lundi 22 novembre 2021

You've been such a joke this week





Je crois qu'avec leur sixième sens, les autres sentent que je suis un fruit pourri.
Tombée d'un arbre qui me trouvait bien trop lourde pour sa branche.

Je pense que, où que j'aille, cette infime odeur de moisi, à peine dissimulée par celle de l'herbe fraîche et de la rosée, m'accompagne. 

Dès lors, si quelqu'un n'est pas repoussé par la vue de cette pomme blette, de cette poire pochée ou de cette banane tachée, personne ne reste indifférent. 
Il y a ceux qui veulent couper le morceau abimé, sans deviner que la jolie chair désormais à nue ne le restera pas longtemps.
D'autres se disent que comme ce fruit est impropre à la consommation- du moins, incompatible avec le système capitaliste - qui le choisira parmi toutes le jolies Royal Gala ? Pink Lady & Reines Claude rutilantes de l'étal ? 

On peut donc se servir, c'est gratuit. Personne n'en veut. 

Pour des jeux d'enfants par exemple.
Des parties anodines, innocentes, où on se castagne à coup de marrons tombés trop tôt, de châtaignes expulsées de leurs gogues - car les cailloux c'est moyennement socialement acceptable. 

Le fruit pourrit sert à amuser les autres qui peuvent bien en faire ce qu'ils veulent. Qui s'en soucie ? L'odeur ne s'en ira pas. Même si le fruit se dissimule sous de la chantilly, se noie dans une salade, se fait tout petit morceau au milieu de ses congénères. 
Est-ce que le fruit serait plus heureux en compote, en sorbet, en smoothie ? Être choisi, désiré, consommé, vaut bien d'être écrasé, mixé, fouetté, après tout ? 

Enfin, le fruit pourra montrer que malgré ses défauts, il a toujours eu bon goût. Que le sucre en lui est le même que celui de ses bios amis qui trônent, bien cirés, chez le primeur. 

C'est à ça, sûrement, que rêve ce fruit abîmé, depuis sa flaque de boue, dans le verger, tandis que la pourriture, maintenant impossible à dissimuler, le grignote toujours un peu plus.






mercredi 17 novembre 2021

I wonder when I'll hit the ground

 



Je dois avoir sept vies. Comme les chats.

C'est peut-être pour ça qu'on se comprend si bien, eux et moi.

Une de ces vies, je l'ai perdue au moment même où je suis née. L'accouchement s'est compliqué. Ma génitrice et moi avons failli y passer. Puis elle a compris que la complication était due à une IST. Hors, elle n'avait jamais découché. Ma venue au monde coïncidait donc avec une grosse brisure dans son mariage. Brisure qu'elle m'a fait fait payer toute ma vie par la suite, que ce soit de manière non-verbale, comme quand elle m'a abandonnée à de nombreuses reprises chez mes grands-parents '(qui, par chance, m'ont amené le seul amour inconditionnel de ma vie pendant le trop court laps de temps que nous avons partagé sur terre) ; ou de manière beaucoup plus directe, en me disant droit dans les yeux que je suis "une erreur" et "qu'elle n'aurait jamais dû me faire".

 

Ma seconde vie, je l'ai perdue quand elle a lâché une anse du couffin qui me transportait. J'ai alors roulé dans le vide, jusqu'à atterir sur le trottoir, ou la route. 
Apparemment, je n'ai pas pleuré. J'avais moins d'un an, donc je ne m'en souviens pas.
Cette histoire, on me l'a racontée, telle une blague, un soir de noël, il y a trois ou quatre ans. Ca bien fait rire tout le monde, dans ma "famille". Surtout la chute.
Pas celle du vermiceau-nourrisson que j'étais, mais celle qui vient :
Bébé inerte sur le goudron, qui ne pleure pas, sûrement parce qu'elle s'est cogné la tête, seule au monde, parce que sa génitrice est partie, l'a laissée là.
Celle-ci est rentrée, seule, et a informé mes sœurs, alors grandes adolescentes, que "Johnson est morte", "Elle est sur la route". Effarées, elles n'y sont pas allées. Il a fallu qu'un de leurs amis se porte volontaire pour venir me chercher. Je n'étais, en fait, pas morte. Pas définitivement, en tout cas. 

Je ne suis même pas certaine qu'on ait emmené le petit tas de chair puant et bruyant que j'étais chez un.e médecin. L'histoire m'apprendrait que mon bien-être, y compris mon intégrité physique, passent après beaucoup de choses.
Comme cette fois où j'avais à nouveau chuté, m'ouvrant profondément le tibia sur cinq bons centimètres. Ma mère m'a alors crié dessus (on ne pouvait "définitivement pas compter sur moi !", y compris pour rester sur mes deux pieds) puis elle a quand même vérifié si la blessure "allait se voir", si j'avais perdu une dent, m'étais cassé le nez ou si j'avais une balafre sur la joue, le front. 
Quand j'ai montré la plaie béante sur un membre inférieur qui pourrait aisément être caché derrière un pantalon, elle a décrété que je devais aller m'étendre sur mon lit et ne surtout pas bouger, car cela "tombait" très mal. Elle avait des invités. 
L'apparence, encore une fois, prenait le pas sur l'attention minimale qu'on est censé porter à un être dont on est responsable, à qui on a imposé la vie. 
Ensuite, j'ai plutôt excellemment pris le relais, et me suis ôté la vie et mené une existence de martyr toute seule. 

Car c'était là, ma normalité.
Je n'avais rien connu d'autre.
Malgré tout, j'ai survécu. 
Je ne suis pas certaine du nombre de jokers qu'il me reste à jouer. Peut-être que la prochaine fois sera "la bonne". Qu'avec ma disparition, l'équilibre universel sera réparé.


lundi 13 septembre 2021

The ruins of the day painted with a scar

 



Dans la vie, il y a peu de choses dont je suis aussi certaine que : je ne crois pas en quelque dieu que ce soit / je ne veux pas d'enfants / Descartes est un incapable et la seule vérité indubitable c'est qu'on va tous crever.

J'ai quelques lignes directrices : si ça va pas, écoute de la musique / la vie est trop courte pour s'interdire de manger des trucs bons / les animaux ont tout compris et personne ne les écoute / mieux vaut avoir des remords que des regrets / ACAB / Yes all men / dors et mange avant de prendre une décision.


Ca aide un peu à naviguer l'absurdité ambiante qui compose nos existences. Nous, c'est ma génération. Celle qui n'est ni boomeuse, ni digital native. L'entre-deux qui sait pas où s'assoir. Qui a longtemps été "ni de droite, ni de gauche" avant de tomber dans ce qui est extrême pour les autres.

La génération qui a regardé deux tours new yorkaises se fracasser à l'heure du goûter, à la place des minikeums. 
La génération qui s'est fait tirer dessus, un doux soir de novembre, juste parce qu'elle profitait de la vie.
La génération qui en fait trop selon les vieux et pas assez selon les Greta en herbe.
La génération qui perd chaque année un peu plus de repères en l'acceptant, en tentant de s'adapter, éternellement maladroite.
La génération qui, quand elle s'est pris une épidémie mondiale sur la gueule, s'en est pas tout à fait remise.

Autour de moi, le vide du sens est général. Les gens qui le peuvent changent de région, de famille, de job, de pays, de drogue de choix. 

Nous n'avons même plus la nuit pour évacuer tous les maux et nous retrouver. Bien souvent, pour les femmes, on en sortait pas entières non plus, mais on aurait sans doute préféré un entre deux. 

A quoi bon les manifs ? A quoi bon le militantisme ? A quoi bon trier ses déchets, fermer le robinet, baisser le radiateur ? A quoi bon vivre vieilles et vieux ? 

A quoi bon écrire au ministère des affaires étrangères une vingtaine de mails en deux jours recensant les noms des proches d'une poignée d'afghans qui allaient sûrement mourir si on ne les rapatriait pas ? 

A quoi bon commencer à être suivie par un job coach quand j'ai qu'une envie : dormir toute la vie ?

A quoi bon me soigner, à coup de 300e par mois non remboursés, si c'est pour vivre d'autres tragédies en live ?

A quoi bon voter si c'est pour toujours faire barrage ? 

A quoi bon aimer puisque rien ne dure ? 

Je flotte dans cet état et, pour la première fois, tout mon entourage m'a rejoint. Le but, c'était un peu l'inverse, je vous le cache pas.

On est tous perdu.e.s, sur une planète qui brûle, à éviter les actualités les jours où on a pas assez le moral, à faire ce qu'on peut, à se recroqueviller sur nous mêmes et nos petits plaisirs pour ne pas trop penser à demain.

Mes propres psys sont en burnout.
Je n'ai plus vraiment d'idoles.
Je passe mes rêves à crier sur celleux qui m'ont fait du mal, à défaut de le faire en vrai.

Quand je le peux, j'écris des lettres de remerciement qui me demandent beaucoup, émotionnellement. Des lettres aux quelques personnes dont le cœur pur m'est venu en aide et a évité que ce soit encore pire.

Je n'arrive ni à lire, ni à écrire, trop peu à découvrir de nouvelleaux artistes. 
J'aurais envie de changer de pays toutes les semaines, de me noyer dans le dédale de rues méconnues, de croiser des nouveaux visages, sans attaches, de tuer cette routine qui me maintient à flots. 

A la place, je mets les derniers clous dans le cercueil des huit dernières années de ma vie sans savoir en quoi je serai réincarnée. Ou si je le serai.

Je mets les voile avec une seule certitude, en fin de compte, c'est que maintenant, si j'ai envie de crier, j'aurai toujours quelqu'un pour m'écouter. 

mercredi 11 août 2021

Don’t romanticize my life



Être utile est un privilège.
Je m'en aperçois un peu tard.
Mais ça explique pourquoi on m'a combattue si fort alors que j'étais si efficace dans mon groupe de militant.e.s.
Ce n'est pas moi qu'on jalousait, ce n'était pas ma personnalité ou mes prises de position qui gênaient, c'est surtout le fait que j'offrais (ainsi que tou.te.s celleux qui faisaient équipe avec moi) un service gratuit, d'une efficacité totale.
En deux, trois heures, vous étiez formé.e.s aux risques juridiques de ce mode de militantisme, à la préparation d'une sortie en action, aux gestes à avoir, au comportement le plus sécuritaire à observer et, cerise sur le gâteau, vous appreniez en faisant

Avec l'équipe de formation, nous avons formé près de 800 colleur.euse.s en cinq mois, entre le premier déconfinement et septembre 2020, où j'ai lâché l'affaire et suis partie de CFP (dont on m'a bannie six mois après mon départ, dans une très belle démarche kafkaïenne).

Après m'être soignée de mon stress post traumatique qui m'a fait insomnier pendant des mois et provoqué crise sur crise, j'ai une vision un peu plus zen de cette période. Un peu plus détachée de cette fin où on m'a accusé de tous les maux pour simplement prendre ma place.

Quelqu'un qui voulait faire ce qu'on faisait dans l'équipe, qui l'a rejointe, et s'est barrée après une semaine après qu'on l'a formée patiemment. Quelqu'un qui nous écrivait toute la journée, notamment des trucs persos, des trucs de tous les jours, qui a claqué la porte en disant qu'on ne l'avait jamais intégrée. Et qui, incapable de gérer son propre échec, a voulu nous faire sauter.

Le truc, c'est qu'ensemble on avait parlé de l'importance de faire tourner les rôles, que les statuts avec un minimum de pouvoir qui sont tout de même nécessaires pour coordonnée une telle pieuvre même si celle-ci est organisée en horizontalité, ne doivent pas rester longtemps entre les mains des mêmes personnes. J'avais critiqué, devant cette personne, le fait que la communication du mouvement était verrouillée par deux-trois potes tou.te.s issu.e.s de la même grande école, bien sûr, blanc.he.s, dois-je le préciser ? C'est donc que j'avais conscience de cela.

Et, pour être honnête, je n'allais pas pouvoir continuer bien longtemps au rythme de 15 à 20h par semaine vouées au mouvement, de la coordination des formations (recrutement des formateurices, organisation des sessions, accueil et inscription des nouvelleaux, suivi des sessions, intégrations des personnes formées à notre mouvement, etc...) 

Notre système était si bien rodé, même dans sa constante évolution, que cette personne n'a pas su par quel bout l'attaquer. Elle nous a donc taxé de racisme, parce qu'il se trouve que cette personne est racisée. 

Je suis la première à dire qu'il faut écouter les minorités et que si elle estime avoir été victime de racisme, alors c'est que ça doit être le cas. Sauf que là, on parle de rapports dématérialisés. Je n'ai jamais rencontré cette personne. Je ne l'ai jamais vue en photo. Nous avions une relation quasi quotidienne, en ligne, et des échanges perso et organisationnels pendant des mois avant qu'un jour elle prenne la parole publiquement et communique sur le fait qu'elle fasse partie d'une minorité (pour dénoncer, d'ailleurs, la communication plus que maladroite de nos cheffes qui n'auraient jamais dû en être).

Entre avant et après cette info, je n'ai jamais changé de comportement envers cette personne. Du coup, étais-je déjà raciste envers elle avant de savoir qu'elle est racisée ? Auquel cas, pourquoi avoir continué à me parler, me solliciter, à se confier à moi et à vouloir collaborer avec moi au plus près ensuite ? 

Dans les accusations que cette personne a répandu envers moi (et, par effet boule de neige, elle s'est mise à accuser fallacieusement toutes les personnes qui avaient fait partie de l'équipe, même celles à qui elle a continué de parler régulièrement par la suite), il y avait beaucoup de contradictions et de faits qui ne collaient pas.

J'ai exposé, froidement, les faits, les dates et les actions qu'on me prêtait qui ne pouvaient pas avoir eu lieu car je ne connaissais pas les gens incriminés à ce moment-là. Pourtant, tout le monde a préféré la croire. Devant les preuves évidentes (avec captures d'écran et témoins neutres à l'appui), la majorité s'est mise du côté de celle qui s'érigeait en victime.

Victime, elle l'est assurément, et je n'entrerai pas dans les détails, mais on a été assez proches pour qu'elle me confie une partie de ce qu'elle a traversé. Pourtant, sans que je sois un de ses bourreaux, c'est moi qui ai pris en leur nom. 

Quelles étaient ses motivations ? Je ne le saurai jamais. Je pense qu'au fond d'elle, elle voulait se rendre utile, elle voulait ma place - ou ce qu'elle croyait être ma place. Imposer sa loi. Que personne ne lui oppose plus jamais de contradiction.

Car c'est cela qui a mis le feu aux poudres. Quand, vers 2h du matin, éreintées nous parlions à trois de tout et surtout de rien et qu'elle a été prise d'une angoisse subite sur le fait que la CNIL pourrait nous tomber dessus.

Je rappelle que nous étions une organisation informelle, sans existence juridique. 

J'ai sans doute mal réagi sur la forme, en laissant filtrer à quel point je trouvais cette idée grotesque, et ça a suffi à la faire partir du groupe, à bloquer deux d'entre nous (pourquoi pas la troisième, qu'elle a accusé plus tard des mêmes maux, on ne le saura jamais) et à répandre les pires rumeurs sur moi en me diabolisant.

Parce que j'avais osé dire que c'était peu probable que la CNIL nous tombe dessus pour un word géré par trois personnes où on répertoriait des pseudos pour avoir une trace de qui avait été formé et qui ne l'avait pas été et pouvoir faire entrer en toute sécurité sur notre serveur les personnes l'ayant été tout en gardant dans le sas d'entrée les personnes ne l'étant pas. 

Cette personne m'a accusé de la harceler parce que je lui ai demandé pourquoi. Elle a menacé, en plein milieu de la nuit, la médiatrice qui nous avait été affectée (à ma demande) pour apaiser le conflit. Les menaces, j'en ai reçues aussi, quand je lui ai demandé si elle me menaçait vraiment, elle m'a débloquée le temps de confirmer. 

Plus je la mettais en face de ses responsabilités abandonnées, de ses contradictions, plus j'avais l'impression de démasquer quelqu'un qui aurait voulu être parfait et qui ne supportait pas qu'on suggère que parfois, tout humain peut se tromper, surtout à 2h du mat alors qu'on parle de tout autre chose.

Quelques semaines plus tard, quelqu'un a lancé une attaque sur notre groupe de formation, en appelant au beau milieu de la nuit (heure à laquelle cette personne se connectait et interagissait souvent, notamment quand elle envoyait des mails de menaces) pour leur dire que leur formation était annulée, en disant appeler de ma part, en utilisant mon prénom.

C'était forcément quelqu'un de l'intérieur. 

Pourtant, je n'osais pas croire que c'était elle. 

Je pense encore à elle. Parce que je suis persuadée qu'elle ne se sent pas mieux de nous avoir fait bannir (alors que j'étais déjà partie depuis 6 mois, c'est dire si son cerveau ne voulait pas lâcher prise sur ma personne). Elle a causé énormément de mal à moi, à au moins quatre personnes du mouvement, dont deux sont devenues des proches depuis. 

Car à l'époque, je n'étais pas plus proche d'elles que de cette personne qui pourtant se croyait toujours l'outsideuse. Cette personne, qui me ressemble beaucoup plus que ce qu'elle aimerait. 

Une personne qui voudrait à tout prix être aimée, populaire, avoir toujours le mot juste, qui réfléchit pendant des heures avant de poster un message pour mesurer chaque syllabe histoire de ne jamais prendre le risque que quelqu'un s'inscrive en faux. Quelqu'un qui ne supporte pas son  humanité ? Quelqu'un qui ferait bien de se faire diagnostiquer, et je dis ça avec toute la bienveillance du monde.

Je l'ai vu, elle et une autre borderline, s'acharner sur moi avec la haine aveugle de celles qui ne sont pas soignées, ou si mal. Pour ça, je ne peux pas leur en vouloir. Trouver en soi l'énergie, la force de se faire aider, puis ensuite dénicher les ressources, monétaires, les bons praticiens... c'est quasiment impossible.

Et c'est là mon vrai privilège. Celui d'avoir échoué plusieurs fois à me faire soigner avant de trouver les bonnes personnes.

C'est ce qui m'a permis de ne pas me tuer en chemin, d'être toujours debout, même si, pour la vie handicapée, et d'être dans une meilleure position que cette personne quasiment un an après les faits.

Cette personne m'a extrait d'une situation qui devenait ingérable, où je me noyais de trop donner, car être utile est un privilège mais aussi une drogue. Pour ça, je pourrais presque la remercier.

Cette personne a fait se resserrer les liens dans un trio qui avait besoin d'aide, chacun à sa façon, à un moment donné. Trio qui existe encore un an après, n'a jamais été aussi proche, et qui, je l'espère va continuer sur sa lancée et pour longtemps. 

Mes propos n'engagent que moi, il s'agit de mon ressenti. Si vous reconnaissez les gens que j'ai évoqués, laissez-les tranquilles. Il y a eu beaucoup de souffrances, de part et d'autre. J'en pose un morceau ici, car cela fait bien longtemps que j'aurais dû le faire. 

Je clos ce chapitre sans rouvrir de plaies. Je guéris plus vite, à présent. 


lundi 19 juillet 2021

Staying in my play pretend


[Where the fun, it got no end]


Je ne sais pas trop ce qui est passé par la tête de mes géniteurs quand ils ont cru que j'allais être douée en gymnastique, en piano ou même en casting pour jouer la fille de parents divorcés dans une pub Nescafés. Mais en tout cas, ils ont essayé, et ont appliqué une, ma foi, fort belle politique de l'autruche quand, manifestement, je n'étais bonne à rien, et surtout pas à cela. 

Ce que j'aimais, c'était écrire des livres mi-drôles mi-horrifiques, recevoir du courrier et y répondre, crapahuter avec des chats, inventer des jeux de rôle à la récré (et les interpréter avec des cobayes qui tournaient beaucoup tant j'étais épuisante), m'imaginer plus tard ou morte ou les deux et collectionner les cailloux ronds et gris dans la gravelle de mon Pépé et de ma Mémé. 

Effectivement, vu comme ça, mon CV n'allait pas être aisé à vendre dans les repas amicaux. La course à l'échalotte de qui a la fille la plus merveilleuse était perdue d'avance. D'autant plus quand je suis passée de "bébé mignon" à "gamine quelconque" sur le plan physique (je ne parle pas de l'adolescence ingrate, cela tombe sous le sens). 

Je lisais beaucoup, car j'y étais obligée, c'était la seule activité acceptée pendant une grande partie de mon temps libre, une activité où on n'échange surtout pas avec ses parents, où on s'isole, loin des yeux, histoire qu'ils oublient leur troisième enfant qu'ils "n'auraient jamais dû faire". 

Chez mes grands-parents, bizarrement, mes activités étaient plus diverses (mais pas moins étranges), j'observais les fourmis, je draguais les chiens des voisins, je m'inventais des missions divines, je respirais les roses et je tournais autour d'un poteau. Meilleurs hobbies ever.

Mes grands-parents, eux, m'adressaient la parole et m'écoutaient. Ils étaient souvent amusés de mes petits commentaires décalés, parfois ils me faisaient les gros yeux mais se mordaient beaucoup la joue pour ne pas sourire et m'encourager à dire trop de choses "qui ne se disent pas" "parce que c'est comme ça" "tu veux une péq' au cul ? Non mais !"

Donc j'allais dire ces choses dans ma tête, à mes amis imaginaires, à mon futur moi qui serait forcément brillante, talentueuse et réussirait tout, serait aimée de tous, enfin reconnue comme l'exceptionnelle unique petite étoile qu'elle était. 

Jmelapétais déjà pas mal, à vrai dire.

Si les autres ne me comprenaient pas, c'est forcément qu'ils étaient cons. Trop gamins. Trop filles. Trop garçons. Trop violents. Trop sportifs.

Moi, j'étais parfaite. 
C'est pour ça que les gens s'obstinaient à me torturer et à me critiquer, y compris ceux qui m'avaient imposé la vie. C'est parce que j'étais trop drôle, trop unique et trop intéressante.
La preuve : j'arrivais à leur raconter les pires mensonges et à les faire marcher. C'est bien que c'est moi, qui menait la danse.

Cette personnalité de diva s'est faite dépecer au collège où la part sombre a pris toute sa place, toute la place et n'est vraiment partie, petit à petit, que quand j'ai frôlé la mort, six ans après. 

Quand j'ai dit au revoir à ma grand-mère, j'ai aussi dit adieu à la dernière personne qui riait à mes blagues, et croyait tout pareil que ce que la petite Johnson pensait d'elle-même. Rien n'était trop beau pour moi, je méritais un amour sans limites. 

Alors parfois, pour une heure ou deux, pour le temps d'une escapade de quelques jours, je secoue bébé Johnson et sa grosse tête, je lui laisse la place et, moi, je la regarde mener tout le monde par le bout du nez. Créer un gentil chaos et se réjouir d'en tirer toutes les ficelles.

Au fond de moi, l'idée ne mourra jamais : I'm Johnsy of Asgard, and I'm burdened with glorious purpose.


dimanche 4 juillet 2021

I promise to never go outside again


Si Rachel Bloom et Bo Burnham avaient fait un bébé issu de leurs dépressions respectives, ce serait moi.


Ce que je préfère dans la vie, c'est la musique et faire rire les gens, je ne suis absolument pas douée dans la première catégorie et pour la seconde, disons que je choisis avec soin mes spectateurs, afin de programmer mes bides.


Johnson a toujours voulu être clown, avant même de rêver d'archéologie, mais bizarrement, elle n'en a jamais parlé. A part à Pépé, parce que lui l'avait vraiment été, Clown.


J'ai toujours détesté les ambiances trop sérieuses. J'ai toujours été celle qui blaguait pendant les enterrements, et il y en a eu beaucoup. Et quand on n'avait pas d'argent, étudiants, eh bien on avait des idées, et SingStar, pour s'égosiller sur This Charming Man, et faire un solo au score quasi parfait sur Life on Mars (eh ouais, ouais, qu'est-ce tu vas faire ?)


Donc oui, donnez moi de la musique, des ami.e.s réceptifs à mon humour mi répétitif, mi absurde, mi noir, mi calembouresque, des chats (y en a trois en ce moment qui squattent mon intérieur, à partir de quel moment il faut mettre un videur devant ma fenêtre et leur interdire l'accès ?) et je suis presque bien.

Pour être heureuse, il faudrait que je retrouve l'écriture, en régulier, et pour ma gueule, pas en vendant ma capacité à parler de tous et de rien tant qu'il s'agit de le faire avec un clavier et pas de vive voix. 

J'entame un virage, un saut dans le vide, je me casse d'une situation que beaucoup envieraient. J'ai attendu d'avoir un minuscule parachute, mais parachute quand même, et surtout, j'ai un système de soutien plus béton que des cheveux d'adolescents des années 2000. 

La chute est impossible quand j'ai trop de choses à faire, trop de gens à voir, et un espace sain où j'ai l'ermite pendant les 3/4 du temps restant.

J'ai toujours envie de brûler des cismecs, surtout ceux qui me préféraient bizarrement quand j'étais pas féministe tout en critiquant le fait que je me permette d'être militante maintenant alors que je me suis déconstruite sur le tard. Déjà, qu'ils l'ouvrent sur le sujet est une preuve qu'ils devraient s'immôler eux mêmes sept fois avant de parler. 

La colère n'est jamais loin, mes ami.e.s écoutent patiemment mes sorties vénère en hochant doctement de la tête, parce qu'ielles savent qu'après la tempête viendra le calme, et celui-ci sera marqué par une blague finale pour signifier que maintenant le second degré est à nouveau autorisé.

Je dois être chiante à vivre, ouais, à fréquenter aussi, mais pourtant, la plupart de mes connaissances de maintenant me subissent depuis avant. 

Hell, je deviens même le mètre-étalon des personnes à pét' au casque auprès de mon cercle à coup de "Si Johnson arrive à se stabliser, les autres n'ont pas d'excuses" (ne faites pas ça chez vous, chacun a sa progression, son chemin, son évolution, je ne suis un modèle pour personne et ne veux l'être).

Par contre, je suis la personne la plus folle (moi j'ai le droit) de mon entourage et bizarrement, celle que mon entourage appelle quand ça va vraiment pas, pour que je mette de l'ordre là-dedans. Ou celle que mes amies autruches fuient quand elles ne veulent pas qu'on creuse là où elles ont enterré leurs jolies têtes.

J'ai une utilité, et elle n'a aucun lien avec mon activité pro. Je l'ai compris tard. Déconstruire mon capitalisme est sûrement la prochaine étape, mais je suis en bonne voie.

Mardi, j'ai rendez-vous pour tout plaquer. Pour recommencer loin d'une situation toxique qui m'a tant apporté et tant coûté. En prenant mon temps, sans compromission. Et sans dire oui à la première boîte venue qui me traitera comme une cheap whore.

Je suis un phoenix, j'ai renaqui de mes cendres déjà, qu'est-ce qu'une fois de plus dans une vie qu'on peut stopper si tout va trop mal, sur une planète déjà condamnée, parmi des Hommes qui se sont déjà collectivement suicidés mais ne veulent pas qu'on leur rappelle ?

Et bon dimanche !

lundi 17 mai 2021

You might not wanna lose your power

 




– Vous ne pensez pas que les femmes vous ont fait autant de mal que les hommes, dans votre vie ? Je veux dire, votre mère, ces militantes, ces filles qui vous harcelaient au collège...

– Non.

– Mais les femmes vous ont fait beaucoup de mal, pourtant ?

– Aucune ne m'a violée, ne m'a fait de chantage au suicide, ne m'a poussée à me suicider, ne m'a dit d'arrêter mon traitement, n'a tenté de me tuer, n'a abusé de moi... 



Je n'ai jamais été sous l'emprise d'une femme. Et tout ce qu'elles m'ont fait subir, ou presque, peut être expliqué par la misogynie qu'elles ont intériorisé pendant des années. Ce qui n'excuse rien, mais explique beaucoup. 

Pour se faire bien voir par "les hommes©", pas mal de mes congénères ont fait des conneries. Comme se tirer dans les pattes. J'ai perdu une très bonne amie, très proche, parce qu'elle avait besoin de se sentir valider par un type lambda et que pour ça, elle m'a sacrifiée, moi et notre dizaine d'années de relation. Elle m'avait prévenue : les hommes passent avant tout.

Je me demande si depuis, elle s'est demandé "pourquoi ?" et surtout "est-ce que ça me rend heureuse ?"

Je sais qu'elle a trouvé, si ce n'est "le" bon, un mec relativement bien, et ça me rassure. Parce qu'elle avait assez souffert de ce côté là pour toute une vie.

Perso, j'ai toujours fait passer l'amitié avant tout, sûrement parce que je n'ai pas de famille au sens habituel du terme, et que mes amies ont la lourde charge d'incarner ces deux rôles à la fois. Il se trouve qu'aucune de mes amitiés masculines n'a duré, les hétéros se sont lassés de ne pas parvenir à me choper, les queers m'ont traité comme de la merde (comme des mecs qu'ils sont, ai-je envie de dire, mais d'autant plus malmenés par notre société hétéronormée) ou m'ont fait leur coming-out trans (mazel tov). 

Donc oui, dans ma vie, dans ce que je vois, ma binarité extrême : boys = bad, girls = bad because of the boys se vérifie à chaque fois. 

Mes boss les plus tordues se comportent exactement comme leurs patrons se sont comportés avec elles, parce que c'est valorisé, parce qu'il faut en passer par là, et après des décennies à faire semblant, elles deviennent qui elles imitaient. 

Ma psy m'a aussi accusé de repousser volontairement tous les hommes, mais à part les vieux vicelards dans les parcs, personne n'a tenté une approche, amicale ou autre, depuis deux ans. Depuis que je suis hors de leurs codes. 

Je connaissais ma partition par coeur avant, les robes, les talons, les push-ups, les épilations, la blague bien placée au bon moment, les remarques graveleuse avec un air innocent, ouvrir grand mes yeux bleus et serrer mes lèvres. Les mecs sont des filles faciles. Rien de plus simple que les pécho. Sauf que la société nous a aussi fait intégrer que là n'était pas notre place. Qu'on devait dire "non non non" pour ne pas paraître pour une marie-couche-toi-là. Une femme l'a même revendiqué, dans une soirée, en disant qu'elle aimait ce jeu et que ses "non" voulaient souvent dire oui. 

Oh j'imagine que ça peut être drôle, jusqu'au moment où on se rend compte qu'on est seule à jouer... 

Il y a celles qu'on appelle les "pick me", dont la devise pourrait être "moi j'ai que des potes mecs, les filles ça me saoule trop !", et j'en ai bon nombre dans mes proches. Je refuse de les juger. On nous a élevées pour devenir comme ça, pour être optimisée pour attirer l'oeil et plaire au mâle (même si pour ça, il faut lui dire "non non non" #cultureduviol). 

Moi même, je n'ai pas fini de me déconstruire - et on ne parle que de féminisme, de binarité et de culture occidentale blanche. 

Je ne me sens pas meilleure qu'elles. Je veux être là quand elles avaleront la pilule rouge. Je veux amortir leur chute. 







lundi 10 mai 2021

Players only love you when they're playing



Après trois ans de thérapie, mon trouble de la personnalité a un taux de stabilisation à 70%. Il semblerait que, pour une fois, je sois tombée du bon côté des statistiques. 
J'ai eu de bonnes pioches et des plus mauvaises question thérapeutes, mais j'ai enfin mis la main sur un psychiatre perle rare (eh oui, il reste un homme dans ma vie, mais j'ai toujours vu les soignants comme "neutres", ce qui faisait beaucoup marrer Jean-Michel blague mon ancien bad-psy-Freudien-mais-gratuit). 

On en a chié pour trouver une molécule que je supportais. Les effets secondaires m'ont complètement détraquée. J'ai passé l'été dernier à brûler de l'intérieur et tenter de ne pas m'évanouir, puis l'automne à insomnier et voir mes membres trembler sans raison. Enfin, mon système digestif est parti en roue-libre.

Et me voilà, depuis quelques semaines, à sursauter, à me retourner toutes les cinq secondes, à faire tomber des objets comme si j'avais les mains couvertes d'huile.

Bien sûr, dès que des trucs chelous apparaissent, je commence à stresser : est-ce que je rejette le nouveau traitement ? Est-ce que c'est un nouveau trauma qui resurgit maintenant que les autres se font plus sages ?

Non. Très clairement, mes deux psys, sans se concerter, se sont mis d'accord : je souffre de ne pas souffrir.

Ah.

Vu que j'ai arrêté l'hétérosexualité, le remède ne sera clairement pas de faire appel à un Christian Grey au rabais qui me fouettera jusqu'à me faire oublier mes symptômes. 
Non. Il faut attendre.

Parce que tout cela est une bonne nouvelle. Ca veut dire que je vais mieux. Tellement mieux que ma carcasse, habituée à ce que tout déraille à tout moment, se demande ce qui nous arrive. On n'a pas l'habitude que rien n'aille mal...

Aucun drame, aucune catastrophe. Rien à nous mettre sous la dent. Alors on guette, on se tient prêt.e.s.
Ca s'appelle l'hypervigilance. A peu près toutes les victimes de traumas connaissent ça. Mais souvent, c'est lié à une résurgence d'un élément leur rappelant le dit trauma. Pas l'absence de toute aiguille dans la botte de foin.

Qu'est-ce que ça me fait d'être en stabilisation ? 
Eh bien, ça me déprime. 
On ne change pas une équipe qui gagne. C'est mon mode par défaut et je n'allais pas, du jour au lendemain, me réjouir et voir la vie en rose.

J'ai une sorte de nostalgie fucked-up de la moi du passé, si passionnée, si pleine d'émotions tempétueuses qu'elle souffrait à chaque pas mais se sentait vivante.

Je ne vous cache pas, ami.e.s neurotypiques, que votre gamme de sentiments est un peu déceptive, par rapport à ce que j'ai pu connaître. Je flotte dans un univers beige, fade, sans conséquence. Rien n'est grave. Rien n'est exaltant. J'existe. Le temps passe. 

Bien sûr, les souvenirs ne sont que des réécritures de ce qu'on a vraiment vécu. La Johnson malade, sans le sou pour se faire aider, encouragée dans ses travers par des cismecs qui se sont bien servis de son trouble à leur avantage, était loin d'être un idéal. C'était même un danger pour elle-même. 

Alors oui, j'en suis à la point où je me dis "tout ça pour ça" ? Tous ces efforts pour une vie "meeeh", parce que je suis distordue par le "c'était mieux avant", alors que rationnellement je sais que c'est faux. 

Sur l'écran mastoc de mon PC d'adolescence, j'avais collé un post-it qui y est resté pendant une bonne décennie. Dessus, notée à la va-vite, une phrase tirée des paroles de la chanson Dakota de Stereophonics.

I don't know where we are going now.


...But i guess, we're still going on. 
And that's that.


samedi 8 mai 2021

I'm not phased, only here to sin



Mon grand-père voulait donner son corps à la science. Tout le monde disait que c'était une bonne chose, en hochant la tête en choeur. 
Perso, je comprenais pas vraiment les implications. J'ai dû poser des questions débiles. Du genre "mais... quand il sera mort, hein ?" parce que j'ai eu très tôt une peur de l'abandon proche de l'hystérie. 


Plus j'ai grandi, plus cette volonté me semblait dérangeante. Quand j'ai découvert ce que les étudiants de médecine faisaient subir aux cadavres, par exemple. Et puis, au final, mon grand-père a tellement été rapiécé de son vivant que personne n'aurait pu en tirer quoi que ce soit. Alors on l'a fait incinérer et on l'a mis dans la Seine, qui l'a bordé toute sa vie.

Des années après, Mémé l'a rejoint. 
Et moi, je vis toujours plus ou moins près de la Seine. Cela dit, je n'ai pas d'endroit où me recueillir, pas exactement. Pas fixement.



C'est à ça que je pensais en marchant dans le gigantesque cimetière de Thiais. Cimetière des pauvres, cour des miracles post-mortem, champ de verdure avec quelques cailloux dedans pour montrer qu'ici, il y a trente, quarante, cinquante ans, une tombe avait trôné, avant de s'enfoncer peu à peu dans la terre, au mieux, ou d'être arrachée de là car plus entretenue. Une seconde mort.





Le cimetière des pauvres a plusieurs particularités. Il est immense, on l'a déjà dit. Presque un quart de la ville de Thiais est consacré, non pas à ses habitants trépassés, mais à ceux dont Paris ne veut pas. Pas assez glamours (comme ceux du carré pénitencier), pas assez catholiques (comme près de la moitié des horizontaux de confession musulmane, ou bouddhistes et shintos en grosse représentation là-bas), pas assez jeunes, beaux et riches (comme ces vieux morts pendant la canicule de 2003 que personne n'a jamais réclamé), pas assez vivants (comme les minuscules habitants du carré prénatal), pas assez prévoyants pour leurs obsèques (comme ceux du carré des indigents, oops : "du jardin de la fraternité", pardon).





Bref, une bande grosse bande de crèvent-la-faim. Quasiment pas de célèbre, de rutilant, à moins de vouloir faire dans le glauque (car oui, nos plus récents terroristes sont là-bas, enfouis dans l'anonymat) ou dans l'incongru (le militaire qui a voulu buter De Gaulle, la première femme assassinée dans le métro ou encore Jean-Luc Delarue, dans une tombe ne portant que des initiales).




Au milieu de tout ça, le carré des gens qui ont donné leur corps à la science, un pré. Car poussière. Est-ce que j'aurais préféré devoir venir là, pour repenser à Pépé ? 
Sûrement pas. 
J'ai eu de la peine pour cette jeune femme qui laissait son bambin galoper dans les hautes herbes tandis qu'elle arrangeait un bouquet de fleur parmi les autres énormes compositions dans le petit endroit qui est réservé aux proches pour honorer leur mort.e. 

Car pour aller voir les pauvres, les anonymes, les disséqués, il faut se rendre tout au bout d'une ligne de métro, puis prendre un tramway qui passe toutes les 12 minutes et s'arrêter après "La Bretagne". Là, un décor d'ex URSS mélangé à une zone commerciale de province vous accueille. Il vous suffira de passer par le gigantesque portail digne des meilleurs camps de concentration pour tenter de remettre les yeux sur votre proche. 


Je n'ai jamais été aussi en rage après une balade de près de trois heures dans un cimetière, ce qui m'apaise généralement. 

La première mosquée de Paris n'est pas celle dans laquelle vous allez boire le thé, vous faire masser ou manger un couscous. Elle se trouvait dans le carré musulman du Père-Lachaise, un tout petit enclos capable de contenir un cinquantaine de tombe, inauguré par le corps d'une Reine, venue demander de l'aide pour son peuple et morte en chemin. 

De cette mosquée, ne restent que des cartes-postales. Au nom de la sacro-sainte Laïcité, les carrés confessionnels ont été dispersés, mélangés. Des croix, des étoiles, des mains, hop hop hop, on mixe le tout, il ne faudrait pas que les gens qui se ressemblent s'assemblent. En tout cas, pas ceux-là. 




Au final, on a repoussé nos colonisés hors de Paris. On leur a édifié des stèles insipides qu'on leur interdit de décorer à leur sauce (pour ne pas perturber l'harmonie du lieu). On fait trôner, comble de l'ironie, un énorme drapeau français au milieu des militaires ayant combattu en Algérie, enterré tout près des descendants de ceux qu'ils ont pillé puis assassiné.


On retrouve à Thiais tout ce que la France a produit d'affreux, a provoqué d'indigne. Pas étonnant, alors, que dans les quelques carrés "gratuits" prévus pour ceux qui n'ont pas les moyens de se faire enterrer, ou même incinérer, pour ceux qu'on retrouve sans identité, les oubliants, les errants, les ostracisés, toutes les dalles se ressemblent, et les plaques nominatives ne sont présentes que sur une moitié d'entre elles. D'ailleurs à quoi bon ? On les laisse généralement ici 5 ans avant de faire de la place pour d'autres. Oui, apparemment, on en manque. 


En fait, il suffit de faire quelques pas pour s'apercevoir que des champs entiers sont disponibles. Manque de volonté ? Certains disparus que les proches cherchent si fort qu'ils montent des associations ne seront jamais retrouvés car ici on brûle les os des anonymes avant de les entasser dans l'ossuaire. 

Dans ce cimetière, il y a tout ce que nous ne voulons pas voir. Mais, j'imagine qu'il faut bien les mettre quelque part...



jeudi 11 mars 2021

I swear to God I cannot take you anywhere

 



Mon thé à la menthe est trop chaud, alors je tue le temps en tentant de prendre en photo le pigeon le plus laid de tous ceux qui sont posés à côté.

Un des employés les vire en faisant des grands moulinets avec les bras, alors je me fais un peu plus petite dans mon alcôve.

On m'a intimée de me relaxer, mais sans me donner la recette, une fois de plus. Alors, vu que les parcs sont fermés pour cause de giboulées, j'ai posé mon cul ici, et j'attends que mon thé ait refroidi.

Je repense au regard glacé de l'anesthésiste qui m'a reçue, alors qu'il était si joyeux, voire guilleret, avant et après. "Vous êtes jeune quand même..."
Question de point de vue.
Je pense que mon âme a 888 ans. 

Je n'ai jamais aimé particulièrement cette vie, et je vois mes proches ramer très fort pour lui trouver des bons côtés, mais le fait de possiblement vivre mes derniers mois sur terre de la façon dont ce gouvernement l'aura décidé pour moi, ça me coupe un peu la chique.

J'ai tout bien fait. Le testament est mis à jour. La personne de confiance désignée. Il ne me reste qu'un test PCR obligatoire à faire, un régime drastique pendant deux jours et une torture à subir le temps d'une nuit pour pouvoir me présenter à la clinique et qu'on m'y prélève un bout de pancréas et un bout d'intestin.

Les résultats n'arriveront pas à temps pour que je les déballe en mode cadeaux d'anniversaire. Ca aurait été parfaitement sordide, c'est dommage.



lundi 15 février 2021

And now it chills me to the bone

J'aime relever les vérités qui reviennent comme des rengaines, les schémas, les déjàvus. 

Parmi ceux-là, il y a le fait d'être coupée au montage. Systématiquement, dès que je participe à une œuvre collaborative, c'est mon témoignage, mon intervention, qui finit sur le sol de la salle de montage.

Mon égo ayant été broyé par mon milieu professionnel depuis de longues années, je ne le vis pas mal. Je suis même ravie de pouvoir dire "j'y ai participé" sans avoir à subir les reproches éventuels sur une phrase maladroite, des mots mal choisis.

J'aime bien être là sans l'être totalement. 

La preuve : dans une pièce pleine de monde, c'est dans le coin situé dans l'angle mort du plus grand nombre que vous me trouverez. J'observe longtemps avant d'entrer en contact, comme un chat qui renifle avant de se laisser gratouiller.

Je suis difficile d'accès dans tous les sens du terme. Je le subis autant que je fais tout pour ça. Du coup, quand je me rends dispo, il vaut mieux être au rendez-vous. Comme la comète, dont le prochain passage pourrait être pour le siècle d'après.

Pourtant, quand c'est utile, je suis un livre ouvert. Ici, quand on me demande de parler "pour la science" (de mon identité, sexuelle, psychologique, professionnelle...), quand on me demande d'écouter.

Je suis une toute petite pierre dans beaucoup d'édifices.

Cette diversité, cette volonté d'être partout, tout le temps, m'a épuisée. J'ai eu beau avoir une dream team de soignants qui m'ont rattrapée par le collet, je n'ai pas stoppé ma course à temps, pas avant d'avoir été complètement carbonisée.

Cette période étrange où l'on ne contrôle plus rien permet un contrôle total. Presque aucun événement imprévu ne peut m'atteindre. Tout est comme sur du papier à musique. Je ne peux même pas provoquer de petits désastres juste pour voir ce que ça fait. 

Plus de GHB glissé dans mon verre, plus de menaces de morts, plus de crises d'angoisse consécutives à des trahisons, plus de complots contre moi.

Juste mes 24m², mon gros chat et, de temps en temps, des mails prouvant que j'avais une vie, avant. Me demandant de signer un droit à l'image par-ci, de valider des épreuves par-là, de confirmer comment on doit me genrer, si l'on doit m'anonymiser. 

Des preuves que j'existe ailleurs que dans ma tête, que dans mon univers proche. Que dans les trois lieux publics que je fréquente encore.

Preuve que je ne suis pas (tout à fait) coupée au montage de la vie.