lundi 17 mai 2021

You might not wanna lose your power

 




– Vous ne pensez pas que les femmes vous ont fait autant de mal que les hommes, dans votre vie ? Je veux dire, votre mère, ces militantes, ces filles qui vous harcelaient au collège...

– Non.

– Mais les femmes vous ont fait beaucoup de mal, pourtant ?

– Aucune ne m'a violée, ne m'a fait de chantage au suicide, ne m'a poussée à me suicider, ne m'a dit d'arrêter mon traitement, n'a tenté de me tuer, n'a abusé de moi... 



Je n'ai jamais été sous l'emprise d'une femme. Et tout ce qu'elles m'ont fait subir, ou presque, peut être expliqué par la misogynie qu'elles ont intériorisé pendant des années. Ce qui n'excuse rien, mais explique beaucoup. 

Pour se faire bien voir par "les hommes©", pas mal de mes congénères ont fait des conneries. Comme se tirer dans les pattes. J'ai perdu une très bonne amie, très proche, parce qu'elle avait besoin de se sentir valider par un type lambda et que pour ça, elle m'a sacrifiée, moi et notre dizaine d'années de relation. Elle m'avait prévenue : les hommes passent avant tout.

Je me demande si depuis, elle s'est demandé "pourquoi ?" et surtout "est-ce que ça me rend heureuse ?"

Je sais qu'elle a trouvé, si ce n'est "le" bon, un mec relativement bien, et ça me rassure. Parce qu'elle avait assez souffert de ce côté là pour toute une vie.

Perso, j'ai toujours fait passer l'amitié avant tout, sûrement parce que je n'ai pas de famille au sens habituel du terme, et que mes amies ont la lourde charge d'incarner ces deux rôles à la fois. Il se trouve qu'aucune de mes amitiés masculines n'a duré, les hétéros se sont lassés de ne pas parvenir à me choper, les queers m'ont traité comme de la merde (comme des mecs qu'ils sont, ai-je envie de dire, mais d'autant plus malmenés par notre société hétéronormée) ou m'ont fait leur coming-out trans (mazel tov). 

Donc oui, dans ma vie, dans ce que je vois, ma binarité extrême : boys = bad, girls = bad because of the boys se vérifie à chaque fois. 

Mes boss les plus tordues se comportent exactement comme leurs patrons se sont comportés avec elles, parce que c'est valorisé, parce qu'il faut en passer par là, et après des décennies à faire semblant, elles deviennent qui elles imitaient. 

Ma psy m'a aussi accusé de repousser volontairement tous les hommes, mais à part les vieux vicelards dans les parcs, personne n'a tenté une approche, amicale ou autre, depuis deux ans. Depuis que je suis hors de leurs codes. 

Je connaissais ma partition par coeur avant, les robes, les talons, les push-ups, les épilations, la blague bien placée au bon moment, les remarques graveleuse avec un air innocent, ouvrir grand mes yeux bleus et serrer mes lèvres. Les mecs sont des filles faciles. Rien de plus simple que les pécho. Sauf que la société nous a aussi fait intégrer que là n'était pas notre place. Qu'on devait dire "non non non" pour ne pas paraître pour une marie-couche-toi-là. Une femme l'a même revendiqué, dans une soirée, en disant qu'elle aimait ce jeu et que ses "non" voulaient souvent dire oui. 

Oh j'imagine que ça peut être drôle, jusqu'au moment où on se rend compte qu'on est seule à jouer... 

Il y a celles qu'on appelle les "pick me", dont la devise pourrait être "moi j'ai que des potes mecs, les filles ça me saoule trop !", et j'en ai bon nombre dans mes proches. Je refuse de les juger. On nous a élevées pour devenir comme ça, pour être optimisée pour attirer l'oeil et plaire au mâle (même si pour ça, il faut lui dire "non non non" #cultureduviol). 

Moi même, je n'ai pas fini de me déconstruire - et on ne parle que de féminisme, de binarité et de culture occidentale blanche. 

Je ne me sens pas meilleure qu'elles. Je veux être là quand elles avaleront la pilule rouge. Je veux amortir leur chute. 







lundi 10 mai 2021

Players only love you when they're playing



Après trois ans de thérapie, mon trouble de la personnalité a un taux de stabilisation à 70%. Il semblerait que, pour une fois, je sois tombée du bon côté des statistiques. 
J'ai eu de bonnes pioches et des plus mauvaises question thérapeutes, mais j'ai enfin mis la main sur un psychiatre perle rare (eh oui, il reste un homme dans ma vie, mais j'ai toujours vu les soignants comme "neutres", ce qui faisait beaucoup marrer Jean-Michel blague mon ancien bad-psy-Freudien-mais-gratuit). 

On en a chié pour trouver une molécule que je supportais. Les effets secondaires m'ont complètement détraquée. J'ai passé l'été dernier à brûler de l'intérieur et tenter de ne pas m'évanouir, puis l'automne à insomnier et voir mes membres trembler sans raison. Enfin, mon système digestif est parti en roue-libre.

Et me voilà, depuis quelques semaines, à sursauter, à me retourner toutes les cinq secondes, à faire tomber des objets comme si j'avais les mains couvertes d'huile.

Bien sûr, dès que des trucs chelous apparaissent, je commence à stresser : est-ce que je rejette le nouveau traitement ? Est-ce que c'est un nouveau trauma qui resurgit maintenant que les autres se font plus sages ?

Non. Très clairement, mes deux psys, sans se concerter, se sont mis d'accord : je souffre de ne pas souffrir.

Ah.

Vu que j'ai arrêté l'hétérosexualité, le remède ne sera clairement pas de faire appel à un Christian Grey au rabais qui me fouettera jusqu'à me faire oublier mes symptômes. 
Non. Il faut attendre.

Parce que tout cela est une bonne nouvelle. Ca veut dire que je vais mieux. Tellement mieux que ma carcasse, habituée à ce que tout déraille à tout moment, se demande ce qui nous arrive. On n'a pas l'habitude que rien n'aille mal...

Aucun drame, aucune catastrophe. Rien à nous mettre sous la dent. Alors on guette, on se tient prêt.e.s.
Ca s'appelle l'hypervigilance. A peu près toutes les victimes de traumas connaissent ça. Mais souvent, c'est lié à une résurgence d'un élément leur rappelant le dit trauma. Pas l'absence de toute aiguille dans la botte de foin.

Qu'est-ce que ça me fait d'être en stabilisation ? 
Eh bien, ça me déprime. 
On ne change pas une équipe qui gagne. C'est mon mode par défaut et je n'allais pas, du jour au lendemain, me réjouir et voir la vie en rose.

J'ai une sorte de nostalgie fucked-up de la moi du passé, si passionnée, si pleine d'émotions tempétueuses qu'elle souffrait à chaque pas mais se sentait vivante.

Je ne vous cache pas, ami.e.s neurotypiques, que votre gamme de sentiments est un peu déceptive, par rapport à ce que j'ai pu connaître. Je flotte dans un univers beige, fade, sans conséquence. Rien n'est grave. Rien n'est exaltant. J'existe. Le temps passe. 

Bien sûr, les souvenirs ne sont que des réécritures de ce qu'on a vraiment vécu. La Johnson malade, sans le sou pour se faire aider, encouragée dans ses travers par des cismecs qui se sont bien servis de son trouble à leur avantage, était loin d'être un idéal. C'était même un danger pour elle-même. 

Alors oui, j'en suis à la point où je me dis "tout ça pour ça" ? Tous ces efforts pour une vie "meeeh", parce que je suis distordue par le "c'était mieux avant", alors que rationnellement je sais que c'est faux. 

Sur l'écran mastoc de mon PC d'adolescence, j'avais collé un post-it qui y est resté pendant une bonne décennie. Dessus, notée à la va-vite, une phrase tirée des paroles de la chanson Dakota de Stereophonics.

I don't know where we are going now.


...But i guess, we're still going on. 
And that's that.


samedi 8 mai 2021

I'm not phased, only here to sin



Mon grand-père voulait donner son corps à la science. Tout le monde disait que c'était une bonne chose, en hochant la tête en choeur. 
Perso, je comprenais pas vraiment les implications. J'ai dû poser des questions débiles. Du genre "mais... quand il sera mort, hein ?" parce que j'ai eu très tôt une peur de l'abandon proche de l'hystérie. 


Plus j'ai grandi, plus cette volonté me semblait dérangeante. Quand j'ai découvert ce que les étudiants de médecine faisaient subir aux cadavres, par exemple. Et puis, au final, mon grand-père a tellement été rapiécé de son vivant que personne n'aurait pu en tirer quoi que ce soit. Alors on l'a fait incinérer et on l'a mis dans la Seine, qui l'a bordé toute sa vie.

Des années après, Mémé l'a rejoint. 
Et moi, je vis toujours plus ou moins près de la Seine. Cela dit, je n'ai pas d'endroit où me recueillir, pas exactement. Pas fixement.



C'est à ça que je pensais en marchant dans le gigantesque cimetière de Thiais. Cimetière des pauvres, cour des miracles post-mortem, champ de verdure avec quelques cailloux dedans pour montrer qu'ici, il y a trente, quarante, cinquante ans, une tombe avait trôné, avant de s'enfoncer peu à peu dans la terre, au mieux, ou d'être arrachée de là car plus entretenue. Une seconde mort.





Le cimetière des pauvres a plusieurs particularités. Il est immense, on l'a déjà dit. Presque un quart de la ville de Thiais est consacré, non pas à ses habitants trépassés, mais à ceux dont Paris ne veut pas. Pas assez glamours (comme ceux du carré pénitencier), pas assez catholiques (comme près de la moitié des horizontaux de confession musulmane, ou bouddhistes et shintos en grosse représentation là-bas), pas assez jeunes, beaux et riches (comme ces vieux morts pendant la canicule de 2003 que personne n'a jamais réclamé), pas assez vivants (comme les minuscules habitants du carré prénatal), pas assez prévoyants pour leurs obsèques (comme ceux du carré des indigents, oops : "du jardin de la fraternité", pardon).





Bref, une bande grosse bande de crèvent-la-faim. Quasiment pas de célèbre, de rutilant, à moins de vouloir faire dans le glauque (car oui, nos plus récents terroristes sont là-bas, enfouis dans l'anonymat) ou dans l'incongru (le militaire qui a voulu buter De Gaulle, la première femme assassinée dans le métro ou encore Jean-Luc Delarue, dans une tombe ne portant que des initiales).




Au milieu de tout ça, le carré des gens qui ont donné leur corps à la science, un pré. Car poussière. Est-ce que j'aurais préféré devoir venir là, pour repenser à Pépé ? 
Sûrement pas. 
J'ai eu de la peine pour cette jeune femme qui laissait son bambin galoper dans les hautes herbes tandis qu'elle arrangeait un bouquet de fleur parmi les autres énormes compositions dans le petit endroit qui est réservé aux proches pour honorer leur mort.e. 

Car pour aller voir les pauvres, les anonymes, les disséqués, il faut se rendre tout au bout d'une ligne de métro, puis prendre un tramway qui passe toutes les 12 minutes et s'arrêter après "La Bretagne". Là, un décor d'ex URSS mélangé à une zone commerciale de province vous accueille. Il vous suffira de passer par le gigantesque portail digne des meilleurs camps de concentration pour tenter de remettre les yeux sur votre proche. 


Je n'ai jamais été aussi en rage après une balade de près de trois heures dans un cimetière, ce qui m'apaise généralement. 

La première mosquée de Paris n'est pas celle dans laquelle vous allez boire le thé, vous faire masser ou manger un couscous. Elle se trouvait dans le carré musulman du Père-Lachaise, un tout petit enclos capable de contenir un cinquantaine de tombe, inauguré par le corps d'une Reine, venue demander de l'aide pour son peuple et morte en chemin. 

De cette mosquée, ne restent que des cartes-postales. Au nom de la sacro-sainte Laïcité, les carrés confessionnels ont été dispersés, mélangés. Des croix, des étoiles, des mains, hop hop hop, on mixe le tout, il ne faudrait pas que les gens qui se ressemblent s'assemblent. En tout cas, pas ceux-là. 




Au final, on a repoussé nos colonisés hors de Paris. On leur a édifié des stèles insipides qu'on leur interdit de décorer à leur sauce (pour ne pas perturber l'harmonie du lieu). On fait trôner, comble de l'ironie, un énorme drapeau français au milieu des militaires ayant combattu en Algérie, enterré tout près des descendants de ceux qu'ils ont pillé puis assassiné.


On retrouve à Thiais tout ce que la France a produit d'affreux, a provoqué d'indigne. Pas étonnant, alors, que dans les quelques carrés "gratuits" prévus pour ceux qui n'ont pas les moyens de se faire enterrer, ou même incinérer, pour ceux qu'on retrouve sans identité, les oubliants, les errants, les ostracisés, toutes les dalles se ressemblent, et les plaques nominatives ne sont présentes que sur une moitié d'entre elles. D'ailleurs à quoi bon ? On les laisse généralement ici 5 ans avant de faire de la place pour d'autres. Oui, apparemment, on en manque. 


En fait, il suffit de faire quelques pas pour s'apercevoir que des champs entiers sont disponibles. Manque de volonté ? Certains disparus que les proches cherchent si fort qu'ils montent des associations ne seront jamais retrouvés car ici on brûle les os des anonymes avant de les entasser dans l'ossuaire. 

Dans ce cimetière, il y a tout ce que nous ne voulons pas voir. Mais, j'imagine qu'il faut bien les mettre quelque part...