Je ne suis pas quelqu'un de modeste. Je sais ce que je vaux (quand je fais la part des choses et que j'écarte les petites voix ténébreuses qui me crient que je suis une sous-merde et que je n'aurais jamais dû voir le jour). Je sais ce que je vaux et je le dis. Je sais où sont mes faiblesses et j'y travaille (ou pas, certaines sont inhérentes à mes plus grandes qualités, donc je les laisse tranquilles).
Je me suis moi-même intitulée "Slapette" pendant de riches années.
Pourtant, quand on me met en avant ou qu'on me complimente, je vis à chaque fois une mini-crise de panique. Ce n'est pas uniquement du trac. C'est un syndrome post-traumatique.
Mon corps est persuadé qu'à chaque fois que je suis au centre de l'attention, je suis à découvert et donc il va m'arriver quelque chose, physiquement ou psychiquement.
Avant le collège, je n'avais peur de rien. Je prenais la parole librement. Je participais à chaque compétition quand l'occasion se présentait. Je créais des spectacles. Je menais mes troupes.
Après mon entrée en sixième, dès que je prenais la parole dans l'espace public, ou même, dès que je me tenais dans l'espace public, je recevais du négatif. C'était verbal la plupart du temps, humiliant, souvent, et parfois physique. Douloureux, toujours.
Les choses se sont un peu améliorées en seconde, parce que j'avais développé des mécanismes de défense et que les gens étaient en général plus détendus et focalisés sur leur personne ou leur groupe. Et puis le collège a eu la riche idée de tous nous rappeler pour nous organisée une cérémonie de remise du diplôme du brevet.
Rien n'avait changé. Lorsqu'on m'a appelée et que j'ai dû me lever et traverser la cantine devant tout le monde pour aller chercher mon bout de papier officiel, il y a eu un gros blanc, pas d'applaudissements comme pour les autres, puis des huées.
Aucun prof n'est intervenu, bien sûr.
Le fait de recevoir un diplôme mérité, gagné, ce qui aurait dû marquer la fin de mon martyr, s'est transformé en une expérience humiliante de plus.
Dans ma vie de femme adulte un peu plus équilibrée, je ne supporte toujours pas qu'on me récompense, qu'on me mette en avant. Tout mon corps attend la claque.
Je ne fais pas de sport, car c'est toujours lié dans ma psyché aux expériences terribles vécues dans les vestiaires du gymnase de mes 10 à 14 ans.
Quand ma boss m'octroie de rares compliments, j'ai envie de m'enfoncer sous terre. Quand une collaboratrice que j'adore et qui est la bonté même souhaite me filmer en train de parler d'un de mes bouquins, je ressens un torrent de violence se déverser dans mes veines.
Quand quelqu'un, dans ma vie perso, se met à m'admirer un peu trop, à me montrer qu'il ou elle m'apprécie, c'est invariable ; je me mets à la détester.
I'm that fucked up.
Tout cela vous aidera sans doute à comprendre pourquoi j'ai été attirée pendant longtemps par toutes sortes de gens nocifs. Car ils me renvoyaient l'image que j'avais de moi depuis mes 10 ans.
Au-delà d'un danger, être mise en lumière, recevoir du positif de la part d'autrui représente une anormalité.
Il n'y a qu'une chose qui m'aide à surmonter ça : l'alcool.
L'alcool me fait redevenir la petite fille sans peurs et sans reproches que j'étais.
Avec le bon taux d'alcoolémie, rien ne me résiste.
L'alcool me fait oublier qu’interagir avec la plupart des gens m'épuise profondément et durablement.
Mais l'alcool coûte cher, en énergie les jours suivants, en argent, en points de santé.
Il y a peu, pour survivre à une fête de famille, j'ai beaucoup bu. Ça a marché, comme d'habitude, je me suis aussitôt trouvé une bande de potes-de-soirée, puis, parce que je viens de là-bas, est venu le moment du Trou Normand. Le format varie, mais cette fois, on faisait monter sur leur chaise les gens suivant leurs mois de naissance pour qu'ils descendent leur verre jusqu'au bout tandis que les convives chantaient.
N'ayant qu'une pinte à demi remplie quand mon tour est venu, j'ai hésité : c'était se mettre en avant. Monter sur une chaise. Que plein de gens me regardent faire quelque chose. Mais c'était en lien avec l'alcool alors j'ai osé. Je suis montée sur la chaise et j'ai vidé ma pinte à la Kate Winslet dans Titanic. J'étais hilare et plutôt fière de moi en redescendant. Mes potes-de-soirée m'ont félicitée mais aussitôt, et les jours qui ont suivi, certains membres de ma famille ont fait perdurer ma malédiction : ils m'ont jugée, rabaissée, condamnée et ont tenté de transformer mon mini acte de bravoure en une honte.
Sûrement parce que eux ne sont pas aussi forts que moi pour oser.
Sûrement par habitude : on a toujours rabaissé la petite, ça fait partie des traditions, il faudrait pas y déroger.
Sûrement pour me remettre à ma place, celle de la collégienne qui ferait mieux de se supprimer, ça soulagerait tout le monde.
Rien n'a vraiment changé. Et je ne pense pas que mes mécanismes de défense soient si paranoïaques que cela. Beaucoup de collégiens tortionnaires sommeillent encore dans les corps d'adultes qui nous entourent.
Il faut juste se souvenir que ce sont eux les loups, et ne pas les laisser gagner la partie.
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