Un soir, à Hyde Park, Damon Albarn a pleuré.
Et moi, à ce moment là, je pensais bien jamais le voir.
Pas avec Blur en tout cas.
Je n'ai jamais aimé les gens médiocres, j'ai toujours eu l'intuition assez affûtée pour dénicher ceux qui comptaient. Ceux qui allaient faire l'histoire. Ou du moins quelques morceaux.
Je me gargarise un peu de ça, sous mes trois couches de draps. J'aime beaucoup empiler les draps sur moi quand je bosse, j'ai dû avoir une vie antérieure en toge.
Samedi soir, on m'a oubliée sur le dancefloor.
Non mais vraiment.
Mes compagnes de fiesta m'ont oubliée là. Enfin, c'est ce que je me suis dit, pour ne pas me dire autre chose. Mais c'était triste quand même.
Alors je leur ai fait coucou, à travers la vitre du fumoir, parce qu'il faudrait pas leur laisser le terrain du "mais on était mortes d'inquiétude !", et j'ai pris mon noctilien, comme il y a 5 ans. Comme il y a 4 ans. Comme il y a 3 ans. Comme il y a 2 ans. Comme l'année dernière.
Je connais la place de la Bourse par cœur, de nuit comme de jour, mais surtout de nuit. C'était le N16 et maintenant le N15. Je suis la seule à composter mon billet, au creux de la nuit. Mais j'estime que payer ce tarif est plus justifié quand un type doit gérer la lie recrachée par les boîtes et les bars.
J'essaye de pas gêner, de pas déranger. Je suis dans cette bulle d'infinie tristesse dont je ne me départirai jamais.
J'ai compris que je n'étais qu'un second rôle dans toutes les histoires de ma vie. Un épisode, une éclipse. Ces séquences qui peuvent me perturber jusqu'à des années après leurs courtes durées ne sont en fait pas mes histoires, pas mon histoire. Elles ne m'appartiennent pas et je n'ai été qu'un élément perturbateur au mieux, une figurante au pire.
C'était le cas de la dernière histoire, que je présente comme "mon dernier brisage de coeur", quand en fait je suis arrivée bien après le déluge, alors que la tragédie était déjà jouée entre les principaux protagonistes. Trop bonne, trop conne pour comprendre que je n'étais rien qu'un pion. Un mort-pion.
Sauf que je suis tout sauf conne. Je finis toujours par comprendre ce qui s'est passé. La Vérité dont tout le monde se passe, justement. Les gens l'évitent avec beaucoup de précaution. Ca ne les intéresse pas. Les gens vivent dans le fantasme et les chimères et se servent de tous ce qu'ils trouvent pour renforcer leurs lubies, y compris des autres. De leur vie qui n'a rien demandé.
Je suis seule avec mes superpouvoirs dans mon noctilien, j'ai une bulle, c'est déjà ça. Je suis stable, stoïque, et j'ai un chat super doux. De quoi je me plains ? De rien. Si quelque chose m'irrite, j'y remédie.
On m'a oublié sur cette piste de danse, on s'est servie de moi dans ces bras, parce que je suis une plante verte.
Je suis celle qui aide à aller mieux, je suis celle qui occupe pendant un temps en attendant de trouver autre chose de mieux. De forcément mieux.
J'aimerais que quelqu'un me détrompe, mais l'histoire se répète. Je ne suis la personne de personne. Je suis de passage, utile parfois, mais comme un putain de sapin de noël en plastique, qu'on range 10 mois de l'année.
Mais tant que j'en ai conscience, ça m'affecte moins. Moi, ce qui me touche, ce qui me guide et ce qui me réjouit, ce sont les immémoriaux, ceux qui font l'histoire.
L'important, c'est Damon Albarn qui pleure à Hyde Park.
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