vendredi 8 mai 2020

The land where you were born



Quand ma super psy a voulu voir où en était mon "enfant intérieur", elle m'a dit de fermer les yeux et d'imaginer ce que Lil' Johnson avait à dire à la moi du moment. 

Long story short, elle n'a pas dit grand chose plus qu'elle a hurlé, je crois, et a fait pleurer la moi du présent presque instantanément. 

Super psy a sorti un "woah" et s'est dit qu'il fallait peut-être commencer par autre chose. Alors on a travaillé sur deux problématiques à résoudre : comment digérer "Nothing Arrived" (spoiler: j'ai carrément abandonné les hommes) et comment me remettre à écrire. Pour cette dernière problématique, je crois que ma thérapeute elle-même ne pigeait pas les tenants et aboutissants du besoin d'écrire. Elle m'a demandé de rédiger des lettres sur différents sujets. Ce que j'ai fait, parce que c'est mon job, d'aligner les mots à la demande. Et ça, ça n'est jamais tombé en panne. 
Non, ce qui est parti loin, quand j'ai commencé à bosser, il y a dix ans, c'est ma capacité à passer des heures devant un traitement de texte et à écrire pour moi. 

C'était ma première forme de thérapie, et j'ai accumulé les - terribles - écrits de jeunesse, tant je n'avais rien d'autre dans ma vie. C'est là que j'ai compris que les deux concepts étaient liés, en moi ; mon enfant intérieur écrivait. Et l'adulte que je suis devenue en a fait son gagne-pain, dans un milieu qui a broyé l'enfant intérieur et a donc transformé la passion de l'écriture en torture. 

Comment revenir en arrière et retrouver cela alors que je ne peux pas vraiment changer de carrière ? (Entre autre parce que je suis vraiment bonne à ce que je fais et que je ne sais rien faire d'autre)

Je suis, malgré tout, très en lien avec la gamine que j'étais. Déjà, parce qu'elle était beaucoup plus raisonnable, intransigeante, déterminée et incorruptible que je le suis actuellement. Quelque part, j'admire cette petite fille qui a dit fuck à tout le monde et décidé d'arrêter de manger des animaux dès qu'elle a compris ce qu'il y avait dans son assiette. 

Qui a dit "fuck" à la sieste quand les petits garçons autour d'elle en profitaient pour lui montrer leur zizi (s'il y avait eu des ciseaux pour gauchère dans cette école maternelle, mon destin aurait été tout autre).

Qui, quand son géniteur a insulté son grand-père, s'est levée et l'a engueulé, s'est promis de ne plus jamais faire semblant de l'aimer. Quand on lui a demandé un dessin pour la fête des pères, elle a collé une super marguerite séchée sur une feuille et a inventé un poème et fait un dessin vraiment badass en imitant ses camarades, mais quand elle est rentrée chez elle, elle l'a rangé au fond d'un cagibi. Sa mère ne l'a retrouvé que des mois après, se demandant bien pourquoi elle ne l'avait pas offert.

Tout ce qui forgeait ma personnalité, pendant l'enfance, a continué à s'exprimer à l'adolescence. Sauf que je n'étais plus une mignonne petite fille et qu'on m'a collé l'étiquette "crise d'ado", dans laquelle on a fourré tout mon ressenti sans le traiter.

Ça a été super simple pour toute la "famille" de s'accorder sur le fait que j'étais une ingrate colérique, d'autant que j'étais physiquement vilaine, et que plus personne n'avait envie d'avoir quoi que ce soit à faire avec moi. 
Or, je n'étais que moi-même. Je n'ai pas dépassé les limites, jamais. J'ai juste réagi à une absence totale d'amour dans le foyer (entre mes parents, de mes parents pour eux-mêmes et envers moi), absence qui n'était pas dans ma tête puisqu'on me répétait entre deux gifles ou humiliations qu'on n'aurait jamais dû me faire, et qu'à chaque tentative de me rapprocher d'eux, de comprendre d'où tout cela venait - car c'est un trait de ma personnalité aussi, la quête de connaissance et de vérité - on me renvoyait dans ma chambre, à une solitude quasi totale, parfois éclairée par un chat, ou un séjour chez mes grands-parents. 

J'ai un souvenir assez vif d'un repas de famille où j'ai reçu deux ordres à la fois, et n'ai donc pas pu les exécuter tous les deux. Quand j'en ai choisi, la mort dans l'âme, un sur les deux, ma mère voyant que je n'avais pas exécuté son ordre (mettre les petites cuillères à table) a commencé à me poursuivre pour me frapper. Grâce à ma petite taille, j'ai réussi à me faufiler sous la table, et j'étais très fière de lui avoir échappé, quand, sorti de nulle part, un personnage relativement neutre de ma famille, une "pièce rapportée", s'est interposé et m'a bloqué la route pour que je reçoive le châtiment. Devant tout le monde.

Je crois que ça a marqué le début de ma non confiance généralisée. Les adultes avaient passé un pacte contre moi. Je ne pouvais pas gagner. 

La solitude n'a fait que s'agrandir quand mes camarades sont devenus, eux aussi, des adultes. Le gouffre était béant à l'entrée au collège, où, à 10 ans, j'étais encore une petite fille, quand les autres ne pensaient qu'aux fringues de marque. Quand les jeux dans la cour, ma façon d'échapper au réel, sont partis en fumée et que, sans le choisir, j'ai perdu un à un tous mes repères, ce qui m'aidait à tenir lorsque je "rentrais" "chez moi". 

La bibliothèque était un refuge, et bientôt, j'ai même eu le droit de m'y rendre seule. C'était un morceau brut de liberté qui était plus précieux que tout. Là-bas, rien ne pouvait m'arriver. C'était le domaine des livres et on n'avait pas le droit de socialiser. Les gens qui me martyrisaient au collège ne fréquentaient pas ce genre de lieux et les adultes me laissaient plus ou moins tranquille.

C'est là-bas que j'ai touché mes premiers ordinateurs. Donc quand une machine est arrivée à la maison, j'étais prête, et j'ai commencé à écrire. C'est ce qui m'a portée à travers tout, jusqu'à l'âge où je n'ai pu repousser le passage à l'âge adulte, où j'ai dû gagner ma vie, où toute mon énergie est partie dans ces choses qu'on exigeait de moi, dans les masques sociaux et dans les trajets insupportables après des nuits sans sommeil. 

J'ai tenu huit ans, loin de la petite fille que j'étais - la meilleure version de moi - avant de comprendre que je ne serai jamais autre chose, ou du moins, qu'autre chose serait toujours moins bien...

Je deviens donc de plus en plus cette enfulte (copyright les Robins des Bois) qui rendrait Lil' Johnson fière : je crie sur ceux qui donnent des ordres injustes, je vis seule, loin de tous ceux qui peuvent réduire mes libertés et dégrader mon image de moi, j'essaye de réveiller les enfants présents dans les quelques adultes réceptifs qui croisent mon chemin. Je ne mange toujours pas d'animaux, mais maintenant je peux manger du chocolat sans qu'on me regarde avec un air dégoûté, comme si grossir était pire que mourir. Je bois de l'alcool, parce que c'est ce qui permet à tout le monde de redevenir enfant de manière socialement acceptable. Je bois du café, pour réguler mon envie de dormir toute la journée, comme un bébé. Je mène une vie où le divertissement est roi, où le plaisir est légion, où je ne socialise qu'avec les gens que j'ai choisi, sans faux-semblants.

J'ai encore du boulot, mais j'espère que bientôt, quand je fermerai les yeux, elle ne criera et je ne pleurerai plus. 

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