Je range mon héritage dans les petites étagères vides de mon bureau et c'est comme si je prenais le voile.
La collection de romans sentimentaux de Mémé, secret bien gardé derrière une couche de livres "respectables" qui finissent exposés dans mon antre d'éditrice.
Dans moins d'une semaine je vais habiter à 10 minutes d'ici et, dès lors, être tentée de devenir cette machine à abnégation qui ne vit que pour son travail.
Mon héritage, ce n'est pas seulement une quarantaine de vieux livres de poche en sale état.
C'est la certitude que Mémé aussi avait l'esprit taraudé par les choses de l'amour.
Que je ne suis pas une exception génétique.
Quand on a retrouvé son portefeuille, il ne comportait pas la photo de l'homme "officiel" de sa vie - mon grand-père - mais celle de celui d'après (ou d'avant, ou de pendant, ou les trois).
Est-ce que c'est un signe du destin pour me dire qu'il n'est jamais trop tard ?
J'y crois moyen.
Mémé avait une force que je n'ai pas. Une force de la nature, quand je suis un rachitique petit John Keats/Freddy Lyon.
A la question "alors ça fait quoi d'avoir 25 ans ?", je ne pouvais pas répondre.
Parce que dire "Étonnée d'être encore en vie." passe mal dans un contexte de joyeusetés.
J'ai 25 ans et je suis plus que jamais seule au monde.
J'ai fait le deuil d'établir un lien véritable avec les mortels, ma vie sera désormais une longue autoroute où des gens m'appelleront "Mon éditrice", "Mon amie", "Ma tante/Ma soeur/Ma cousine", mais où je n'appartiendrai plus à personne.
Cette distance s'est installée pour durer. Ca n'est pas un état de choc. C'est un état de renonciation.
Je ne me suis pas remise de ma rupture de l'année dernière : elle a brisé les derniers espoirs que je fondais en l'humanité. Comme si la vie avait voulu me prouver une bonne fois pour toute que ça n'était pas fait pour moi, ces choses-là.
Je m'éloigne du Père-Lachaise et de ses immortels pour mieux me plonger dans le thanatos d'une vie boulot/dodo sans plus de métro - maigre consolation.
Plus rien ne me touche et, j'ai à peine frémis, quand, en dépliant ma valise j'ai retrouvé le dé à coudre ramené de Bratislava pour la collection de Mémé. Je ne l'ai pas retrouvé à temps. Je ne lui aurai jamais donné.
Je suis restée, 2 secondes, peut-être 3, à faire la grimace avant de poser le dé sur une étagère - vide - et de reprendre le fil de l'empaquetage.
Le dé suivra le cours de son existence.
Mémé n'existe plus.
Moi plus trop non plus, mais, à la manière des étoiles mortes, les gens pensent que parce que je bouge je vis encore.
Et qui suis-je pour les détromper ?
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