lundi 7 février 2022

Guillotine [Part II]



Quand je suis revenue au bureau, la situation n'était pas claire. Était-ce lui qui avait fait courir ce bruit ? Était-ce quelqu'un d'autre et avait-il confirmé ? S'était-il abstenu de répondre, laissant ses interlocuteurices se faire leurs propres idées ?

Toujours est-il que je me suis retrouvée un café à la main le cul posé face à une de mes marraines-la-fée de l'édition qui me regardait l'air goguenard pendant notre point pro. 

J'ai fini par lui dire d'accoucher de sa valda, parce qu'on allait être bonnes à rien tant qu'elle aurait l'œil qui frétille.

"JE SUIS TROP CONTENTE POUR VOUS."

Ma réaction était à peu près celle d'un chat qui ouvre la gueule devant une odeur forte. 

Puis j'ai articulé :

"Hein, quoi ?"

"Je vois déjà vos petits bébés courir dans les couloirs !!!!"

"Ah ouais..."

"C'est trop bien !!!!"

"La situation n'a pas du tout pris des dimensions disproportionnées à ce que je vois."

Quand je lui annonce que la réalité est un brin plus décevante au vu de ses attentes, elle m'annonce ne pas me croire.

Je vous rappelle qu'il s'agit d'une personne bienveillante à mon égard, voire d'une pote à ce moment-là. Quelqu'un qui m'appelle "Ma Johnson", qui s'occupe de moi comme une mère aurait dû le faire un peu plus tôt. Une meuf badass.

Avant de tomber de ma chaise, je l'interroge donc quand même un peu plus :

"Je te crois pas, parce que j'ai vu les photos."

Mon coeur, qui frôlait déjà la tachycardie a fait un tour gratuit dans celle de Disney et s'est effondré, piteux, entre mes pieds.

"Des... Photos ?"

Elle n'a pas voulu me dire qui, quoi. Mais il y avait des photos. Et personne ne m'avait prévenue.

Furax, j'ai écrit à l'intéressé, auquel je n'avais jusqu'ici pas filé mon numéro de téléphone, pour lui demander des explications. 

J'ai eu tout le mal du monde à en obtenir et, au jour d'aujourd'hui, je ne suis toujours pas sûre de si j'ai jamais su la vérité sur cette histoire.

Comme nous n'avons pas couché ensemble, il ne s'agit bien évidemment pas de photos pornos, mais apparemment on nous verrait ensemble nous embrasser.

Alors à moins qu'on ait été suivis par des paparazzis dans la boîte, je ne vois pas trop le pourquoi du comment, et je finis par comprendre que des clichés de nous partant de la soirée ont été pris par une collègue (qui ne comprendra jamais par la suite pourquoi je n'ai jamais été "amicale" avec elle) qui l'a diffusée en la légendant dans le sens qui l'arrangeait. 

J'ai donc convoqué l'individu à passer devant le tribunal de ma BFF et d'une amie toute fraîche mais qui avait le bon côté de bosser à un étage de nous, ce qui me permettait de montrer que moi aussi j'avais des alliées dans la boîte, et de quoi répandre mes propres rumeurs, si je le voulais. 

Jusqu'au dernier moment j'ai cru qu'il ne viendrait pas à ce que j'avais présenté comme "un verre pour y voir plus clair". Le fait d'avoir des amies présentes permettait qu'il ne me saute pas dessus et qu'il ne se méprenne pas sur le fait que ce soit une date. 

Devant mes potes, je ne l'ai pas reconnu - mais, en même temps, je ne le connaissais pas, point - il était charmant, drôle, avenant, inoffensif. 

Je voyais enfin ce que ma marraine-de-l'édition et quelques autres me disaient de lui. 

J'ai fini par me dire que, comme d'habitude, j'avais vu le mal partout, qu'en fait tout cela n'était que drôles de coïncidences sur drôles de coïncidences. 

Mes amies ont fini par partir, rassurées. Et dès qu'elles ont quitté les lieux, le mec s'est rapproché de moi et je me souviens très bien de sa main posée de façon à ce que je ne puisse pas m'éclipser.

J'étais à nouveau très alcoolisée, ça arrivait très très souvent à l'époque. J'étais dans une phase auto-destructrice qui a spiralé de décembre 2014 à 2017. Je vous donne ce contexte pour vous dire que je n'avais aucune estime de moi et qu'à partir du moment où mes potes semblaient valider ce type, c'était déjà une grosse progression par rapport aux autres hommes que j'avais fréquenté, de près ou de loin, jusqu'ici. 

Disons qu'à partir du moment où ma mère m'a répété qu'elle n'aurait jamais dû me faire et que je suis la plus grosse erreur de sa vie de ma naissance à ce moment-là, je n'étais pas très regardante sur qui voulait passer du temps avec moi et m'octroyer un peu d'attention.

Bref, c'est comme ça que le piège s'est refermé sur moi.

On a pris un dernier verre chez moi. Je me suis dit que j'allais lui laisser une chance. J'y croyais vraiment. J'y ai vraiment cru pendant 4,5 minutes je pense.

Je me souviens parfaitement. Il s'est démerdé pour qu'on soit assis sur mon lit. J'étais en train d'essayer de lui expliquer mon mode d'emploi, que j'étais cabossée et qu'il allait falloir prendre du temps avec moi, que ce qui fonctionnait avec moi, c'était d'abord l'intellectuel et que du coup je n'avais jamais eu d'expériences très satisfaisantes avec de parfaits inconnus... Je me souviens très bien avoir été très fière pendant quelques secondes, d'avoir réussi à mettre les mots sur ce que je ressentais, sur mes schémas, sur les clés à donner aux autres avant qu'ils n'entrent tout à fait dans ma vie. 

Je me souviens parfaitement. Comme il m'a interrompue sèchement, avec une voix subitement haut perché et un geste de la main pour me repousser. Comme il s'est mis debout et a pris ses affaires. Sans que je comprenne ce qui se passait, alors que j'étais au milieu d'une phrase très, très importante.

Je l'ai vu partir, j'ai cligné des yeux et j'ai dû sortir quelque chose comme "Tu fais quoi ?"

Et lui "C'est bon, j'ai compris... t'es comme les autres... Si c'est pas pour... ça sert à rien"

Mon coeur piteux a replongé entre mes chevilles d'un coup.

La petite fille dont la maman ne voulait pas regardait le garçon pourtant validé par ses copines se barrer parce qu'elle n'avait, encore une fois, pas fait ce qu'il fallait. Parce qu'elle n'était pas à la hauteur. Pas aimable. Quelle idée, de toute façon, de vouloir expliquer son fonctionnement, quand il est si incompréhensible ? Personne n'accepterait ça ! Jamais. 

Le mieux qu'elle pouvait avoir, que je pouvais avoir, c'était ce qu'on voulait bien me laisser.

Alors d'une voix pathétique, minuscule, presque morte, je lui ai demandé de ne pas partir.

Je n'avais pas envie de sexe, mais je me suis forcée.

Comme 95% des fois, comme avec 95% des autres. 

Parce que c'était la seule chose à faire pour ne pas être abandonnée, sur le moment.


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