"Pour moi Pete Doherty c'est un gros junky dégueulasse" "Les Libertines ? Han nan, je connais pas. Je devrais. Ils sont connus ?" "Nan je vois pas, par contre j'ai vu M en concert, c'était trop bien !" "Carl qui ?" "DE TOUTE FAÇON ILS SE SONT REFORMES POUR L'ARGENT." "Dans trois semaines tu parles d'un autre groupe de toute façon / roulement d'yeux/" "Carl, moi je trouve qu'il..."
Je n'ai jamais été aussi calme en assénant, à répétition, mes "D'accord." "Ils ont réanimé le rock en Grand Bretagne pendant que les Strokes le faisaient aux US, en gros." "Ok ok ok." "Carl B., un ami." "En effet. Et alors ?" "Non." "Si quelqu'un dit quelque chose de désobligeant sur lui je quitte cette pièce, je suis très calme, je préviens juste. /smiley face/"
Même quand, 5 minutes avant que je m'élance vers le métro, mon sac PV à moitié sur l'épaule, ma collègue est venue me demander de lire un manuscrit en entier et d'en faire le rapport dans la nuit. Dans MA nuit. Je suis restée calme.
J'avais la crève, mal aux pieds, mal aux yeux, un stress à fleur de peau, des angoisses dans la gorge. 10€ sur mon compte en banque.
Je m'en fous. Mes bottes noires ont dérapé sur tous les pavés discordants menant au zénith.
J'avais rendez-vous. Depuis 10 ans.
Pas un seul moment je n'ai tressailli en me disant qu'ils allaient me planter. Et pourtant dieu sait que je me fais planter quand j'ai rendez-vous avec les gens. C'est comme un comique de répétition/malédiction personnelle. Si j'avais eu instagram à un très jeune âge j'aurais pu avoir la plus grande collection de plantages dans des endroits insolites.
Bref.
Je sais toujours, et là je savais qu'ils seraient là. Tous autant qu'ils sont, et c'était bien ça l'important.
J'ai lu mon manuscrit en alternant avec une pinte. J'ai vu trois premières parties défiler sans bien les retenir, sans même les écouter, mais, quand les lumières se sont absentées j'avais lu 85% de mon bousin et je pouvais enfin brancher tous mes sens.
J'ai respiré comme si j'allais accoucher. J'ai pincé les lèvres comme si j'allais souffrir atrocement.
La petite musique. L'écran. Leurs ombres. Carl B. Carl B. et l'autre. Ensemble.
Ca y est.
Là. Ils sont là.
Mon hypnose zombiesque a duré 2 chansons et à la troisième, j'ai explosé.
En sanglots.
Mais bon. C'était assez inattendu. Même pour moi.
J'ai vite frotté mes joues, mon maquillage, ma morve. Je me suis dis "Non mais quand même..." et puis j'ai pleuré à nouveau à la 4e, la 5e et la 6e. Et j'ai fini par abandonner, par tout laisser couler.
Ca n'était pas que des substances corporelles par décilitres qui s'évacuaient de tout mon visage, c'était 10 ans de ma vie.
C'était Heights Johnson 16 ans d'âge et sa grimace éternelle. Seule encore et toujours, mais un peu forte, pour la première fois sans doute.
J'ai commencé à écouter les Libertines quand j'ai commencé à ouvrir un blog, à m'approprier ma vie, à m'autoriser à être.
A me permettre d'aimer ces têtes de camés même s'ils n'étaient pas plastiquement parfaits et propres et bien élevés.
C'était Johnson de maintenant, celle qui ne répond plus quand on l'appelle par son vrai nom car ça signifie souvent obligations, phobie administrative et boulot. "Johnson" c'est quand même plus fun, c'est souvent alcool, confidences, fromage & rockstars.
Oui. Bon.
J'ai beaucoup pensé à ma gueule pendant ce concert des Libertines.
J'ai perdu mon souffle au premier mic share (c'est quand ils partagent un micro en se serrant comme une portée de chatons tout juste sortis du ventre de leur mère, en plus sexuellement chargé).
J'ai perdu mon souffle au second. J'ai fini sur les rotules. Le palpitant à 10 000. La bouche tordue parce que OUI je pleurais encore tout en ne respirant plus.
Plus que jamais je savais qu'eux étaient les vrais gens de ma vie. Les infaillibles. Les seuls qui, 10 ans après, soient toujours là. Toujours aussi nettement là.
Là quand je les invoque, quand je marche dans la rue, que ce soit à Paris, Saint-Cloud, Le Havre ou London.
Ce sont mes héros, et je me branle de savoir pourquoi ils se sont reformés. Ils auraient pu ramper dans leur vomi sur scène, j'aurais applaudi des deux mains.
Je les aime plus que tous les autres, et sûrement plus que j'aimerai jamais un autre groupe, parce qu'ils ont été là pour moi. Tous les matins dans le bus qui me portait à l'abattoir. Là quand j'ai failli réussir à partir et qu'on m'a ranimé.
Ils étaient les seuls, pendant longtemps, à faire sens.
Je me fous des injustices, de me faire virer, harceler, frapper. Je les ai eux. Et même si un jour la vie invente un tour cruel pour me les enlever : je les aurais connus. Vus. Sentis. Touchés.
J'en ai rien à faire non plus qu'on me trouve too much, que j'exagère, que "roh Johnson tu amplifies toujours tout !" : Fuck. You.
C'est ma richesse, c'est mon moteur. C'est eux, mon feu.
Si vous m'aimez c'est pour ça, avouez-le, ou alors vous ne me connaissez pas vraiment, et c'est pas faute d'être une vitre transparente avec infos détaillées disponibles on demand. Arrêtez d'essayer de m'éteindre putain de merde.
Est-ce qu'ils s'éteignent eux ? Est-ce qu'ils sont moins bons dix ans après ? Est-ce qu'ils sont moins sincères surtout ?
Pas avec ce que j'ai pris dans la gueule.
Dans la gueule et partout.
Je suis bien placée pour reconnaître le génie de Carl, et peut-être un peu trop Pete moi-même pour ignorer complètement ce qu'il est intrinsèquement, mais eux ensemble, c'est l'unité la plus explosive, intense et éternelle à laquelle j'ai jamais assisté.
C'était beau. C'était eux. C'était vrai.
J'ai pu regarder, et, rien que ça, ça m'a ouvert les yeux ; finalement, ça valait le coup de vivre 10 ans de plus.
Juste pour ce soir.
C'est vachement réconfortant de trouver enfin quelqu'un qui l'a ressenti pareil
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