Un soleil de feu est apparu dans la nuit alors que nous descendions la colline du Panthéon. Je mis de longs instants à comprendre d'où il venait, alors qu'il s'agissait à l'évidence de l'endroit où nous nous rendions.
Au moment où je compris qu'il s'agissait de la rosace enflammée, j'entendis que ma compagnonne me parlait.
– Hein ?
– T'entends les cloches ?
– C'est parce qu'il est 22h.
– Mais non, c'est les autres églises qui sonnent pour Notre-Dame.
Je crois que je n'avais jamais entendu le glas. Même alors qu'il avait retenti si récemment. J'habitais trop loin de toute église, dans un quartier sommes toute sorti de terre récemment.
Victor avait bien décrit le Boulevard de l'hôpital dans ses Misérables si chers à mon cœur, mais le XIIIème n'existait pas quand Esméralda dansait.
Il y avait un an et demi, environ, en ouvrant google maps dans un bar duquel je suis habituée et que j'allais bientôt quitter, incapable de retrouver ma route seule, non pas à cause du houblon, mais de mon sens de l'orientation implacablement handicapé, j'avais halluciné. Sous mes doigts, à l'endroit où la petite flèche m'indiquait que je me situais, était écrit : "Cour des miracles".
La petite fille de 10 ans en moi avait écarquillé les yeux, évacué toute torpeur alcoolique et s'était précipitée dehors pour trouver quoi que ce soit qui puisse me prouver la véracité des dires de sieur Google.
En contournant le bâtiment, j'avais bien trouvé une plaque.
Sous mes pieds, la lie de la plèbe avait donc tenté de se réchauffer, il y a fort fort longtemps. Je me trouvais à l'endroit où mon imagination m'avait tant de fois mené.
J'avais alors repensé à mes années Hugoliennes (si j'avais pu, j'aurais affiché des posters du vieux barbu dans ma chambre de préado, mais y en avait jamais en page centrale de StarClub).
J'avais repensé à mon obsession de retrouver la fameuse inscription qui a inspiré ND à Victor.
"Il y a quelques années qu’en visitant, ou, pour mieux
dire, en furetant Notre-Dame, l’auteur de ce livre trouva, dans un recoin
obscur de l’une des tours ce mot gravé à la main sur le mur :
’ANÁΓKH.
Ces majuscules grecques, noires de vétusté et assez profondément entaillées dans la pierre, je ne sais quels signes propres à la calligraphie gothique empreints dans leurs formes et dans leurs attitudes, comme pour révéler que c’était une main du moyen âge qui les avait écrites là, surtout le sens lugubre et fatal qu’elles renferment, frappèrent vivement l’auteur.
Il se demanda, il chercha à deviner quelle pouvait être l’âme en peine qui n’avait pas voulu quitter ce inonde sans laisser ce stigmate de crime ou de malheur au front de la vieille église.
Depuis, on a badigeonné ou gratté (je ne sais plus lequel) le mur, et l’inscription a disparu. Car c’est ainsi qu’on agit depuis tantôt deux cents ans avec les merveilleuses églises du moyen âge. Les mutilations leur viennent de toutes parts, du dedans comme du dehors. Le prêtre les badigeonne, l’architecte les gratte, puis le peuple survient, qui les démolit.
Ainsi, hormis le fragile souvenir que lui consacre ici l’auteur de ce livre, il ne reste plus rien aujourd’hui du mot mystérieux gravé dans la sombre tour de Notre-Dame, rien de la destinée inconnue qu’il résumait si mélancoliquement. L’homme qui a écrit ce mot sur ce mur s’est effacé, il y a plusieurs siècles, du milieu des générations, le mot s’est à son tour effacé du mur de l’église, l’église elle-même s’effacera bientôt peut-être de la terre.
C’est sur ce mot qu’on a fait ce livre."
’ANÁΓKH.
Ces majuscules grecques, noires de vétusté et assez profondément entaillées dans la pierre, je ne sais quels signes propres à la calligraphie gothique empreints dans leurs formes et dans leurs attitudes, comme pour révéler que c’était une main du moyen âge qui les avait écrites là, surtout le sens lugubre et fatal qu’elles renferment, frappèrent vivement l’auteur.
Il se demanda, il chercha à deviner quelle pouvait être l’âme en peine qui n’avait pas voulu quitter ce inonde sans laisser ce stigmate de crime ou de malheur au front de la vieille église.
Depuis, on a badigeonné ou gratté (je ne sais plus lequel) le mur, et l’inscription a disparu. Car c’est ainsi qu’on agit depuis tantôt deux cents ans avec les merveilleuses églises du moyen âge. Les mutilations leur viennent de toutes parts, du dedans comme du dehors. Le prêtre les badigeonne, l’architecte les gratte, puis le peuple survient, qui les démolit.
Ainsi, hormis le fragile souvenir que lui consacre ici l’auteur de ce livre, il ne reste plus rien aujourd’hui du mot mystérieux gravé dans la sombre tour de Notre-Dame, rien de la destinée inconnue qu’il résumait si mélancoliquement. L’homme qui a écrit ce mot sur ce mur s’est effacé, il y a plusieurs siècles, du milieu des générations, le mot s’est à son tour effacé du mur de l’église, l’église elle-même s’effacera bientôt peut-être de la terre.
C’est sur ce mot qu’on a fait ce livre."
J'avais l'âge de Gavroche et l'envie d'envahir Paris. De me faire la malle le plus tôt possible du domicile familial et, au pire, je me serais réfugiée dans la grande église, en demandant ce bon vieux droit d'asile.
Oui, facile.
Mes plans de fugue avaient été estompés par Mémé-la-Sainte, qui m'avait assise sur le banc du jardin et expliqué en quoi c'était une mauvaise idée, de partir rebâtir ma vie, seule, à 10-11 ans.
Je lui avais promis alors que j'attendrais d'en avoir quatorze.
Elle avait ri et a hoché la tête, puis elle était allée préparer le goûter.
Mon amie et moi approchions du soleil de feu en n'osant regarder les informations sur nos téléphones intelligents. Les yeux comme attachés au point lumineux, à l'horizon.
Bientôt, il y allait avoir du monde, beaucoup du monde, mais aussi des chiens, beaucoup de chiens.
Je n'avais jamais vu de bâtiment brûler. Les seuls feux que j'avais connus étaient ceux de la Saint-Jean, dans mon bourg natal. On m'avait souvent promis qu'on allait m'y jeter, d'ailleurs. Mais je n'y croyais pas trop, il y avait toujours Pépé aux feux de la Saint-Jean, et Pépé n'aurait jamais laissé faire ça.
Et puis un jour, Pépé est mort. Je n'avais plus 14 ans depuis 2 ans, et j'avais lu Les Misérables à 12.
Je m'ennuyais fermement, jusqu'à vouloir fuguer plus dramatiquement. Plus éternellement.
Mais la libération n'était plus que dans un an, alors j'ai attendu mes 17 printemps, et j'ai apprivoisé Paris dès les 19 venus.
Je n'ai jamais trouvé l'inscription. Je savais fort bien que même Victor avait dit qu'elle n'existait plus, ou qu'il ne s'en souvenait plus, ou bien qu'il avait trop bu. Mais j'étais persuadée que, moi, j'allais la trouver. Que le grand homme avait menti pour décourager les badauds, mais que si j'y croyais assez, à force de persévérance, moi, je la retrouverai.
Je n'ai jamais trouvé l'inscription.
Nous fûmes bientôt quai de Montebello, où le calme était si respectueux qu'on se demandait bien si nous étions toujours à Paris. Et puis quelques trottinettes filèrent en nous frôlant et nous comprîmes que oui.
Nous nous frayâmes un chemin tant bien que mal hors de la foule, au son d'un Ave Maria d'outre-tombe qui me rappela mes souvenirs imaginaires sur le Titanic - tous nourris au feu de ce que me racontait Pépé au sujet de ce paquebot, notre passion commune, qui avait coulé la nuit d'un 15 avril. Le Titanic coulait au son des parisiens chrétiens qui chantaient fort harmonieusement.
On ne pouvait approcher plus, mais bientôt, nous vîmes un banc sur lequel nous percher. De là-haut, nous aperçûmes les casques briller sous le soleil de feu. Les jets des pompiers imiter les arches d'une façon plus vraie qu'architecture. Des poutres vaciller. Quelques cendres s'écrouler dans l'eau, à travers le ciel bleu nuit.
Dans l'eau.
Comment une île peut-elle brûler ? Surtout la Cité, entourée de ma Seine. Et dans ma Seine eh bien, je dois vous avouer qu'il y a les deux : Pépé et Mémé. En cendres, bien sûr, on a fait les choses dans l'ordre. Mais c'est vrai que dès que vague-à-l'âme, il y a, c'est en l'île que je me rends. Je regarde passer la Seine et je pense à eux, les seules deux personnes à m'avoir jamais aimé inconditionnellement.
Les vertiges me prirent, depuis mon perchoir. Il était temps de rebrousser chemin, mais plus nous nous éloignions, meilleure était notre vue. La fascination, (morbide ?), était telle qu'entre deux blagues pour nous rassurer, nous étions figées. Un peu comme dans cette scène de fin au son de Where is my mind?
Nous nous arrêtions très souvent, pour voir un prêtre semblant perdu, des policiers très calmes, des papillons de nuit et puis des chauve-souris, ces "hirondelles de la nuit" (copyright @Meor).
Quand Pont Marie fut sous nos pieds, nous mîmes un certain temps à nous séparer. Les journalistes japonais accompagnaient en bruit de fond nos aux revoir imprécis, entrecoupés de regards hébétés vers l'obscurité enflammée.
La lune n'osait se montrer, cachée derrière les fumées de cuivre et de plomb. Derrière les signatures des charpentiers des siècles passés, montés jusqu'à elle.
Alors, je dis à mon amie que j'avais été contente de vivre ce soir en sa compagnie. Pas seule. Pas isolée dans la foule.
Et puis, je restai.
Je bougeais, mais je restais. Je filmai les chants, d'autres chants, et puis bientôt, sans trop prêter attention, je fus sur l'île Saint-Louis. Là-bas, la clameur montait tandis que les casques revenaient.
Je zigzaguai entre les tuyaux gros comme ma cuisse qui balafraient le pavé dans cette première nuit de redoux, parsemée de gens vieux priant à genoux.
Engouffrée dans la ligne 7, je frissonnai enfin, me demandant comment j'allais bien pouvoir expliquer tout cela au chat.
Franchement, quand j'ai vu Luchini écrire que "la France est profondément chrétienne", puis quand j'ai lu qu'LVMH allait débloquer des millions pour la reconstruction, alors qu'il y a des gens qui crèchent dans des bidonvilles à Paris, ça a surpassé ma tristesse.
RépondreSupprimerAlors je voulais te dire merci, parce que... De tous nos écrivains, il me semble qu'Hugo est le seul qui comprenne vraiment l'âme, celle des hommes comme celle des édifices. Et quand je pense à la France, à Paris, c'est dans son style exalté, mystique, que j'aime à me les représenter.