[It's just bones]
J'ai une collection d'endroits.
Une collection d'endroits où je me sens bien, en phase.
Au pied de l'horloge astronomique de Prague.
Pine tree arch dans l'Utah.
St Nicholas churchyard, à Deptford, forcément.
Ma plage en bord de Seine, pleine de tétanos, de boue et d'une variété de petits cailloux.
Les plaines de la Puszta en Hongrie, les éleveurs de chevaux, et les vieux, copains avec les hirondelles.
Le petit Mont où le Lion de Némée s'est fait terrasser par ce gros lourd d'Héraclès, à Mycènes.
Ce café, dans la vieille-ville de Stockholm, où un arbre géant et roux semble défier le temps.
La bibliothèque/salle de cours de la Sorbonne avec sa fenêtre donnant sur la cours, un soir de neige.
(...)
Et puis il y a mon arbre, en face de la tombe d'Oscar, qu'ils ont affublé d'un point vert et qu'ils vont bientôt couper.
Certains endroits sont amenés à disparaître.
Certains ont déjà disparus.
La table de la cuisine de chez Mémé. Et ses odeurs. Ses couleurs sépias. Le pétrole du poêle. Le steak de pépé. Les frites. La serviette géante autour du cou et faire attention à pas se cogner la tête au placard en se levant.
Le banc, dans leur jardin, d'où je regardais les nuages passer quand la pression extérieure était trop grande.
Me faire cuire au soleil devant les roses, à l'arrière, sur les petites marches bleues menant aux portes-fenêtres du salon. Le carré. Le cellier. Mon poteau. Jules. Les clapiers. La clôture verte près du pommier et des fraises des bois, frontière avec la voisine-meilleure amie.
La pelouse interdite.
Les trois petites marches en béton et la barrière repeinte méthodiquement, sauf les dernières années.
Le rebord de fenêtre du Hilton de San Francisco, au 12 000 ème étage dans les airs. Cachée entre le rideau et double-vitrage, à 5 centimètres du vide.
Ma balançoire, dans le jardin de mes parents, quand l'herbe était assez tondue pour que j'y aille sans rencontrer de vipère.
Ce banc, sous cette caricature d'Oscar, dans ce pub sur les Grands Boulevards, avec mes amies qui allaient le rester – ce que j'ignorais. Une soirée avec des verres, des rires et des certitudes.
Ça a disparu, mais c'est accessible, en pensées.
Et puis il y a ce matin de gueule de bois légère, où je me suis retrouvée con. Timide et seule avec le type auprès de qui j'avais dormi en tout bien tout honneur, dans le canapé du salon de potes. Les potes étant partis, pour l'un au boulot, pour l'autre, faire les courses.
De jour, je faisais moins la maline.
De jour, je ne pouvais pas ignorer à quel point il était beau et surtout à quel point il me plaisait.
Alors j'ai pris une chaise, je l'ai mise dans un coin de la pièce, face au mur, et je me suis assise dessus, dos à lui, pour évacuer sa présence et me permettre de reprendre au moins une respiration.
Comme ma zone de confort était malgré tout difficile à rétablir, j'ai pris le premier livre qui passait pour m'occuper les mains, les yeux, et le cerveau.
Sauf qu'il était très drôle, ce petit livre. Et j'ai ri. C'était malgré moi. J'avais très fort conscience que rire allait éveiller l'attention du garçon, lascivement étendu derrière moi, et que je tentais très fort d'occulter.
Forcément, l'attention fût éveillée.
Et j'ai été conséquemment obligée de lui livrer un morceau de moi. De lui dire, avec mes mots fébriles et hachés et ma prononciation rapide, pas très compréhensible, surtout quand je suis de dos, sans les mouvements des lèvres pour aider, ce qui venait très exactement de provoquer mon hilarité.
C'était le Danger. Le danger que ça le fasse pas rire lui. Ou que j'échoue à être fidèle à la drôlerie du gag avec ma façon de raconter bancale. Comme j'échoue si souvent à partager la complexité de ce qui se trame dans ma tête et qui se traduit tant de fois par un lacunaire "non mais rien."
Sauf qu'il a ri.
Alors je me suis détendue et je me suis assise en biais. Pour le voir et pas le voir en même temps. (Si je ferme les yeux il me voit pas).
J'ai arrêté de retenir ma respiration pour éviter de respirer son air et de le laisser entrer partout en moi et ne plus jamais repartir.
Ce fut le premier gros coup de cœur. Pas "coup de cœur". Mais le premier battement du cœur plus fort que les autres qui te stoppe ton rythme bien intégré et qui te rappelle que tu AS un cœur et qu'il BAT (ce con).
Du coup, il bat très vite, parce qu'il a fait un loupé et qu'il court après son propre rythme comme un con de cœur qu'il est.
Bref. Ce garçon beau et drôle et charmant et qui riait à mes blagues et à l'expression maladroite de mon monde intérieur complexe a fait faire un "boum" sûrement audible à mon cœur avec son rire, avec son rire seulement.
C'était beau. C'était suspendu. J'ai rougi.
Je me suis donné pour devoir de le faire rire à nouveau. Parce que c'était agréable pour l'égo et que, pendant ce temps là, je pouvais le regarder sans passer pour une folle scrutatrice.
Il y a eu quelques autres moments avec lui. Des endroits où j'aime bien aller avant de me coucher. Pour rajouter une couverture à celles qui me réchauffent physiquement. Mais c'est dangereux. Parce qu'il a beau être un souvenir, il reste frais dans mon échelle du trauma. Parce que c'est le dernier à avoir provoqué un BOUM mais aussi le dernier (et vraisemblablement le Dernier) à avoir provoqué un CLAC.
C'est un endroit plein d'orties, de barbelés et de mines prêtes à exploser, mais les bons souvenirs, les papillons dans le ventres dignes de héros Harlequin, le bonheur en intra-veineuse, lui, sont cachés derrière.
Les souvenirs sont plus safe sans humains dedans. C'est ceux que je m'évertue à créer dorénavant.
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