Les violences faites aux femmes signalées aux services de police ont augmenté de 22% en un an.
J'ai l'habitude d'être une statistique. Une statistique souvent plus difficile à classer que ses congénères, certes. Par exemple, en ce moment je suis et inscrite à Pôle Emploi, et Artiste-Auteur et Etudiante. En janvier, je serai et inscrite à Pôle Emploi, et chef de micro-entreprise et Artiste-Auteur mais pour une autre activité.
Bref, dans cette statistique dégainée par Gégé Collomb, je fais partie de celles qui ont parlé avant 2018. Avant la "libération de la parole". Avant Me Too, avant Balance ton porc.
Avant.
Une fois ma plainte déposée, j'ai remercié publiquement les gens qui m'avaient soutenu et ceux qui m'avaient poussé à y aller (sans qui je serais très certainement restée prostrée sur mon canapé), et en retour, j'ai reçu énormément de messages. De femmes.
De femmes qui me disaient "C'est bien que tu aies porté plainte, perso, j'aurais jamais eu le courage."
Non ce ne devrait pas être "bien", ce devrait être "normal", si on y pense. Et non, ça ne devrait pas demander du "courage", ça devrait être simple, voire facile. Aussi facile que de l'intimidation. Aussi facile qu'un coup porté. Aussi facile qu'une tentative d'étranglement. Mais on y reviendra.
J'attends de voir ce que donnera la plateforme qui sera mise en place pour, justement, permettre aux femmes de reporter ces violences sans avoir à en passer par la case commissariat et par les éternelles questions "Vous aviez bu ?" "Vous étiez habillée comment ?" "Vous l'aviez un peu provoqué, non ?"
Je fais donc partie de la statistique de l'avant. Et pourtant, je suis un iceberg.
Je n'ai porté plainte qu'une seule fois. J'aurais pu porter plainte 10 fois. 20, sans doute.
J'aurais aimé le faire systématiquement. J'aurais aimé mettre ces hommes face à leurs responsabilités, de mettre ces informations entre les mains de la police et du système judiciaire, pour que, quand d'autres femmes, d'autres victimes, viendraient les dénoncer, elle puisse les prendre au sérieux.
Je me suis juré que c'est ce que je ferai dorénavant. Chaque homme qui lèvera la main sur moi, me menacera, ou ne respectera pas mon consentement aura droit à sa plainte. Ne serait-ce que pour faire enfler un peu plus ces statistiques, et qu'ils se mettent enfin à refléter la réalité.
Je suis une femme cis blanche qui vient de l'upper middle-class. Je n'ose pas imaginer quelles seraient mes statistiques personnelles si j'avais été une femme trans racisée et pauvre.
Pour tout vous dire, j'ose à peine faire l'inventaire de tout ce qui m'est arrivé. Et ce n'est pas à cause des femmes, autour de moi, qui m'adjurent de ne pas me "victimiser". Comme si, là encore, il faudrait respecter notre éducation patriarcale de petites filles qui ne doivent pas faire de bruit, pas trop dire ce qu'elles pensent, pour ne pas déranger.
Non.
Si j'ai du mal à le faire, c'est parce que je suis déjà un peu trop persuadée que men are trash. Et que j'aimerais, oh oui j'aimerais, ne pas devenir un stéréotype de la féministe qui déteste tous les hommes.
J'en suis seulement à l'étape de la méfiance, et j'aimerais ne pas glisser dans la haine.
Pourtant, ce besoin d'inventaire me démange. Il me démange proportionnellement aux gens, autour de moi, qui me demandent de me taire et d'avancer. D'oublier et de dépasser.
Et je suspecte que cette démangeaison a la même origine que celle qui a initié la violence des hommes envers moi.
Mon insoumission naturelle.
Je ne me l'explique pas. De part ma nature de femme, je suis moins forte physiquement que les hommes autour de moi, mon instinct devrait me dire de la boucler. De part ma naissance, dans une société patriarcale, je suis soumise de fait au bon vouloir des hommes, mon éducation n'y a rien fait ; je ne me tais pas.
J'ai très (très) rarement fermé ma gueule quand on me demandait de le faire. Et j'ai très (très) rarement laissé un homme avoir le dernier mot, juste parce qu'il était un homme et qu'il pouvait m'assommer d'un seul coup de poing.
C'est comme ça que je me suis retrouvée avec un coccyx fêlé, qui me fait toujours souffrir aujourd'hui, parce qu'une fois, quand j'avais 14 ans, je n'ai pas tenu la porte à sa majesté mon père qui l'exigeait, et qu'il s'est vengé en me donnant de toutes ses forces un coup de pied dans le bas du dos. Ma mère était là, elle n'a rien dit.
C'est comme ça que, pour une embrouille de lycéens, mon meilleur ami de l'époque, à court d'arguments, s'est permis de m'empoigner et me tordre les poignets pour me faire taire. Nous étions une tablée de six. Personne n'a rien dit.
C'est comme ça que My-Sorry-Ever-After, l'ex qui ne m'assumait pas en public, a serré mon genou gauche jusqu'à le colorer d'un joli dégradé de violet, alors que je lui posais des questions sur sa relation avec l'autre, celle qu'il assumait en public. J'en ai parlé à notre groupe d'ami. Personne n'a trouvé ça choquant.
C'est comme ça qu'un soir, un garçon à peine rencontré ne m'a pas écoutée quand je lui ai dit "non". Une semaine après, quand j'ai repris mes esprits, j'ai voulu en parler à une collègue-amie, lors d'un trajet de métro. Elle m'a coupé en me disant "je préfère ne pas entendre ça".
C'est comme ça qu'un inconnu s'est retourné vers moi, en menaçant, dans la foule compacte de l'Armada de Rouen, la bousculade était généralisée, ce que j'ai tenté de lui expliquer calmement. J'avais 15 ans. Seule l'intervention de sa femme l'a empêché d'abattre sa main, déjà levée, sur moi.
C'est comme ça que, le même été de mes 15 ans, un homme majeur a profité d'une danse pour frotter son érection contre ma cuisse. Je n'ai rien compris à ce qui m'arrivait. Ma sœur et ma meilleure amie de l'époque, présentes, m'ont dit que c'était tout à fait normal.
C'est comme ça que, parce que je n'avais pas obéi assez vite à ses ordres, un gérant de bar m'a empoignée par le cou et traîné sur plusieurs mètres, me dictant sous la menace ce que je devais faire pour ne pas subir autre chose. Il y avait bien cinq personnes qui assistaient à la scène, personne n'a rien dit.
C'est comme ça qu'un collègue de bureau, parce que j'affichais haut et fort son incompétence et son machisme, après avoir usé de toute son intimidation et de tout son arsenal de harcèlement moral, a eu gain de cause auprès de notre direction et obtenu que je sois licenciée parce que, voyez-vous, moi , malgré ma compétence reconnue et mon comportement respectueux, j'avais parlé publiquement. Je pense que rien de ceci ne se serait passé de la sorte en 2018, mais on ne le saura jamais.
C'est comme ça qu'un membre de ma famille, lors d'un repas, m'a proposé un massage des épaules puis est descendu de plus en plus bas, y retournant après que j'ai protesté, avant de conclure en glissant à mon oreille un odieux : "Je vais m'arrêter parce que tu m'excites." J'en ai parlé à deux personnes présentes, l'une d'elles m'a quand même contrainte à effectuer un voyage en voiture seule avec lui le lendemain.
C'est comme ça qu'un salopard m'a caressé les fesses à plusieurs reprises dans le métro, et quand j'ai voulu le confronter a passé sa grosse langue dégueulasse entre ses deux doigts en V pour mimer ce qu'il avait sûrement très envie de m'imposer. Je lui ai hurlé dessus. Personne, dans le wagon bondé, n'a réagi. Je suis sortie la station suivante, la peur au ventre qu'il me poursuive.
C'est comme ça qu'un plan cul avec qui je m'étais toujours protégée, à qui je venais de donner un préservatif, ne l'a jamais mis (ou l'a ôté) - quand bien même il avait des relations avec de multiples partenaires et il savait que je ne prenais pas la pilule. Le lendemain, il a trouvé ça "abusé de ma part " de ne plus lui adresser la parole à cause de ça.
C'est comme ça qu'un soir de fête étudiante, chez une camarade de classe, alors que je connaissais toutes les personnes présentes, quelqu'un a mis du GHB dans mon verre. Sans la présence d'esprit d'une amie warrior dotée de plusieurs ceintures noires et d'un sang-froid incroyable, je n'aurais sans doute pas fini la soirée paisiblement dans mon lit. Je n'ai jamais su qui avait fait ça.
C'est comme ça que j'ai reçu une pierre en pleine figure, lancée par un ami de la famille qui m'intimidait et me violentait depuis l'enfance. En plein milieu de la cours du collège. Mon nez n'a plus jamais été droit. Lui, n'a même pas été réprimandé.
C'est comme ça que le même ex cité un peu plus haut, profondément attristé par la rupture de ses meilleurs amis, m'a plaquée sur le sol, s'est saisi de ma tête et l'a violemment frappée sur le sol. Où se trouvait un caillou. L'arrière de mon crâne était ouvert sur cinq centimètres, mais personne ne m'a secourue. Le lendemain, tout mon groupe d'amis est allé à la piscine, m'obligeant à les attendre à l'accueil, car je n'avais pas d'autre moyen de transport, ma plaie toujours non traitée.
C'est comme ça qu'un soir, en rentrant chez moi, une voiture avec deux hommes à son bord s'est arrêtée à mon niveau. Lorsque j'ai refusé de leur adresser la parole, un des hommes est sorti et s'est mis à me courir après, jusqu'à s'introduire dans mon immeuble et monter deux étages à mes trousses. Ce n'est qu'en comprenant que j'étais enfermée chez moi, hors d'atteinte, qu'il a baissé les bras.
Cette liste pourrait continuer et va continuer, au fur à mesure que les souvenirs bien souvent refoulés me reviendront.
J'ai volontairement évincé tout ce qui avait trait à la fameuse "zone grise", pour ne garder ce qui est condamnable par la loi, en l'état actuel des choses.
Si chaque femme signalait chaque acte condamnable dont elle a été victime, on ne serait pas à 22% d'augmentation des signalements.
Quant à moi, soyez certains, cela ne m'a pas servi de leçon : jamais je ne me tairai.
Je n'ai vécu aucune des situations que tu décris, mais ça m'inspire ça : https://www.youtube.com/watch?v=8azYP1RIvCs
RépondreSupprimerPeut-être pas le meilleur choix du monde vu que leurs textes me laissent parfois... perplexe... Mais quand j'ai commencé à lire ton billet, c'est ce genre de fureur que ça m'a évoqué.