Je porte le mug à mes lèvres puis j'arrête mon geste. Je plisse des yeux soupçonneux et m'empare de mon clavier, tapant vivement : "Eau potable Montréal" sur un moteur de recherche.
Une fois que tout danger est écarté, je bois, et je mange un mélange risotto/curry/brocolis réhydraté trouvé dans mon nouveau chez-moi en tentant de garder les yeux ouverts.
Il est 20h ici mais 6 de plus à la maison, couronnant une journée de sprint émotionnel et réel.
Une journée à trimbaler une valise de 23kg7 en serrant les fesses pour pas payer un supplément pour 700 grammes.
Une journée à dire au revoir à mon chat, ma grosse chatte oserais-je dire, Mademoiselle de la Moll, aka Molly Brown, avec qui j'ai eu un tourbillon d'émotions allant de l'osthéo qui a basculé darkside et l'a traitée de "pétasse" en m'encourageant à la frapper pour la faire obéir à la comportementaliste qui m'a dit qu'en fait tout est parfait mais que, si je veux, je peux parler à mon chat mort à travers elle.
Une journée où tu comprends pas pourquoi les concepteurs de la station Denfert-Rochereau, sachant que celle-ci donnait sur le RERB, seule ligne desservant Roissy, n'ont pas pensé à des putains de rampe pour les valises et ont mis autant de putain d'escaliers et aucun putain d'ascenseur.
Une journée où arrivée à Roissy, tu t'aperçois que tout a été automatisé, et que les seuls humains qui sont là te disent que t'as mal fait les choses seule et qu'il faut recommencer, sur une machine barbare, qui plus est.
Une journée où quand t'as passé l'enregistrement valise (sans supplément, yeah !), trouvé ta porte, et passé la sécurité, il te reste à peine 5 minutes avant d'embarquer - quand bien même tu avais 2h30 d'avance.
La file est déjà immense devant la porte d'embarquement quand une voix résonne et t'annonce qu'on cherche un volontaire pour ne pas monter à bord de cet avion. #Surbookingjecrietonnom
Je commence déjà à suer à grosses gouttes, je suis tout d'un coup la seule à voyager seule. Je sers mon bagage à main de 12kilos qui me cisaille l'épaule en me disant "pas moi pas moi pas moi".
Finalement ils désigneront quelqu'un d'autre. La malchance a ses limites, il apparaît.
Dans l'avion, je trouve ma place rapidement. Je commence à tout organiser dans le compartiment au dessus de ma tête quand je m'aperçois que mon écharpe en laine a disparue. Or, je venais de la poser sur mon siège. Parce que j'ai peu de vêtements chauds, et celle-ci je l'ai achetée en 20... 08 ? quand je suis partie en octobre à STOCKHOLM, voyez-vous donc. Ce qui est rare est cher et j'allais pas me laisser dévaliser de l'écharpe, surtout que dans l'avion elle me sert aussi d'appuie-tête. Du coup je regarde mes voisins d'un air mi-circonspect mi-soupçonneux, mais personne ne se dénonce.
En bonne française, je me décide à aller saisir les autorités compétentes, je cherche une hôtesse.
Mais il n'y a pas d'hôtesse.
Il n'y a que des stewarts.
Et queeels stewarts.
Je demande à Jean-Adonis s'il a pas vu une écharpe bleue en laine, ronde et chaude, avec toujours les sourcils froncés de mi-circonspection mi-soupçon. Il me dit que c'est Jean-Apollon qui l'a, en glissant un sourire espiègle à son collègue Jean-Narcisse.
Je cours donc voir Jean-Apollon qui, malgré son physique de Russe aux yeux glacés, a le flegme british et a décidé, tel un chat-humain, de jouer avec la petite marchande d'amulettes que je suis, toute perdue sans son unique écharpe.
Il finit par me dire, "pourquoi, il fait froid à Montréal ?" et moi et ma repartie légendaire, connue dans les 5 royaumes, sur Pluton et en Amazonie, j'ai répondu, la tête par-dessus mon épaule : "Bah... oui."
Voilà comment ont commencées les huit longues heures de vol où Jean-Apollon a dardé sur moi ses yeux bleus glacier en me réservant à chaque passages (qui furent nombreux) une petite réplique bien sentie. J'étais en amour, comme on dit dans mon actuel pays.
J'avais bien conscience que du fait que cette relation soit à 90% commerciale et provenant d'une personne qui avait à 99% de chances une sexualité incompatible avec la mienne, je nageais en utopie. Mais, voyez-vous, en ce moment tout ce qui est charnel et palpable m'indiffère. Mon hibernation ne peut être troublée que par les choses de l'esprit.
Ce qui est beau. Ce qui est drôle. Ce qui est mien.
A bord, j'ai vu pas mal de films. Dormi peu. Ai senti une goutte puis deux me tomber dessus. #rassurant
J'ai mangé un repas indo-végétarien en soupçonnant le cuisinier d'être polonais. J'ai bu du champagne et du vin rouge avec bonne conscience, car c'est ma psychiatre qui me l'avait conseillé. J'ai pensé à quelques gens, à quelques Jean. J'ai pleuré trois fois.
Une devant la scène de Wonder entre la soeur du héros et sa grand-mère.
Une devant une scène de mort animalière.
Une à cause des deux occurrences précédentes dont le déclic a été la moumoute d'Ewan McGregor dans l'épisode 1 de Fargo.
Et puis on a fini par se poser. Pour moi, tout commençait là... Je pouvais encore être renvoyée.
Alors ok, je suis blanche, européenne, et j'ai un dossier gros comme un mémoire de M2 avec des documents certifiant que je suis une personne bien sous tous rapports. Mais les autorités compétentes peuvent en faire fi.
Je repasse par une machine barbare qui m'envoie un flash dans les yeux et n'a même pas l'amabilité de me proposer de refaire la photo et imprime une photo en mode mugshot de yours truly après 8h de non sommeil et un maquillage passé en mode panda géant avant même d'embarquer.
Je me dirige ensuite vers la douane où la tension est si palpable qu'on pourrait faire de la pâte à modeler.
Le monsieur a un accent mais je parviens à ne pas sourire, à me rappeler de DATES (je suis dysnumérique, bitches) et à assumer mon mugshot dans le plus grand calme.
Le monsieur me tamponne une petite feuille d'érable et me voici grande, fière, et détentrice de mon sésame en marche vers... la mauvaise porte.
Il a fallu trois douaniers pour m'expliquer quelle était la bonne gauche et où me diriger pour récupérer ma valise.
Après tout cela, je me suis payé un taxi. Un taxi ELECTRIQUE même, parce que je veux être une canadienne exemplaire pour les beaux yeux de Saint-Justin. Mon chauffeur m'a montré une bretelle d'autoroute à moitié détruite qui faisait très dystopie, et m'a abreuvée de savoir et d'expressions.
Notamment : "Z'ont changé le sens de la circulation à l'aéroport et pour nouz'autre c'est mêlant."
Mesdames, messieurs, vous aviez l'équivalent à "confusing" depuis TOUT CE TEMPS et vous utilisiez "confusant" et bien grâce au québécois ces jours mornes sont terminés !
Sur ce, je m'en vais célébrer ma première journée ici avec une Douple IPA Sainte Ambroise. Je vous raconterai ça tantôt !
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