mardi 18 août 2015

Burnt out ends of smoky days



Je ne sais pas si c'est parce que j'ai des boobs, deux grands yeux bleus ou parce qu'au bout de mon bras c'est un joli chat aux longs poils lustrés qui pendouille dans son sac de transport. En tout cas moi, le jeune homme en pyjama bleu m'a dit de m'asseoir "mais normalement je devrais vous refuser". J'écarquille mes deux grands yeux bleus, j'ai passé 40 minutes dans les transports surchauffés avec mon chat fiévreux qui s'est fait ouvrir de part en part il y a 10 jours et j'avais bien pris la précaution d'appeler... "Mais au téléphone vous m'aviez dit de passer, qu'il n'y avait aucun problème ?" "Bah oui mais euh...". 

Le petit pouvoir qu'il a le rend tout fier, de manière tout à fait déplacée. Je reste debout, car les gens préfèrent avoir leurs animaux à côté d'eux sur le banc plutôt que les placer sur leurs genoux afin que je puisse, moi, humaine, poser mon séant.

C'est la bousculade générale à l'accueil, ils ne savent plus où donner de la tête : en août, tous les vétos privés se taillent en vacances et l'école véto de Maison Alfort est fermée pendant les congés scolaires, logique. Il y a 6 animaux devant moi, du plus mal en point au plus gaillard, qui se balade librement et sent le cul des gens. Oui, chiens et chats mélangés. Ca se passe plutôt pas mal, pourtant, sauf quand le bébé Berger Allemand vient sentir le nez d'un tabby sortant de consultation, il se prend une baffe, mais bon, il a cherché. #harcélementdechatte

Je prends mon mal en patience, je lis les petites annonces, une dame revend son chat "acheté" à la S.P.A parce qu'il ne s'est jamais entendu avec son siamois. Une autre "vend" son chaton sans race, 70€, il n'y a pas de petit profit, des retraités par poignées offrent leurs services de nounou pour animaux. 

Pyjama bleu me demande de me bouger, il doit lire les petites annonces à une personne intéressée au téléphone. C'est pas comme s'il y avait trois personnes en attente avec des animaux à la langue pendante qui font le poireau en chair et en os devant ton bureau. 
Le mien proteste de temps en temps, alors je lui laisse sentir ma main à travers la grille. Il fait chaud, c'est un grand chat, trop grand pour son panier de transport, mais j'en ai pour 1000€ de factures de santé pour son petit cul alors j'ai pas de quoi racheter ce genre de choses tout de suite.

D'habitude on va à pied chez le véto, une seule route à traverser, 3 minutes montre en main, il a toujours été cool et s'est laissé faire, du thermomètre dans le cucul aux seringues diverses.

Je suis tirée de mes pensées par un nouveau venu qui a son petit Jack Russell à collerette dans les bras. Il pose le chien qui tient à peine sur ses pattes et boîte comme s'il avait eu un AVC. Le mec est grand, gaillard, mais représente tous les signes extérieurs de classe populaire. Il voit le bordel collectif et décide de s'asseoir avec son pauvre chien mal en point. Je réalise qu'une place assise s'était libérée mais trop tard et puis je me dis que moi, ça va, je peux rester debout. 

Je sais que je vais passer bientôt car je leur ai réglé une jolie facture qui comprend les frais post-op. 
Devant pyjama bleu, c'est le défilé de mamies et de bobos qui viennent acheter leurs croquettes à 100 balles, pas du tout effarouchés par le fait de passer devant des animaux en détresse pour faire leur petit marché. Pas du tout au courant qu'ils peuvent acheter ça en ligne sans faire chier le monde, faire des économies au passage et être livrés chez eux. Non, ce serait con de pas être servi en 15 fois par un larbin à qui on demande 15 échantillons différents parce que plus on est riche, plus on est pingre.

Une asiat opportuniste essaye de se glisser entre deux clients mais un véto qui est venu en aide à pyj bleu lui dit que le type au Jack Russell était là avant. Lui, écarquille les yeux, comme s'il pensait qu'on l'oublierait là pendant des jours. Il annonce son problème - enfin, celui de son iench - et là pyjama bleu interrompt : "non mais je peux pas vous accepter."

Le moment où la gorge de ce type se serre est évident. Il a son petit vieux chien dans les bras et il dit la même phrase que moi, quelques temps auparavant "Mais je vous avais téléphoné et vous aviez dit que c'était bon..." "Ah ouais mais non il est midi le mac morning c'est fini on est passé en urgences.", sauf que le type était là depuis une demi heure, qu'il le savait manifestement puisqu'il avait calculé que c'était son tour et qu'il a fait passer les bobo-croquettes avant pour en arriver là.
Parce que le type a pas de boobs, pas de grands yeux bleus, qu'il a l'air franchement pauvre et qu'il a un chien tout miteux et tout cassé qui pourrait jamais passer à la télé pour une pub Royal Canin.

On sent qu'il a même pas le courage de se battre, il fait deux pas vers la sortie, puis il se ravise et je me dis "chouette", parce qu'honnêtement j'étais à deux doigts d'armer mon masque d'Enjolras et de crier "SCANDALE !". "Je peux parler aux docteurs là parce que c'est pas possible." Je me dis c'est cool, le type aurait pu s'énerver, manquer de respect à pyj bleu (qui l'aurait amplement mérité, cette sale race) et basculer dans la liste noire. "AH NON MAIS ON EST EN URGENCES LA.".
Le maître marmonne en regardant son chien "Comme d'hab, on n'est pas prioritaires NOUS."
Le véto d'appoint à l'accueil a fini de vendre ses croquettes et demande ce que le Jack a, enfin. Une grosseur à la gueule qu'il gratte et qui l'empêche de se nourrir, des difficultés à se mouvoir de plus en plus présentes. Je ne suis pas véto, mais je sais reconnaître un animal qui souffre. 

On m'appelle, et je ne saurai jamais le fin mot de l'histoire. Mon véto à moi attend que je lui serve d'assistante parce qu'il n'y a pas assez de personnel, je dois sortir le chat et l'installer sur la table qu'il reconnaît instinctivement en miaulant un "NO FUCKING WAY !" avant de tenter un demi-tour panier de transport.

Je le regarde apprendre la relativité : il y a 10 minutes il aurait tout donné pour sortir du panier et là pour y retourner.

Le docteur le trouve "encore un peu fiévreux", je lui signale qu'il a passé une heure dans ce panier, dans le métro surchauffé du mois d'août puis dans une salle d'attente avec une douzaine de personnes dégageant de la chaleur. 
C'est moi qui doit tenir les pattes avant de Marlowe qui, allongé sur le dos, se fait enlever ses fils de chirurgie. Je lui promets que c'est bientôt fini, ses grands yeux expriment la trahison suprême, car je suis juste au-dessus de lui, me signifiant à peu près "TOI AUSSI, DONNEUSE-DE-MANGER ?!"

Il file dans son panier sans demander son reste, non sans avoir grondé et miaulé de désapprobation. Je me désole à voix haute "Lui qui était si gentil...", véto me dit "ah oui je m'en souviens quand il est arrivé ! Mais bon ça va là il est gérable. Il en a juste marre."
On en a tous marre, j'ai envie de lui répondre. 

Je remballe mon animal, 5 kilos sur une épaule qui m'ont délesté d'une bonne partie de mes économies mais pour qui je pourrais dépenser la lune. 
Le Jack Russell et son maître sont toujours en attente, je prends ça pour un bon signe.

Marlowe est content de rentrer entre ses 4 murs et de retrouver souris en peluche et gamelle, il me fait des câlins que j'interprète comme "LE DEHORS C'EST VILAIN HEIN, ON N'Y VA PLUS HEIN ? LA MAISON C'EST BIEN, HEIN ?" Je caresse les poils qu'il reste autour de son bidon rasé, qu'il me tend pourtant, cicatrice en avant. Je vais avoir besoin de la journée entière pour me remettre de ce bain de gens. De sales gens. Je comprends trop bien la perte d'illusions de mon jeune chat de 18 mois. 

Et je me dis que Marlowe et moi on a plus de points communs que je ne l'aurais pensé.

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