samedi 15 février 2025

Lukewarm life all alone, it drags on and on

 

[It drags on and on]

Il y a peu, j'ai traduit un bouquin sur une jeune fille métisse qui témoigne de son sentiment de n'appartenir à aucune de ses deux origines, d'être rejetée dans l'un comme dans l'autre des pays dont elle a hérité de la culture. Ce sentiment de n'être jamais assez, ou beaucoup trop.

Comme je suis, pour ma part, blanche comme un cul, je n'ai pas trop pris le temps de laisser ça résonner en moi, en me disant que certes j'avais beaucoup d'empathie pour sa situation, mais que je n'étais pas concernée.

Et puis, j'ai pris comme bonne résolution de tenter de resocialiser un peu, car en me stabilisant, j'ai perdu pas mal de choses, dont ce qui me rendait très attractive aux yeux des autres. 

Quand on est Borderline, on est à la fois dans le people-pleasing à fond et dans l'extravagance. On en fait toujours plus pour divertir les gens, pour être entouré, pour surtout ne pas avoir à se retrouver isolé avec ses pensées. Pendant des années, je me suis donc déguisée en soleil. Je faisais graviter tout un tas de gens autour de moi, qu'ils appartiennent à ma galaxie ou qu'ils soient d'énormes trous noirs, juste pour qu'il se passe des choses, pour ne pas flotter dans le néant, pour fuir en avant. Car mieux valait le chaos que l'ennui.

Et puis, je ne sais pas exactement quand ça s'est passé, mais j'ai arrêté de faire semblant. Comme toujours, chez moi, c'est sûrement parti d'une décision brutale, et du jour au lendemain, c'était entériné : plus de soirées gigantesques d'anniversaire où je claque l'argent donné par mon père en shots histoire de le vomir, plus question d'aller aborder des inconnus, en ligne ou ailleurs, avec des blagues provocantes voire de mauvais goût histoire de tester leur résistance et leur capacité à encaisser, plus de Ciné Club où j'avais l'impression de prendre en otage des gens bien - qui avaient juste ça en commun : d'être des gens biens - en les forçant à être amis afin qu'ensemble on forme la famille que je n'avais jamais eue. 

Je n'ai pas tout perdu, après tout parmi tout ce bordel, il y avait ces quelques gens biens, mais le vide a repris sa place. 

J'ai abandonné aussi les signes extérieurs d'attractivité : les talons, les robes, les longs cheveux soyeux qui volent au vent. Je suis devenue invisible. Histoire d'être tranquille. Enfin. 

Il y a eu des crises, dont celle de manie, il y a deux ans, où tout est revenu comme une boule de feu, où des inconnus me raccompagnaient, inconsciente, dans des taxis à 5h du mat et où je me réveillais sans savoir comment je m'appelais. Période étrange pendant laquelle mes psys étaient hypers contents de moi, comme si je venais de sortir d'une longue sieste, alors que si je l'avais fait, c'était davantage pour trouver un cercueil à ma taille.

Tout ça pour dire que j'en suis sortie, et après une année bien merdique où je ne pouvais me permettre de me poser des questions volant plus haut que "s'inscrire ou non aux Restos du coeur ?" "Combien ça se revend, sur Vinted, une âme ?" et "Finalement, a-t-on vraiment besoin d'électricité ou est-ce qu'on est pas un peu des enfants gâtés qui se vautrent dans le confort superflu ?", me voilà, en 2025, avec une éclaircie financière et boulotale à l'horizon et la capacité de me dire : OK, et maintenant ?

Alors oui, j'ai retenté de socialiser. De sortir de cette fameuse zone de confort. De tester des trucs (qui n'impliquent ni sexe, ni drogue, ni rock&roll). 

Et c'est là que je me suis souvenue. Le fameux décalage, cette deuxième nature, que j'avais oublié.

Enfin, pas vraiment. Ce diag fait partie de mon quotidien. J'ai appris à l'amadouer, à le tranquilliser, voire à en faire une force.

Mais j'avais oublié ce qu'il faisait de moi, profondément.

La personne fractale qui ne sait pas qui elle est, ne l'a jamais su, et avait décidé de laisser aux autres le soin de la définir car ils étaient meilleurs et avaient sans doute raison. 

La personne en décalage permanent, ni tout à fait typique, ni tout à fait folle à lier, en tout cas pas assez pour être hospitalisée.

Une sorte d'entre deux un peu agaçant, où on ne peut jamais être confortablement installé. 

Même face aux gens qui nous suivent avec abnégation depuis 10 ans et qui ont des vieux réflexes de gens normaux (tm) quand je m'ouvre à eux ; "Mais qu'est-ce qui te fait dire ça ?" "Peux-tu me justifier en trois points d'où te vient cette déduction ?" "Quelles sont tes sources ?" "As-tu bien rempli le formulaire 3B alinéa 4 avant d'employer telle expression ?"

Ca me secoue toujours de me rendre compte que ceux qui me connaissent le mieux seront toujours tenus à distance par mon mode de fonctionnement, si différent du leur. 

Peut-être est-ce pour ça, que je suis devenue traductrice. Pour essayer de faire passer le mieux possible des messages d'une langue à une autre. D'une psyché neuroatypique à celles du plus grand nombre.

Alors oui, je suis allée chercher du réconfort auprès d'autres personnes neuroA, même si dans ces moments-là, mes psys froncent les sourcils et me disent que je régresse. Que je suis apte à fréquenter des gens normaux (tm), même si ceux-ci ne comprennent, malgré tous les efforts du monde, rien à rien et me poussent dans mes retranchements, hors d'haleine, à force de devoir leur exposer 6 copies doubles de Thèse - Antithèse - Synthèse alors que je voulais juste leur dire "ça, tu vois, c'est ma vérité".

Et d'un certain côté, mes psys ont raison. Je ne suis pas comme les neuroA non plus, parce qu'on est tous différents et ce qui nous uni, au fond, c'est souvent les seaux de merde qu'on nous a envoyé à la gueule. Donc on ne se tire pas vraiment vers le haut, et c'est sur la personne la plus stabilisée (généralement moi) que retombe la charge de trainer le traineau. C'est ce que mes psys veulent que j'évite, alors je ne garde que quelques orteils dans le pédiluve, et j'essaye de ne pas me faire happer vers la fosse des Mariannes, tout en lançant des bouées de secours à ceux qui tentent de sortir la tête de l'eau, quand j'en ai l'énergie.

Je ne suis pas dupe, je sais que les personnes normales (tm) ne se comprennent pas beaucoup plus entre elles, souvent, d'ailleurs, parce que rien ne les oblige à se remettre en question. A regarder vers l'intérieur et à se dire "tient, ce truc tordu là qui est planté dans mon pied... et si je l'enlevais pour voir ?"

On arrive sur un problème mathématique complexe, où mon bas niveau d'énergie ne me permet que de faire des tentatives chirurgicales pour rencontrer des gens, et il faut que ces jours d'embellie correspondent à des opportunités, elles, de plus en plus rare, et que lors de ces opportunités je tombe sur des personnes compatibles (on ne va pas pousser le bouchon trop loin et se trouver un groupe de skinheads avec qui allait casser du sans-papier, je suis désespérante mais pas désespérée). 

Et pour les personnes bien, les personnes compatibles, les personnes bienveillantes, c'est la triste loi du marché. Elles sont souvent très occupées et, à notre âge avancé, tout roule sur des rails un peu trop huilés. Je ne les croise donc que lorsqu'elles sont en crise. Je les aide, en espérant qu'elles m'intègrent à leur vie d'après, mais souvent, j'apparais comme faisant partie de l'avant, du leste qu'on doit lâcher pour s'envoler.

Et puis, il y a les personnes qu'on croyait normales (tm) et qui se révèlent être des Fantomas du diag ignoré et qui, d'un coup, révèlent leur vrai visage et vous laissent sur le carreau en démarrant en trombes dans un nuage de gaslight.

Alors que s'est-il passé, en moi, quand j'ai vu que mon mur invisible social était toujours là pour que je me le prenne en pleine face ? 

De manière assez prévisible, je suis retournée dans mes anciennes manies (pas celles où je danse sur les comptoirs en faisant des body shots sur le torse glabre de rockstars à peine majeures), mais celle de l'ado attardée à l'âge où je suis restée bloquée (on en a toustes un.e). J'ai recommencé à vivre dans ma tête en attendant un ailleurs, et un autre moment. Ce qui était une théorie valable quand j'avais 16 ans et que j'étais enfermée dans le trou-du-cul de la Normandie, mais qui l'est beaucoup moins maintenant que je me suis déjà reconvertie, que je suis propriétaire et que j'ai deux chats à nourrir. 

En tentant de faire un pas vers l'extérieur, je me suis enfoncée encore un peu plus en moi-même. J'ai ouvert la porte, fait un pas dehors, et comme je n'ai croisé personne tout de suite, je n'ai pas avancé plus, je suis retournée m'assoir bien sagement autour de la table en plastique du jardin pour boire le thé avec mes nounours et mes amis imaginaires.

(Car oui, je suis aussi restée bloquée à l'âge où je vivais chez mes grands-parents et où, pour la seule fois de ma vie, je nageais dans l'amour inconditionnel, cette drogue plus addictive que le crack).

Mes amis imaginaires sont plus adultes, plus barbus, et je n'accroche plus de posters d'eux. Je lis leurs livres, leurs articles, je regarde leurs films et je m'imagine tout ce que je ne serai jamais, parce que même si ça se passe mal, ça ne se passe pas vraiment. 

Je ne risque rien.

Je profite d'un dernier week-end de semi-liberté avant de plonger dans un tunnel de travail qui va me rendre malade mais auquel j'ai dit oui par trauma d'avoir été une cigale toute l'année dernière.

Ma triste existence de fourmi me servira d'excuse parfaite pour ne surtout pas mettre le nez dehors, ou me fera pleurer des larmes d'épuisement quand une opportunité de socialiser se présentera enfin mais que je n'aurais pas l'énergie de la saisir. 

Oscar, mon meilleur ami imaginaire, préfère les remords aux regrets, et j'ai suivi le guide pendant si longtemps, j'ai saboté tellement de choses en passant à l'action tête baissée en faisant n'importe quoi dans l'unique but de prouver à tous que "vous voyez ! ça marche pas !!" que j'ai opéré un 180° sur les roues arrières et me suis drapée dans des regrets un peu flou à base de "au moins, ça s'est pas mal passé, vu qu'il s'est rien passé."

Ma dissociation délicieuse a donc de beaux jours devant elle et j'ai fourni, avec mon peu d'énergie, les meilleures armes à mon déni qui pourra dire aux autres "bah si, j'ai essayé !" alors que ne nous leurrons pas : je me suis juste pris un grand coup de réalité dans la gueule et j'ai tourné aussi vite les talons en criant "Nope!" 



lundi 27 janvier 2025

Listen one time, it's not the truth

 


Tu aurais pu être formidable pour moi, et faire prendre à ma vie affective un tout autre chemin. 

On s'est ratés de peu, je m'en suis aperçue bien tard.

Tu es sûrement le moins pire de tous ceux dont je me suis entichée au fil des années, persuadée que même avec un bâton, ils ne me toucheraient pas.

Pourtant, quand il s'agissait, quelques années plus tard, d'aller à l'assaut du plus bel éphèbe d'un bar, je n'ai jamais eu froid aux yeux. Mais quelqu'un qui fait partie de ma vie, quelqu'un que je ne pourrai pas fuir, ça m'a toujours gelée sur place.

Et puis, techniquement, quand tu as été intrigué par moi, je n'étais pas célibataire, et même si je finirai par rompre parce que je pensais trop à toi pour me sentir honnête avec l'autre, toi, tu auras eu le temps de passer à autre chose.

A celle avec qui, dans notre classe, on me confondait toujours. L'ironie ne m'a jamais échappée. 

On ne saura jamais, j'aurais pu être très nocive, s'il s'était passé quoi que ce soit entre nous, comme c'est ce qui s'est passé avec elle, du moins j'en ai eu l'impression.

C'était trop dur d'assister au what-might-have-been, alors je suis partie. J'étais là. A côté de toi, au quotidien, mais je ne t'accordais plus nos échanges de quelques mots, entre deux portes, souvent sur les livres que je lisais, et que tu ne manquais jamais d'avoir déjà lus, toi aussi.

Sauf ceux en anglais dans le texte. Ca t'impressionnait d'ailleurs que j'en lise d'aussi gros, à mon si jeune âge.

Je n'étais pas encore majeure pendant la plus grande partie de notre relation. J'ai failli écrire amitié, mais je ne suis pas sûre d'avoir fait assez d'efforts pour ça. Tu étais amical, oui. Mais j'étais barricadée par mes peurs, mes complexes, mes idées reçues.

Quand toi, tu les as fait, ces efforts, je me suis bornée au premier degré, refusant de voir la main tendue, l'envie d'en apprendre plus sur moi. Encore une fois, peut-être que tu n'avais aucune idée derrière la tête en t'invitant chez moi, puis en me proposant un verre, en bas. 

J'aurais peut-être même pu me laisser amadouer s'il n'y avait pas eu la phrase de trop. Celle qui m'a fait basculer dans l'une des premières crises d'angoisse de mon histoire.

Je suis grimpée quatre à quatre dans l'escalier pour aller m'enfermer dans les minuscules toilettes dégueu de ce bar, en face de la gare du Havre. Je me suis regardée dans le miroir et je crois que j'ai répété "c'est pas possible, c'est pas possible, c'est pas possible". 

Tu venais de me raconter une anecdote bête et méchante, rien de grave, tu pensais, et effectivement, tu ne pouvais pas savoir la déflagration que ça créerait en moi. 

Tu me racontais la vilaine blague que tu avais faite à une pauvre fille de ton lycée. La même que j'avais moi-même subie et qui m'avait fait tomber le fond de la piscine. Sans eau. Tête la première.

Je crois qu'après ça, tu n'as jamais trop su sur quel pied danser. Et moi, je me suis accrochée à tous les signes pour ne pas me lancer. A tous les signaux qui montraient que tu n'étais pas intéressé, parce que tu ne pouvais pas être intéressé.

Et puis, en plus de cette relation que j'ai bien vite laissée derrière moi, il y avait cet autre, tout un poème, qui s'immisçait doucement mais sûrement dans ma vie comme un serpent resserre ses anneaux autour de sa proie. Tu ne pouvais pas le savoir, je n'en parlais pas. Quand j'en parlais, les filles trouvaient ça trop romantique. Sauf que ça a commencé quand j'avais 16 ans et que la personne, en face, avait presque l'âge d'être mon père. Je me suis raccrochée à cet écran de fumée, ce grooming comme on dit maintenant, parce que tu étais peut-être trop tangible.

A ma décharge, j'ai fini, avec le printemps et mes dix-huit ans arrivant, par réunir le courage de te confronter. Je partais perdue d'avance, mais j'avais envie de te dire quand même que tu m'avais fait quelque chose. Qu'à plusieurs reprises, mon coeur avait déraillé parce que tu m'avais faire rire, sourire, que tu m'avais appris un truc, ou partagé quelque chose avec cette passion que j'aimais tant chez toi. 

Et là, c'est toi qui a merdé. Tout le monde est venu à ma fête d'anniversaire. Pas toi.

C'était là que j'avais prévu de tout dire. Tu ne pouvais pas me rejeter trop méchamment, le jour de mes dix-huit ans. C'était un risque calculé. 

La soirée d'après, c'est une autre qui se jetait sur toi et vous commenciez une histoire qui m'a dépassée. Qui m'a brisée en mille morceaux. Qui a fini de me convaincre que oui, tu m'aurais rejeté, parce que je n'étais certainement pas comme elle. 

Il y a eu un moment, un purgatoire, où j'ai tenu la chandelle, et où à toutes tes questions, je répondais "non." Triste comme la lune. J'étais comme un agent double qui ne trouvait de réconfort qu'auprès de cette autre fille, encore, que tu avais fait chavirer et que tu avais, d'entre nous trois, friend-zonée en premier. 

Alors oui, maintenant, je suis une grande fille. Ma vie affective est un terrain miné, chaque fois que j'ai fait un pas en avant, j'ai explosé en mille morceaux, et je me demande bien ce qui serait arrivé si ce pas, je l'avais fait vers toi. Si un peu de synchronicité était venue s'immiscer.

Tu fais partie des rares à qui je repense avec tendresse. A qui je souhaite, sincèrement, tout le bonheur du monde. J'aime te croire heureux, même si la noirceur que tu cachais à peine est ce qui m'a attiré à la base. Je m'y suis reconnue et j'ai aimé la façon dont elle ne t'empêchait pas de vivre. De faire des choses. D'échanger avec les autres, avec le monde.

Je crois que je t'admirais beaucoup, pour ta façon d'être, d'être toi, même quand tu faisais le poseur et que tu l'assumais. Même quand tu prenais des postures un peu clichées. J'ai aimé ta colère, j'ai aimé ta passion.

J'espère que d'autres ont aimé tout ça, elles aussi. 

J'espère qu'elles ont pu te le dire. 

J'espère que tu l'as entendu.