mercredi 30 décembre 2020

Perfect health


 

Aaaaah, 2020.



Comment résumer une année qui fait consensus ? 


Je vous ai peu écrit, cette année. Il faut dire que j'ai été occupée. Mais un semblant de tradition aide à garder les murs debout, alors allons-y pour ce bilan, même s'il risque de ne pas être hilarant. 

En janvier, j'ai commencé en fanfare avec l'arrachage d'une dent de sagesse et tous les effets secondaires possibles. J'ai passé une semaine atroce entre douleur, bave et animorphisation en hamster d'1m60. 

En février, nous étions toujours dans le monde d'avant, et je dansais entre les lacrymos pas loin de la salle Pleyel. Le vieux monde flamboyait et nous rêvions tout de même d'y foutre le feu.

En mars, ça commençait à puer le pâté mais une de mes BFF et moi, on s'est enroulées dans notre déni et on a mis le cap sur London, On a enfin revu la merveille qu'est Hamilton, après avoir si longtemps waited for it

Puis j'ai traîné ma pote jusqu'à Bath, un de ces lieux tellement préservés dans son jus qu'on a une impression de Disneyland taille ville. Entre les scones, les balades le long de la rivière, les thermes, Stonehenge, le teatime, la bouffe indienne qui nous fait rouler jusqu'à notre hôtel au petit déj gargantuesque et aux voisins bruyants (mais très amoureux l'un de l'autre, visiblement). 

On a regardé un concours canin, j'ai fait des siestes. C'était bien. On devait parler de ma démission, on a plutôt fait des blagues sur les gens qui toussaient. 

Je suis rentrée quatre jours avant le confinement, égoïstement contente d'avoir fait un tel voyage alors qu'on s'apprêtait à vivre enfermés.

Mon anniversaire s'est passé sous les applaudissements à 20h, avec une tarte à la framboise et du champagne. On a regardé Emma, connectées en live, et c'était pas si pire. 

En avril, je faisais mes premières nudes, parce qu'il faut bien occuper un confinement désœuvré. Il n'était adressé à personne en particulier, de ce côté, rien n'a bougé, et rien ne bougera. 

En mai, la libération. La cocotte minute qui a tant enflé pendant confi1er a explosé et avec elle, j'ai endossé de nouvelles responsabilités dans mon groupe d'activistes. Je suis devenue gestionnaire de la formation des nouvelleaux et, dès lors qu'on a su que les drones du préfet Germain étaient robota non grata, j'ai formé des fournées et des fournées de jeunes féministes. C'est sans doute ce qui m'a le plus apporté dans la lutte, ce passage de relais. Cette transmission. 

En juin, la mémorable manif au palais de justice, en soutien à la famille Traoré et contre les violences policières. Un moment d'unité qui a fini en nassage gigantesque, duquel je suis sortie grâce à la solidarité d'un gardien de parc. De l'humanité, enfin, dans ce monde boueux. Je me souviens avoir stoppé ma course poursuite avec les forces de l'ordre un moment, le temps de regarder le soleil se coucher sur les fumées des voitures qui brûlent et les nuages de lacrymos. Quelques minutes de paix au centre du chaos.

En juillet, on pensait enfin se reposer mais ça a été le remaniement de la honte. Bien malgré moi, ma session de formation tranquillou organisée le lendemain de l'annonce s'est transformée en retapissage organisé de mon quartier. 30 personnes déployées. Des journalistes sur nos basques. Une fatigue mêlée de colère intarissable. 

Au milieu de cette fureur, une sœur me menace de mort, une autre me dit que ce n'est pas si grave. C'est la première violence militante qui me touche à ce point. 

Premier week-end d'août, ma peau de rousse et moi-même avons fui la canicule sur une plage de méditerranée. Protégées par une caverne dans les roches, alors que le soleil se couchait. J'ai sauté seule dans les vagues pour la première fois depuis 10 ans, peut-être.

...J'étais loin de m'imaginer que cet épisode marquerait le début de la descente aux enfers.

Mais un poulpe sauvage m'a serré la patte, donc ça valait la peine. 

En août, ça fait un mois que je suis à nouveau suivie par une psychologue et un psychiatre de luxe, j'ai senti le vent tourner, mon psychisme décrocher, d'abord en avril, puis après les multiples traumas de la fin du printemps. Tous deux me conseillent d'arrêter le militantisme. Comme d'habitude, ma réaction est un BIG NO. 

Si je les avais écoutés à ce moment-là, je ne serais sans doute pas en train de lutter contre un syndrome post-traumatique, encore maintenant. Mais si on écoutait ses psys, ils seraient vite au chômage.

En août, je tente d'oublier mes maux à Amboise, où la vie de château me va pas mal jusqu'à ce qu'un de mes petits chats préférés soit trop audacieux lors d'une chasse au pigeon. Je passe la dernière journée de mes trop courtes vacances à sangloter en robe de plage sur le quai d'une gare sans WC en attendant un train qui n'arrivera que 4h après.

En septembre, je forme un maximum de nouvelleaux aux collages, sachant que mes jours sont comptés, puis je claque la porte, lors d'une soirée mémorable, entourée de celles qui ont été mes béquilles puis mes gardes malades, inlassables, mes deux étoiles dans la nuit de la fin de mon aventure militante.

Et heureusement qu'elles sont là pour me rappeler les détails oubliés de ma choppe éhontée.

En octobre, la nuit est tombée sur la nuit. Se reconstruire, mais comment ? Comment remplacer ce vide dans ma vie qui avait rempli le vide de mon âme ? Et surtout, comme le faire alors qu'on patine dans la recherche d'un nouveau traitement, que toutes les possibilités d'évasion sont supprimées les unes après les autres et que les jours raccourcissent tandis que les journées ne sont que travail et les nuits, insomnies ?

En novembre, je n'ai toujours pas la réponse, et des soucis de fric s'ajoutent au reste. Pour une fois, la chance est de mon côté et je décroche plusieurs contrats alimentaires qui me permettent de renflouer les caisses et de m'occuper les mains et la tête. La dette de sommeil, elle, s'accumule. Les traitements ne fonctionnent pas. 


Et nous voilà en décembre. Mon appartement rutile de décorations. Le chat a été pourri gâté. J'ai déposé plainte contre mon voisin qui a passé le couvre-feu à organiser des concerts all-night-long dans son appart' juste au-dessus du mien (la seule question que les ACAB m'ont posée est "Est-il français ?"). 

A défaut de voir beaucoup de gens, j'ai reçu plein d'attention. On se démerde tous comme on peut dans cette situation, et on s'en sort pas trop mal, du moins au niveau personnel.

Je ne peux pas dire que j'ai beaucoup d'espoir, je n'en ai jamais eu. J'ai l'impression de voir de plus en plus de gens débarquer dans mon univers de gloom, de bagarre pour retrouver un semblant de santé mentale. J'ai l'impression d'être la boss du game, avec mes 15 ans d'entraînement. 

Prenez soin de vous, tentez d'avoir de l'empathie, avec les dernières forces qu'il vous reste et n'oubliez pas que Men are trash et que 1312 FOR EVER. 


All best,

Johnson



 







mercredi 7 octobre 2020

I will leave my heart at the door

 


On sautait dans un rythme désarticulé sur Girls&Boys de Blur. Les éclairages cheaps faisaient penser à des guirlandes clignotantes pouvant s'enflammer d'un instant à l'autre. 

Entre deux chansons, on s'enfilait des shots de vodka barbapapa en feignant de pas voir l'énième "bébé rocker" accoudé au bar. 

Si c'est dans cet endroit que j'ai rencontré un de mes violeurs, et quelques harceleurs, et encore d'autres gros connards, c'est aussi là que je me suis empouvoirée. 

Là où j'ai réalisé que ce qui m'empêchait de pécho cette personne magnifique qui se tenait là, c'était juste des conventions sociales de merde que je rejetais dans tous les autres aspects de ma vie. 

Alors pourquoi les respecter là, d'un coup ? Parce que ça me permettait de pas avoir à affronter un refus, un échec, un rejet. Certes. Mais après 3 vodkas, tout cela est bien relatif. 

Depuis que j'ai ouvert mon champ des possibles de la chope, je me suis remise en question sur cette drague prédatrice, que je ne trouvais ok que quand je l'utilisais sur des mecs "jetables" (et qui ne voulaient être rien d'autre). 

Je me suis dit que quitte à choper des filles, autant le faire de façon moins hétéronormée. Oui mais voilà, quand je suis sortie dans des bars lesbiens, je me suis aperçue que c'est exactement ma méthode qui fonctionnait, pour les autres.

Donc j'ai pris note, je me suis laissé le temps de réfléchir. Le Covid m'a aidé à être bien sage. Les discussions avec des potes habituées à draguer des meufs n'ont fait que me conforter dans mes anciennes, et vilaines, habitudes. Selon elles, choper une fille, c'est une longue guerre de position, un attentisme bilatéral, beaucoup d'investissement pour souvent ne jamais rien conclure.

Alors quand je me suis retrouvée face à une fille qui me plaisait, qui venait de me dire les choses que je voulais entendre depuis des lustres, que j'en étais à 6 vodkas, j'ai sauté le pas. 

J'ai fait mon mec hétéro, en gros. (Ce qu'on attend d'un mec hétéro dans les conventions sociales de la drague hétéronormée, si je me dois d'être précise.)

Pourtant, dans ma tête, il s'est passé tout autre chose. Avec les mecs, 3 fois sur 4, le baiser ne déclenchait rien, signal pour moi que rien d'autre ne devait se passer - ou qu'en tout cas, ce serait peu agréable. 

Là, j'ignore s'il s'agissait des 3 semaines sans sommeil, sans manger, ou des verres accumulés, mais la place de la Nation s'est mise à tournoyée comme si un drone filmait la scène. J'ai vécu ce baiser plus intensément que les dix, les cent derniers.

Aucun sentiment, j'étais avec une quasi inconnue, mais dans mon souvenir il y a ce moment où j'ose, puis le moment pour on se met à tourner (ce qui n'est physiquement pas possible).

Bien sûr, j'ai mal fini la nuit, car je n'ai plus 20 ans. Mais au lieu de me réveiller dans l'angoisse de ne pas savoir ce qui a pu m'arriver (suis-je enceinte ? ai-je choppé des mst ? est-il parti avec mon chat sous le bras ?), j'ai ouvert les yeux, très vaseuse, sur mes affaires très bien rangées, mes cheveux attachés avec un élastique emprunté (bon, volé, maintenant, j'imagine), bien enroulée dans un drap, en sécurité chez une nouvelle amie qui m'a raconté calmement les épisodes qui me manquaient.

C'est tellement à des années lumières de l'hétérosexualité que j'ai connue que j'ai l'impression d'avoir été choisi le dark path pendant des années comme une imbécile.

C'est bien plus compliqué que cela. Mais choisir d'arrêter l'hétérosexualité correspond en grand partie chez moi à choisir d'arrêter de me faire du mal.

C'est un pas, et pas des moindre, sur le chemin qui m'éloigne de l'auto-destruction. 

 

jeudi 10 septembre 2020

Low Lays The Devil

 

Les nouveaux antidépresseurs me brûlent de l'intérieur.

Je trompe mon corps en les glissant dans la gélule d'un autre médicament, censé tromper un autre effet secondaire.

On m'a passée en affection longue durée. Je trouve cette formulation hilarante quand on sait que mon trouble de la personnalité vient de là, d'un gros manque d'affection dans la prime enfance. 

Je ne compte plus les fois où, cet été, j'ai parcouru en panique mon répertoire pour supplier quelqu'un de m'appeler et faire passer les idées noires.

A côté de ça, mes deux psys, hyper compétents, trouvent que je vais bien. Que j'en fais beaucoup trop, mais que je vais bien.

Pour en faire trop, ça, on ne m'arrête plus.

Chaque minute de ma journée est rentabilisée. En faisant mon café, je peins quelques lettres en noir sur blanc. En buvant mon café je réponds aux demandes de formation pour devenir colleuxse. Tout en travaillant, je répartis et met en relation les marraines et les volontaires. On est trois à gérer ça, mais la demande enfle, tous les jours un peu plus. Et quand l'actu fait état d'un nouveau scandale, c'est carrément l'avalanche.

J'ai même perdu un peu d'anonymat. On m'a vue avec un seau, dans le bus et on m'a interpellée "Hey, mais t'es une colleuxse !" 

Ca a pris le pas sur ma véritable identité, qui est anecdotique. Je m'efface derrière ce qu'on me demande, derrière ce que je peux faire pour être un peu moins inutile.

J'ai perdu un de mes trois jobs parce trois CDD de six mois où on se donne à fond ne semblent plus suffire à obtenir un CDI de nos jours. Je suis au chômage technique pour un autre, parce que la production a été ralentie et qu'il n'y a plus de missions pour moi et qu'on me répond "pourquoi tu ne t'embauches pas toi-même, grâce à 3e job ?" auquel je réponds avec un soupir muselé par le masque : "parce que personne ne me laisse avoir une vie facile."

C'est un peu la gueule que j'ai dû faire en ouvrant en panique ma porte ce matin, pour découvrir non pas un colis, mais mes deux agents immobiliers, qui voulaient savoir qui avait mis une machine à laver dans la cour. 

Mes yeux encore collés se sont entrouverts et j'ai grogné quelque chose comme "pas moi"

"On vous réveille peut-être ?" "Non, je m'apprêtais à partir labourer mon champ en shorty et nuisette, avec les cheveux dans tous les sens et une haleine de poney" "on repassera" "ou pas."

On aurait pu penser qu'acheter un appart soulageait des proprios intrusifs et des gestionnaires un peu trop tatillons et fouille-merde.

Je pense qu'ils aiment pas trop que je réunisse deux à trois fois par semaine des groupes de colleuxses en herbe dans ma cour (à côté de la machine à laver, donc) pour leur faire un brief légal (On ne court pas si la police arrive !)(On ne déclare rien, jamais, à part son identité)(On ne paie jamais une amende, on la conteste !), leur présenter les outils et les emmener en vadrouille, recouvrir un quartier qui l'est déjà pas mal. 

Les oeuvres de street art qui naissent à droite à gauche sont les seuls moments où je m'évade vraiment quand je vais d'un point à un autre.

La fatigue mentale a rarement été aussi écrasante que ces derniers jours où chaque mot, chaque post, chaque like est scruté et utilisé contre soi par des personnes censées être alliées. En donnant autant, je reçois beaucoup, mais pas que dans le bon sens du terme.

On m'a à peu près insulté de tout. On s'est même faussement rapproché de moi jusqu'à ce que je m'ouvre et parle de ma santé mentale, de mes peurs, de mes craintes, pour s'en servir contre moi ensuite.

On a essuyé une attaque de troll (saviez-vous que des gens font encore des canulars téléphoniques en 2020 ?), dû se réorganiser en trois nuits, deux jours.

Depuis, mon ordinateur sonne une variante de cinq "ding" différents, à moi de trouver dans quelle case on me sollicite puis d'y répondre, patiemment. 

Je suis trop épuisée et brûlée de l'intérieur par les médicaments pour manger. Mes antidép coupent la faim, du coup j'oublie. Le temps passe et vers 15h, quand je me lève, je tombe. L'hypoglycémie me rappelle que je n'ai avalé que deux tasses de café noir.

Je pense à Patti Smith. J'aimerais être Patti Smith. Patti Smith maintenant. Allant d'hôtel en hôtel, écrivant, buvant du café et racontant des belles choses sur les chouettes gens que j'ai rencontré.

La musique live me manque. C'est presque charnel. 

Seul l'alcool me détend vraiment, mais j'ai grandement levé le pied depuis qu'un fils de Pétain m'a refilé pour la 2e fois de ma vie du GhB à mon insu. 

J'ai aussi été menacée de mort par une personne en contrôle judiciaire, puis j'ai perdu une amie qui m'a dit que je réagissais trop à cette menace, et enfin, un mois après, on m'a reproché de ne pas avoir assez réagi à cette menace.

Sachez que si un jour quelqu'un vous dit "peut-être que quand tu auras mon couteau planté dans le ventre, tu m'écouteras" on attend de vous une réaction ni trop forte, ni pas assez, et que si vous n'êtes pas dans les clous, ce sera la triple peine pour votre gueule.

De temps en temps, une tête douce se glisse sous ma main et me rappelle que c'est l'heure du câlin. C'est à peu près toutes les deux heures. Comme un appel à la prière en plus ronronnant. 

Mais Ni Dieu, Ni mec. Ni meuf, cela dit. 

Des amies, oui. Les mêmes qu'avant, ni plus, ni moins. 

Des ennemi.e.s, encore et toujours, mais pour de bonnes raisons, alors tant pis. 

lundi 29 juin 2020

I never find out till I'm head over heels



Elle était tellement plus grande que moi que jamais, au cours de notre soirée, je ne me suis posé la question de son âge.
Mon cerveau est resté bloqué aux premières années de ma vie où plus la personne était grande, plus elle était âgée (Jeanne Calment a fini sa vie à 5 mètres 92 dans ma logique). 
C'est l'hiver, je suis encore toute enfarinée, mon corps ne s'est pas réveillé.

Le groupe se sépare et naturellement, je la raccompagne dans la direction de son bus. Je ne me pose même pas la question. Quand on arrive à son arrêt, elle rougit puis me remercie longuement de ne pas l'avoir laissée attendre seule.
Je suis un peu abasourdie puis je sens que des petites décharges électriques remontent de ma colonne. 

Les filles ne m'ayant pas intéressée pendant 30 ans, le lesbianisme politique a longtemps été politique avant de devenir concret.
Je reprenais une vie amoureuse de zéro, sans les mauvaises habitudes patriarcales, si possible, et je n'avais pas encore considéré le jour où j'aurai vraiment de l'attirance pour une femme.

Mais voilà, elle était grande, blonde, drôle, intelligente, polyglotte, anglaise, et je me suis retrouvée comme un petit moustique dans son aura. Déjà bien éblouie par mes propres sensations nouvelles. 

On discute des semaines à venir, de quand on refera du militantisme ensemble, et elle me prévient qu'elle ne sera pas dispo pendant quelques jours parce que "sa meuf est Paris". 

Je me suis sûrement mise à sourire comme une teubé. La déception qu'elle soit déjà prise aurait pu arriver aussi vite, mais 1) c'est pas parce que j'ai arrêté les mecs que j'ai une subite envie de me mettre en couple et 2) j'avais eu ma première crush IRL sur une meuf compatible sexuellement et that's a bingo. 

Mon, la douche froide est arrivée peu après quand j'ai appris qu'elle avait 19 ans et qu'elle était donc plus jeune que deux de mes neveux à qui j'ai changé les couches. 

Depuis, je ne rencontre que des vingtenaires, et c'est avec elles que je m'entends clairement le mieux. Certaines ont beau me dire que la différence ne se voyant pas (elles pensent toutes que j'ai leur âge avant que je le précise ou qu'une obscure référence des années 90 ne me trahisse), c'est pas problématique, je reste super gênée par ce gouffre d'une dizaine d'années entre nous. Surtout à cette période de nos vies, elles sont toujours étudiantes, ou en tout cas vivent tout comme, et je suis dans la vie active depuis 10 ans. Flirter avec ces meufs reviendrait, pour moi, à être ce dude creepy à la sortie des écoles. 

Bizarrement, ça me gênait moins avec les mecs. Mais je passais rarement plus de 24h avec eux. Mais même au fond de mon alcoolémie de retour de boîte, je m'assurais qu'ils étaient toujours et tous majeurs. C'est vous dire où ça se place sur l'échelle de mes valeurs.

Je ne l'ai jamais revue. Le confinement. Pas sûr qu'elle soit restée en France ou qu'elle ait pu y revenir. La vie. De toute façon : sa meuf. Bref, c'était une jolie première expérience sensorielle. J'ai 12 ans à nouveau.

Depuis, il y a eu deux ou trois crushs, très très sages. Je suis la woman alpha, celle qui drague, c'était le cas avec les mecs, c'est bien parti pour l'être avec les filles. 
Des problèmes s'enfilent à l'horizon, dus à mon anxiété naturelle : et si elles veulent plus ? et si je fais du mal à une femme alors que je me bats contre ça tous les jours ? et si elles s'aperçoivent que mon corps, lui, n'a plus 20 ans ? 

Le chat n'absorbe pas toujours mes élans de manque de tendresse. Côté orgasmes, je suis en auto-suffisance parfaite, mais la nature humaine me fait parfois chercher du lien là où cela n'est pas encore possible. Ce qui est formidable, c'est que j'en ai conscience. 

Et quand je me projette, nouer un contact humain, avec tout ce que cela peut entraîner, me fait bien plus peur que rester dans ma zone de confort et attendre de voir. 

Mes amies d'avant, elles, en sont encore à me poser des questions sur celui avec qui il ne s'est rien passé, qui, s'il ne partira jamais vraiment, s'il est à l'origine de tout ce chambardement de vie, s'il est peut-être mort à l'heure qu'il est pour ce que j'en sais, ne fait plus partie de mes préoccupations. 

Je tiens à avancer lentement, et respecter mon rythme. Peut-être que je resterai seule toute ma vie, j'ai survécu 30 ans ainsi, après tout. Cela m'effraie bien moins que retomber amoureuse un jour, si je suis honnête. 


lundi 8 juin 2020

Who's gonna save them from you?




Depuis ma dernière note, je suis entrée chez les voisins. Même si j'aurais préféré que ça n'arrive pas.

Je me donne corps et âmes à deux causes : gagner de l'argent (afin de rester indépendante le plus longtemps possible) et le militantimsm. 
Souvent, quand je forme des nouvelles colleuses, elles me demandent "mais comment tu as le temps de faire tout ça ?" généralement je réponds que je ne dors pas, mais c'est faux, si je ne dormais pas, je retomberais en dépression et tout déraillerait. Quand je suis un peu plus franche je dis "J'ai pas de vie." et c'est déjà plus vrai. 

Quand je ne forme pas, ne colle pas moi-même, je peins les slogans à tours de bras, dans mon temps libre. Ce samedi là, j'avais invité deux trois colleuses à venir profiter de ma cour pour une session peinture. Tout était calme, le soleil brillait et à part des bourrasques facétieuses, j'avais tout pour apaiser enfin cette tension qui ne me lâche jamais. 

Les copines sont parties, j'en attendais une autre. J'en profite pour manger. C'est là que j'entends un râle. Je pense à un chat en chaleur et puis j'entends des mots. Je comprends vite.

La vieille-voisine appelle sa fille à l'aide. Je me souviens rapidement qu'elle l'a prévenue qu'elle sortait et ne rentrait pas de la soirée. Je me dis qu'il y a un espoir que ça passe tout seul, même si je n'y crois pas, alors je finis mon repas, et ma pote arrive.

Là, alors qu'on aurait dû peindre et boire un coup, ma conscience reprend le dessus, et je lui explique la situation. 

J'appelle le SAMU afin d'avoir quelqu'un au téléphone qui puisse prouver que je ne suis pas entrée par effraction. Quelque part, j'espère que la porte sera fermée. Que mon rôle s'arrête là. 

Mais non.

Quand j'entendre, une odeur âcre m'emplit les poumons, et je mets quelques secondes à situer la vieille.
Elle est étendue de tout son long sous la table de la salle à manger, son pyjama ne couvre pas tout son ventre et elle geint à l'aveugle.

Je décris la situation à la dame du SAMU qui a l'air de pas du tout maîtriser la situation. Je tente de relever la voisine, mais c'est un poids mort de plus de 80 kilos, à vue de nez. Impossible. Elle n'est d'aucune aide et n'entend rien. Son appareil auditif semble capter des ondes radios. 

Je finis par persuader la dame du SAMU de m'envoyer les pompiers. Elle semble fébrile, prend mon adresse 5 fois. Je raccroche et appelle la fille de ma voisine. Celle-ci décroche et je l'entends dire à quelqu'un d'autre "ça c'est encore maman...". Elle est hyper calme, voire même non concernée. Elle m'a dit que j'ai bien fait, et de juste préciser que sa mère est diabétique.

Ma pote est venue m'aider à mettre la vieille sur une chaise mais elle ne tient pas et manque s'écrouler face la première sur le carrelage. On décide de la coucher puis de la mettre en PLS. Le pyjama est couvert de vomi et elle s'est pissé dessus. 

Je dis à ma pote d'aller attendre les pompiers devant. Ils passent sans s'arrêter. L'opératrice s'était gourrée dans l'adresse, ils vont mettre 30 longues minutes à venir.

Trente minutes pendant lesquelles, tentant de ne pas avoir la nausée, je bloquais la vieille en PLS de mon genou, appliquant tout mon poids pour éviter qu'elle soit sur le dos et qu'elle nous fasse une Jimi Hendrix. 

En trente minutes, elle a le temps de s'endormir - je la réveille - de chanter, d'avoir des hauts le cœur me faisant prier je ne sais quel dieu pour que le cauchemar ne s'empire pas, et de m'engueuler, parce qu'elle veut aller se coucher et qu'après tout, elle n'a bu que trois bières. 

Quand les pompiers arrivent, ils lui mettent un masque et je suis prise d'une crise de culpabilité : je me suis pas protégée en entrant. Puis je me dis qu'à force d'aller acheter 2 à 3 fois par jour des bières, elle a depuis longtemps dû être en contact avec le virus. 

Je me retrouve à fouiller les affaires d'inconnus pour retrouver ses papiers d'identité, ses ordonnances (couvertes de vomi séché), en entendant, hébétée, qu'ils vont emmener la vieille à l'hosto. 

Je préviens sa fille qui ne peut pas plus s'en ficher et parvient même à râler parce que l’hôpital n'est pas le plus proche. 

Alors qu'on raccroche, l'éthylotest parle : 2 grammes 6, soit plutôt 15 bières que 3. Les secours trouvent des traces de contusions plus ou moins vieilles prouvant que ce genre de mésaventures lui arrivent régulièrement. Puis ils l'embarquent, et c'est fini. Je me lave fort pour chasser l'odeur. Je bois un coup, on peint un peu, mais le coeur n'y est plus. 

Dans la nuit, j'entends du raffut dans l'immeuble, des voix masculines parlent très fort. La vieille a signé une décharge, elle est de retour avant même sa famille. Je me demande si je devrais sortir puis me dis que j'en ai assez fait. 

Je tente de dormir, la peur au ventre qu'on me laisse finir comme ça. 
Avec la peur de devenir cette baleine échouée sous ma propre table de salle à manger. 
Est-ce que l'alcool repousserait assez le chat pour l'empêcher de me manger le visage ?




mardi 26 mai 2020

Above this little town



J'imagine que je suis la voisine un peu sauvage, celle qui parle le moins possible aux autres et qui cache difficilement son agacement quand on vient sonner chez elle. 

Le changement est radical : j'ai habité pendant 6 ans dans un immeuble où personne ne parlait à personne, et où tout le monde m'ignorait cordialement quand je changeais de colocs comme de chemise, y compris quand j'ai dû avoir recours à Airbnb (never again). 

Désormais, j'occupe une ancienne loge de concierge, et si c'est la grotte parfaite pour échapper à la canicule et avoir assez d'espace pour n'être qu'en coloc avec mon chat tout en ne me saignant pas aux quatre veines, le prix à payer c'est de connaître par coeur la vie de mes voisins. 

Et vice-versa, j'imagine, mais comme je n'ai pas de vie, tant pis pour eux.

Il y a d'abord ceux qu'on m'a présenté comme la famille difficile, qui ne répond jamais quand on sonne chez eux (je les comprends) qui s'opposent à toutes les régulations de la copro qui s'est agrandie de 2 à 5 (ouais, ça doit pas être simple) et qui semblaient à mon agent immo "un peu sauvages" (bah moi ça me va), d'autant que j'ai un chat, ils ont un chat, on part sur un partage de la cour sans trop de soucis. 

J'ai mis longtemps à comprendre combien ils étaient et comment ils fonctionnaient. Ils s'entassent à 3 générations dans une minuscule maisonnette biscornue prise en pince par les immeubles avoisinants. 
Il leur manque des dents, mais pas de l'intelligence. Quand on discute, ils comprennent vite et bien, et si ce n'était le reste de leur famille qui leur rend visite en gueulant comme si l'immeuble leur appartenait, ce serait presque un sans faute.

Mais parfois, mon chat se hérisse, l'air se glace, on entend une jambe traîner sur le ciment de la cour. C'est l'heure où la grand-mère va chercher ses bières à l'épicerie du coin. Souvent en pyjama. 

Elle fait aussi peur qu'une sorcière zombie, et mon chat la craint et la hait au plus haut point. Il y a quelque chose de déjà mort en elle. Elle n'entend plus et boit pour oublier qu'elle est triste - elle a perdu un mari et un fils. 

Sa fille, celle qui la soutien, n'est pas sa progéniture favorite, et pourtant c'est elle qui la ramasse à 4h du matin et qui nettoie vomi et pisse. Celle qui la force à se nourrir et qui se force, elle, à sourire quand ils jouent tous ensemble aux dominos. 

Le mari de la fille semble avoir de gros problèmes de santé mais n'a pas hésité à grimper à l'échelle quand mon gros chat s'est paumée quelque part de l'autre côté d'un mur. 

Leur fille est la propriétaire du chat. Brillante, qui s'exprime bien mieux que ses parents, un peu trop sensible et qui pose trop de questions. Parfois, le cousin, encore plus jeune, habite aussi chez eux. Dans cette cave où est confinée tous ceux qui ne sont pas "la vieille". Je retrouve ses jouets dans ma partie de cour et si je ne lui lançais pas des regards not amused je le retrouverais sans doute chez moi à patauger dans la gamelle du chat.

Mia, le chat noir, a 2 ans, elle n'est pas châtrée et chante donc toutes les trois semaines en espérant qu'un mâle vienne la soulager. 

C'est là qu'intervient l'autre personne occupant le rez-de-chaussée, celui qui occupe l'autre appartement de l'immeuble. Un jeune homme hyper avenant qui travaille dans la mode, gay comme un arc-en-ciel qu'il a d'ailleurs pour paillasson, dont les effluves de parfum s'infiltrent agréablement chez moi dès qu'il sort de la douche. Gentil, joli, poli et propre donc. Le voisin parfait. 

Jusqu'au confinement.

Ca a été le révélateur absolu. De l'alcoolisme de la voisine du fond de cour, d'ô combien sa fille était dépassée et du fait que jeune voisin propre sur lui n'était qu'une façade. 

Je suis allée de découverte en découverte. Les gens s'accumulaient devant sa porte, pendant des dizaines de minutes parfois et sonnaient sonnaient sonnaient.
Ils voulaient être payé. Lui clamait au téléphone, sur haut-parleur, qu'il n'avait plus rien. Puis, il demandait crédit à un autre dealeur, et ramenait tout Paris ramassé dans la rue, puisque plus de boîtes, dans son appartement. Le lendemain, de nouveaux dealeurs retrouvaient les anciens pour venir lui demander des comptes, alors il en réglait certains en nature.

Pendant ce temps, la mamie alcoolo arpentait le même couloir pour aller acheter sa bière, et se prenait les effluves de covid de tout notre arrondissement ramenés par nos amis les petits commerçants du porte à porte.

Et puis, alors que nous parlions félins, la famille bidochon m'a révélé que happy-shiny voisin, quand il a emménagé, a immédiatement placé de la mort aux rats dans notre cour, quand ils lui ont signalé que c'était dangereux pour leur chat - et que les rats venaient de l'autre côté de son appart, là où trônent les poubelles d'un resto, il a répondu qu'il était "allergique aux chats".

C'est à ce moment-là que je me suis mise à le détester cordialement. 

La voisine avocate qui a racheté tout le deuxième, a abattu les murs et s'est fait un loft, s'est barrée en confinement loin, loin, et n'est jamais revenue. L'artiste pianiste cinglé (de son propre aveu) habitant juste au-dessus de moi, est parti lui aussi, mais il est revenu, il est toujours aussi mauvais pianiste et toujours aussi fou. Il a des cheveux en moins, je crois. 

Je repense souvent à ma tante américaine qui, dans sa cuisine de 40m² avec vue sur la baie, dans sa banlieue huppée de San Diego, me disait que je vivais dans une bulle, sans mixité sociale. Que j'étais déconnectée des réalités. (Et qui, en même temps, suggérait à mes parents de m'acheter un appartement à Paris pour s'épargner les loyers). 

Je m'offusque beaucoup quand le reste de cette famille qui n'est la mienne que part défaut, casse du sucre sur "les parisiens" - 12 millions de personnes dans le même panier, quand même. Ne faisant pas la différence entre les gens du 92 qui se sont accaparés Deauville et mes anciens voisins "United colours of the XXème" qu'ils ont pourtant déjà croisé quand j'y vivais. 

L'autre jour, j'ai entendu un clodo se fâcher très fort après un bobo à vélo et lui courir après en continuant de l'attaquer verbalement. Il disait "Tu parles pas de Paris comme ça ! Si c'est trop cher pour toi tu te casses ! Tu parles pas de Paris comme ça devant moi !" 
J'ai trouvé ça émouvant, d'avoir ce lien avec cet homme qui, en étant clodo dans les rues de la capitale, vivait déjà au-dessus de ses moyens. Ce point commun, de vouloir défendre cette ville si différente d'une rue à l'autre, pleine de cons, pas plus qu'ailleurs, mais concentrés par la force d'une densité qui est dans les plus grandes d'Europe. 

Je crois que je connais mieux la mixité sociale en prenant le bus ici, que les gens de ma "famille" dans leurs banlieues bourgeoises pavillonnaires où on se juge de loin sans savoir vraiment ce qu'il en est chez l'autre. Tout le monde est blanc. Quand quelques fils et filles d'immigrés se rapprochent, on est condescendant avec eux "c'est forcément grâce à l'argent de la drogue." Ca se masse dans des petites villes de province où le score du RN ne cesse de monter quand je vis dans un arrondissement de gauche, avec une maire que mes provinciaux de "proches" ne cessent de dénigrer, parce qu'ils ont entendu d'autres le faire. Paris ne les intéresse que lorsqu'ils ont l'opportunité de critiquer l'action publique d'une femme, on dirait. 

Ils continuent de me faire taire, en parlant plus fort, ou en me tournant en ridicule, en se servant toujours des arguments qui datent de la "crise d'ado", pour se rassurer d'être dans le vrai, quand en fait, ils jugent beaucoup et ne savent presque rien. 

vendredi 8 mai 2020

The land where you were born



Quand ma super psy a voulu voir où en était mon "enfant intérieur", elle m'a dit de fermer les yeux et d'imaginer ce que Lil' Johnson avait à dire à la moi du moment. 

Long story short, elle n'a pas dit grand chose plus qu'elle a hurlé, je crois, et a fait pleurer la moi du présent presque instantanément. 

Super psy a sorti un "woah" et s'est dit qu'il fallait peut-être commencer par autre chose. Alors on a travaillé sur deux problématiques à résoudre : comment digérer "Nothing Arrived" (spoiler: j'ai carrément abandonné les hommes) et comment me remettre à écrire. Pour cette dernière problématique, je crois que ma thérapeute elle-même ne pigeait pas les tenants et aboutissants du besoin d'écrire. Elle m'a demandé de rédiger des lettres sur différents sujets. Ce que j'ai fait, parce que c'est mon job, d'aligner les mots à la demande. Et ça, ça n'est jamais tombé en panne. 
Non, ce qui est parti loin, quand j'ai commencé à bosser, il y a dix ans, c'est ma capacité à passer des heures devant un traitement de texte et à écrire pour moi. 

C'était ma première forme de thérapie, et j'ai accumulé les - terribles - écrits de jeunesse, tant je n'avais rien d'autre dans ma vie. C'est là que j'ai compris que les deux concepts étaient liés, en moi ; mon enfant intérieur écrivait. Et l'adulte que je suis devenue en a fait son gagne-pain, dans un milieu qui a broyé l'enfant intérieur et a donc transformé la passion de l'écriture en torture. 

Comment revenir en arrière et retrouver cela alors que je ne peux pas vraiment changer de carrière ? (Entre autre parce que je suis vraiment bonne à ce que je fais et que je ne sais rien faire d'autre)

Je suis, malgré tout, très en lien avec la gamine que j'étais. Déjà, parce qu'elle était beaucoup plus raisonnable, intransigeante, déterminée et incorruptible que je le suis actuellement. Quelque part, j'admire cette petite fille qui a dit fuck à tout le monde et décidé d'arrêter de manger des animaux dès qu'elle a compris ce qu'il y avait dans son assiette. 

Qui a dit "fuck" à la sieste quand les petits garçons autour d'elle en profitaient pour lui montrer leur zizi (s'il y avait eu des ciseaux pour gauchère dans cette école maternelle, mon destin aurait été tout autre).

Qui, quand son géniteur a insulté son grand-père, s'est levée et l'a engueulé, s'est promis de ne plus jamais faire semblant de l'aimer. Quand on lui a demandé un dessin pour la fête des pères, elle a collé une super marguerite séchée sur une feuille et a inventé un poème et fait un dessin vraiment badass en imitant ses camarades, mais quand elle est rentrée chez elle, elle l'a rangé au fond d'un cagibi. Sa mère ne l'a retrouvé que des mois après, se demandant bien pourquoi elle ne l'avait pas offert.

Tout ce qui forgeait ma personnalité, pendant l'enfance, a continué à s'exprimer à l'adolescence. Sauf que je n'étais plus une mignonne petite fille et qu'on m'a collé l'étiquette "crise d'ado", dans laquelle on a fourré tout mon ressenti sans le traiter.

Ça a été super simple pour toute la "famille" de s'accorder sur le fait que j'étais une ingrate colérique, d'autant que j'étais physiquement vilaine, et que plus personne n'avait envie d'avoir quoi que ce soit à faire avec moi. 
Or, je n'étais que moi-même. Je n'ai pas dépassé les limites, jamais. J'ai juste réagi à une absence totale d'amour dans le foyer (entre mes parents, de mes parents pour eux-mêmes et envers moi), absence qui n'était pas dans ma tête puisqu'on me répétait entre deux gifles ou humiliations qu'on n'aurait jamais dû me faire, et qu'à chaque tentative de me rapprocher d'eux, de comprendre d'où tout cela venait - car c'est un trait de ma personnalité aussi, la quête de connaissance et de vérité - on me renvoyait dans ma chambre, à une solitude quasi totale, parfois éclairée par un chat, ou un séjour chez mes grands-parents. 

J'ai un souvenir assez vif d'un repas de famille où j'ai reçu deux ordres à la fois, et n'ai donc pas pu les exécuter tous les deux. Quand j'en ai choisi, la mort dans l'âme, un sur les deux, ma mère voyant que je n'avais pas exécuté son ordre (mettre les petites cuillères à table) a commencé à me poursuivre pour me frapper. Grâce à ma petite taille, j'ai réussi à me faufiler sous la table, et j'étais très fière de lui avoir échappé, quand, sorti de nulle part, un personnage relativement neutre de ma famille, une "pièce rapportée", s'est interposé et m'a bloqué la route pour que je reçoive le châtiment. Devant tout le monde.

Je crois que ça a marqué le début de ma non confiance généralisée. Les adultes avaient passé un pacte contre moi. Je ne pouvais pas gagner. 

La solitude n'a fait que s'agrandir quand mes camarades sont devenus, eux aussi, des adultes. Le gouffre était béant à l'entrée au collège, où, à 10 ans, j'étais encore une petite fille, quand les autres ne pensaient qu'aux fringues de marque. Quand les jeux dans la cour, ma façon d'échapper au réel, sont partis en fumée et que, sans le choisir, j'ai perdu un à un tous mes repères, ce qui m'aidait à tenir lorsque je "rentrais" "chez moi". 

La bibliothèque était un refuge, et bientôt, j'ai même eu le droit de m'y rendre seule. C'était un morceau brut de liberté qui était plus précieux que tout. Là-bas, rien ne pouvait m'arriver. C'était le domaine des livres et on n'avait pas le droit de socialiser. Les gens qui me martyrisaient au collège ne fréquentaient pas ce genre de lieux et les adultes me laissaient plus ou moins tranquille.

C'est là-bas que j'ai touché mes premiers ordinateurs. Donc quand une machine est arrivée à la maison, j'étais prête, et j'ai commencé à écrire. C'est ce qui m'a portée à travers tout, jusqu'à l'âge où je n'ai pu repousser le passage à l'âge adulte, où j'ai dû gagner ma vie, où toute mon énergie est partie dans ces choses qu'on exigeait de moi, dans les masques sociaux et dans les trajets insupportables après des nuits sans sommeil. 

J'ai tenu huit ans, loin de la petite fille que j'étais - la meilleure version de moi - avant de comprendre que je ne serai jamais autre chose, ou du moins, qu'autre chose serait toujours moins bien...

Je deviens donc de plus en plus cette enfulte (copyright les Robins des Bois) qui rendrait Lil' Johnson fière : je crie sur ceux qui donnent des ordres injustes, je vis seule, loin de tous ceux qui peuvent réduire mes libertés et dégrader mon image de moi, j'essaye de réveiller les enfants présents dans les quelques adultes réceptifs qui croisent mon chemin. Je ne mange toujours pas d'animaux, mais maintenant je peux manger du chocolat sans qu'on me regarde avec un air dégoûté, comme si grossir était pire que mourir. Je bois de l'alcool, parce que c'est ce qui permet à tout le monde de redevenir enfant de manière socialement acceptable. Je bois du café, pour réguler mon envie de dormir toute la journée, comme un bébé. Je mène une vie où le divertissement est roi, où le plaisir est légion, où je ne socialise qu'avec les gens que j'ai choisi, sans faux-semblants.

J'ai encore du boulot, mais j'espère que bientôt, quand je fermerai les yeux, elle ne criera et je ne pleurerai plus. 

mardi 28 avril 2020

Fooling myself dry



Ma mémoire est fissurée.
Moi qui me targuait d'être le disque dur de mes groupes d'amis successifs, je me retrouve à oublier des événements majeurs, des choses inoubliables et des rendez-vous évidents.

Je suis en plein Schrödinger, est-ce à cause des médicaments que je prends, ou des traumatismes psychiques à cause desquels je prends les dits médicaments ? 

Après avoir écumé des sites de retour d'expérience de patients, je suis tombée sur le très cynique, mais très vrai "Les effets du trouble de la personnalité, ou les effets secondaires des médicaments : c'est à vous de choisir". 

Et en ce moment, je suis entre deux chaises. 
J'ai eu l'idée du siècle : tester l'arrêt des anti-dépresseurs alors que je suis confinée, et que je ne peux pas partir en live, ou alors dans 24m².

J'étais déjà rassurée de ne pas avoir trop de symptômes de sevrage (j'avais déjà fortement réduit la dose, ne faites pas ça n'importe comment chez vous, et surtout pas sans être accompagné.e.s), et puis la première semaine s'est passée tranquillement - le temps que le corps évacue, j'imagine.

Et puis, les premières "anciennes" sensations sont revenues. Tout ce qui était réprimé est réapparu, le bon, comme le mauvais. Retrouver des émotions, mes émotions. Celles que j'ai toujours connu et avec lesquels j'avais appris à vivre. D'abord une par une, puis par bouquet, jusqu'à arriver, aujourd'hui, dans le brouillard nébuleux dans lequel je me situais avant le traitement.

Rien n'a changé. Je ne suis pas malade, j'ai un trouble de la personnalité. Alors oui, les symptômes pourront s'atténuer, mais cela ne disparaîtra jamais.

Aussi vite que les produits chimiques sont partis, les attaques d'idées noires ont repris. On n'est pas encore à "supprime-toi" mais on est déjà à "personne ne t'aime, regarde, ils ne répondent pas à tes messages, ils font des trucs sans toi, ta vie ne sert à rien, tu ne fais que t'agiter pour te donner du sens, mais ce que tu te tues à faire, personne n'y prête attention, même les gens pour qui tu le fais" ad lib. 

Cette voix reste ma voix. 
La voix menaçante et cruelle, c'est aussi moi.

Dans la bataille, j'ai perdu ma capacité de concentration en plus de ma mémoire infaillible, je me dépersonnalise de plus en plus - j'ai des moments où je sors de mon corps, de ma vie, avant d'y retourner, sans trop savoir combien de temps est passé. 

A moi de peser le pour et le contre ? Est-ce que je préfère ressentir des choses, être à nouveau pleinement moi-même full volume ? Ou vivre avec la paix de l'âme, une certaine forme de sérénité, qui m'épargne la plupart des nuits d'insomnie et crises d'angoisse qui sont bien sûr revenues en cavalcade ? 

Je ne suis jamais passive, même quand je suis victime, alors j'ai cherché des solutions alternatives, qui m'ont poussée, un soir, à visiter le Darknet. Harcelée par des normies qui disent que la méditation résout tout parce que ça fonctionne pour eux, j'ai réessayé une quinzième fois pour leur prouver que non ce qui représente une solution pour VOUS n'est pas forcément le miracle du siècle pour l'humanité entière.

Quand on a zéro concentration et un esprit retors, déployer ses antennes dans le cosmos et faire courir ses racines dans la croûte terrestre ça amène au fou-rire, pas au nirvana. 

Bref, long story short : je me suis coincé le dos pendant 3 jours avec ces conneries.

J'essaie de chercher du soutien, sans vraiment le demander explicitement, parce que je suis incapable de faire ça et que la culpabilité annulerait les bénéfices que j'en tirerais, et surtout j'ai pleinement conscience que personne n'a les ressources nécessaires en ce moment.

Gros coup de gueule cela dit envers les services publics de santé mentale : j'ai été traitée comme une merde par le CMP de mon arrondissement au début du confinement, qui m'ont passée de service en service en me parlant comme à une moins que rien, avant de me demander si j'étais bien française (ce qui n'a aucun rapport avec la choucroute) pour un simple renouvellement d'ordonnance alors que mon ancienne psychiatre avait déjà fermé boutique depuis deux semaines, la boîte vocale d'urgence promettant de nous rappeler rapidement a visiblement éhontément menti. 

Le fait de ne pas être seule dans l'angoisse ne me rassure pas. Je pensais que les gens se décloisonneraient peut-être, parleraient plus de leurs émotions, en temps de crise. Mais j'observe un repli, au moins dans mon premier cercle. Je ne jette la pierre à personne. Mais cet événement n'a rapproché personne. Personnellement, il m'a même éloignée de certains. 

Alors bien sûr, la situation actuelle renforce mon anxiété, annule les bénéfices de mes sas de décompression (les restos entre copine, le militantisme dans la rue, les longues marches dans les cimetières, les perspectives de voyage, les concerts...) 
Je ne suis pas dans une anormalité normale, donc. C'est sans doute le pire moment pour savoir si je vais récupérer mes facultés ou si elles sont parties pour de bon. 

C'était sans doute la pire idée de me servir de moi comme d'un rat de labo, mais je reste persuadée que les données supplémentaires que cela apporte à mon moulin n'ont pas de prix. 


mercredi 15 avril 2020

Who lives, who dies who tells your story?



Je crois que toutes mes vacances solo ont consisté à me confiner. Les moments que je me remémore le plus vivement sont ceux où, seule, dans une toute petite chambre, j'ai pris l'ampleur de mon isolement choisi. 

Cette comparaison est bancale de bien des manières, mais le sentiment latent est là, en moi. Je me sens à peu près comme quand je suis partie au Canada, ou à Brighton, ou à Londres, ou à Lisbonne... 

Là-bas, j'avais l'atout de pouvoir repartir de zéro, non pas mentir, mais choisir ce que je laisse filtrer de moi.

Ici, c'est trop difficile. Je dis ce que je pense, je pense ce que je dis. Ce n'est que maintenant, à 32 ans donc, que je comprends que c'est pour ça qu'on me déteste autant. 

Car, oui, on me déteste, beaucoup, et souvent du premier regard. 

Il y a le facteur biologique : je ne suis pas belle. Les gens beaux attirent plus vite la sympathie, l'empathie et on a envie de les rendre encore plus heureux. 
Je ne suis pas non plus assez moche pour attirer la pitié. 
Je devrais donc grave compenser par mon attitude, sauf qu'elle ne brosse personne dans le sens du poil, pas même mes amies, et c'est sans doute pour ça que j'en ai perdu pas mal sur la route.
Seuls sont restés ceux qui ne sont pas pétrifiés de peur par ce qu'on pourrait penser d'eux en les voyant avec moi.

On est arrivé à un moment de ma vie, où le fait que tout le monde me déteste est tellement accepté socialement qu'on m'en parle en face, en public, que ce soit bienveillant ou non. 

(Bien sûr, je me dois de préciser quand je dis "tout le monde" c'est sous-entendu : "tout le monde moins 10 personnes", sinon, les dites personnes vont en prendre ombrage)

C'était déjà un peu le cas au collège, vu que j'étais la tête de Turc désignée et que je remplissais ce rôle social aux yeux de tous, y compris des personnes "gentilles", des profs, ou de la direction de l'établissement.

Quand cela a volé en éclat au lycée, quand les gens se sont regroupés par affinités de goûts et non plus que par popularité, j'ai cru que j'en étais débarrassée pour de bon.

Et puis, à 17 ans, j'ai déménagé dans mon propre appart et commencé ma "vraie vie". La première année d'étude fut très chouette et j'avais l'impression d'avoir plein d'amis, jusqu'à ce qu'une personne populaire et centrale décide de m'exclure et que je me retrouve, toute la deuxième année, seule, confinée socialement. (Ok, "seule moins 4 personnes" à l'époque).

Quand je suis arrivée à 19 ans en région parisienne, j'ai essayé d'être sociable mais les groupes étaient déjà formés, et les quelques amis que j'avais étaient trop loin physiquement. Ca a été encore une traversée en solitaire, mais cette fois, rien ne m'aidait à le vivre sereinement : j'avais 50€ par mois pour faire mes courses, un appartement de 10m², dans une ville de vieux royalistes d'extrême-droite, les cours étaient nuls à s'en tirer une balle, j'étais toujours vierge - ce que je ne préciserais pas si ça n'avait pas été une obsession chez moi qui me bloquait sous plein d'aspects, mais, tous les week-end, j'avais Paris à arpenter. J'explorais les scènes live gratuites, et je faisais beaucoup avec peu. L'exploration en solo est donc devenu synonyme de bon temps à ce moment-là.

L'année d'après, je me suis clipsée à un groupe d' "amis" qui n'en étaient pas (ok "qui n'en étaient pas moins une"), je suis tombée follement amoureuse d'un PN, je me suis enfoncée encore plus loin dans ma croyance secrète que j'étais intouchable, aimable par personne, en tout cas pas au grand jour. Mais le fait de voir de l'ambition flotter autour de moi m'a poussée à viser plus haut dans la seule partie de ma vie où j'avais à peu près confiance en moi : le futur pro. 

J'ai déménagé dans Paris et j'ai suivi un stage où, là encore, très vite, les autres sont partis faire des cantines sans moi, et il a été de bon ton de me détester. Manque de bol pour eux, je bosse encore dans cette entreprise à ce jour, ils ont misé sur le mauvais poney, et doivent, pour certaines, me supporter encore, au moins de visu. 

Et bingo des bingos, j'ai décroché mon ticket pour Poudlard la Sorbonne. J'ai accompli le rêve de la gamine que je fus, à qui on s'empressait de dire de calmer ses ardeurs et son ambition, que jamais Paris, que jamais la Sorbonne, que jamais l'édition. Alors je me suis dit que si je réussissais à ce niveau, je pouvais réussir ma vie perso. J'ai viré le PN. J'ai développé ma vie culturelle et festive (malheureusement toujours entourée par des personnes toxiques se faisant passer avant moi et me laissant bien au fond de mon trou de confiance en moi pour mieux en profiter, coucou toi !) mais je n'avais toujours pas de personne sûre. J'étais persuadée que ce serait un mec, mon mec. Et c'est là que je me suis engouffrée sur cette énorme fausse-piste qui a duré pendant près de 10 ans. 

J'ai quand même rencontré de chouettes gens en chemin, notamment au détour du chômage avant mon premier job (winkwink), mes horizons ont été drastiquement élargis en terme de prise de conscience sociale, et c'est là, après avoir décroché un premier puis un deuxième job, que j'ai rencontré celui qui allait, me figurais-je, ÊTRE LA CLEF DE LA DÉLIVRANCE DE MA VIE.

Eh oui, vous l'aurez deviné, le premier mec à avoir été attiré par moi, avec qui j'ai couché la première nuit, trop pressée de pouvoir m'enlever l'étiquette d'éternelle vierge à 24 ans, a dû gérer trop de sentiments, trop vite, trop fort, même si, comme une bonne taiseuse, j'ai bien tout gardé pour moi verbalement. Cela n'excuse pas la façon ignoble dont il m'a jetée et qui m'a projetée dans une dépression forte, intense et malheureusement durable.

A peine avais-je sorti la tête de l'eau que je me noyais. 

Alors je suis partie rejoindre une amie (oui, j'en ai quand même une ou deux à ce moment-là), en Erasmus à Budapest, ville que j'affectionnais beaucoup. Entre ses cours et son boulot à la maison, j'étais quand même pas mal seule pour explorer, encore une fois. Et ça a, encore une fois, été fondateur. 
C'est là que j'ai décroché le job de mes rêves, et l'année d'après n'a été consacrée qu'à celui-ci, du genre 9h 22h tous les jours, et je travaille le week-end en le cachant à ma boss qui était comme une mère pour moi (oui, j'avais tendance à beaucoup trop projeter mes manques sur les autres, laissez la vieille moi tranquille svp). Du coup, quand un sale type dont j'avais dénoncé le machisme (trop tôt) et le harcèlement moral (beaucoup trop tôt) a eu gain de cause (ET UNE PROMOTION) et que je me suis retrouvée du jour au lendemain, sans job, sans appart et sans maman mentor, bah j'ai refait une dépression. Hophophop. 

Cet été là, avant la chute, j'avais quand même eu un épisode de libération sexuelle assez fou au Sziget festival - ui, toujours à Budapest, what happens in Hungary, y'know... 

Du coup, cette dépression a été beaucoup plus productive en terme de mise en danger de moi-même. J'ai cherché de l'amour dans toutes les wrong places. J'ai aussi profité du chômage pour me constituer un réseau, et j'ai trouvé à la place un nouveau groupe de potes. Là encore, je voyais tout en rose bonbon, et j'étais persuadée que tout allait bien dans le meilleur des mondes, d'autant que j'étais sortie de l'ornière pro et qu'après une purgatoire alimentaire, on me donnait la chance d'une vie de sauter 8 cases et d'être aux manettes de ma propre marque. Bref, à part financièrement, tout allait bien. Je remontais peu à peu la pente niveau santé mentale. Et puis il est arrivé.

Beau comme un Dieu trop maigre, drôle à m'en étouffer dans ma bière et merveilleusement solaire. Tellement que j'ai pris la bonne décision pour moi, pour la première fois, et que j'en étais fière : ne t'approche pas de lui, ça va faire bobo. 

Mais là, ce fut le drame. C'est lui qui s'est approché de moi.

La suite, on la connait. 

Oui. ...J'ai fait une dépression. 

Sauf qu'au lieu de me tirer de là, mes amis de l'époque ont choisi ce moment là pour faire un big reveal en mode Truman Show : "en fait je n'étais pas ton ami, j'étais trop jaloux des sentiments de ma meuf pour toi" "ah ouais, mais moi je suis pas lesbienne du coup il est où le danger pour toi ?" "ah ouais, y en a pas, soyons amis !" et 24h après j'avais une scène de la dite meuf m'accusant d'être une manipulatrice qui s'est servie de ses sentiments pour obtenir des choses d'elle - j'ai jamais su quoi. 

J'ai donc pris mes clics, mes clacs, ma grande dépression et j'ai suivi un groupe de rock partout en Europe - normal. 
Figurez-vous que cette exploration n'étant pas solo, je l'ai pas forcément bien vécue ? 

Toute cette période a été balisée par les attentats, et mon mental, ma confiance en l'avenir, en les autres, n'a jamais été aussi noire. Je buvais énormément. Je frayais avec les pires personnes ramassées un peu n'importe comment, et je me faisais passer pour une meuf FUN. 
Sauf qu'à l'intérieur la petite rengaine faisait "Diediediediediedie !"

Alors j'ai voulu réitérer le miracle de l'ambition pro, et j'ai repris 15 fois mes études (ok "deux fois", vous êtes vraiment chiants pour la narration, les fact-checkers).

Also, en août 2015, j'ai perdu celui en qui j'avais tout misé, le miaou avec qui j'allais construire un cocon familial motherfucker et j'ai donc, erm, ...fait une dépression ? Mais là, malgré le gouffre financier, je me suis fait suivre par un (mauvais) psy.

Les allers/retours en solo partout en Europe se sont installés. Ils ont commencé à baliser des années où j'accumulais les jobs pour sortir la tête de l'eau niveau flouze sans jamais y parvenir totalement. J'ai repris un chat, perdu encore d'autres amis et la foi en l'humanité, et je me suis cassée au Québec.

Et là-bas, miraculeusement, je n'étais pas détestée. Déjà parce que les gens sont bienveillants (ok, not all canadian, mais quand même, si, je maintiens) et qu'une inconnue, ma logeuse, voyant que je passais mes premières semaines dans une routine monotone d'exploration solo, m'a un peu contrainte et forcée à me faire des amis. Et bim, ça a fait des chocapics. 
Clairement, au boulot, là-bas, ils me trouvaient chelou, mais comme ils étaient bienveillants, c'était pas si pire. Et le soir, et pendant toutes les plages de temps libre, c'était la folie. J'avais un groupe de pote, fluctuant selon les arrivées et les départs du pays, et on faisait tout ensemble. Mon rêve. Mieux que ça, je faisais partie du coeur du groupe, et ces nouveaux potes, je savais fort bien que jamais on ne se serait adressé la parole en France.

Alors bien sûr, quand je suis revenue au pays... j'ai fait une dépression. 

Six mois après, quand j'ai vu que malgré mon nouveau diplôme on refusait de me filer le boulot promis et la stabilité financière après laquelle on me faisait courir depuis tant d'année, j'ai secoué la fourmilière. J'ai mis ma boss devant ses contradictions, elle a pété un câble et m'a agressée verbalement devant toute la boîte (ok 10 personnes, vous êtes vraiment relous !), si fort, que des personnes sont venues s'interposer pour pas que j'en prenne une physiquement. 

Je suis rentrée chez moi la tête haute, léchant mes plaies comme un poticha lécherait son... pelage. J'ai attendu d'être virée et de devoir tout recommencer, ce qui aurait été le coup de pied providentiel, même si fatigant... et en fait non. Par peur que je les poursuive en justice, sûrement, ils m'ont décroché cette augmentation me permettant enfin, après 5 ans de boîte, de pouvoir subvenir à mes besoins. ET j'ai décroché un autre contrat. 

J'ai donc pu consulter une bonne psy juste au moment où les antidépresseurs faisaient effet, on a pu poser un diagnostique et me recalibrer pour éviter le recours perpétuel à la dépression, j'ai eu de la place dans ma tête pour me concentrer sur les vrais sujets et j'ai commencé le militantimsm, j'ai déménagé dans mon propre appart', la vie est devenue plus douce, l'argent s'est mis à pleuvoir, bien sûr je me surmenais, mais je n'allais pas me plaindre... Je suis partie en Angleterre, pas en solo cette fois, pour ne pas craquer et tout envoyer en l'air.

Et l'épidémie est arrivée. 
J'ai fêté un anniversaire confiné. 
Mes seules interactions sont avec deux chats. On est pas loin de ce que je vis quand je suis loin. Sauf que je suis là. Il n'y a plus de place pour me faire détester par qui que ce soit, mérité ou non, quand on est seul, personne ne peut nous faire du mal, c'est déjà ça. 
C'était ma logique inconsciente à chaque fois que je me suis retirée volontairement du monde, je crois. 

Je suis aussi confrontée aux cauchemars, à l'insomnie, des vieux compagnons qui ont toujours été là et que je fuis habituellement en m'agitant un max, en faisant plein de choses, tout le temps, en voyant des gens, en leur remontant le moral, en m'intéressant, en me sortant de moi, en gros. 

La question reste là, flottante comme Damoclès : est-ce que c'est un mal pour un bien, dans ma petite vie, ou bien vais-je refaire une dépression ?




vendredi 3 avril 2020

What'll it be?



Loin de mon l'idée de faire une énième journal de confinement de bourgeoise, je n'ai d'ailleurs rien fait d'intéressant : je ne suis cuisine pas, je bossais déjà de chez moi avant, je suis seule avec mon chat, et le chat de mon chat (qui possède la maison dans laquelle vivent les voisins, j'espère que vous suivez). 

Ici, tout est calme, sauf quand le voisin a reçu sa livraison de ce que lui livre son dealeur tous les deux jours, et que notre pallier se transforme en Ibiza. Le lendemain matin, généralement, il geint au téléphone qu'il n'a plus d'argent. Puis il dit qu'il suit très bien les règles, qu'il sort très peu, sans préciser qu'il invite beaucoup. A l'endroit où JE vis, des gens qui touchent notre clenche, nos murs, et si ce n'était que moi... non, on a deux octogénaires en fond de cour qui viennent tout juste de commencer à tousser.
Le drame le plus ordinaire qui soit. La bêtise crasse d'un voisin que j'aimais vraiment beaucoup jusque là. 

Also, je ne l'espionne pas, il vit fenêtres ouvertes et parle très fort dans son téléphone en haut parleur. 

Me concernant, il y a quelques jours, j'ai arrêté de me nourrir, puis de dormir, j'ai bu (un peu) d'alcool, et si vous faites partie des 90 % de mes lecteurs atteints d'une façon ou d'une autre par la maladie mentale, vous savez très bien comment ça a fini.

Pour les autres : mon cerveau s'est fracturé, en manque de sérotonine, hier matin, et j'ai passé la matinée roulée en boule sous ma couette à pleurer, sangloter puis penser à notre non-avenir général en me disant "hey, autant en finir maintenant ?"

Pour autant, tous mes progrès de l'année passée ont porté leurs fruits et j'ai docilement doublé ma dose d'antidép et utilisé un gel aux oestrogènes, dans le cas où mon nervousbreakdown serait d'origine hormonale. J'ai dormi 5h hier après-midi et me voilà.

Car oui, pas de thérapie depuis septembre dernier ça commence à taper sur le système alors je ressors le bon vieux blog qui a été ma seule béquille de mes 16 ans et l'année dernière. 

J'ai un bol total, dans cette crise : tous mes vieux d'amour son déjà morts, j'ai acheté un appartement que j'aime et y ai emménagé pile à temps pour vivre ce confinement dans des conditions qui sont plus que correctes - j'ai accès à une cour extérieure, assez m² pour vivre, et pas de double loyer à payer en l'absence de coloc - mon boulot continue, même s'il me fout trop la pression à mon goût et que j'ai mes collègues sur le dos H24, j'ai toujours des rentrées d'argent. 

Mes amies sont au rendez-vous, et m'ont entourées tant bien que mal le soir de mon anniversaire. C'était un chouette moment que je n'oublierai pas (du moins, jusqu'à mon prochain "DE TOUTE FAÇON J'AI PAS D'AMIS !") 

Je crois que ma crise est liée à plein de facteurs très divers, que beaucoup de gens fragiles vont en traverser, rien que l'actualité le justifie. C'est juste dur à assumer, de me briser comme une brindille pour "si peu", si vite, alors que je me sentais si forte au sortir de mes thérapies, après ma guérison de la dernière dépression.

Pour les non cabossés du ciboulot : la dépression chronique est un cercle vicieux, quand on en sort on développe l'angoisse qu'elle revienne. Hé oui. 

Alors je ne sais pas si j'aurai besoin de la bouée de sauvetage qu'ici représente, que vous représentez, just bear with me.*


*Oursez avec moi. 

samedi 29 février 2020

I'm moving past the feeling and into the night





Je vois cette vidéo, de cette fille qui danse presque au milieu des lacrymos, et je ne me reconnais pas. 
Ce qui s'est passé à l'intérieur de mon cerveau n'a rien à voir avec les images. 

Chacun vit la panique, l'urgence, de manière différente. Personnellement, un stoïcisme farouche m'envahit, et mon esprit d'ordinaire irrationnel devient alors tout à fait logique. 

Je suis une activiste assez neuve, si on met à part le trimestre de mes 17 ans passé à repousser la réforme du CPE, mais je fais quand même partie de la moyenne haute si on considère l'âge des militantes. Alors je sens un responsabilité supplémentaire se poser sur mes épaules : celle de veiller à ce qu'elles acquièrent les bons réflexes.

Comme ne pas partir en courant quand les CRS chargent. 

C'est ça que je leur criais, pancarte toujours levée haut, quand les dits CRS m'ont repérée et m'ont visée. Sûrement par peur d'un bad-buzz s'ils faisaient autre chose, ils ont ciblé les pieds. J'ai vu ce qui ressemble à des bougies chauffe-plats m'entourer soudain, 2, 3, 4 capsules se sont déclenchées autour de moi, me séparant de ma binôme, toujours au premier rang. Là, j'aurais pu courir, mais dans les quelques secondes qu'il m'a fallu pour faire le tour de la situation, j'ai eu le réflexe de me demander "est-ce que ce sont les fameuses lacrymos avec une charge de TNT ou juste du gaz ? Est-ce que je vais perdre des orteils ou juste chialer ma race ?"
Les précautions d'usage sont arrivées jusqu'à ma sphère cognitive : ne pas les ramasser, ne pas les éloigner d'un coup de pied. Comme je criais, la fumée s'est insinuée à l'intérieur, mais l'adrénaline était trop forte. J'ai hésité à sortir mon écharpe, mais déjà, les CRS revenaient à la charge. C'est là que j'ai choisi de reculer d'un mètre pour mettre une voiture entre eux et moi, histoire de reprendre mes esprits. 

C'est tout ça qui s'est passé dans les quelques instants capturés par les images qu'on m'a envoyé, qui ont tourné en story insta, je me vois en mouvement, presque gracieuse, en tout cas fluide, réagir la tête froide à une action complètement démesurée des forces de police. 

La lacrymo m'a brûlé la gorge et je ne pouvais plus parler correctement, alors, quand j'ai cherché où étaient mes alliées et que j'ai découvert, venant d'une rue perpendiculaire, d'autres Colleuses, j'ai continué à pleurer, mais de joie, et je leur ai sauté dessus en murmhurlant leur nom. 

J'ai compris le sens du mot renfort. 
Rerendue forte, j'ai contourné la voiture, retrouvé ma binôme, et là a commencé la guerre de position avec le cordon de bleus. De sit-in en chants guerriers, de prise de nouvelles de celles qui ont été embarquées en retrouvailles avec celles avec qui j'eus été embarquée ("Bah alors Johnson, t'as pas pris de casserole aujourd'hui ?"), de selfies avec les fourgons de crs et l'arc de triomphe en fond en slaloms entre les journalistes, on a tenu bon. 

En quelques mois, je me suis fait des connaissances qui ont été capables de charger l'infanterie de la République avec moi pour réclamer la libération de nos Soeurs. Expression que je trouvais boursouflée, moi qui, malgré deux frangines, ait eu l'expérience de l'enfant unique due à notre différence d'âge, et qui n'a pris son sens que lorsque j'ai vraiment vécu, avec ces inconnues, la sororité.

Au moment de se disperser pour aller mener une autre lutte : faire le piquet devant le commissariat où une pote était retenue, on a appris avec joie mais aussi une légère déception que pas la peine, elle sortirait bientôt. 

Quelques minutes plus tard, je recevais un texto d'elle, et j'étais aux anges. 

J'étais transie de froid, pleine d'adrénaline, fourbue d'une journée de bureau après une semaine lourde en mauvaises ondes, de m'être battue avec les transports chahutés par l'incendie Gare de Lyon, j'ai décidé de raccompagner ma binôme à travers Paris. 

On a marché dans les rues qu'on pouvait encore prendre, celles qui n'étaient pas gardés par la flicaille à qui une bande de fille fait manifestement vachement peur. 

Une fois qu'on était éloignées, j'ai dit à mon amie : "c'est chelou, ça sent aussi la lacrymo ici", puis la même réflexion une, deux rues plus tard. Avant de comprendre : mes cheveux étaient détachés, de vraies éponges à odeurs et c'était moi qui puait. 

Au fur à mesure que l'adrénaline quitte les veines, les douleurs apparaissent. On fait le tour des éclats dans nos vêtements, des bleus, des contractures et on se plaint d'être vieilles, avec nos 30 ans. 

Je finis par rentrer, faisant un dernier détour pour mettre une vieille dame dans le droit chemin, et quand je me pose dans mon lit, avec mon énorme chat qui m'en veut de l'abandonner aussi longtemps pour des causes qui la dépassent de loin, j'ai envoyé les quelques messages pour rassurer les unes et les autres. 

J'ai ouvert mon ordi.
Pile à temps.
Aux Cesar, on annonçait la catégorie de la meilleure Réalisation.