[Where the fun, it got no end]
Je ne sais pas trop ce qui est passé par la tête de mes géniteurs quand ils ont cru que j'allais être douée en gymnastique, en piano ou même en casting pour jouer la fille de parents divorcés dans une pub Nescafés. Mais en tout cas, ils ont essayé, et ont appliqué une, ma foi, fort belle politique de l'autruche quand, manifestement, je n'étais bonne à rien, et surtout pas à cela.
Ce que j'aimais, c'était écrire des livres mi-drôles mi-horrifiques, recevoir du courrier et y répondre, crapahuter avec des chats, inventer des jeux de rôle à la récré (et les interpréter avec des cobayes qui tournaient beaucoup tant j'étais épuisante), m'imaginer plus tard ou morte ou les deux et collectionner les cailloux ronds et gris dans la gravelle de mon Pépé et de ma Mémé.
Effectivement, vu comme ça, mon CV n'allait pas être aisé à vendre dans les repas amicaux. La course à l'échalotte de qui a la fille la plus merveilleuse était perdue d'avance. D'autant plus quand je suis passée de "bébé mignon" à "gamine quelconque" sur le plan physique (je ne parle pas de l'adolescence ingrate, cela tombe sous le sens).
Je lisais beaucoup, car j'y étais obligée, c'était la seule activité acceptée pendant une grande partie de mon temps libre, une activité où on n'échange surtout pas avec ses parents, où on s'isole, loin des yeux, histoire qu'ils oublient leur troisième enfant qu'ils "n'auraient jamais dû faire".
Chez mes grands-parents, bizarrement, mes activités étaient plus diverses (mais pas moins étranges), j'observais les fourmis, je draguais les chiens des voisins, je m'inventais des missions divines, je respirais les roses et je tournais autour d'un poteau. Meilleurs hobbies ever.
Mes grands-parents, eux, m'adressaient la parole et m'écoutaient. Ils étaient souvent amusés de mes petits commentaires décalés, parfois ils me faisaient les gros yeux mais se mordaient beaucoup la joue pour ne pas sourire et m'encourager à dire trop de choses "qui ne se disent pas" "parce que c'est comme ça" "tu veux une péq' au cul ? Non mais !"
Donc j'allais dire ces choses dans ma tête, à mes amis imaginaires, à mon futur moi qui serait forcément brillante, talentueuse et réussirait tout, serait aimée de tous, enfin reconnue comme l'exceptionnelle unique petite étoile qu'elle était.
Jmelapétais déjà pas mal, à vrai dire.
Si les autres ne me comprenaient pas, c'est forcément qu'ils étaient cons. Trop gamins. Trop filles. Trop garçons. Trop violents. Trop sportifs.
Moi, j'étais parfaite.
C'est pour ça que les gens s'obstinaient à me torturer et à me critiquer, y compris ceux qui m'avaient imposé la vie. C'est parce que j'étais trop drôle, trop unique et trop intéressante.
La preuve : j'arrivais à leur raconter les pires mensonges et à les faire marcher. C'est bien que c'est moi, qui menait la danse.
Cette personnalité de diva s'est faite dépecer au collège où la part sombre a pris toute sa place, toute la place et n'est vraiment partie, petit à petit, que quand j'ai frôlé la mort, six ans après.
Quand j'ai dit au revoir à ma grand-mère, j'ai aussi dit adieu à la dernière personne qui riait à mes blagues, et croyait tout pareil que ce que la petite Johnson pensait d'elle-même. Rien n'était trop beau pour moi, je méritais un amour sans limites.
Alors parfois, pour une heure ou deux, pour le temps d'une escapade de quelques jours, je secoue bébé Johnson et sa grosse tête, je lui laisse la place et, moi, je la regarde mener tout le monde par le bout du nez. Créer un gentil chaos et se réjouir d'en tirer toutes les ficelles.
Au fond de moi, l'idée ne mourra jamais : I'm Johnsy of Asgard, and I'm burdened with glorious purpose.
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