Je vois cette vidéo, de cette fille qui danse presque au milieu des lacrymos, et je ne me reconnais pas.
Ce qui s'est passé à l'intérieur de mon cerveau n'a rien à voir avec les images.
Chacun vit la panique, l'urgence, de manière différente. Personnellement, un stoïcisme farouche m'envahit, et mon esprit d'ordinaire irrationnel devient alors tout à fait logique.
Je suis une activiste assez neuve, si on met à part le trimestre de mes 17 ans passé à repousser la réforme du CPE, mais je fais quand même partie de la moyenne haute si on considère l'âge des militantes. Alors je sens un responsabilité supplémentaire se poser sur mes épaules : celle de veiller à ce qu'elles acquièrent les bons réflexes.
Comme ne pas partir en courant quand les CRS chargent.
C'est ça que je leur criais, pancarte toujours levée haut, quand les dits CRS m'ont repérée et m'ont visée. Sûrement par peur d'un bad-buzz s'ils faisaient autre chose, ils ont ciblé les pieds. J'ai vu ce qui ressemble à des bougies chauffe-plats m'entourer soudain, 2, 3, 4 capsules se sont déclenchées autour de moi, me séparant de ma binôme, toujours au premier rang. Là, j'aurais pu courir, mais dans les quelques secondes qu'il m'a fallu pour faire le tour de la situation, j'ai eu le réflexe de me demander "est-ce que ce sont les fameuses lacrymos avec une charge de TNT ou juste du gaz ? Est-ce que je vais perdre des orteils ou juste chialer ma race ?"
Les précautions d'usage sont arrivées jusqu'à ma sphère cognitive : ne pas les ramasser, ne pas les éloigner d'un coup de pied. Comme je criais, la fumée s'est insinuée à l'intérieur, mais l'adrénaline était trop forte. J'ai hésité à sortir mon écharpe, mais déjà, les CRS revenaient à la charge. C'est là que j'ai choisi de reculer d'un mètre pour mettre une voiture entre eux et moi, histoire de reprendre mes esprits.
Les précautions d'usage sont arrivées jusqu'à ma sphère cognitive : ne pas les ramasser, ne pas les éloigner d'un coup de pied. Comme je criais, la fumée s'est insinuée à l'intérieur, mais l'adrénaline était trop forte. J'ai hésité à sortir mon écharpe, mais déjà, les CRS revenaient à la charge. C'est là que j'ai choisi de reculer d'un mètre pour mettre une voiture entre eux et moi, histoire de reprendre mes esprits.
C'est tout ça qui s'est passé dans les quelques instants capturés par les images qu'on m'a envoyé, qui ont tourné en story insta, je me vois en mouvement, presque gracieuse, en tout cas fluide, réagir la tête froide à une action complètement démesurée des forces de police.
La lacrymo m'a brûlé la gorge et je ne pouvais plus parler correctement, alors, quand j'ai cherché où étaient mes alliées et que j'ai découvert, venant d'une rue perpendiculaire, d'autres Colleuses, j'ai continué à pleurer, mais de joie, et je leur ai sauté dessus en murmhurlant leur nom.
J'ai compris le sens du mot renfort.
Rerendue forte, j'ai contourné la voiture, retrouvé ma binôme, et là a commencé la guerre de position avec le cordon de bleus. De sit-in en chants guerriers, de prise de nouvelles de celles qui ont été embarquées en retrouvailles avec celles avec qui j'eus été embarquée ("Bah alors Johnson, t'as pas pris de casserole aujourd'hui ?"), de selfies avec les fourgons de crs et l'arc de triomphe en fond en slaloms entre les journalistes, on a tenu bon.
En quelques mois, je me suis fait des connaissances qui ont été capables de charger l'infanterie de la République avec moi pour réclamer la libération de nos Soeurs. Expression que je trouvais boursouflée, moi qui, malgré deux frangines, ait eu l'expérience de l'enfant unique due à notre différence d'âge, et qui n'a pris son sens que lorsque j'ai vraiment vécu, avec ces inconnues, la sororité.
Au moment de se disperser pour aller mener une autre lutte : faire le piquet devant le commissariat où une pote était retenue, on a appris avec joie mais aussi une légère déception que pas la peine, elle sortirait bientôt.
Quelques minutes plus tard, je recevais un texto d'elle, et j'étais aux anges.
J'étais transie de froid, pleine d'adrénaline, fourbue d'une journée de bureau après une semaine lourde en mauvaises ondes, de m'être battue avec les transports chahutés par l'incendie Gare de Lyon, j'ai décidé de raccompagner ma binôme à travers Paris.
On a marché dans les rues qu'on pouvait encore prendre, celles qui n'étaient pas gardés par la flicaille à qui une bande de fille fait manifestement vachement peur.
Une fois qu'on était éloignées, j'ai dit à mon amie : "c'est chelou, ça sent aussi la lacrymo ici", puis la même réflexion une, deux rues plus tard. Avant de comprendre : mes cheveux étaient détachés, de vraies éponges à odeurs et c'était moi qui puait.
Au fur à mesure que l'adrénaline quitte les veines, les douleurs apparaissent. On fait le tour des éclats dans nos vêtements, des bleus, des contractures et on se plaint d'être vieilles, avec nos 30 ans.
Je finis par rentrer, faisant un dernier détour pour mettre une vieille dame dans le droit chemin, et quand je me pose dans mon lit, avec mon énorme chat qui m'en veut de l'abandonner aussi longtemps pour des causes qui la dépassent de loin, j'ai envoyé les quelques messages pour rassurer les unes et les autres.
J'ai ouvert mon ordi.
Pile à temps.
Aux Cesar, on annonçait la catégorie de la meilleure Réalisation.
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