mercredi 30 décembre 2020

Perfect health


 

Aaaaah, 2020.



Comment résumer une année qui fait consensus ? 


Je vous ai peu écrit, cette année. Il faut dire que j'ai été occupée. Mais un semblant de tradition aide à garder les murs debout, alors allons-y pour ce bilan, même s'il risque de ne pas être hilarant. 

En janvier, j'ai commencé en fanfare avec l'arrachage d'une dent de sagesse et tous les effets secondaires possibles. J'ai passé une semaine atroce entre douleur, bave et animorphisation en hamster d'1m60. 

En février, nous étions toujours dans le monde d'avant, et je dansais entre les lacrymos pas loin de la salle Pleyel. Le vieux monde flamboyait et nous rêvions tout de même d'y foutre le feu.

En mars, ça commençait à puer le pâté mais une de mes BFF et moi, on s'est enroulées dans notre déni et on a mis le cap sur London, On a enfin revu la merveille qu'est Hamilton, après avoir si longtemps waited for it

Puis j'ai traîné ma pote jusqu'à Bath, un de ces lieux tellement préservés dans son jus qu'on a une impression de Disneyland taille ville. Entre les scones, les balades le long de la rivière, les thermes, Stonehenge, le teatime, la bouffe indienne qui nous fait rouler jusqu'à notre hôtel au petit déj gargantuesque et aux voisins bruyants (mais très amoureux l'un de l'autre, visiblement). 

On a regardé un concours canin, j'ai fait des siestes. C'était bien. On devait parler de ma démission, on a plutôt fait des blagues sur les gens qui toussaient. 

Je suis rentrée quatre jours avant le confinement, égoïstement contente d'avoir fait un tel voyage alors qu'on s'apprêtait à vivre enfermés.

Mon anniversaire s'est passé sous les applaudissements à 20h, avec une tarte à la framboise et du champagne. On a regardé Emma, connectées en live, et c'était pas si pire. 

En avril, je faisais mes premières nudes, parce qu'il faut bien occuper un confinement désœuvré. Il n'était adressé à personne en particulier, de ce côté, rien n'a bougé, et rien ne bougera. 

En mai, la libération. La cocotte minute qui a tant enflé pendant confi1er a explosé et avec elle, j'ai endossé de nouvelles responsabilités dans mon groupe d'activistes. Je suis devenue gestionnaire de la formation des nouvelleaux et, dès lors qu'on a su que les drones du préfet Germain étaient robota non grata, j'ai formé des fournées et des fournées de jeunes féministes. C'est sans doute ce qui m'a le plus apporté dans la lutte, ce passage de relais. Cette transmission. 

En juin, la mémorable manif au palais de justice, en soutien à la famille Traoré et contre les violences policières. Un moment d'unité qui a fini en nassage gigantesque, duquel je suis sortie grâce à la solidarité d'un gardien de parc. De l'humanité, enfin, dans ce monde boueux. Je me souviens avoir stoppé ma course poursuite avec les forces de l'ordre un moment, le temps de regarder le soleil se coucher sur les fumées des voitures qui brûlent et les nuages de lacrymos. Quelques minutes de paix au centre du chaos.

En juillet, on pensait enfin se reposer mais ça a été le remaniement de la honte. Bien malgré moi, ma session de formation tranquillou organisée le lendemain de l'annonce s'est transformée en retapissage organisé de mon quartier. 30 personnes déployées. Des journalistes sur nos basques. Une fatigue mêlée de colère intarissable. 

Au milieu de cette fureur, une sœur me menace de mort, une autre me dit que ce n'est pas si grave. C'est la première violence militante qui me touche à ce point. 

Premier week-end d'août, ma peau de rousse et moi-même avons fui la canicule sur une plage de méditerranée. Protégées par une caverne dans les roches, alors que le soleil se couchait. J'ai sauté seule dans les vagues pour la première fois depuis 10 ans, peut-être.

...J'étais loin de m'imaginer que cet épisode marquerait le début de la descente aux enfers.

Mais un poulpe sauvage m'a serré la patte, donc ça valait la peine. 

En août, ça fait un mois que je suis à nouveau suivie par une psychologue et un psychiatre de luxe, j'ai senti le vent tourner, mon psychisme décrocher, d'abord en avril, puis après les multiples traumas de la fin du printemps. Tous deux me conseillent d'arrêter le militantisme. Comme d'habitude, ma réaction est un BIG NO. 

Si je les avais écoutés à ce moment-là, je ne serais sans doute pas en train de lutter contre un syndrome post-traumatique, encore maintenant. Mais si on écoutait ses psys, ils seraient vite au chômage.

En août, je tente d'oublier mes maux à Amboise, où la vie de château me va pas mal jusqu'à ce qu'un de mes petits chats préférés soit trop audacieux lors d'une chasse au pigeon. Je passe la dernière journée de mes trop courtes vacances à sangloter en robe de plage sur le quai d'une gare sans WC en attendant un train qui n'arrivera que 4h après.

En septembre, je forme un maximum de nouvelleaux aux collages, sachant que mes jours sont comptés, puis je claque la porte, lors d'une soirée mémorable, entourée de celles qui ont été mes béquilles puis mes gardes malades, inlassables, mes deux étoiles dans la nuit de la fin de mon aventure militante.

Et heureusement qu'elles sont là pour me rappeler les détails oubliés de ma choppe éhontée.

En octobre, la nuit est tombée sur la nuit. Se reconstruire, mais comment ? Comment remplacer ce vide dans ma vie qui avait rempli le vide de mon âme ? Et surtout, comme le faire alors qu'on patine dans la recherche d'un nouveau traitement, que toutes les possibilités d'évasion sont supprimées les unes après les autres et que les jours raccourcissent tandis que les journées ne sont que travail et les nuits, insomnies ?

En novembre, je n'ai toujours pas la réponse, et des soucis de fric s'ajoutent au reste. Pour une fois, la chance est de mon côté et je décroche plusieurs contrats alimentaires qui me permettent de renflouer les caisses et de m'occuper les mains et la tête. La dette de sommeil, elle, s'accumule. Les traitements ne fonctionnent pas. 


Et nous voilà en décembre. Mon appartement rutile de décorations. Le chat a été pourri gâté. J'ai déposé plainte contre mon voisin qui a passé le couvre-feu à organiser des concerts all-night-long dans son appart' juste au-dessus du mien (la seule question que les ACAB m'ont posée est "Est-il français ?"). 

A défaut de voir beaucoup de gens, j'ai reçu plein d'attention. On se démerde tous comme on peut dans cette situation, et on s'en sort pas trop mal, du moins au niveau personnel.

Je ne peux pas dire que j'ai beaucoup d'espoir, je n'en ai jamais eu. J'ai l'impression de voir de plus en plus de gens débarquer dans mon univers de gloom, de bagarre pour retrouver un semblant de santé mentale. J'ai l'impression d'être la boss du game, avec mes 15 ans d'entraînement. 

Prenez soin de vous, tentez d'avoir de l'empathie, avec les dernières forces qu'il vous reste et n'oubliez pas que Men are trash et que 1312 FOR EVER. 


All best,

Johnson



 







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