Assise dans l'estafette des CRS, alors qu'ils se passaient des mitraillettes sous mon nez, sous-estimant donc grandement le fait que j'aurais pu la chopper en deux mouvements et par là même prouvant qu'ils sont moyens formés tout de même, j'ai pu profiter du moelleux des sièges financés par mes impôts.
Il fallait bien que ça arrive, me dis-je, alors qu'on me fait décliner mon identité et que je sers mon meilleur stand up à toute la horde de robocops qui m'entourent. Non pas parce que je viens de faire une action illégale, et que j'en fais quand même des tas depuis le début de mon militantimsm, mais parce que je me demandais quand, exactement, on allait me dire symboliquement "aller, ferme ta bouche et rentre à ta maison, femme".
C'est à peu près dans ces termes, d'ailleurs, que m'a invectivée le CRS qui venait de m'empoigner moi et ma casserole - destinée à faire du bruit pour "réveiller" notre cher président et attirer son attention sur les chiffres terribles des femmes mortes en France des mains de leurs compagnons ou exs - il m'a regardé avec de la rage dans les yeux et a craché "Les casseroles, ça reste dans la cuisine". On sentait que tout son corps se retenait d'ajouter : "Et les femmes aussi".
Alors que je soutenais son regard, pas totalement inconsciente du danger mais carrément habituée à l'auto-destruction, j'ai senti qu'il était à deux doigts de me mordre. C'est alors que ses collègues l'ont forcé à partir et s'éloigner de la situation.
M'est avis que le monsieur n'en est pas à sa première bavure.
Donc me voilà dans l'estafette, à demander des nouvelles de ma casserole, à déclarer que c'est bien bête qu'on me l'ait confisquée, parce qu'on aurait pu conclure cette charmante soirée par une bonne bouffe eux et moi, et à tenter de m'inviter à manger chez le chef de la troupe, tentant de garder haut les cœurs des pioupious autour de moi qui étaient là à leur première action, certains à peine majeurs.
Je suis pas bien plus vieille qu'eux question militantisme, mais je sens bien que ce soir, mon rôle, c'est de maintenir le calme et d'éviter que ça se passe trop mal. Parce que mon intuition me dit qu'on est pas sortis le cul des ronces.
Un des policiers m'avait dit de me dépêcher à sortir ma carte d'identité, que sinon c'était quatre heures au poste et que ni eux ni nous n'avaient envie de ça. Je me suis exécutée puis je me suis avancée vers une femme qui m'a fouillée et m'a demandé "Et dans vos poches ?"
"Oh, bah, vous savez sur les vêtements féminins, y a jamais de poches..."
"Oh la la m'en parlez pas..."
Et d'un coup d'un seul on était deux femmes en connivence, même si elle avait un peu droit de vie et de mort sur moi à cet instant là.
Les journalistes gravitaient toujours autour de nous, mais tout était flou, à ce moment-là, je croyais que le mec disait vrai, qu'ils allaient pas nous embarquer pour "avoir fait du bruit dans la rue". Et puis, quand je suis sortie du fourgon et qu'on m'a parquée avec interdiction de sortir mon téléphone, j'ai senti le vent tourner.
Les blagues, plus ou moins drôles, fusaient. Je n'avais pas vraiment peur, j'étais profondément amusée de l'absurdité de la situation : avoir quasi 2 crs par militants, voir une étudiante en journalisme enfermée avec nous alors que son équipière n'avait pas été inquiétée.
Le chef m'a aussi fait parler de pourquoi on était là, sans pouvoir dire qu'on avait raison, il a tout de même dit que nos motifs étaient compréhensibles. Alors pourquoi s'en prendre à nous, 16 meufs, avec acharnement (car la soirée, qui avait débuté avec l'action à 21h45, s'est terminée à 2h du mat')
Quand on a appris qu'on allait être embarquées, les choses se sont transformées : on s'est concentrées sur les infos à retenir quand on est en garde à vue, on s'est écrit des numéros d'avocat sur les mains et on a récupéré bien sagement nos papiers.
Le voyage dans ce bus en plastique, aux vieux relans d'urine de gilets jaunes enfermés là avant nous, s'est fait cahin-caha jusqu'au comico du 17e où on nous a arrêté sans mot dire pendant un long moment, dans le noir.
Entre chants militants, prises de selfies et interview données à la presse, le temps est passé plutôt vite au départ, jusqu'à ce que certaines d'entre nous éprouvent les premiers signes de faiblesse.
Quand on a signalé que certaines avaient des tampons à retirer ou des éco cups à retirer, nos gardiens ont vite laissé leur place à "une meuf" parce que, voyez, les règles toussa... elle nous a distribué des serviettes hygiéniques puis s'est cassée. Nous étions à nouveau seuls pour une demi heure, nous demandant s'ils s'attendaient vraiment à ce qu'on se changent les unes devant les autres, sans moyen de se laver les mains ?
Puis on a insisté fort fort pour aller aux toilettes chacune notre tour, jusqu'à rendre fou notre préposé pipi-room.
Finalement, 3h30 après, je suis passée 25 secondes devant une dame qui m'a remis une convocation pour une audition libre sans garde à vue, le mois prochain. Tout ça pour ça.
Ce que je retiens ? Que quelqu'un a forcément donné l'ordre de faire de nous un exemple, de saper notre moral pour qu'on ne récidive pas.
Que beaucoup de moyens (énormément, même) sont mis à dispo de la protection d'un seul type dans son château (peut-être qu'il regrette d'avoir demandé aux foules de "venir le chercher") quand il y en a zéro pour prendre les plaintes (souvenirs de cette après-midi d'été passée à attendre mon tour dans un préfabriqué pour porter plainte pour agression devant un homme dubitatif qui a tout mis sur le compte de l'alcool).
Qu'au nom de l'état d'urgence, on peut être embarqués quatre heures et se voir priver de tous droits, parce qu'on a usé de son droit de manifester.
Qu'à seize (quinze meufs et un mec)(et une casserole), on s'est sacrément serré les coudes, que cette épopée intergénérationnelle m'a appris énormément, a donné la rage de continuer aux plus jeunes et celle de crier un peu plus fort, encore, à toutes.
Alors RIP petite casserole, ta disparition n'était pas en vain. Peut-être seras-tu adoptée par un policier, peut-être seras-tu récupérée par quelqu'un dans le besoin. J'espère que ta seconde vie sera paisible, loin de moi.
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