Je tourne les pages électroniquement. Ca fait clic-clic-clic, parce que j'ai dû rendre ma liseuse top notch, et tous les auteurs découverts avec, à la boîte qui m'a rendu ma liberté. Et comme après j'étais libre mais pauvre, je me suis acheté la version antérieure antique.
Clic-clic-clic donc. Marlowe me juge vaguement, mais reste plus endormi qu'alerte.
Après un paragraphe particulièrement prenant, je siffle entre mes dents.
Il ouvre les yeux puis fronce les vibrisses.
"Sorry, Marlowe".
Il laisse échapper un "Oomph" miséricordieux et repose sa tête sur ses pattes.
Je poursuis la lecture et n'en puis plus. La pression monte. Je me tends, je me tords. Je laisse échapper un "NAN MAIS C'EST PAS POSSIBLE." auquel échoincide un "Meow!" outragé.
Il a raison. Ca fait 1 an trois quart qu'on vit ensemble et il ne m'avait jamais vue faire autant de simagrées pendant que je lisais. C'est pour ça, d'ailleurs, qu'il s'était laissé aller à un sommeil réparateur contre ma cuisse (chaleur humaine) sous l'ordinateur (chaleur pas humaine) et la lampe de chevet (parce que la liseuse est de première génération et n'est donc pas rétro-éclairée).
Bordel à cul qu'il s'attendait pas à ce que je trépigne comme une dinde épileptique en poussant des jurons étouffés.
Bordel à cul qu'il s'attendait pas à ce que je trépigne comme une dinde épileptique en poussant des jurons étouffés.
J'ai un peu tué une des seules choses qui me rendait heureuse en devenant éditrice. Les livres ça ne me fait plus cet effet, car lire = boulot, généralement en anglais, généralement en biais parce que pas le temps, généralement caca parce que c'est le travail d'un chercheur d'or.
Bref, Marl était loin de se douter que j'allais faillir à mon habitude statufication marbresque.
Et moi aussi.
Je souffle. Je fais autre chose. Je présente mes excuses une dixième fois après avoir réveillé El Marlito pour la onzième fois. Je lui gratouille le sommet du crâne. Je procrastine.
Pour ne pas cliquer une page de plus. Parce que je n'en puis plus.
Parce que depuis le début de ce bouquin, je lis mon histoire, mon ressenti. Le condensé de 11 ans de blog en quelques pages vives, efficaces et terriblement annihilantes pour ma stabilité.
C'est comme si je me découvrais sous un nouveau jour, comme vraisemblablement certains gens me voient.
Ca n'est ni un drame, ni une satire, ni un truc glauque.
C'est drôle, enlevé, il y a un fond de drame, certes, mais ce n'est pas à ça que je m'identifie.
Non, c'est une putain de romance.
Non, c'est une putain de romance.
Et Dieu sait que j'en ai lu des tonnes grâce à E.L. James (pour les noobs, sachez que si un livre devient un best seller, on ne lira, nous éditeurs, que ça dans les 5 années à venir, même s'il s'agit de la vie d'une branche de brocoli. Imaginez 1000 bouquins sur des brocolis. Et non, me dites pas "bahoui", ce que vous voyez en librairie c'est la pointe de l'iceberg, et surtout vous avez pas à vous les tartiner tous sans tri et sans exception "PARCE QUE C'EST CE QUI VEND.").
Bref, ce n'est pas un problème de genre. C'est juste que les répliques, le passé, les émotions, les systèmes de défense pourtant uniques (aka : pas lus ailleurs) de l'héroïne sont les miens.
Dans les premières pages elle évoque même MON homme idéal.
Du coup, forcément, j'ai lu la suite au premier degré, l'identification marchait complètement, au point que, j'ai commencé à avoir les mêmes réactions à sa vie qu'à la mienne.
Et j'ai compris tout un tas de choses sur pourquoi je merdais.
Je ne voulais pas qu'elle ait le garçon. J'avais peur comme elle, pour elle. Et j'étais ravie qu'elle se barre à gauche quand l'évidence était à droite.
Je devais faire des pauses, tellement j'hyperventilais. Tellement d'une page à l'autre, je courais le risque de réaliser que j'avais eu tort, toute ma vie.
Et puis j'ai tourné quand même une page, un nouveau chapitre. Et j'ai découvert l'intrusion du point de vue de son intérêt romantique. Il devenait narrateur pour la première fois, à plus de la moitié du bouquin.
Et j'ai souffert fort. Parce que ça n'avait rien à foutre là. Réfléxe d'éditeuse. Que c'était la première maladresse vraiment gênante de tout le bouquin et que j'espérais plus que tout qu'il se tienne de bout en bout.
Et puis, le pro mis à part, je ne voulais surtout pas savoir. Pas savoir ce qu'il pensait. Pas savoir qu'il pouvait éventuellement être un total connard, oui. Mais surtout pas savoir qu'il pouvait être un mec bien.
Parce que savoir que quelque chose est possible, ça entrouvre Pandora's box. Tous les feels inside te sautent à la gorge et ils se remettent en place.
C'était peine perdue.
J'ai mentalement, sans pouvoir lutter contre, passé en revue tous les hommes de ma vie. Enfin, ceux qui ont compté, vraiment. Qui, en fait ne sont pas ceux avec qui je suis sortie, ou avec qui j'ai couché, parce que ma vie est mal faite.
Je me suis vraiment mise dans leur point de vue. Je n'ai rien faussé avec le mien. Je n'ai pas voulu me donner raison ou tort, ou me torturer. J'ai juste pris la position de l'héroïne dans ma propre vie tout d'un coup propulsée comme vue par les yeux du héros.
C'était instructif. C'était bien.
Et puis rien n'allait plus.
Car ça se tenait ce choix narratif, ça s'est justifié. Et donc c'est pas le côté pro, qui a fait complètement flancher mon sourire et qui m'a fait sortir de la torpeur provoquée par ce roman.
Ce qui m'a refroidie et m'a expulsée loin, et c'est terrifiant à dire, ce qui m'a sortie violemment de ce petit nid, c'est le happy-end.
Parce que comme quand mes ami(e)s parlent de leurs familles aimantes, et de leur bonheur conjugal et de leurs envies d'enfants, mon esprit vagabonde. Parce qu'il n'a rien à dire sur ces sujets là. Parce qu'il n'y connait fichtrement rien. Parce qu'il ne peut entendre ces arguments.
Généralement, dans ces cas-là je bois ou je me goinfre. Parce que c'est socialement admis, de pas parler parce qu'on a la bouche pleine. Puis j'enchaîne avec un sujet que je maîtrise dès que je sens le vent tourner.
On peut pas faire ça avec un bouquin. J'ai beau arrêter ma lecture ou la ralentir, je dois aller jusqu'au bout. Aussi bien professionnellement, que personnellement, je dois me fader ce putain de bonheur. Eclater Pandora's box et confronter mon pire ennemi qui fait son grand comeback : l'espoir.
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