mardi 28 avril 2020

Fooling myself dry



Ma mémoire est fissurée.
Moi qui me targuait d'être le disque dur de mes groupes d'amis successifs, je me retrouve à oublier des événements majeurs, des choses inoubliables et des rendez-vous évidents.

Je suis en plein Schrödinger, est-ce à cause des médicaments que je prends, ou des traumatismes psychiques à cause desquels je prends les dits médicaments ? 

Après avoir écumé des sites de retour d'expérience de patients, je suis tombée sur le très cynique, mais très vrai "Les effets du trouble de la personnalité, ou les effets secondaires des médicaments : c'est à vous de choisir". 

Et en ce moment, je suis entre deux chaises. 
J'ai eu l'idée du siècle : tester l'arrêt des anti-dépresseurs alors que je suis confinée, et que je ne peux pas partir en live, ou alors dans 24m².

J'étais déjà rassurée de ne pas avoir trop de symptômes de sevrage (j'avais déjà fortement réduit la dose, ne faites pas ça n'importe comment chez vous, et surtout pas sans être accompagné.e.s), et puis la première semaine s'est passée tranquillement - le temps que le corps évacue, j'imagine.

Et puis, les premières "anciennes" sensations sont revenues. Tout ce qui était réprimé est réapparu, le bon, comme le mauvais. Retrouver des émotions, mes émotions. Celles que j'ai toujours connu et avec lesquels j'avais appris à vivre. D'abord une par une, puis par bouquet, jusqu'à arriver, aujourd'hui, dans le brouillard nébuleux dans lequel je me situais avant le traitement.

Rien n'a changé. Je ne suis pas malade, j'ai un trouble de la personnalité. Alors oui, les symptômes pourront s'atténuer, mais cela ne disparaîtra jamais.

Aussi vite que les produits chimiques sont partis, les attaques d'idées noires ont repris. On n'est pas encore à "supprime-toi" mais on est déjà à "personne ne t'aime, regarde, ils ne répondent pas à tes messages, ils font des trucs sans toi, ta vie ne sert à rien, tu ne fais que t'agiter pour te donner du sens, mais ce que tu te tues à faire, personne n'y prête attention, même les gens pour qui tu le fais" ad lib. 

Cette voix reste ma voix. 
La voix menaçante et cruelle, c'est aussi moi.

Dans la bataille, j'ai perdu ma capacité de concentration en plus de ma mémoire infaillible, je me dépersonnalise de plus en plus - j'ai des moments où je sors de mon corps, de ma vie, avant d'y retourner, sans trop savoir combien de temps est passé. 

A moi de peser le pour et le contre ? Est-ce que je préfère ressentir des choses, être à nouveau pleinement moi-même full volume ? Ou vivre avec la paix de l'âme, une certaine forme de sérénité, qui m'épargne la plupart des nuits d'insomnie et crises d'angoisse qui sont bien sûr revenues en cavalcade ? 

Je ne suis jamais passive, même quand je suis victime, alors j'ai cherché des solutions alternatives, qui m'ont poussée, un soir, à visiter le Darknet. Harcelée par des normies qui disent que la méditation résout tout parce que ça fonctionne pour eux, j'ai réessayé une quinzième fois pour leur prouver que non ce qui représente une solution pour VOUS n'est pas forcément le miracle du siècle pour l'humanité entière.

Quand on a zéro concentration et un esprit retors, déployer ses antennes dans le cosmos et faire courir ses racines dans la croûte terrestre ça amène au fou-rire, pas au nirvana. 

Bref, long story short : je me suis coincé le dos pendant 3 jours avec ces conneries.

J'essaie de chercher du soutien, sans vraiment le demander explicitement, parce que je suis incapable de faire ça et que la culpabilité annulerait les bénéfices que j'en tirerais, et surtout j'ai pleinement conscience que personne n'a les ressources nécessaires en ce moment.

Gros coup de gueule cela dit envers les services publics de santé mentale : j'ai été traitée comme une merde par le CMP de mon arrondissement au début du confinement, qui m'ont passée de service en service en me parlant comme à une moins que rien, avant de me demander si j'étais bien française (ce qui n'a aucun rapport avec la choucroute) pour un simple renouvellement d'ordonnance alors que mon ancienne psychiatre avait déjà fermé boutique depuis deux semaines, la boîte vocale d'urgence promettant de nous rappeler rapidement a visiblement éhontément menti. 

Le fait de ne pas être seule dans l'angoisse ne me rassure pas. Je pensais que les gens se décloisonneraient peut-être, parleraient plus de leurs émotions, en temps de crise. Mais j'observe un repli, au moins dans mon premier cercle. Je ne jette la pierre à personne. Mais cet événement n'a rapproché personne. Personnellement, il m'a même éloignée de certains. 

Alors bien sûr, la situation actuelle renforce mon anxiété, annule les bénéfices de mes sas de décompression (les restos entre copine, le militantisme dans la rue, les longues marches dans les cimetières, les perspectives de voyage, les concerts...) 
Je ne suis pas dans une anormalité normale, donc. C'est sans doute le pire moment pour savoir si je vais récupérer mes facultés ou si elles sont parties pour de bon. 

C'était sans doute la pire idée de me servir de moi comme d'un rat de labo, mais je reste persuadée que les données supplémentaires que cela apporte à mon moulin n'ont pas de prix. 


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