mercredi 15 avril 2020

Who lives, who dies who tells your story?



Je crois que toutes mes vacances solo ont consisté à me confiner. Les moments que je me remémore le plus vivement sont ceux où, seule, dans une toute petite chambre, j'ai pris l'ampleur de mon isolement choisi. 

Cette comparaison est bancale de bien des manières, mais le sentiment latent est là, en moi. Je me sens à peu près comme quand je suis partie au Canada, ou à Brighton, ou à Londres, ou à Lisbonne... 

Là-bas, j'avais l'atout de pouvoir repartir de zéro, non pas mentir, mais choisir ce que je laisse filtrer de moi.

Ici, c'est trop difficile. Je dis ce que je pense, je pense ce que je dis. Ce n'est que maintenant, à 32 ans donc, que je comprends que c'est pour ça qu'on me déteste autant. 

Car, oui, on me déteste, beaucoup, et souvent du premier regard. 

Il y a le facteur biologique : je ne suis pas belle. Les gens beaux attirent plus vite la sympathie, l'empathie et on a envie de les rendre encore plus heureux. 
Je ne suis pas non plus assez moche pour attirer la pitié. 
Je devrais donc grave compenser par mon attitude, sauf qu'elle ne brosse personne dans le sens du poil, pas même mes amies, et c'est sans doute pour ça que j'en ai perdu pas mal sur la route.
Seuls sont restés ceux qui ne sont pas pétrifiés de peur par ce qu'on pourrait penser d'eux en les voyant avec moi.

On est arrivé à un moment de ma vie, où le fait que tout le monde me déteste est tellement accepté socialement qu'on m'en parle en face, en public, que ce soit bienveillant ou non. 

(Bien sûr, je me dois de préciser quand je dis "tout le monde" c'est sous-entendu : "tout le monde moins 10 personnes", sinon, les dites personnes vont en prendre ombrage)

C'était déjà un peu le cas au collège, vu que j'étais la tête de Turc désignée et que je remplissais ce rôle social aux yeux de tous, y compris des personnes "gentilles", des profs, ou de la direction de l'établissement.

Quand cela a volé en éclat au lycée, quand les gens se sont regroupés par affinités de goûts et non plus que par popularité, j'ai cru que j'en étais débarrassée pour de bon.

Et puis, à 17 ans, j'ai déménagé dans mon propre appart et commencé ma "vraie vie". La première année d'étude fut très chouette et j'avais l'impression d'avoir plein d'amis, jusqu'à ce qu'une personne populaire et centrale décide de m'exclure et que je me retrouve, toute la deuxième année, seule, confinée socialement. (Ok, "seule moins 4 personnes" à l'époque).

Quand je suis arrivée à 19 ans en région parisienne, j'ai essayé d'être sociable mais les groupes étaient déjà formés, et les quelques amis que j'avais étaient trop loin physiquement. Ca a été encore une traversée en solitaire, mais cette fois, rien ne m'aidait à le vivre sereinement : j'avais 50€ par mois pour faire mes courses, un appartement de 10m², dans une ville de vieux royalistes d'extrême-droite, les cours étaient nuls à s'en tirer une balle, j'étais toujours vierge - ce que je ne préciserais pas si ça n'avait pas été une obsession chez moi qui me bloquait sous plein d'aspects, mais, tous les week-end, j'avais Paris à arpenter. J'explorais les scènes live gratuites, et je faisais beaucoup avec peu. L'exploration en solo est donc devenu synonyme de bon temps à ce moment-là.

L'année d'après, je me suis clipsée à un groupe d' "amis" qui n'en étaient pas (ok "qui n'en étaient pas moins une"), je suis tombée follement amoureuse d'un PN, je me suis enfoncée encore plus loin dans ma croyance secrète que j'étais intouchable, aimable par personne, en tout cas pas au grand jour. Mais le fait de voir de l'ambition flotter autour de moi m'a poussée à viser plus haut dans la seule partie de ma vie où j'avais à peu près confiance en moi : le futur pro. 

J'ai déménagé dans Paris et j'ai suivi un stage où, là encore, très vite, les autres sont partis faire des cantines sans moi, et il a été de bon ton de me détester. Manque de bol pour eux, je bosse encore dans cette entreprise à ce jour, ils ont misé sur le mauvais poney, et doivent, pour certaines, me supporter encore, au moins de visu. 

Et bingo des bingos, j'ai décroché mon ticket pour Poudlard la Sorbonne. J'ai accompli le rêve de la gamine que je fus, à qui on s'empressait de dire de calmer ses ardeurs et son ambition, que jamais Paris, que jamais la Sorbonne, que jamais l'édition. Alors je me suis dit que si je réussissais à ce niveau, je pouvais réussir ma vie perso. J'ai viré le PN. J'ai développé ma vie culturelle et festive (malheureusement toujours entourée par des personnes toxiques se faisant passer avant moi et me laissant bien au fond de mon trou de confiance en moi pour mieux en profiter, coucou toi !) mais je n'avais toujours pas de personne sûre. J'étais persuadée que ce serait un mec, mon mec. Et c'est là que je me suis engouffrée sur cette énorme fausse-piste qui a duré pendant près de 10 ans. 

J'ai quand même rencontré de chouettes gens en chemin, notamment au détour du chômage avant mon premier job (winkwink), mes horizons ont été drastiquement élargis en terme de prise de conscience sociale, et c'est là, après avoir décroché un premier puis un deuxième job, que j'ai rencontré celui qui allait, me figurais-je, ÊTRE LA CLEF DE LA DÉLIVRANCE DE MA VIE.

Eh oui, vous l'aurez deviné, le premier mec à avoir été attiré par moi, avec qui j'ai couché la première nuit, trop pressée de pouvoir m'enlever l'étiquette d'éternelle vierge à 24 ans, a dû gérer trop de sentiments, trop vite, trop fort, même si, comme une bonne taiseuse, j'ai bien tout gardé pour moi verbalement. Cela n'excuse pas la façon ignoble dont il m'a jetée et qui m'a projetée dans une dépression forte, intense et malheureusement durable.

A peine avais-je sorti la tête de l'eau que je me noyais. 

Alors je suis partie rejoindre une amie (oui, j'en ai quand même une ou deux à ce moment-là), en Erasmus à Budapest, ville que j'affectionnais beaucoup. Entre ses cours et son boulot à la maison, j'étais quand même pas mal seule pour explorer, encore une fois. Et ça a, encore une fois, été fondateur. 
C'est là que j'ai décroché le job de mes rêves, et l'année d'après n'a été consacrée qu'à celui-ci, du genre 9h 22h tous les jours, et je travaille le week-end en le cachant à ma boss qui était comme une mère pour moi (oui, j'avais tendance à beaucoup trop projeter mes manques sur les autres, laissez la vieille moi tranquille svp). Du coup, quand un sale type dont j'avais dénoncé le machisme (trop tôt) et le harcèlement moral (beaucoup trop tôt) a eu gain de cause (ET UNE PROMOTION) et que je me suis retrouvée du jour au lendemain, sans job, sans appart et sans maman mentor, bah j'ai refait une dépression. Hophophop. 

Cet été là, avant la chute, j'avais quand même eu un épisode de libération sexuelle assez fou au Sziget festival - ui, toujours à Budapest, what happens in Hungary, y'know... 

Du coup, cette dépression a été beaucoup plus productive en terme de mise en danger de moi-même. J'ai cherché de l'amour dans toutes les wrong places. J'ai aussi profité du chômage pour me constituer un réseau, et j'ai trouvé à la place un nouveau groupe de potes. Là encore, je voyais tout en rose bonbon, et j'étais persuadée que tout allait bien dans le meilleur des mondes, d'autant que j'étais sortie de l'ornière pro et qu'après une purgatoire alimentaire, on me donnait la chance d'une vie de sauter 8 cases et d'être aux manettes de ma propre marque. Bref, à part financièrement, tout allait bien. Je remontais peu à peu la pente niveau santé mentale. Et puis il est arrivé.

Beau comme un Dieu trop maigre, drôle à m'en étouffer dans ma bière et merveilleusement solaire. Tellement que j'ai pris la bonne décision pour moi, pour la première fois, et que j'en étais fière : ne t'approche pas de lui, ça va faire bobo. 

Mais là, ce fut le drame. C'est lui qui s'est approché de moi.

La suite, on la connait. 

Oui. ...J'ai fait une dépression. 

Sauf qu'au lieu de me tirer de là, mes amis de l'époque ont choisi ce moment là pour faire un big reveal en mode Truman Show : "en fait je n'étais pas ton ami, j'étais trop jaloux des sentiments de ma meuf pour toi" "ah ouais, mais moi je suis pas lesbienne du coup il est où le danger pour toi ?" "ah ouais, y en a pas, soyons amis !" et 24h après j'avais une scène de la dite meuf m'accusant d'être une manipulatrice qui s'est servie de ses sentiments pour obtenir des choses d'elle - j'ai jamais su quoi. 

J'ai donc pris mes clics, mes clacs, ma grande dépression et j'ai suivi un groupe de rock partout en Europe - normal. 
Figurez-vous que cette exploration n'étant pas solo, je l'ai pas forcément bien vécue ? 

Toute cette période a été balisée par les attentats, et mon mental, ma confiance en l'avenir, en les autres, n'a jamais été aussi noire. Je buvais énormément. Je frayais avec les pires personnes ramassées un peu n'importe comment, et je me faisais passer pour une meuf FUN. 
Sauf qu'à l'intérieur la petite rengaine faisait "Diediediediediedie !"

Alors j'ai voulu réitérer le miracle de l'ambition pro, et j'ai repris 15 fois mes études (ok "deux fois", vous êtes vraiment chiants pour la narration, les fact-checkers).

Also, en août 2015, j'ai perdu celui en qui j'avais tout misé, le miaou avec qui j'allais construire un cocon familial motherfucker et j'ai donc, erm, ...fait une dépression ? Mais là, malgré le gouffre financier, je me suis fait suivre par un (mauvais) psy.

Les allers/retours en solo partout en Europe se sont installés. Ils ont commencé à baliser des années où j'accumulais les jobs pour sortir la tête de l'eau niveau flouze sans jamais y parvenir totalement. J'ai repris un chat, perdu encore d'autres amis et la foi en l'humanité, et je me suis cassée au Québec.

Et là-bas, miraculeusement, je n'étais pas détestée. Déjà parce que les gens sont bienveillants (ok, not all canadian, mais quand même, si, je maintiens) et qu'une inconnue, ma logeuse, voyant que je passais mes premières semaines dans une routine monotone d'exploration solo, m'a un peu contrainte et forcée à me faire des amis. Et bim, ça a fait des chocapics. 
Clairement, au boulot, là-bas, ils me trouvaient chelou, mais comme ils étaient bienveillants, c'était pas si pire. Et le soir, et pendant toutes les plages de temps libre, c'était la folie. J'avais un groupe de pote, fluctuant selon les arrivées et les départs du pays, et on faisait tout ensemble. Mon rêve. Mieux que ça, je faisais partie du coeur du groupe, et ces nouveaux potes, je savais fort bien que jamais on ne se serait adressé la parole en France.

Alors bien sûr, quand je suis revenue au pays... j'ai fait une dépression. 

Six mois après, quand j'ai vu que malgré mon nouveau diplôme on refusait de me filer le boulot promis et la stabilité financière après laquelle on me faisait courir depuis tant d'année, j'ai secoué la fourmilière. J'ai mis ma boss devant ses contradictions, elle a pété un câble et m'a agressée verbalement devant toute la boîte (ok 10 personnes, vous êtes vraiment relous !), si fort, que des personnes sont venues s'interposer pour pas que j'en prenne une physiquement. 

Je suis rentrée chez moi la tête haute, léchant mes plaies comme un poticha lécherait son... pelage. J'ai attendu d'être virée et de devoir tout recommencer, ce qui aurait été le coup de pied providentiel, même si fatigant... et en fait non. Par peur que je les poursuive en justice, sûrement, ils m'ont décroché cette augmentation me permettant enfin, après 5 ans de boîte, de pouvoir subvenir à mes besoins. ET j'ai décroché un autre contrat. 

J'ai donc pu consulter une bonne psy juste au moment où les antidépresseurs faisaient effet, on a pu poser un diagnostique et me recalibrer pour éviter le recours perpétuel à la dépression, j'ai eu de la place dans ma tête pour me concentrer sur les vrais sujets et j'ai commencé le militantimsm, j'ai déménagé dans mon propre appart', la vie est devenue plus douce, l'argent s'est mis à pleuvoir, bien sûr je me surmenais, mais je n'allais pas me plaindre... Je suis partie en Angleterre, pas en solo cette fois, pour ne pas craquer et tout envoyer en l'air.

Et l'épidémie est arrivée. 
J'ai fêté un anniversaire confiné. 
Mes seules interactions sont avec deux chats. On est pas loin de ce que je vis quand je suis loin. Sauf que je suis là. Il n'y a plus de place pour me faire détester par qui que ce soit, mérité ou non, quand on est seul, personne ne peut nous faire du mal, c'est déjà ça. 
C'était ma logique inconsciente à chaque fois que je me suis retirée volontairement du monde, je crois. 

Je suis aussi confrontée aux cauchemars, à l'insomnie, des vieux compagnons qui ont toujours été là et que je fuis habituellement en m'agitant un max, en faisant plein de choses, tout le temps, en voyant des gens, en leur remontant le moral, en m'intéressant, en me sortant de moi, en gros. 

La question reste là, flottante comme Damoclès : est-ce que c'est un mal pour un bien, dans ma petite vie, ou bien vais-je refaire une dépression ?




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