Les garçons ont toujours réagi de manière totalement disproportionnée à l'annonce de mon prénom.
Il n'a rien d'inhabituel, ni d'original, ni de spécialement moche ou de particulièrement joli.
Mais nous sommes à l'ère des internets où on connait une personne avant de savoir son prénom.
Le mien fait l'effet d'une bombe.
Je ne sais pas pourquoi, et les garçons n'ont pas assez de mémoire et d'imagination pour me dire comment ils m'auraient appelé avant de l'apprendre.
Une ou deux fois, j'ai compris.
C'était le prénom que portait une autre - quelqu'une faisant partie de leurs vies. Un souvenir qu'ils auraient aimé voir à nouveau, réincarné.
Je me souviens de cet auteur, sur l'un de mes premiers salons du livre. Peu de gens le calculaient. Il était du cru. De cette province où aucun autre n'avait voulu s'aventurer, du coup la chaise vacante, là, c'était pour lui.
Il était entre deux âges, plus jeune que vieux, mais moi, j'avais 17 ans, et je n'étais pas sérieuse. Je n'adressais la parole aux trentenaires que par mégarde ou parce qu'ils avaient bien pris soin de dissimuler leur âge réel - je réagissais aux âges des garçons comme ils réagissent à mon prénom. Il était châtain clair. Pas assez blond pour éveiller un intérêt que son imperméable, sa taille moyenne, ses lunettes avaient éteint de puis longtemps.
Il était un peu maladroit, bégayant, ému. Je sentais sous son crâne, son cerveau brûlant à force d'imaginer qui je pouvais bien être.
Jusqu'ici il savait une poignée de choses sur moi : j'étais très, voire trop jeune pour faire ça - tenir un stand à moi toute seule, j'étais sévère mais juste avec les flopées de gamins qui dévastaient les quelques mètres carrés laissés sous ma garde, j'avais des cheveux très longs - c'était avant l'épisode du "je vous coupe juste les pointes (sur 15 cm)" -, un sourire de Daria et une robe de princesse.
Dès qu'il a su mon prénom, il a voulu savoir beaucoup de choses. D'autres choses.
Il a su mon prénom parce que j'ai eu pitié et que je lui ai fait dédicacer le livre qu'on m'avait offert en SP.
J'ai toujours ce livre. Je me souviens que la dédicace est gênante. Car personnelle. Personnelle pour une autre. Pour cette autre qui a le même prénom que moi et qui a ravivé en lui des souvenirs auxquels je ne pouvais prétendre. Cet auteur m'a laissé une impression dérangeante - surtout quand il m'a rattrapé par le bras pour m'empêcher d'aller ranger des livres et que je discute encore avec lui - surtout quand il a oublié son parapluie exprès pour revenir une fois sa séance de dédicace terminée - surtout quand j'ai lu deux-ou-trois extraits de son bouquin avant de le ranger à tout jamais dans l'Enfer de ma bibliothèque.
Une dédicace se doit d'être impersonnelle. Comme celle de ce Goncourt dans une librairie du Havre : à la chaîne. Comme celles sur mes étagères. Celles de C., de X., de T., de W. ...toutes des gribouillis qui ne veulent rien dire, car c'était le moment qui importait. Je pourrais les décrire à la perfection, toujours aujourd'hui, mais j'ai besoin de ce bout de papier comme déclencheur du souvenir. Aucun d'entre eux ne m'a demandé mon prénom, et c'est bien mieux comme ça.
Ce matin, je passais une commande à un de mes groupes préférés, un groupe capable de faire ça.
(Oui, moi j'aime des groupes assez cool pour leur passer commande directement.)
...et je m'aperçois de ce texte, dans la catégorie "about us" :
"2. We will be happy – flattered! – to sign one item per order for you. Just let us know during checkout what you want us to sign, and if you want any kind of special message. If you say you want us to sign something, but you don't tell us to address it to you, we will just sign our names. VERY IMPERSONAL. But maybe that's what you want."
En gros, ils seraient heureux - flattés !- de signer un élément de ma commande (ils sont THAT cool) et précisent que si MOI je précise rien ils signeront juste de leurs noms et que c'est vraiment impersonnel mais qu'après tout c'est ptet ce que je veux (THAT cool).
Me voilà donc à me creuser devant mon écran, turlupinée par cette mise en situation du groupe qui a ton nom (puisque tu as passé commande) et qui te demande de trouver un truc pas impersonnel alors que toi, t'es persuadée qu'il faut que ça soit impersonnel mais qu'en même temps laisser passer ça serait limite un insulte.
Du coup, je crois que je vais me retrouver avec un t-shirt de chat avec la pire citation imaginaire d'Oscar Wilde du monde. Rendez-vous avant le solstice d'été, quand j'aurai reçu ma commande pour découvrir ensemble s'ils sont assez THAT cool pour que je renie mes idéaux.
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