mardi 26 mai 2020

Above this little town



J'imagine que je suis la voisine un peu sauvage, celle qui parle le moins possible aux autres et qui cache difficilement son agacement quand on vient sonner chez elle. 

Le changement est radical : j'ai habité pendant 6 ans dans un immeuble où personne ne parlait à personne, et où tout le monde m'ignorait cordialement quand je changeais de colocs comme de chemise, y compris quand j'ai dû avoir recours à Airbnb (never again). 

Désormais, j'occupe une ancienne loge de concierge, et si c'est la grotte parfaite pour échapper à la canicule et avoir assez d'espace pour n'être qu'en coloc avec mon chat tout en ne me saignant pas aux quatre veines, le prix à payer c'est de connaître par coeur la vie de mes voisins. 

Et vice-versa, j'imagine, mais comme je n'ai pas de vie, tant pis pour eux.

Il y a d'abord ceux qu'on m'a présenté comme la famille difficile, qui ne répond jamais quand on sonne chez eux (je les comprends) qui s'opposent à toutes les régulations de la copro qui s'est agrandie de 2 à 5 (ouais, ça doit pas être simple) et qui semblaient à mon agent immo "un peu sauvages" (bah moi ça me va), d'autant que j'ai un chat, ils ont un chat, on part sur un partage de la cour sans trop de soucis. 

J'ai mis longtemps à comprendre combien ils étaient et comment ils fonctionnaient. Ils s'entassent à 3 générations dans une minuscule maisonnette biscornue prise en pince par les immeubles avoisinants. 
Il leur manque des dents, mais pas de l'intelligence. Quand on discute, ils comprennent vite et bien, et si ce n'était le reste de leur famille qui leur rend visite en gueulant comme si l'immeuble leur appartenait, ce serait presque un sans faute.

Mais parfois, mon chat se hérisse, l'air se glace, on entend une jambe traîner sur le ciment de la cour. C'est l'heure où la grand-mère va chercher ses bières à l'épicerie du coin. Souvent en pyjama. 

Elle fait aussi peur qu'une sorcière zombie, et mon chat la craint et la hait au plus haut point. Il y a quelque chose de déjà mort en elle. Elle n'entend plus et boit pour oublier qu'elle est triste - elle a perdu un mari et un fils. 

Sa fille, celle qui la soutien, n'est pas sa progéniture favorite, et pourtant c'est elle qui la ramasse à 4h du matin et qui nettoie vomi et pisse. Celle qui la force à se nourrir et qui se force, elle, à sourire quand ils jouent tous ensemble aux dominos. 

Le mari de la fille semble avoir de gros problèmes de santé mais n'a pas hésité à grimper à l'échelle quand mon gros chat s'est paumée quelque part de l'autre côté d'un mur. 

Leur fille est la propriétaire du chat. Brillante, qui s'exprime bien mieux que ses parents, un peu trop sensible et qui pose trop de questions. Parfois, le cousin, encore plus jeune, habite aussi chez eux. Dans cette cave où est confinée tous ceux qui ne sont pas "la vieille". Je retrouve ses jouets dans ma partie de cour et si je ne lui lançais pas des regards not amused je le retrouverais sans doute chez moi à patauger dans la gamelle du chat.

Mia, le chat noir, a 2 ans, elle n'est pas châtrée et chante donc toutes les trois semaines en espérant qu'un mâle vienne la soulager. 

C'est là qu'intervient l'autre personne occupant le rez-de-chaussée, celui qui occupe l'autre appartement de l'immeuble. Un jeune homme hyper avenant qui travaille dans la mode, gay comme un arc-en-ciel qu'il a d'ailleurs pour paillasson, dont les effluves de parfum s'infiltrent agréablement chez moi dès qu'il sort de la douche. Gentil, joli, poli et propre donc. Le voisin parfait. 

Jusqu'au confinement.

Ca a été le révélateur absolu. De l'alcoolisme de la voisine du fond de cour, d'ô combien sa fille était dépassée et du fait que jeune voisin propre sur lui n'était qu'une façade. 

Je suis allée de découverte en découverte. Les gens s'accumulaient devant sa porte, pendant des dizaines de minutes parfois et sonnaient sonnaient sonnaient.
Ils voulaient être payé. Lui clamait au téléphone, sur haut-parleur, qu'il n'avait plus rien. Puis, il demandait crédit à un autre dealeur, et ramenait tout Paris ramassé dans la rue, puisque plus de boîtes, dans son appartement. Le lendemain, de nouveaux dealeurs retrouvaient les anciens pour venir lui demander des comptes, alors il en réglait certains en nature.

Pendant ce temps, la mamie alcoolo arpentait le même couloir pour aller acheter sa bière, et se prenait les effluves de covid de tout notre arrondissement ramenés par nos amis les petits commerçants du porte à porte.

Et puis, alors que nous parlions félins, la famille bidochon m'a révélé que happy-shiny voisin, quand il a emménagé, a immédiatement placé de la mort aux rats dans notre cour, quand ils lui ont signalé que c'était dangereux pour leur chat - et que les rats venaient de l'autre côté de son appart, là où trônent les poubelles d'un resto, il a répondu qu'il était "allergique aux chats".

C'est à ce moment-là que je me suis mise à le détester cordialement. 

La voisine avocate qui a racheté tout le deuxième, a abattu les murs et s'est fait un loft, s'est barrée en confinement loin, loin, et n'est jamais revenue. L'artiste pianiste cinglé (de son propre aveu) habitant juste au-dessus de moi, est parti lui aussi, mais il est revenu, il est toujours aussi mauvais pianiste et toujours aussi fou. Il a des cheveux en moins, je crois. 

Je repense souvent à ma tante américaine qui, dans sa cuisine de 40m² avec vue sur la baie, dans sa banlieue huppée de San Diego, me disait que je vivais dans une bulle, sans mixité sociale. Que j'étais déconnectée des réalités. (Et qui, en même temps, suggérait à mes parents de m'acheter un appartement à Paris pour s'épargner les loyers). 

Je m'offusque beaucoup quand le reste de cette famille qui n'est la mienne que part défaut, casse du sucre sur "les parisiens" - 12 millions de personnes dans le même panier, quand même. Ne faisant pas la différence entre les gens du 92 qui se sont accaparés Deauville et mes anciens voisins "United colours of the XXème" qu'ils ont pourtant déjà croisé quand j'y vivais. 

L'autre jour, j'ai entendu un clodo se fâcher très fort après un bobo à vélo et lui courir après en continuant de l'attaquer verbalement. Il disait "Tu parles pas de Paris comme ça ! Si c'est trop cher pour toi tu te casses ! Tu parles pas de Paris comme ça devant moi !" 
J'ai trouvé ça émouvant, d'avoir ce lien avec cet homme qui, en étant clodo dans les rues de la capitale, vivait déjà au-dessus de ses moyens. Ce point commun, de vouloir défendre cette ville si différente d'une rue à l'autre, pleine de cons, pas plus qu'ailleurs, mais concentrés par la force d'une densité qui est dans les plus grandes d'Europe. 

Je crois que je connais mieux la mixité sociale en prenant le bus ici, que les gens de ma "famille" dans leurs banlieues bourgeoises pavillonnaires où on se juge de loin sans savoir vraiment ce qu'il en est chez l'autre. Tout le monde est blanc. Quand quelques fils et filles d'immigrés se rapprochent, on est condescendant avec eux "c'est forcément grâce à l'argent de la drogue." Ca se masse dans des petites villes de province où le score du RN ne cesse de monter quand je vis dans un arrondissement de gauche, avec une maire que mes provinciaux de "proches" ne cessent de dénigrer, parce qu'ils ont entendu d'autres le faire. Paris ne les intéresse que lorsqu'ils ont l'opportunité de critiquer l'action publique d'une femme, on dirait. 

Ils continuent de me faire taire, en parlant plus fort, ou en me tournant en ridicule, en se servant toujours des arguments qui datent de la "crise d'ado", pour se rassurer d'être dans le vrai, quand en fait, ils jugent beaucoup et ne savent presque rien. 

vendredi 8 mai 2020

The land where you were born



Quand ma super psy a voulu voir où en était mon "enfant intérieur", elle m'a dit de fermer les yeux et d'imaginer ce que Lil' Johnson avait à dire à la moi du moment. 

Long story short, elle n'a pas dit grand chose plus qu'elle a hurlé, je crois, et a fait pleurer la moi du présent presque instantanément. 

Super psy a sorti un "woah" et s'est dit qu'il fallait peut-être commencer par autre chose. Alors on a travaillé sur deux problématiques à résoudre : comment digérer "Nothing Arrived" (spoiler: j'ai carrément abandonné les hommes) et comment me remettre à écrire. Pour cette dernière problématique, je crois que ma thérapeute elle-même ne pigeait pas les tenants et aboutissants du besoin d'écrire. Elle m'a demandé de rédiger des lettres sur différents sujets. Ce que j'ai fait, parce que c'est mon job, d'aligner les mots à la demande. Et ça, ça n'est jamais tombé en panne. 
Non, ce qui est parti loin, quand j'ai commencé à bosser, il y a dix ans, c'est ma capacité à passer des heures devant un traitement de texte et à écrire pour moi. 

C'était ma première forme de thérapie, et j'ai accumulé les - terribles - écrits de jeunesse, tant je n'avais rien d'autre dans ma vie. C'est là que j'ai compris que les deux concepts étaient liés, en moi ; mon enfant intérieur écrivait. Et l'adulte que je suis devenue en a fait son gagne-pain, dans un milieu qui a broyé l'enfant intérieur et a donc transformé la passion de l'écriture en torture. 

Comment revenir en arrière et retrouver cela alors que je ne peux pas vraiment changer de carrière ? (Entre autre parce que je suis vraiment bonne à ce que je fais et que je ne sais rien faire d'autre)

Je suis, malgré tout, très en lien avec la gamine que j'étais. Déjà, parce qu'elle était beaucoup plus raisonnable, intransigeante, déterminée et incorruptible que je le suis actuellement. Quelque part, j'admire cette petite fille qui a dit fuck à tout le monde et décidé d'arrêter de manger des animaux dès qu'elle a compris ce qu'il y avait dans son assiette. 

Qui a dit "fuck" à la sieste quand les petits garçons autour d'elle en profitaient pour lui montrer leur zizi (s'il y avait eu des ciseaux pour gauchère dans cette école maternelle, mon destin aurait été tout autre).

Qui, quand son géniteur a insulté son grand-père, s'est levée et l'a engueulé, s'est promis de ne plus jamais faire semblant de l'aimer. Quand on lui a demandé un dessin pour la fête des pères, elle a collé une super marguerite séchée sur une feuille et a inventé un poème et fait un dessin vraiment badass en imitant ses camarades, mais quand elle est rentrée chez elle, elle l'a rangé au fond d'un cagibi. Sa mère ne l'a retrouvé que des mois après, se demandant bien pourquoi elle ne l'avait pas offert.

Tout ce qui forgeait ma personnalité, pendant l'enfance, a continué à s'exprimer à l'adolescence. Sauf que je n'étais plus une mignonne petite fille et qu'on m'a collé l'étiquette "crise d'ado", dans laquelle on a fourré tout mon ressenti sans le traiter.

Ça a été super simple pour toute la "famille" de s'accorder sur le fait que j'étais une ingrate colérique, d'autant que j'étais physiquement vilaine, et que plus personne n'avait envie d'avoir quoi que ce soit à faire avec moi. 
Or, je n'étais que moi-même. Je n'ai pas dépassé les limites, jamais. J'ai juste réagi à une absence totale d'amour dans le foyer (entre mes parents, de mes parents pour eux-mêmes et envers moi), absence qui n'était pas dans ma tête puisqu'on me répétait entre deux gifles ou humiliations qu'on n'aurait jamais dû me faire, et qu'à chaque tentative de me rapprocher d'eux, de comprendre d'où tout cela venait - car c'est un trait de ma personnalité aussi, la quête de connaissance et de vérité - on me renvoyait dans ma chambre, à une solitude quasi totale, parfois éclairée par un chat, ou un séjour chez mes grands-parents. 

J'ai un souvenir assez vif d'un repas de famille où j'ai reçu deux ordres à la fois, et n'ai donc pas pu les exécuter tous les deux. Quand j'en ai choisi, la mort dans l'âme, un sur les deux, ma mère voyant que je n'avais pas exécuté son ordre (mettre les petites cuillères à table) a commencé à me poursuivre pour me frapper. Grâce à ma petite taille, j'ai réussi à me faufiler sous la table, et j'étais très fière de lui avoir échappé, quand, sorti de nulle part, un personnage relativement neutre de ma famille, une "pièce rapportée", s'est interposé et m'a bloqué la route pour que je reçoive le châtiment. Devant tout le monde.

Je crois que ça a marqué le début de ma non confiance généralisée. Les adultes avaient passé un pacte contre moi. Je ne pouvais pas gagner. 

La solitude n'a fait que s'agrandir quand mes camarades sont devenus, eux aussi, des adultes. Le gouffre était béant à l'entrée au collège, où, à 10 ans, j'étais encore une petite fille, quand les autres ne pensaient qu'aux fringues de marque. Quand les jeux dans la cour, ma façon d'échapper au réel, sont partis en fumée et que, sans le choisir, j'ai perdu un à un tous mes repères, ce qui m'aidait à tenir lorsque je "rentrais" "chez moi". 

La bibliothèque était un refuge, et bientôt, j'ai même eu le droit de m'y rendre seule. C'était un morceau brut de liberté qui était plus précieux que tout. Là-bas, rien ne pouvait m'arriver. C'était le domaine des livres et on n'avait pas le droit de socialiser. Les gens qui me martyrisaient au collège ne fréquentaient pas ce genre de lieux et les adultes me laissaient plus ou moins tranquille.

C'est là-bas que j'ai touché mes premiers ordinateurs. Donc quand une machine est arrivée à la maison, j'étais prête, et j'ai commencé à écrire. C'est ce qui m'a portée à travers tout, jusqu'à l'âge où je n'ai pu repousser le passage à l'âge adulte, où j'ai dû gagner ma vie, où toute mon énergie est partie dans ces choses qu'on exigeait de moi, dans les masques sociaux et dans les trajets insupportables après des nuits sans sommeil. 

J'ai tenu huit ans, loin de la petite fille que j'étais - la meilleure version de moi - avant de comprendre que je ne serai jamais autre chose, ou du moins, qu'autre chose serait toujours moins bien...

Je deviens donc de plus en plus cette enfulte (copyright les Robins des Bois) qui rendrait Lil' Johnson fière : je crie sur ceux qui donnent des ordres injustes, je vis seule, loin de tous ceux qui peuvent réduire mes libertés et dégrader mon image de moi, j'essaye de réveiller les enfants présents dans les quelques adultes réceptifs qui croisent mon chemin. Je ne mange toujours pas d'animaux, mais maintenant je peux manger du chocolat sans qu'on me regarde avec un air dégoûté, comme si grossir était pire que mourir. Je bois de l'alcool, parce que c'est ce qui permet à tout le monde de redevenir enfant de manière socialement acceptable. Je bois du café, pour réguler mon envie de dormir toute la journée, comme un bébé. Je mène une vie où le divertissement est roi, où le plaisir est légion, où je ne socialise qu'avec les gens que j'ai choisi, sans faux-semblants.

J'ai encore du boulot, mais j'espère que bientôt, quand je fermerai les yeux, elle ne criera et je ne pleurerai plus.