jeudi 29 août 2019

We are the pretty petty thieves, and you're standing on our street


[He stole all hearts away]


La porte claque. Coloc du moment est partie au travail. Je grogne dans la semi-pénombre. Je me tourne pour voir mon portable, mais le chat est couchée dessus. Elle grogne à son tour et le plus souvent, fuit. 
Parfois, elle reste et ronronne. 
Mais pas souvent.

Puis, quand j'ai enfin assez de courage pour me mettre à la verticale, c'est elle qui choisit si on va à gauche (ouvrir le rideau) ou à droite (boire au robinet de la salle de bains). 
J'arrive d'ailleurs à la quitter 2 minutes pour aller m'enfermer aux toilettes sans qu'elle crie trop à l'abandon (puisqu'elle a la tête sous le jet d'eau).

Ensuite, je prépare ou réchauffe le café, en attendant, je prends l'air dans la cuisine avec Molly, on commente quels oiseaux on aimerait le plus manger (je suis très bonne actrice) puis elle se lasse et va faire un tour tandis que je m'attable devant mon ordinateur.

J'ouvre par habitude les onglets de réseaux sociaux. Généralement rien d'important. Puis les mails. Que je traite en premier, pour être débarrassée.

Ensuite c'est job 1 qui s'occupe de me désembrumer. Tous les jours, je lis une romance anglophone et je rédige une fiche de lecture composée d'un résumé et de mon avis argumenté conseillant ou non sa publication en France, pour la marque sur laquelle je bosse. 

Parfois, souvent, j'oublie de manger quelque chose. Sauf quand le manuscrit est vraiment chiant, et là je mange trop. 

En fin de matinée, je file au bureau, ou déjeuner à l'extérieur. Là, c'est Job 2 qui m'occupe. Le principal depuis 5 ans. En ce moment, à Job 2, je travaille aussi sur Job 3 - une traduction pour cette même entreprise. C'est l'été, et j'ai le temps. 

Le soir, j'emballe ce qu'il reste à emballer de ma vie, en composant des cartons au contenu interlope (imprimante/photos de famille/drapeau français) (Ouija/Bible/épée en plastique) (mugs avec des petits chats et des licornes / carnets de notes dédicacés par diverses rockstars / hélicoptère télécommandé). 
Quand je disais que ma vie était un vrai bordel, je ne m'imaginais pas que c'était physiquement le cas. C'est quatorze ans de vie solo que j'entasse et empile. 
J'ai beaucoup jeté, beaucoup donné, un peu vendu. 

En dernier, il s'agit de décrocher les photos des murs. Seul le chat a le privilège de vivre encore avec tous ses effets à disposition. Mais c'est aussi elle qui va le plus en chier, et perdre au change, le temps qu'elle se rende compte qu'elle aura désormais accès à une cour intérieure.

Je vis un peu comme au Canada, avec mon ordinateur, mon portable et pas grand-chose d'autre. Comment quelqu'un d'aussi peu matérialiste a pu entasser autant ? Je regarde la montagne de cartons s'accumuler dans mon garage et je me pose encore la question. 

J'ai très longtemps eu peur de manquer, de m'ennuyer. Désormais, c'est le contraire. Je manque de buts et de plages de rien. C'est pour ça que j'ai prévu de faire la Robinson et de ne pas prendre de connexion internet dans le nouveau chez-nous, au moins jusqu'à la fin de l'année.

Je parfais mes skills sur deux applis de jeu en ligne où des 2004 me draguent en ignorant qu'ils ont affaire à une ancêtre, parfois j'ouvre un bouquin - en ce moment, une bio d'Elliott Smith. Puis je lance un podcast et je m'endors. Quand le chat vient se coller, j'éteins le son, et me rendors contre elle.

Puis la porte claque. 





lundi 12 août 2019

When are you gonna come down? When are you going to land?



J'étais parisienne avant de l'être, tout ceux qui m'ont connue quand j'habitais encore le 7-6 vous le diront.
Quand j'ai débarqué en proche banlieue, il y a 12 ans, Paris c'était la grande aventure du week-end, je n'avais encore rien amadoué, ni le métro, ni le fait de se mettre à droite dans les escalators et encore moins l'esquive des gens des ONG. 
A la fin de mon année de licence, j'ai exploré le VIème arrondissement. Je savais que j'étais chez moi à Paris sans toutefois trouver ma place dans cette riche rive gauche bourgeoise et hautaine. 
Et puis, à la fin de ma première année de master tout a changé : j'ai découvert Paris côté bar, avec des potes, et j'ai décroché un stage place d'Italie à l'opposé de mon appart' minuscule logé rue Royale à Saint-Cloud. C'est là que ma BFF est partie et m'a laissé son appart dans le XXème.
Dès lors, tout s'est mis en place.
Le Père-Lachaise à deux pas et demi, vivre directement sur le métro, la grande débrouille solo. 
Mon stage suivant était aussi dans le XIIIème et j'ai commencé à comprendre que tout n'était pas bourgeois rive gauche. 
J'avais beau adorer le XXème côté Porte de Bagnolet et son melting-pot hyper simple, son ambiance village ronchon et ses rues pavées, l'immeuble où je vivais est vite devenu insupportable : cafards, rats, voisins intermittents du spectacle rentrant à 5h en mode rave party, voisine nympho avec murs en papier de cigarette, voisine folle qui sentait le cadavre avant même d'être décédée, boucherie au rdc qui tapait dans le mur dès 5h du mat et une agression manquée m'ont fait claquer la porte.

C'est grâce à Escrivaillon que j'ai eu une opportunité assez inespérée : sous-louer sa chambre dans le XIIIème, à deux pas de mon nouveau job. Attention vous allez vous pâmer de jalousie : je n'ai pas pris le métro pour aller au boulot depuis 2013. (Je suis beaucoup moins malade depuis, sachiez-le). 

Et puis Escri est parti parti et je suis restée restée. 
C'est l'appartement dans lequel j'ai eu Marlowe, mon premier petit chat à moi rien qu'à moi, qui a malheureusement été affecté par le Pica et, croyez-moi, j'aurais préféré que ce soit en lien avec Pokémon. 
C'est dans cet appart que je me suis réveillée, en pleine dépression, à midi, et que j'ai vu Matthieu Madénian pleurer en direct à la télé, et que l'après Charlie s'est dessiné lentement dans mon esprit embrumé. 
C'est dans cet appart que j'ai envoyé des textos à toutes mes potes le soir du 13 novembre pour leur dire de rentrer chez elle, ne sachant pas quoi faire d'autre. 
J'ai eu moult colocs, du mec qui voulait se taper toutes mes potes, à celle qui m'a permis de partir sereine au Canada en gardant Molly comme sa propre chair et son propre sang. 
Beaucoup de garçons ont défilé dans mon lit. Beaucoup d'alcool a été consommé. Un tout petit peu de drogue, aussi. 
J'ai passé des canicules dans la baignoire et des hivers à maudire le chauffage électrique. 
J'ai béni le système de sécurité digne de Fort Knox quand j'ai failli me faire agresser par un chauffeur de taxi. 

Jusqu'au jour où, pour la deuxième fois en trois mois, je devais trouver une coloc. 
Entendons-nous bien, j'adore la vie à plusieurs mais pas trop : chacun sa chambre et on partage les charges et les pièces de vie, c'est même indispensable à ma vie en général de vivre au milieu de gens. Mais voilà, j'ai 31 ans, et mes colocs ont un âge de plus en plus déclinant, si bien que je me retrouve avec une 96 à l'heure actuelle et force est de constater qu'on n'a plus le même niveau d'énergie, d'exigence sur le ménage et même plus assez de points communs pour dialoguer un minimum. 
So be it.
J'ai passé une tête du côté des agences immobilière et, chance, destin, aide de Satan, le premier appart que j'ai visité était dans une de mes rues préférées à Paris.
Celle où j'ai toujours rêvé d'habiter. 
Et je me suis projetée immédiatement. 

Tout à l'heure, en m'y rendant pour superviser le chantier, j'ai vraiment réalisé que j'avais conquis ce rêve beaucoup plus tôt que prévu. 
Ca a été au prix de longs mois de paperasse, de stress, de prises de bec et de jugements de la part de pas mal de gens. C'est très très énergivore d'acheter seul, à Paris qui plus est, notamment quand on est indépendant comme moi. 

Je suis allée déjeuner seule dans mon resto de coeur, en lisant tout ce que je pouvais trouver sur le quartier sur les internets. J'ai découvert une secte Belge à deux rues et relu les passages sur la commune. 
J'étais enfin heureuse. 

Le deuil de l'appartement a été long et remuant. J'ai été grandement aidée par le fait de vivre seule à Montréal. Je m'accroche à l'idée que ce que le chat perd en m², il le gagne en accès à l'extérieur.
Ce n'est plus Marlowe. C'est une femelle forte et féliniste, qui se laisse pas marcher sur les grosses papattes, elle s'adaptera, j'ai confiance.

Je vais être pauvre, mais chez moi. Sans avoir à me soucier de qui m'aidera à payer le loyer le mois prochain, je ne pourrai m'en prendre qu'à moi pour le ménage et je devrai me faire des amis pour avoir quelqu'un auprès de qui me plaindre gratuitement.

On est à l'aube d'une nouvelle ère. Et le story-telling de ma vie s'enchaîne tellement bien que j'en viens à me demander qui en est l'auteur. 

jeudi 1 août 2019

I wanted to be with you alone and talk about the weather




La question qui revient le plus souvent, outre le déménagement, c'est "mais alors, tu abandonnes le Canada ?"

Non, pas exactement.
Ce que j'abandonne, c'est une certaine idée du Canada.

Ce que j'ai abandonné, c'est vouloir réitérer l'expérience que j'y ai vécu. J'ai enterré ce bonheur simple d'avoir un large groupe de potes dispos quasi tous les soirs, avec qui boire des bières, manger des choses grasses et jouer aux cartes.
Ce que j'ai abandonné, c'est la vie de rockstar, à picoler 4 étages plus bas, ramener le plus joli des garçons 4 étages plus haut et enchaîner quand même sur une journée de boulot où on me trouve formidable.
Ce que j'ai abandonné, c'est la non responsabilité absolue, partir sur un coup de tête explorer pendant les fins de semaine des endroits inédits.

J'ai abandonné l'idée de remettre un jour ma bouche sur G.

Pour l'instant, je me concentre sur les trois prochains mois, mais après ?
Je sais très bien qu'une volonté sourde me démangera. Que je ne peux pas rester très longtemps sans avoir un masterplan d'envergure. Soit partir à la conquête de quelque chose.

J'ai 31 ans, et jusqu'à 35 pour être tirée au sort, tout n'est pas perdu.
Un seul alignement d'astres et je trouverais le locataire parfait pour 2 ans. Je partirai sans souci, sachant que mon appartement m'attendra à mon retour.

En attendant, j'ai envie de transporter un peu de Canada à Paris. De rencontrer de nouvelles personnes, de jouer aux cartes jusqu'à l'heure du dernier métro, de trouver un ou une G. bis, de conquérir des choses, des endroits, des gens.

Je ne sais pas si la magie peut prendre dans notre culture, avec notre apathie, notre dédain, notre condescendance et notre méchanceté locale (vous saurez exactement de quoi je parle si vous passez un jour du temps long au Canada). Je n'ai rien de mieux à faire.
Alors pourquoi pas.