[Parce que les fleurs, c'est périssable.]
"Il a dit que tu n'étais pas obligée de venir, qu'un coup de fil suffirait."
Ouais. Non. Paris n'excuse pas tout.
Je peux supporter 3h de train dans une journée.
Et puis, il y a quelques années, quand c'est moi qui me suis réveillée la tête éthérée et l'estomac lourd, dans une chambre d'hôpital, c'est lui qui était là.
Je parcours les rayons en me disant que je ne rentre plus en Normandie que pour les enterrements.
Et ce genre d'évènements aussi réjouissants, donc.
Puis je le vois, lui, là-haut sur la photo. Je me dis : ok je le prends.
Parce que qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ?
Je ne sais pas ce qu'il aura le droit de manger. Je ne sais pas s'il sera en état de lire quoi que ce soit.
Ce que je sais, c'est que dans les trucs que je ne peux pas lui dire, il y a ce que je pense de lui, de sa vie.
Le fait que devenir lui soit une de mes plus grandes angoisses.
Dans ce que je ne peux pas lui dire, il y a : "Je sais ce que c'est, la solitude. La solitude si intense qu'elle brise tout et pèse de tout son poids sur la cage thoracique. Je sais ce que c'est. Je l'ai été, je le serai très bientôt, je le suis par intermittence, même maintenant.".
La dernière fois que nous avons eu une conversation, j'ai frémi, parce que lui aussi s'était extirpé du marécage de là d'où nous venons. Lui aussi avait eu une vie urbaine, un appart', des amis, un boulot et des virées dans des caves à vin à pas d'heure.
Et puis un jour, tout s'arrête. On rentre. Case départ. On devient la blague. Celui qu'on pose là. Qui rend des services. Celui à qui on ne sait pas quoi offrir à noël.
Celui sur la vie intime duquel on se pose toutes les questions.
Je suis son équivalent désigné dans la nouvelle génération. Parce que je suis l'éternelle célibataire, moi aussi.
Je pense qu'il s'en est aperçu et que c'est pour ça qu'il est le seul à prendre ma défense quand on m'attaque, rôle jusqu'ici dédié à l'irremplaçable Mémé.
Récemment, on a essayé de m'attirer du côté clair de la force, du côté de l'optimisme et de la certitude que la vie était belle. Une peine perdue qui était jolie à voir. Un peu comme quand mon chat essaye de manger une lampe, en fait. Je suis le témoin privilégié de trop d'acharnement du sort pour croire un seul mot des foutaises sur le bonheur à portée de main.
Se lever tôt, quitter le chat, s'engouffrer gare Saint-Lazare avec l'ours-sans-nom sous le bras, défroncer ses sourcils quand un passant prendra ma grise mine pour une désapprobation de ma part. Peut-être un espresso avant d'embarquer.
Le paysage défilera. Ma tête contre la vitre. Les écouteurs sur les oreilles.
On mourra tous un jour et, au moins, quand mon tour viendra, ça ne sera pas à moi d'écrire de discours.
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