C'est extrêmement difficile pour moi de me lever le matin, depuis quelques semaines.
Dormir est mon activité préférée, les rêves surpassent toujours ma réalité et aucun argument n'est assez solide pour contrecarrer la proposition rituelle de mon cerveau : "On se rendort ?"
Pour l'instant, ça ne se voit pas trop socialement. Je n'ai rien manqué d'important jusqu'ici, et le fait de bosser en indé aide pas mal.
Lundi, c'est avec une immense difficulté que je me suis extirpée de mon lit pour me préparer péniblement à affronter le dehors. Je n'y suis parvenue qu'à 10h30.
J'avais sorti une robe, avec décolleté, je m'étais maquillée, bref : j'avais enfilé mon armure contre les étrangers que j'allais croiser. Mon déguisement de fille normale.
Il faisait beau, et je tentais de repousser les idées noires comme mes thérapeutes peinent à m'apprendre à le faire depuis 2 ans.
J'ai réussi tant bien que mal à continuer ma route, en me focalisant sur ce qui me faisait sourire.
Des corbeaux, des nouvelles œuvres de street-art, des arbres en fleur.
Arrivée dans la dernière ligne droite, je suis arrêtée par un feu rouge piéton, et mon attention est attirée par un tumulte sur ma gauche.
Un mendiant est en train d'hurler sur une femme qui a refusé qu'il la touche et s'est détournée avant de partir traverser plus loin. Le mendiant prend à parti une vieille femme qui se trouve entre lui et moi et lui tient à peu près ce langage :
"Elle se prend pour qui ? Ils sont tous comme ça ces gens là de toute façon. Toujours à te prendre de haut."
Jusqu'ici, rien que de très commun à Paris, je reste à ma place, je guette le feu. C'est alors que la situation vacille.
La vieille dame répond au mendiant, et j'ai très peur de la litanie réac d'une bourgeoise d'extrême droite, mais tout est parti dans une direction franchement surprenante :
– Oui, vous avez raison.
– Toujours à faire genre ils nous voient pas, toujours à nous ignorer, tous pareils...
– Je vais vous dire moi, comme ils s'appellent ces gens, ce sont des bipolaires !
– Exactement ! Et ils se servent de ça pour faire genre ils sont au dessus de nous !
J'ai eu ce moment de "gloups" digne d'un personnage de BD, ne sachant si je devais rire, me rouler par terre et faire une scène ou pleurer. Je me suis souvenue que je n'avais qu'une rue à traverser pour atteindre mon bureau et que vu mes capacités cognitives, en ce moment, je ne risquais pas d'être d'une éloquence folle si je me lançais dans un discours d'indignation. Je suis donc restée con. Les bras ballants, mais l'air assez furieux pour que le mendiant, en plongeant son regard dans le mien, sente qu'il fallait pas trop qu'il s'approche.
Je me suis rassurée en me disant que la vioque n'en aurait plus pour trop longtemps. Vingt ans max. Comme la plupart des gros cons incurables de ce pays.
C'est toute tourneboulée que j'ai commencé à comprendre que je venais de subir ma première stigmatisation indirecte et publique liée aux maladies mentales. Je n'ai compris ni d'où ça sortait, ni pourquoi, ni le rapport. J'ai juste vu que deux personnes de classes sociales opposées s'étaient accordées sur le fait qu'on était des nuisibles, et que c'était pas grave de le crier haut et fort.
Le bon côté des choses, c'est que j'ai ressenti un élan d'empathie pure vers mes amis bipolaires. Je ne le suis pas, mais mon trouble de la personnalité est assez proche au niveau des symptômes pour que me les représente comme des cousins sur ma mappemonde des maux invisibles.
J'en profite pour vous glisser un lien très important (mais anglophone, so sorry) vers un article qui est le meilleur que j'ai pu lire à ce jour sur le fait de vivre en étant suicidaire, ce qu'on traverse, comment on grandit avec cela et le fait que nous même, on n'est pas trop sûrs de comment ça va finir, même si on a une idée...
En tout cas, ne pas utiliser nos maladies comme une insulte serait un bon début. J'imagine mal la vioque pointer du doigt un chauve et le traiter de "sale cancéreux". Donc si vous pouviez surveiller votre langage et ne pas employer le champ lexical des maladies mentales à mauvais escient et/ou pour dénigrer quelqu'un, ce serait déjà un grand soulagement pour tous ceux qui bataillent en silence, et qui sont partout, tout autour de vous, même si vous ne le savez certainement pas.
C'est bien "l'insulte" la plus étrange qu'il m'ait été donné d'entendre par procuration. Dans le contexte que tu décris, je ne vois même pas le rapport.
RépondreSupprimerAu collège, "mongol" est un peu passé de mode, même si ça les fait toujours rire. Je m'emploie surtout à batailler pour qu'ils arrêtent avec "schizo". Peut-être que si je m'y prends bien, il y en a quelques uns qui deviendront des adultes pas trop débiles.
Une fois, à 19 ans, j'ai dit le mot "schizo" dans le sens "bizarre" devant une personne dont le frère était schizophrène, plus jamais je n'ai refait l'erreur après... Il va vraiment falloir éduquer les gens à ce niveau, genre, en masse.
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