lundi 22 novembre 2021

You've been such a joke this week





Je crois qu'avec leur sixième sens, les autres sentent que je suis un fruit pourri.
Tombée d'un arbre qui me trouvait bien trop lourde pour sa branche.

Je pense que, où que j'aille, cette infime odeur de moisi, à peine dissimulée par celle de l'herbe fraîche et de la rosée, m'accompagne. 

Dès lors, si quelqu'un n'est pas repoussé par la vue de cette pomme blette, de cette poire pochée ou de cette banane tachée, personne ne reste indifférent. 
Il y a ceux qui veulent couper le morceau abimé, sans deviner que la jolie chair désormais à nue ne le restera pas longtemps.
D'autres se disent que comme ce fruit est impropre à la consommation- du moins, incompatible avec le système capitaliste - qui le choisira parmi toutes le jolies Royal Gala ? Pink Lady & Reines Claude rutilantes de l'étal ? 

On peut donc se servir, c'est gratuit. Personne n'en veut. 

Pour des jeux d'enfants par exemple.
Des parties anodines, innocentes, où on se castagne à coup de marrons tombés trop tôt, de châtaignes expulsées de leurs gogues - car les cailloux c'est moyennement socialement acceptable. 

Le fruit pourrit sert à amuser les autres qui peuvent bien en faire ce qu'ils veulent. Qui s'en soucie ? L'odeur ne s'en ira pas. Même si le fruit se dissimule sous de la chantilly, se noie dans une salade, se fait tout petit morceau au milieu de ses congénères. 
Est-ce que le fruit serait plus heureux en compote, en sorbet, en smoothie ? Être choisi, désiré, consommé, vaut bien d'être écrasé, mixé, fouetté, après tout ? 

Enfin, le fruit pourra montrer que malgré ses défauts, il a toujours eu bon goût. Que le sucre en lui est le même que celui de ses bios amis qui trônent, bien cirés, chez le primeur. 

C'est à ça, sûrement, que rêve ce fruit abîmé, depuis sa flaque de boue, dans le verger, tandis que la pourriture, maintenant impossible à dissimuler, le grignote toujours un peu plus.






mercredi 17 novembre 2021

I wonder when I'll hit the ground

 



Je dois avoir sept vies. Comme les chats.

C'est peut-être pour ça qu'on se comprend si bien, eux et moi.

Une de ces vies, je l'ai perdue au moment même où je suis née. L'accouchement s'est compliqué. Ma génitrice et moi avons failli y passer. Puis elle a compris que la complication était due à une IST. Hors, elle n'avait jamais découché. Ma venue au monde coïncidait donc avec une grosse brisure dans son mariage. Brisure qu'elle m'a fait fait payer toute ma vie par la suite, que ce soit de manière non-verbale, comme quand elle m'a abandonnée à de nombreuses reprises chez mes grands-parents '(qui, par chance, m'ont amené le seul amour inconditionnel de ma vie pendant le trop court laps de temps que nous avons partagé sur terre) ; ou de manière beaucoup plus directe, en me disant droit dans les yeux que je suis "une erreur" et "qu'elle n'aurait jamais dû me faire".

 

Ma seconde vie, je l'ai perdue quand elle a lâché une anse du couffin qui me transportait. J'ai alors roulé dans le vide, jusqu'à atterir sur le trottoir, ou la route. 
Apparemment, je n'ai pas pleuré. J'avais moins d'un an, donc je ne m'en souviens pas.
Cette histoire, on me l'a racontée, telle une blague, un soir de noël, il y a trois ou quatre ans. Ca bien fait rire tout le monde, dans ma "famille". Surtout la chute.
Pas celle du vermiceau-nourrisson que j'étais, mais celle qui vient :
Bébé inerte sur le goudron, qui ne pleure pas, sûrement parce qu'elle s'est cogné la tête, seule au monde, parce que sa génitrice est partie, l'a laissée là.
Celle-ci est rentrée, seule, et a informé mes sœurs, alors grandes adolescentes, que "Johnson est morte", "Elle est sur la route". Effarées, elles n'y sont pas allées. Il a fallu qu'un de leurs amis se porte volontaire pour venir me chercher. Je n'étais, en fait, pas morte. Pas définitivement, en tout cas. 

Je ne suis même pas certaine qu'on ait emmené le petit tas de chair puant et bruyant que j'étais chez un.e médecin. L'histoire m'apprendrait que mon bien-être, y compris mon intégrité physique, passent après beaucoup de choses.
Comme cette fois où j'avais à nouveau chuté, m'ouvrant profondément le tibia sur cinq bons centimètres. Ma mère m'a alors crié dessus (on ne pouvait "définitivement pas compter sur moi !", y compris pour rester sur mes deux pieds) puis elle a quand même vérifié si la blessure "allait se voir", si j'avais perdu une dent, m'étais cassé le nez ou si j'avais une balafre sur la joue, le front. 
Quand j'ai montré la plaie béante sur un membre inférieur qui pourrait aisément être caché derrière un pantalon, elle a décrété que je devais aller m'étendre sur mon lit et ne surtout pas bouger, car cela "tombait" très mal. Elle avait des invités. 
L'apparence, encore une fois, prenait le pas sur l'attention minimale qu'on est censé porter à un être dont on est responsable, à qui on a imposé la vie. 
Ensuite, j'ai plutôt excellemment pris le relais, et me suis ôté la vie et mené une existence de martyr toute seule. 

Car c'était là, ma normalité.
Je n'avais rien connu d'autre.
Malgré tout, j'ai survécu. 
Je ne suis pas certaine du nombre de jokers qu'il me reste à jouer. Peut-être que la prochaine fois sera "la bonne". Qu'avec ma disparition, l'équilibre universel sera réparé.