dimanche 25 janvier 2015

[Diex Aïe - Part IX] Some say I’m not here at all



[I’ve been searching for a heart of gold]

Spoiler alert: Je me suis ratée. 

Bahoui.

Et en même temps, ça a réglé pas mal de mes problèmes.

Dans la voiture, alors que ma mère me ramenait chez eux, elle m'a balancé toutes les mesures d'austérité qui allaient jalonner ma vie dès à présent. Plus de sorties seule, plus jamais sans surveillance, devoir répondre dès qu'elle m'appellerait (montrer "signe de vie")... 

J'ai regardé le paysage "Si ça peut te rassurer..." je lui ai dit très calmement "Ca tiendra jamais, sur la durée, vous ne serez jamais... sûrs."

Je les tenais enfin. 
Leur trouille était immense. Sûrement sincère, quelque part, mais aussi bien consciente qu'un jour je me réussisse et qu'on voit à quel point ils avaient merdé. 
J'avais désormais un sacré levier de négociation. 

Personne n'a compris, bien sûr. Car personne ne m'a jamais prise au sérieux. J'étais la petite dernière qui n'avait pas à se plaindre, qui avait toujours tout eu, et les gens pensaient imbécilement que j'avais eu de l'amour aussi.
Non. Ce concept m'a toujours échappé. 

Je n'arrive pas à me souvenir de la réaction de Mémé. Je crois que je l'ai occultée. Je crois qu'on ne lui peut-être même jamais dit. 

Quand je suis retournée au lycée, enfin, j'étais entourée. 
De silence.
Pas de moqueries, pas de piques. Juste un épais et confortable silence. 

Des murmures oui et des regards en coin, et des esquisses de "Johnson, je suis dé..." que je ne laissais pas s'achever.

Il y avait une force de la nature dans ma classe de première. Une fille que je respectais infiniment, et qui se trouvait avoir des formations de secouriste à la pelle. Elle a aussitôt vu la trace de la perf. 
Elle m'a gueulé dessus comme sur du poisson pourri. Je crois que j'en avais besoin. J'ai rigolé et puis j'ai pleuré. C'est sorti. 
Il faisait un soleil de tous les diables. 
J'ai gardé la trace du pansement sur ma main pendant des années, parce que la peau tout autour était brûlée. 

J'étais invincible. Muette et sereine. Je recevais les plus proches et leurs interrogations comme un prophète qui sait tout. Qui sait plus loin.
Et qu'est-ce que ça fait ? Et comment on se sent ?
Tout ça est venu bien tard.

Car c'est toute seule que je me suis réveillée aux urgences.
Toute seule que j'ai roulé des yeux en me disant "...et merde.". J'ai eu un bref espoir d'être dans un état critique, puis j'ai bien vu que non. Je pouvais me redresser, pas de trucs pour vérifier les battements de mon cœur. Juste cette foutue perf qui me tiraillait la peau de la main. 

De l'autre côté du rideau, une autre suicidée, une autre ratée, chouinait. Moi non.
Moi j'avais un putain de mal à l'estomac (le lavage), aux joues (les claques du pompier dans l'ambulance), au dos (mon père qui m'a traînée dans les escaliers). 
Et à la main, piquée. 

Ma voisine recevait des visiteurs qui n'avaient pas un regard pour moi, pas une parole. Des désespérés. Ses parents. Son copain. 
Moi, ...

Moi, et bien, y avait personne.

Ca m'a même pas étonné. Et c'est ça qui m'a fait le plus mal : de ne pas être étonnée que personne se soit donné la peine de rester, pour éviter que je sois seule au réveil. 

L'infirmière-de-ma-vie a dû s'y coller. Elle m'a écoutée, aimée, compassionnée, comme jamais je ne l'avais été dans toute une vie. 
Je ne connaîtrai jamais son nom. Son service était terminé après ça. Mais elle m'a déperfusée. 
Elle a fait le boulot d'un mère. 
C'était bien de voir que ça aurait dû être, même pendant un court moment.
Je ne l'oublierai jamais. 

Elle m'avait repêchée alors que j'errais dans les couloirs du C.H.U, en blouse d'hosto, nageant dans la gênance que le premier mec à m'avoir déshabillée soit un inconnu qui venait de me gifler. Je tenais la perf du bout du bras, comme une lanterne. J'ai fini par trouver les toilettes et m'y enfermer un moment, pour faire le point. Me demandant si je pouvais me barrer et n'avoir rien à affronter le lendemain. Et puis la vue de mon sang sur le carrelage m'a fait revenir bien sagement à ma chambre.
La perf me charcutait. 

Un clodo m'a demandé pour la troisième fois un stylo, alors même que j'étais aussi nue que lui. 

J'ai compris, cette nuit là, qu'il n'y avait jamais rien à attendre des gens, mais que je ne pourrai jamais non plus ne rien attendre tout à fait. Que mon petit cœur qui s'était accroché hurlerait toujours "Surprenez-moi !" "Prove me wrong!".

J'avais survécu. C'était pas étonnant, ça aussi je l'avais raté, mais maintenant, au moins, plus personne ne pouvait faire l'autruche.
Ca a parlé. Ca a parlé moyen, et pas longtemps, et comme chez Ces gens-là. 
Ca n'a rien arrangé, sur le long terme, mais j'ai eu quelques instants de paix de l'esprit. 

Ma plus grande erreur aurait été de ne pas le faire.
De me taire, et de me tuer plus sûrement encore. De disparaître de l'intérieur. De me compromettre.

Je me suis dit qu'il n'y avait plus si longtemps à tenir. Une année à tirer, mais une année d'aînée régnant sur le lycée, et ensuite, la gloire, les garçons sûrement (enfin !), Paris... La vie.

Mais, spoiler alert: personne ne m'a jamais surprise. 

And nobody ever proved me wrong.

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