lundi 13 novembre 2023

Is one more love out to break your heart

 



"Ah oui, quand même."

Si je devais compter le nombre de fois où d'éminents spécialistes du domaine médical ont eu cette réaction en découvrant mes résultats à divers tests (mais jamais de Q.I, hein, entendons-nous), je perdrais le fil.

Là, c'était l'éminente spécialiste du sommeil. Avec son prénom trop classe, dans son cabinet trop classe, de son arrondissement trop classe qui a été le premier où j'ai mis les pieds en stage, quand j'étais un bébé éditrice. 

J'ai attendu 5 mois, ce rendez-vous, rempli consciencieusement mon agenda du sommeil, et la bardée de questionnaires qui l'accompagnaient. 

Et voilà. Dans ses yeux, je lis la circonspection. 

Moi, je déborde. Dans tous les sens. Je suis en pleine intoxication alimentaire (ou alors est-ce le sevrage de mes antidépresseurs, décidé unanimement par me, myself & I qui est un peu plus velu que prévu ?) et j'ai les larmes au bord des yeux constamment, parce que mes règles veulent pas arriver et je suis bloquée en SPM depuis deux semaines. 

Oui, c'est pas facile facile d'être locataire de ce corps.

C'est le bordel dans le bureau de l'éminente spécialiste, et mon regard furette dans tous les sens tandis qu'on fait l'état des lieux de tous les bordels qui m'habitent. Je vois des schémas avec des gens couverts d'appareils monstrueux. Des casques qui feraient se pâmer d'envie les Daft Punk. Et un petit mot scotché disant "Il est interdit de manger ou de changer des enfants dans ce cabinet" avec une virgule rajoutée à la main avant le "ou". 

Je vais pour rire discrètement quand elle réitère : 

"Ah oui, quand même"

Apparemment, je suis tellement une personne "du soir" que j'explose tous les scores.

D'aussi loin que je m'en souvienne, je l'ai toujours été. Mon cerveau sort toujours de sa torpeur à la tombée de la nuit et devient aiguisé, rapace, presque. Comme si je m'apprêtais à sortir guetter de la jugulaire à dévorer.

Mais généralement, je me contente de faire des listes pour la moi du lendemain qui, l'esprit embrumé après ses 14h de sommeil, exécutera tout au radar. 

L'éminente spécialiste me demande si je mange équilibré, ce à quoi je réponds "LoL". Elle fronce les sourcils. Commence à me dresser une liste impressionnante de compléments alimentaires. Je me dis "et zé parti pour l'homéopathie" en levant les yeux au ciel internalement. 

Déjà, quand elle m'avait vanté les mérites d'une lampe de luminothérapie à 150 boules, j'avais commencé à douter. Je m'étais dit que comme beaucoup d'éminents spécialistes, elle allait charger mes problèmes psys et me renvoyer à la maison sans régler mon souci.

Puis elle enchaine sur "...et je vais vous envoyer deux jours à l'hôpital."

D'un coup, je rigole plus du tout, et j'essaye de me concentrer.

Elle m'explique que je vais passer 48 h tout confort avec vue sur Notre-Dame (ou, en tout cas, dans une chambre solo à l'Hôtel Dieu). 

Elle enchaine avec "et pour ce que vous avez, je crains qu'il faille voir le cardiologue avant que je vous prescrive quoi que ce soit, parce qu'on parle de drogues dures là."

Ah, tiens.

Je suis surprise qu'on prenne mon petit problème d'hypersomnie au sérieux, d'un coup. Alors que je combats l'incendie avec un pistolet à eau depuis un an et que la plupart des gens oscillent entre le jugement pur et simple et le "oh bah, si tu dors autant, c'est que tu dois en avoir besoin !" Que mon psychiatre en a, dirons-nous, pas grand-chose à foutre, parce que pendant que je dors, j'essaye pas de me pendre (true, dat). Que ma psychologue se limite à me dire que j'ai une sale gueule quand je débarque dans son cabinet à 15h30, au saut du lit. Et que ma psy EMDR joue au "ni oui ni non" quand je lui demande si tout ce bordel ne pourrait pas avoir un lien avec mes traumas mal soignés ? Ma job coach, elle, pense que c'est un complot de Big Ph*rma, et que mes antidépresseurs sont à l'origine de tous mes maux, et qu'il faudrait que je boive plus de tisane au foin. 

J'ai commencé la thérapie de groupe, à la rentrée, "bonjour, Johnson, 35 ans, célibataire", et j'ai été un peu rassurée quand j'ai entendu mes co troublés de la personnalité dire qu'elleux aussi avaient connu des phases d'hibernation.

Mais juste des phases.

Je pars donc du cabinet cossu de l'éminente spécialiste avec une éclaircie au-dessus de la tête (même si, en vrai, il pleut tellement fort qu'une dame me tape sur l'épaule pour me dire que mon sac prend l'eau). La possibilité d'un traitement.

Un truc étrange, qui réchauffe de l'intérieur et dégage un peu l'horizon.

L'espoir, ça s'appelle, je crois.