[Ceci n'est pas #LAPLEINELUNE, vous pouvez dormir tranquilles]
Depuis les deux épisodes précédents, mon quartier n'est plus tout à fait le même. Les patrouilles de police sont beaucoup plus nombreuses qu'avant, mais tout aussi inefficaces, car les crackheads sont tous de sortie, en plein jour, à moitié habillés seulement, et poussent des cris de zombie, sûrement parce que leur dealeur est toujours à l'hôpital. Ou qu'on leur a coupé le robinet en représailles.
Toujours est-il qu'un de mes potes m'a demandé à brûle pourpoint "Mais, Johnson, tu l'aimes ton quartier ?"
J'ai fait le poisson rouge deux secondes avant de répondre :
"Je crois que... je crois que oui."
Au final, il ne m'est rien arrivé à moi. C'est ça qu'est bien avec les trafics de drogue : tu t'en mêles pas et personne te fait chier.
Ce que j'ai pas dit, c'est que tout ça me manque déjà, alors que j'y suis encore.
Il y a, niché au creux de mon estomac, un sentiment de dimanche soir d'écolière qui ne veut plus partir.
J'ai passé deux soirées en position du lotus, sur le rebord de ma fenêtre, à juste regarder aller et venir la foule, le soleil se coucher dans un ciel rose, la température chuter et les terrasses se vider.
J'ai passé la 3e soirée de cette semaine à profiter d'une chaude soirée avec un semblant de groupe d'ami retrouvé. Prenant un plaisir certain à redonner le sourire à une pote, tandis que les autres m'apprenaient à couper proprement ma nourriture (je suis un petit cochon à table et on m'a jamais appris à tenir mes couverts normalement car je suis gauchère).
Un pichet de coup de grisou, un camion de pompier, un autre quartier, des discussions légères soudain interrompues par le désormais classique "mais, ça s'est passé pas loin de chez toi le 13 novembre ?" qui te rappelle ce qui unit les français, désormais, à travers les frontières. La langue, la gastronomie, les grandes dates de massacres.
Etrangement, je suis la plus âgée du groupe. J'en ai pas l'air, ni physiquement, ni dans mon attitude. Tout est bouleversé ici. Ils ne savent pas qui je suis vraiment, et le savent sans doute mieux que personne. Ils me connaissent à l'instant T. Celle qui a survécu à son expatriation pourtant pas gagnée avec le supplément bagage "anxiété" "ptsd" "troubles autistiques" "bordeline" et j'en passe.
Les gens de ma vie de Paris connaissent le conglomérat de strates-Johnson. La compil.
Ici je suis un bloc encore non-taillé, personne n'a d'autre choix que de s'accepter les uns les autres tels que nous nous présentons.
Je serre ma bière, je me prends un nouveau "Johnson, t'es conne !" et une bourrade dans le bras qui me rappelle que ce groupe d'ami est composé d'un pourcentage substantiel de mecs hétéros. Je souris. Plus je me prends des vannes plus je les accepte et les emmène plus loin.
Rien ne m'atteint. Seule cette sensation lancinante, entre mes côtes, ce murmure en boucle tuvasrentrerbientôttuvasrentrerbientôt.
Je saisis ces instants et les photographie dans ma mémoire car ils ne sont que ça : des moments fugaces qui ne voudront plus rien dire à peine aurai-je un pied dans l'avion.
Il n'y a aucune chance pour que nous restions amis, mon expérience de doyenne me l'a appris. Je n'aurais même pas eu le temps de les connaître vraiment - mais peut-être était-ce là tout l'intérêt de cette expérience sociologique.
Ce que je sais, c'est que je m'attache toujours aussi vite, seulement ici, maintenant, loin de Paris, on ne m'a pas puni pour ça. J'ai été récompensée.
De beaucoup, beaucoup de bonheur.
De beaucoup, beaucoup de plaisir.
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