j'ai plus de nouvelles. 
_ Je l'ai pas vomi pourtant, il doit toujours être quelque part.
_ Il doit être en mort cérébrale... ....Héhéhéhéhéhé.
_ Mouais. On est bien sans lui aussi.
_ T'as compris ma blague ? C'est le Coeur et moi je suis le Cerveau et j'ai dit "mort cérébrale", t'as compris ?
_ J'ai toujours eu peur que sa connerie soit infectieuse.
_ Bon. D'accord. T'es pas d'humeur. Mais moi j'en ai ras le bol d'être sur le même dossier depuis trois mois et demi.
_ Le Phantom ?
_ Nan.
_ Oscar Wilde ?
_ Nan.
_ Je déconnais, bien sûr qu'on en aura jamais marre d'Oscar. Bon, c'est quoi ce qui te préoccupe ?
_ Genre tu sais pas. Genre Bouche ne parle pas que de ça. Genre Yeux sont pas exténués à force de se réveiller en larmes à 4h du mat'. Genre Coeur s'est pas barré dans le fin fond d'Estomac qui lui même refuse d'avoir de l’appétit pour autre chose que ce que Foie lui dicte !
_ Pourquoi on s'est fait jeter.
_ Wala.
_ Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?
_ Je veux que tu me dises pourquoi.
_ ...Pourquoi.
_ Ah oui, très bien, je vois qu'on a tous le même humour. 
_ Techniquement on est la même personne. On est juste en kit.
_ HARRINGTON.
_ Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii.
_ Oui ? 
_ Oh putain on a réveillé Coeur.
_ Hey there, bien dormi ? Parce que t'es le seul.
_ Ventricule gauche a essayé d'étouffer ventricule droit, c'était pas beau à voir. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ce soir ? On va regarder le Fantôme de l'opéra ? Non parce que si c'est ça je m'endors jusqu'à Point of no return ça servait à rien de m'appeler main'nant.
_ Il y a Cerveau qui tourne en rond et qui voudrait des réponses.
_ Ouais, et moi j'aimerais Tom Hiddleston une rose entre les dents sur le toit de l'opéra Garnier.
_ On t'a jamais dit que de tout le corps humain, tu es ce qui se rapproche le plus d'un fonctionnaire bossant pour Pôle Emploi ?
_ Et on t'a jamais dit, dans toute ta brillante carrière d'à peu près génie, que tu valais pas mieux que nous, et que ton égo c'est comme du plaqué or sur ta connerie en plomb ? 
_ T'es même pas un organe !
_ Woh les mecs, on va se calmer tout de suite...
_ Je peux pas. Les voisins ont mis la musique trop fort, la basse me fait sursauter. 
_ Tapette.
_ Q.I d'huître !
_ Je vais mettre tout le monde d'accord : je ne vous aime ni l'un ni l'autre. Maintenant, revenons en au schmilblick comme ça je peux mettre play, tout le monde peut plonger dans la léthargie profonde et oublier que dans deux ou trois heures on va se réveiller en sueur en se demandant pour la 666ème fois ce qui s'est passé.
_ Baaaaah ce qui s'est passééééé, euh, c'eeeest, qu'il t'aimait trop fort et que ça lui a fait peur.
_ ET C'EST A MOI QU'ON FAIT DES REMONTRANCES SUR L’OBÉSITÉ DE L'EGO !!!
_ Oui non, ça c'est la théorie d'une fille qui a encore 12 ans dans sa tête. On a décidé que son avis c'était de la merde une fois qu'on s'est fait largués alors qu'elle nous avait dit qu'on était aimées et qu'on rendait le garçon heureux. Oh et quand elle a dit qu'avant New York c'était le meilleur moment pour qu'on se fasse jeter. Un esprit clairvoyant.
_ Baaaah ce qui s'est passééé c'est, euh, que, il est gay.
_Pardon d'interrompre mais y a les zones érogènes qui me signalent que non. 
_ Et bah c'est parce qu'il s'est enrôlé dans l'armée pour aller libérer le Vietnam et qu'il a pas osé nous l'avouer et que... NON MAIS JE SAIS PAS MOI. Déjà que c'est MOI qu'on brise à chaque fois, ou qu'on déchire, ou qu'on éparpille, faudrait voir à pas trop en demander !
_ Y a pas quelqu'un d'autre à qui on peut poser la question ?
_ Y a bien le petit nouveau.
_ Evariste "4cm" Johnson ? L'hématome ?
_ Yep.
_ Mais il s'est pas résorbé ?
_ Ah sisi, mais il est toujours là, tout petit, tu peux pas le sentir au toucher, mais il est pas parti, il a trouvé ça fun alors il est resté.
_ Ok. Et qu'est-ce qu'il en pense ?
_ HeY LeS CoPaInS ! 
_ Oh putain.
_ Ah bah oui il a été un peu cabossé par la septième marche. Mais dans l'ensemble il arrive à peu près à s'exprimer.
_ On JoUe ToUjOuRs à "Je SuIs Un FoEtUs" ?
_ Non non. On a arrêté ça, ça marchait trop bien. C'est devenu gênant après les 30 premiers faire-part de félicitations.
_ Non, en fait, on veut te demander, toi qui est arrivé après la bataille, ton avis sur pourquoi on s'est fait jeter comme des vieilles merdes par un garçon qui, quitte à bien faire les choses, a tenu à dire de la merde dans son mail de rupture et à nous faire du mal d'exprès par la suite, juste pour le fun, en se vantant d'avoir pécho et en parlant de notre intimité à un étranger qu'il détestait à la base ?
_ Je n'aurais pas résumé ça de la sorte mais si tu insistes, Coeur, oui, c'est à peu près ça.
_ LoL. BeH. Ca ArRiVe ! Il NoUs AiMaIt PaS aSsEz Et On LuI a FaIt PeUr A fOrCe D'eTrE tRoP nOuS mEmE. FaUt PaS fAiRe Ca. PaS aVaNt Le MaRiAgE LoL !
_ Alors je suis désolé d'être le porte parole des organes mineurs en de telles circonstances, mais y a les zones érogènes qui demandent si ça a pas à voir avec le fait qu'on attendait d'avoir fait le test du sida pour faire des trucs de ouf malade ?
_ Oui alors là on va se calmer tout de suite ou je deviens féministe !
_ BeH c'EsT pAs GrAvE, FaUt PaS s'En FaIrE eT aTtEnDrE dE ToMbEr SuR uN aUtRe !
_ Non.
_ Non.
_ NAN !
_ LoL jDçJdR a TcHo LeS mEcS !
_ Il est complètement con le petit nouveau, non ?
_ Et tu t'attendais à.... ?
_ JE SUIS PAS LE PLUS CON VOUS AVEZ VU !
_ C'est vrai, et devant toi y a les pieds aussi. Et le sens de l'orientation, mais je sais pas s'il compte.
_ Bon, on s'encule ou on regarde une comédie musicale ?
_ CERVEAU !
_ Maiiiis j'ai trooop chaaaaauuuuud ! Je vais fondre et sortir par tes narines et t'étouffer et...
_ Les écouteurs vite...


_ Ouf.

vendredi 17 août 2012

Trick me



C'est assez fou, mais je crois que j'aime bien être la Johnson-dont-personne-ne-veut.
Mes plus belles histoires ont toutes été de vastes complots ou du vide en boîte et les garçons qui valaient vraiment le coup n'ont jamais voulu de moi - ou en vite fait le tour. 

Je racontais l'histoire de mon premier amoureux à mes amies proches quand elles ont conclu "ah bah forcément que t'as des problèmes avec les garçons après ça."

Je comprends pas pourquoi. Ca me semblait tout à fait épanouissant comme première histoire d'amour.

On était dans la classe de ma mère et, pour se faire bien voir par la maîtresse, sa maman lui a tout simplement conseillé de sortir avec moi. Ca a tenu un an avec des hauts (il m'a offert des pogs) et des bas (il m'a plaquée devant l'autel)(sombre histoire). 

Et puis, lors de la classe verte du CE2, il m'a trompée avec une des jumelles, celle qui sortait avec mon meilleur ami. Meilleur ami, qui, ne se laissant pas démonter, est sorti avec la deuxième jumelle. 
Je me suis retrouvée le poireau de l'histoire pour la première fois de ma vie. 

Crinière au vent, sur une passerelle en bois, à faire face aux montagnes du Jura, je me suis aussi dis que les garçons c'était pas des mecs bien et que j'étais bien mieux seule. Pour la première fois.

Pour la première fois, je me suis aussi demandé comment je pouvais être aussi intelligente et aussi conne à la fois. Comment je n'avais rien vu. 

Pour la première fois, eux, les jumelles, mon ex et mon BFF, ont fait la paix quand moi je ne pouvais pas pardonné.

Je n'ai jamais pardonné. Si, à elle j'ai pardonné. Comme quoi, déjà, à l'époque, les garçons qui faisaient des fail étaient condamnés à mort à vie. 

Je ne sais pas si cette histoire m'a marquée. Je sais juste que sentimentalement je gère toujours mes ruptures pareil. 

Seule. Entourée de jolies choses. Je ne pardonne rien, jamais, et je mets ça sur la pile de trucs qui me feront toujours ruminer.

Et je cherche un moyen de vivre sans les autres qui sont si décevants, qui trahissent fort, qui mentent, qui se barrent avec des rouquines de huit ans, et qui ne s'aperçoivent pas que, moi, je suis plus intelligente que tout le monde et qu'ils sont des ratés s'ils ont pas vu à quel point j'étais exceptionnelle. 

Mon égo est né quelque part sur une montagne du Jura. Mon génie* aussi.





*“I put all my genius into my life; I put only my talent into my works.”






mardi 14 août 2012

The show must go on

[Hal > Angel > Edward]

"Alors c'est de là que vous est venue la miraculeuse idée de De Profundis : l'amour plus fort que la mort, la société et ton père ? Aussitôt après avoir lu l’œuvre originale ?
_ Oh non. C'est venu bien plus tard. 
_ Je vous en prie, racontez nous ça, vos fans veulent savoir !
_ C'était il y a 25 ans, j'étais une jeune fille plutôt accomplie : un job dans l'édition, des amies brillantes et loyales, un petit ami aux yeux bleus... Je m'apprêtais à faire le voyage de ma vie à New York, je l'attendais depuis que j'avais l'âge de voyager seule. Je devais écrire la suite de mon roman là-bas.
_ Et que s'est-il passé ?
_ Deux jours avant de décoller, le petit ami aux yeux bleus a plaqué la jeune fille accomplie qui, une semaine après, a été prise de tremblements, sur l'étage inférieur de son lit superposé de Harlem et a réalisé que son job dans l'édition n'était qu'un CDD, que ses amis étaient pour moitié les amis du petit-ami et que ce genre de situation ne tournaient jamais en sa faveur, et, finalement, que New York était beaucoup trop, beaucoup beaucoup trop. Elle a su que son roman était mort, sans toutefois se l'avouer complètement.
_ Comment la jeune fille s'en est-elle sortie ? La psychothérapie ? Les médicaments ? L'entraide et l'amour de son prochain ?
_ Les comédies musicales.
_ Et donc c'est là que...
_ Non, plus tard. Bien plus tard.
_ Quand cela ?
_ Quand la jeune fille a du rentrer à Paris.
_ Ca a été dur ?
_ Il n'y avait plus de comédies musicales. 
_ Ah bah oui.
_ Quand elle est rentrée à Paris, ses amis lui avaient en effet tourné le dos, ils prenaient les paris sur pourquoi le garçon aux yeux bleus l'avait plaquée du jour au lendemain, certains pensaient que c'était parce qu'il était lui même sous l'emprise d'un pari (qui fait ça à 20h le soir du 2nd tour des élections, sinon ?), d'autres lui disaient qu'elle n'avait servi que d'intérimaire le temps que son ex soit à nouveau disponible, d'aucun lui ont dit qu'il avait une propension au masochisme et que je ne contentais pas ses aspirations les plus dark, enfin, on lui a dit "nan mais pourquoi "pourquoi" ? Tu sauras jamais pourquoi". Et comme, pour l'esprit de la jeune fille, tout ceci était un peu trop à supporter, elle n'a jamais récupéré de son jet-lag, n'a pas dormi pendant un mois et a commencé à halluciner.
_ Et Oscar Wilde lui est apparue ?
_ Wala.
_ Et que lui a-t-il dit ?
_ Oscar Wilde était surtout là pour écouter. Mais comme la jeune fille était devenue un peu simplette, elle a vite fait le rapprochement entre ses deux dernières raisons de vivre : comédies musicales + Oscar Wilde.
_ L'écriture a alors commencé ?
_ Sur Facebook, en une soirée, j'avais la trame complète, une idée des rôles, et même un pré-casting en tête.
_ Il ressemblait au casting original de la première ?
_ Carl B. était une vieille connaissance à laquelle je n'avais jamais réussi à dire à quel point je pensais qu'il était la réincarnation d'Oscar Wilde. C'était le moment parfait.
_ Et Ben Barnes dans le rôle de Bosie, c'était votre premier choix ?
_ Il est joli et il chante bien. Enfin, moins maintenant. Mais à l'époque c'est ce que je me suis dit.
_ Peux-ton faire le parallèle osé entre la déchirante histoire d'Oscar et Bosie et la rupture qui vous a amené à ce projet ?
_ Non.
_ Ah ?
_ Oscar savait depuis le début que Bosie profitait de lui, il était juste purement fou de lui et ne pouvait vivre sans lui. Il en est mort. Il n'y avait plus rien après pour lui : il avait tout connu, on lui avait tout pris, il n'avait plus qu'un cercle restreint d'amis, il ne pouvait plus écrire et même ses voyages ne le comblaient plus.
_ Et donc on ne peut vraiment pas faire de parallèle entre...
_ Nan. Je n'ai jamais été folle de lui et j'ai même survécu.
_ D'accord. Comment expliquez vous le succès aussi immense qu'inattendu d'une comédie musicale basée sur sujet aussi épineux : une histoire d'amour scandaleuse entre deux hommes.
_ Entre trois hommes. Il y avait Robert Ross aussi. On oublie trop souvent Robert Ross.
_ Un triangle amoureux entre trois hommes qui, en 2013, choquait encore une partie du grand public ?
_ Je pense que c'est la perte de ma santé mentale. Une fois que j'ai décidé de planter ma carrière d'éditrice pour me lancer là dedans et que, de toute façon, je n'avais plus rien qui vaille à côté, c'était ça ou la mort. Alors ça réussissait ou ça cassait. Je n'ai pas laissé le choix aux gens.
_ 25 ans de représentations et la légende veut que vous ayez assisté à chacune d'elles, vous n'avez jamais été lassée ?
_ Non. Je ne vois pas la même chose. Parfois je souhaite fort que Bosie meure dans d'atroces souffrances, parfois je veux qu'il y ait un happy end, parfois je veux juste comprendre ce qui a amené ces deux hommes au point de rupture.
_ Toujours pas de parallèle avec votre...
_ Nop.
_ Votre vie personnelle reste très mystérieuse, mis à part ce blog que vous alimentez depuis plus de trente ans, on ne sait rien de qui partage votre vie, de votre progéniture, de ce qui se passe quand le rideau tombe ?
_ Oh si vous savez tout. Il n'y a rien de plus, rien de moins. J'ai toujours vécu pour les grands soirs, même quand j'étais une jeune fille accomplie. Je passais des mois enfermée à regarder le vivre et, de temps en temps, il m'arrivait des choses extraordinaires. Rien n'a changé.
_ Merci Heights Johnson pour cet entretien exclusif, un dernier mot ?
_ Kilt.
_...
_ Sérieusement, vous connaissez pas le Kamoulox en 2028 ?
_...
_ Bon, alors, en conclusion, les gens, et pour paraphraser Bosie, dans la scène finale, quand il se rend incognito sur la tombe d'Oscar "Beware of The love that dare not speak its name"."


 

samedi 11 août 2012

We’re living in a looking glass as the beauty of life goes by


Et puis est venu le livre ultime.
Le livre qui ne serait jamais venu sans Dorian Gray.

Tout est très flou concernant celui là, mais je crois qu'il s'agissait d'un de ces week-end où je rentrais systématiquement chez mes parents lors de ma première année de DUT.

Lors de ces week-end, généralement, je passais le vendredi soir avec mon ami d'enfance à regarder Queer as folk, Alexandre le Grand et autres oeuvres très très gaies.

C'était un des âges d'or de ma vie.

Allongés dans mon lit à baldaquins je lui faisais le résumé de ma semaine de liberté, au Havre, loin de la ville qui nous a vu grandir. Pour lui, ce serait l'année d'après. Je lui parlais de ma première rupture, de mes sentiments naissants pour un autre garçon, celui qui me briserait véritablement le coeur cette année-là.

Je crois que c'était lors d'un de ces week-end là qu'il est arrivé avec un livre en me disant qu'on l'avait donné à sa mère mais que c'était pas franchement son genre de lectures et que si je le voulais, il était pour moi.

Un livre gratuit fait toujours plaisir, mais quand j'ai vu Oscar Wilde sur la couverture rose j'ai un peu écarquillé les yeux sans trop y croire.

Forcément, j'allais le lire. J'allais le lire comme Dorian Gray. Mais je l'ai posé dans un coin. J'ai mangé une pizza, bu du coca, ri comme une folle, et il a fallu bien des jours ou des semaines pour que je m'intéresse à nouveau à ce poche.

Rose saumon. Assez vilain d'apparence, comme les autres, la photo d'une cellule de prison dans un petit encadré sur la première de couverture.

J'ai commencé ce livre sans le comprendre, en faisant une confiance aveugle à l'auteur de ces lignes, en sachant qu'il finirait bien par m'emmener là où je devais être.

Je ne savais pas où étais la fiction, la réalité, s'il parlait de lui, d'un autre, je me doutais, oui, mais je n'avais aucune certitude. 

J'ai lu De Profundis en une soirée. Ne m'arrêtant que pour changer de position lorsqu'une crampe se faisait trop encombrante.

Je suis ressortie du livre comme d'une anesthésie. Je me souviens avoir mis un temps certain avant de recouvrer tous mes sens. Vous savez, ce moment où vous vous relevez trop vite, que le sang n'a pas le temps d'irriguer le cerveau, ce moment où les gens vous parlent à travers un aquarium. 

Sans avoir encore connu de relations abusives et sans avoir encore connu de rupture dévastatrice, je n'ai vu au départ dans De Profundis "que" le moyen d'avoir une relation privilégiée avec Oscar.

J'étais trop jeune pour réaliser.

J'avais lu De Profundis et ma vie ne serait jamais plus comme avant.

Plus aucun livre ne le détrônerait.

vendredi 10 août 2012

You seem pretty young to be searching for that kind of fun


C'était mon premier stage. 
J'avais 17 ans, mon premier appartement, une porte qui ferme à clef et une ville à découvrir.

Nous étions en plein hiver mais je me souviens d'une période baignée par le soleil. Aller à pied au boulot. Etre accablée de fatigue en rentrant le soir - mais ne commencer qu'à 10h.

J'étais libraire dans la plus grande librairie de la ville, dont le chef, à l'époque, était directeur du syndicat national des libraires. En gros : je me la pétais grave.

On m'avait collé au rayon jeunesse parce que j'étais une fille, mais il y avait des bons côtés qui compensaient le contact avec les enfants : les boissons gratuites à profusion toute la journée, les discussions avec le charmant garçon qui faisait son alternance là et, bien sûr, les remises sur les livres pour les employés. 

C'était mon premier stage et c'était un gros chambardement dans ma famille. Sûrement parce que je faisais enfin quelque chose de concret de mes dix doigts.

C'était tellement énorme qu'un vendredi, ma mère est venue me chercher pour m'emmener passer le week-end à la maison, et elle a amené Mémé.

Ma grand-mère m'a élevée, avec tout l'amour du monde, mais une préférence quand même pour mes cousins états-uniens : plus jolis, plus athlétiques et surtout plus débrouillards. Moi, j'étais plutôt l'intello qui dévorait les vieux bouquins gagnés par ma mère et ma tante du temps où on décrochait des prix à l'école. Le seul truc c'est que, moi, elle m'avait à l'année, quand, eux, elle ne les voyait que 15 jours par an.

En fait, ce qu'elle aime, Mémé, c'est pouvoir raconter des histoires qui en mettent plein la vue sur ses petits enfants, et raconter que sa petite fille lit des livres, ça le fait moyen. 
Mais là, elle pouvait dire "mais oui, elle travaille là bas, et elle fait tout toute seule, mais oui à seulement 17 ans.". 

Alors Mémé a débarqué sur mon lieu de travail, et j'ai pris ma pause pour l'accueillir. Je lui ai fait tout visiter, même le sous-sol, où se trouvait la pochothèque (et le joli garçon en alternance). C'est là aussi que se trouvait le rayon SF que j'aurais pu ramener tout entier chez moi si on m'avait laissé faire.

Je l'ai dit à Mémé, qui m'a dit, tout bas "choisis en deux, mais discrètement" car, oui, ma mère rodait derrière, vous l'aviez deviné. 

C'était mon premier stage et je n'étais pas du tout payée, c'était l'époque où mon père m'avait coupé les vivres et où je vivais sur le plein de courses que m'amenait ma mère une fois par mois sans pouvoir trop faire de dépenses autres qu'une baguette de pain par ci par là en demandant 20 euros à ma mère occasionnellement. 

C'était un peu la bohème, et Mémé était toujours là pour améliorer mon train de vie.

Mais j'étais gênée parce qu'elle était à la retraite et veuve et que je pouvais, en revendant deux trois trucs, obtenir assez pour me payer ces deux bouquins.

Mais on ne contredit pas Mémé.

J'ai alors pris deux livres, en hésitant, parmi les dizaines qui me faisaient de l'oeil depuis la rentrée - nous étions en janvier. 

Je savais que ces deux livres là, financés par Mémé, il faudrait que je les lise jusqu'au bout. Pas question de les abandonner.

J'ai pris les deux et je lui ai donné, mais c'était trop tard. Le radar de ma mère s'était mis en marche et d'un Qu'est-ce que vous faites ?! elle nous avait glacées toutes les deux. 

Tu vas pas acheter ces bêtises là ! J'avais baissé la tête, c'est vrai qu'une des deux couv' était hideuse, mais en même temps, don't-judge-a-book-by-its-cover toussa. J'ai voulu reprendre les livres à ma grand-mère qui les a serré fort en pointant son nez vers ma mère C'est moi qui paye, oust ! 

Et Mémé était partie vers la caisse, comme un gladiateur vers son destin. 
Ma mère m'avait envoyé à ses trousses en me menaçant : tu l'empêches de payer !

J'avais couru derrière elle, mais je savais qu'entre les deux caractères je ne pouvais pas gagner. Alors autant laisser faire ce que ma grand-mère voulait et donner tort à ma mère. Juste pour le plaisir.
Mémé m'avait donné le sac, avec les achats payés, dans un grand sourire, et ma mère avait ruminé en m'amenant jusqu'à la voiture.

Cette année là, c'était ma première année de DUT, et toute l'année mes camarades se sont légèrement foutus de moi en voyant sur mon bureau la couverture du tome 1 de L'Echiquier du mal de Dan Simmons. Ce qui ne m'a jamais empêché de profiter de ses milliers de pages à chaque pause.

mercredi 8 août 2012

It's the best thing that you ever had


[The best thing that you ever, ever had]

J'avais 15 ans. C'était l'été de la canicule. L'été entre la seconde et la première. 
L'été de la peur primaire de ce qui m'attendait. L'été d'avant l'amour qui ravage. 
Le dernier été de mon grand-père. Le dernier été sans Internet.

Ce livre là, je suis allée le chercher dans l'ancien Virgin de Rouen localisé lui même à l'emplacement de l'ancienne Fnac. Je ne roulais toujours pas sur l'or, mais toujours assez pour fureter parmi les livres pendant que ma mère avait le dos tourné.

Je crois que les cours n'étaient pas tout à fait terminés, mais, en tant que seconde, on prétendait aller en cours pour plutôt trainasser dans les salles vides. Dernière année sans examens. Premiers instants de liberté pour moi. Prendre le bus quand même. Dire au revoir aux amis qui s'éclipsent dans des filières lointaines.

Vous savez, ceux qu'on se promet de revoir.

Bref, c'était le dernier été avant l'apocalypse. 

J'ai parcouru les éditions. Je savais que je voulais ce livre. Mais il y en avait trop. Et même dans les moins chers.

J'ai finalement pris celui qui était disséqué par un professeur rouennais - autant pour être sûre d'y comprendre quelque chose que par régionalisme.

Le plus affreux. Une couverture rose et un portrait atroce de jeune homme ignoble complétement suranné. 

Mais j'étais motivée. Ce serait ma première incursion dans l'oeuvre pour adulte d'un auteur que j'appréciais de loin.

Dans la queue pour les derniers repas à la cantine, tout le monde me demandait ce que pouvait être ce bouquin et pourquoi je lisais ça. Une amie proche me l'a même confisqué pour finalement l'abandonner. 

J'ai été subjuguée par le prologue. Puis les vacances sont arrivées et j'ai tout fait sauf lire. 

Il était là, il attendait, posé sur la table de chevet de ma chambre d'enfant - c'était l'été avant la chambre d'ami.

Et puis, une nuit, pour ajouter à la chaleur on m'avait demandé d'héberger mon neveu aîné. Impossible de trouver le sommeil.

J'ai rallumé une lumière aveuglante qui n'a pas fait ciller le gamin. Lui était en sueur et ronflait.

Accablée et les yeux grand ouverts je n'avais pas d'autre alternative, j'ai empoigné le livre : il me restait un peu moins de la moitié à parcourir. 

Je l'aimais vraiment beaucoup, le livre, et je ne voulais surtout pas le lire d'un coup et me goinfrer. Mais cette nuit ne m'a pas laissé le choix.

Je l'avais entre les mains. J'ai regardé la couverture laide. J'ai caressé la tranche.
Je l'ai retourné pour l'ouvrir. Rien ne m'a choqué.

J'ai commencé à lire, j'étais maintenant tout à fait réveillée, et j'ai terminé le livre sans vraiment m'en rendre compte.

Le coeur battant, il devait être 4h du matin, je l'ai refermé. C'est alors que j'ai vu quelque chose d'inexplicable : là où mon doigt s'était posé pour ouvrir le livre, là où il n'y avait rien qu'une tranche des plus classiques, trônait maintenant une tâche de sang séché pas plus grosse que le bout d'un index. Et sur mes mains : aucune plaie.


C'était l'été de Dorian Gray.



mardi 7 août 2012

I don't need nobody but my honeys


Les livres sont toujours venus à moi et pas moi à eux, du moins, les livres importants. 
Comment certains d'entre eux sont arrivés entre mes mains est une série d'histoires qui commence il y a très longtemps...

Quand j'étais gamine, ma vie était cadenassée et quadrillée par une mère possessive à qui je devais demander l'autorisation de respirer, qui me sautait dessus dès que je sortais de ma chambre ou qui s'y invitait pour voir ce que je faisais. 

De cette période je retiens une haine tenace de l'envahissement imprévu de mon espace vital. Aujourd'hui encore, quand j'oublie de fermer la porte de ma chambre dans la maison de mes parents et qu'elle y entre, des bouffées de désespoir m'assaillent. 

Cette terreur enfantine expliquée, vous avez désormais en tête l'état d'esprit dans lequel j'étais, quand, me promenant dans les rues de Rouen, un peu plus âgée, un peu plus aguerrie, j'ai été prise dans le feu des cris de ma mère, d'une gueulante sortie de nulle part, une parmi les millions d'autres que j'ai dû essuyer. 

J'ai regardé les pavés de la rue du Gros, sous mes pieds, j'ai regardé le ciel. J'ai serré les bras autour de moi, et je suis partie. 

Moi qui n'avais pas le droit de sortir, pas le droit de traverser une route toute seule, pas le droit d'avoir un air qui voulait peut-être dire que je pensais à une chose à laquelle je n'avais pas le droit de penser, je me suis barrée au coeur de la grande ville, laissant derrière moi une personne qui ne pouvait pas courir. A cette époque où j'avais un portable mais elle pas encore. 

Les badauds m'ont vite digérée et je suis devenue imperceptible. Invisible. 

La bouffée d'air frais qui s'est engouffrée dans mes poumons ce jour-là a changé ma vie. 

J'avais pris ma décision. J'avais fait quelque chose d'interdit, je ne m'en portais pas plus mal, et je pouvais braver les ordres et les injonctions sans mourir foudroyée. A peine avais-je réalisé tout ça que j'étais au bout de la rue, et je ne savais pas quoi faire, il y avait trop de choses à faire. 

Je suis entrée dans une solderie de livres - qui n'existe plus. A l'époque, la surveillance parentale allait jusqu'à ma petite monnaie. Je me souviendrai toujours d'une crise de ma mère car j'avais compté mes pièces jaunes pour pouvoir mettre assez bout à bout pour pouvoir m'acheter un malheureux CD. Car oui, je n'avais d'autre argent que l'argent de poche donné par le bon vouloir de mon père - qui ne voulait pas souvent. 5 euros par mois. Je me souviens parfaitement du coût d'un disque : 4 mois d'argent de poche.

Donc, la solderie. Parce que, nulle part ailleurs, je n'avais assez pour m'acheter un souvenir de cet acte de bravoure.

Dans le magasin, personne ne m'a regardé de travers, personne ne m'a dévisagée comme si je n'avais pas le droit d'être là non accompagnée, comme s'il me manquait un chaperon.

J'ai feuilleté les livres d'art sur Modigliani, pendant un long moment. Mais, bien entendu, je n'avais pas assez. Vraiment pas assez.

Je n'étais pas encore courageuse au point de voler un bouquin, et j'avais de toute façon déjà une morale bien trop rodée.

Alors je suis allée du côté des poches de sous qualité, des trucs minables vendus au rabais. Des textes libres de droit dont l'exploitation, même à bas prix, rapportait.

J'ai parcouru les titres. Malheureusement la plupart des titres qui m'intéressaient étaient en plusieurs tomes et je n'avais pas les moyens. Toujours pas.

Et puis je suis tombée sur le Fantôme. 
Ma première rencontre avec lui depuis un lointain épisode de Babar qui m'avait déjà pas mal hypnotisée. 

La prose de Gaston Leroux était à 2€. 
J'avais 2 €.
Miracle. 

Je me suis empressée de le payer, au cas où ma mère m'avait rattrapée grâce à son radar infaillible. 

Je l'ai enfoui dans mon sac au cas où ma mère l'aurait repéré et aurait jugé cette lecture impropre.

Je suis ressortie et elle a fini par me tomber dessus.

Mais, en bandoulière, j'avais 320 pages d'évasion supplémentaires qui m'attendaient.