mercredi 26 juin 2019

And here in our hollow we fuse like a family





Je déambulais comme un zombie, l'oeil brillant du manque de sommeil et de la folie qui s'était emparée de moi la veille, alors que les basses du 21 juin envahissaient mon humble demeure et que j'y étais enfermée, condamnée à terminer de travailler un texte qui avait été lacéré par une correctrice amateur sous-payée.

Peu de temps après avoir refermé word, mon ordi a commencé à montrer des signes de faiblesse et, alors que je tentais le tout pour le tout, a fini par perdre violemment la vie dans un bluescreenofdeath des familles.

Voilà pourquoi je me mêlais à la plèbe, dans une grande surface culturelle, un samedi matin, sans maquillage, mais avec le décolleté prononcé provoqué par le port d'une chemise de garçon. 
C'est presque sans sourciller que j'ai écouté le mec du service après-vente prononcer l'oraison funèbre du HP qui était mon compagnon depuis seulement trois ans et qui portait le doux nom de "Gray" (car il était gris)(oui). 

Après 12 allers-retours pour acheter un disque-dur externe et refaire la queue au SAV pour confier mon précieux et récupérer mes données, je suis allée faire un tour du côté des PC en vente, le coeur en bandoulière, le regard sans vie et le cheveux terne.

J'ai baillé en direction d'un vendeur un peu trop guilleret qui venait de passer 10 minutes avec une cliente qui n'arrivait pas à se décider sur une housse pour son ordi. Une putain de housse. Elles sont toutes pareilles, meuf, ton temps vaut mieux que ça.
Jean-Guille me couvre alors de conseils un peu cons, je lui pointe du doigt le modèle au meilleur rapport qualité prix et il n'arrête pas de me pousser vers celui de gauche, parce qu'il en a trop en stock en magazin alors que l'autre est en rupture.
Alors oui, mais ça c'est ton problème, pas le mien, qu'est-ce tu viens me vendre un produit plus cher avec un processeur de qualité inférieure. 
Au bout de cinq minutes d'échanges polis où j'essayais de comprendre quel était le fuck de l'argumentaire de ce vendeur, la lumière est venue d'un magique : "Enfin, qu'est-ce que j'en sais, moi j'utilise que des macs et je suis ici que depuis deux jours."

J'ai alors hoché la tête en pinçant la bouche et je me suis dit que le jour le plus long n'était pas près de se terminer. Je suis allée à la concurrence, deux étages plus haut, et j'ai repéré un modèle un peu désuet mais pas cher du tout et qui combinait tout ce que je cherchais, sauf qu'en vérifiant sur les internets, je me suis aperçue qu'il était 200 euros moins cher dans la GSC que je venais de quitter.

Retour à l'envoyeur. Je traînais mes bottes usées jusqu'au sous-sol et repassais devant le mec de la sécurité qui commençait vraisemblablement à se demander si j'étais une vagabonde ou juste en walk-of-shame. 

Je me suis repostée au rayon PC, et j'ai hélé un petit vendeur sautillant. On était à deux doigts de sceller l'affaire quand l'air s'est raréfié. Petit vendeur ne parvenant à faire sens du logiciel a appelé son collègue et c'est là que... 

Vous vous souvenez de la Johnson qui a ouvert ce blog il y a quinze (15) ans ? Voilà.
Elle était back à la Fnac.

Le souffle court, la sensation de danger imminent et de volonté de se perdre qui se mêlait, j'ai vu le nouveau arrivé river ses fantastiques yeux aux miens et commencer à m'interroger. 
J'aurais pu lui livrer mon numéro de sécu et le compte en banque de mes parents sans sourciller.

J'ai réussi à faire deux trois blagues en avalant difficilement ma salive. Je n'avais pas mangé ou bu depuis 24h. Ma dernière douche était loin. J'avais enfilé les premiers trucs qui traînaient et qui n'étaient pas mon chat, et je ne ressemblais à rien. Mais, clairement, je m'en foutais.

Là, campés tous les deux sur la moquette, sous les néons, c'était lui, c'était moi, et ses yeux souriaient à chacun de mes traits d'esprit un peu proportionnellement spirituels à mes heures de sommeil.

A chaque déplacement, c'était le trouble, comme si la distance était compliquée à gérer. J'ai le vague souvenir de questions posées et de réponses à côté sans qu'aucun des deux ne relève. De temps distendu et de regards volés quand il avait la tête tournée.

D'une focalisation totale sur son bracelet de montre et sur l'échancrure de sa chemise. De la pensée idiote qu'on avait tous les deux un décolleté de chagasse en ce jour béni.  

J'ai un peu tremblé en reconnaissant mes symptômes très graves de coup de foudre : la focalisation sur des détails anodins, le fait qu'il ait un détail rédhibitoire habituellement que je trouve fantastique chez lui - les cheveux ici, très, très courts, mais je ne le changerais pour rien au monde - la connexion communicationnelle, et puis la peur panique quand il pose une question à enjeu gravissime :

"Vous m'avez dit que vous jouez aussi, je peux vous demander quel genre ?"

O_O

Si je dis SimCity 3000 - ce qui est vrai, ça me dépend, laissez-moi derrière, je vous ralentis - il va froncer les sourcils.
Si je dis Assassin's Creed, c'est un mensonge éhonté, parce que j'ai toujours pas eu le temps de m'y mettre, et autant commencer notre relation forcément prometteuse dans l'honnêteté totale.
Si je dis Les Sims, il risque de briser la magie en sortant une remarque sexiste, et je préfère garder le mystère et de quoi nourrir mes fantasmes, au moins pendant la canicule. 

Alors que le blanc commençait à peser entre nous, j'ai dit la vérité vraie :

"Skyrim ?"

Et en deux syllabes, j'ai su que c'était la bonne réponse.
Comme quand on a un entretien d'embauche dans un bar et qu'on commande un Perrier.

Dans ma tête, les Pixies ont entamé Here comes your man et on s'est souris. 

Je me suis retenue très fort de lui dire "D'ailleurs, tu veux voir ma grosse Khajit ?", parce que malgré mon physique de pouilleuse, ce samedi matin là, j'avais la classe.

J'étais détendue et sûre de moi, rien ne m'atteignait et pourtant tout chez lui m'atteignait. De sa façon de me regarder, de ma façon d'y répondre sans baisser les yeux, de sa façon de bouger sa main, de poser ses questions, posément, d'être un peu nerveux, lui aussi. 

Une fois que ce fieffé malandrin m'a délesté de mon loyer + 200 euros, et qu'il m'a rendu ma liberté comme on relâcherait sur le sol une épée de fer qui fait exploser le poids de portage autorisé en Bordeciel, j'ai eu un fou-rire hystérique sur tout le chemin jusque chez moi. 

Depuis, j'ai toujours les yeux rêveurs et le rire nerveux, je ne sais absolument pas quoi faire, étant donné qu'après les événements récents (c'est à dire l'intégralité de ma vie sexualo-sentimentale) j'étais censée tenter le lesbianisme politique. 
Il est si près (genre, vraiment, 5 étages sous moi trois jours par semaine) et si loin (je suis bloquée fondamentalement par le fait d'aborder quelqu'un sur son lieu de travail) et je suis si occupée (je déconne pas les gars, si vous saviez) et il est forcément trop beau pour être vrai et et et.... 

Je vais rester sous la clim, à écouter toute la discographie de The Decemberists en continuant de tenter de persuader mon entourage d'aller faire changer leur parc informatique en ma compagnie ASAP.

Je vous tiens au courant.
Ou pas.