mercredi 9 février 2022

Guillotine [Part III]

 

Alors oui, on pourrait se dire que je n'ai pas dit non, que j'ai même dit oui, d'une certaine façon. Qu'on est dans la fameuse "zone grise" (que vous avez inventé juste pour y caser tout ce qui vous met mal à l'aise).

Ou alors je pourrai arriver au passage de l'histoire où vous ne trouverez plus aucune excuse à ce mec.

OK? Let's goooo.

J'étais devenu le deuxième ou troisième numéro dans son répertoire à contacter après minuit (et bien après son dealeur) quand il avait des envies de pas finir la nuit seul. 

C'était parfait pour moi et mon petit cœur (encore hétéro, à l'époque) tout brisé depuis 2014 par Mr Nothing Arrived. 

Bizarrement, on parlait beaucoup quand même, malgré l'état proche de l'Ohio dans lequel il débarquait toujours chez moi. 

Les red-flags ont continué de s'accumuler (dont un coup de pied à mon adorable chat)(ce qui devrait alerter n'importe qui). 

Un soir, mon chat a failli s'étouffer et j'ai été surprise de retrouver, bien au fond de sa gorge, un mégot ou un filtre, je ne me souviens plus, des cigarettes du mec. Je lui ai écrit aussitôt un texto passif agressif pour le lui signaler. Ce petit accident nous sera utile pour plus tard.

Une nuit, alors que je quitte une fête, on se rend compte qu'on est à quelques mètres l'un de l'autre et on décide de se retrouver pour rentrer chez moi. Je suis plutôt agréablement surprise par cette coïncidence, mais quand il me rejoint à l'arrêt du noctilien, il est d'une humeur de chien et m'envoie pique sur pique. Il avait déjà sorti son numéro de snob/artiste maudit/pauvre hère désargenté poursuivi par les huissiers (je n'exagère que très, très légèrement) un matin, et je m'étais rendu compte que je détestais sa personnalité. Mais à quoi bon lui dire, vu que notre relation n'impliquait pas grand-chose, et encore moins sur le long terme ?

Il n'avait donc aucune raison de lever les yeux au ciel au sujet de ma sale habitude de tout le temps vouloir prendre le bus (à l'époque, j'étais sous le seuil de pauvreté). On s'installe quand même dans le fameux bus, et il commence à me sortir une litanie sur ce que je devrais faire pour aller mieux (c'est vrai que quand on voit l'état de sa vie, à cette époque, ça donne très envie de suivre son exemple), au fur à mesure de son monologue, je m'aperçois qu'il égrène des infos que je ne lui ai jamais partagées.

Je désaoule immédiatement. 

J'attends qu'il soit au milieu d'une idée pour l'interrompre et lui demander comment il sait ce qu'il sait. Sans réfléchir, il sort directement "Je l'ai lu sur ton bl..."

Mon "bl...", hum ?

Il se mord aussitôt la lèvre et rougit et regarde ailleurs et s'agite.

Je le cuisine alors comme un boeuf Bourguignon et il se met à table : c'est une collègue à nous (une autre) qui lui a filé l'adresse de ce blog pour le prévenir de "qui j'étais vraiment" et d'à quel point j'étais "dark".

[Si cette collègue a l'adresse de mon blog, c'est parce qu'elle bossait dans la boîte dont je me suis fait virer après m'être plainte du harcèlement moral et des sorties sexistes de mon binôme de l'époque, incompétent patenté, qui plus est. Pour sauver sa tête, il avait cherché du sale sur moi et balancé mes réseaux sociaux où je décrivais ses actes tous plus graves les uns que les autres et l'avait filé à la nouvelle DG qui n'a vu que le fait que je parlais de sa boîte en mal - sous pseudo, sans citer le nom de la boîte, ni même ce qu'on y faisait - et a préféré me couper la tête à moi plutôt que de désinfecter ses rangs misogynes. Moralité : depuis l'ouverture de l'insta Balance ton éditeur, cette boîte est surreprésentée]

Donc là, le trauma est remonté aussi vite. La colère contre lui, aussi, contre sa malhonnêteté. Contre le fait qu'il se renseigne sur moi dans mon dos, sans me prévenir. Contre sa connerie, de se faire avoir en balançant ce qu'il avait lu, perdu par sa propre hubris de voir m'expliquer la vie.

Sauf qu'on était déjà arrivés chez moi. Là j'ai éclaté en sanglot et il a semblé plus gêné qu'autre chose, mais pas assez pour déguerpir et rentrer chez ses parents (oui, chez ses parents). 

Le lendemain, il m'invitait très sérieusement à prendre part à la manif pour tous (oui, la manif pour tous) car il trouvait ça "drôle" et que sa tante était de passage à Paris exprès pour l'occasion.

Je pense qu'avec tous ces red flag j'aurais pu reconstituer le tapis rouge du festival de Cannes, mais à la place, j'ai ignoré, et j'ai nourri, rassasié, failli faire éclater mon trouble de la personnalité accompagné d'un joyeux PTSD.

Ca ne m'a pas suffi. Et comme il l'a certainement remarqué, car l'idiot était loin de l'être, la fois d'après, il a traversé le Styx, l'Achéron et la Meuse d'un seul et même coup.

Après l'acte, quand je me suis étonnée de ne pas le voir aller se délester de la capote (parce que bon, la laisser par terre et étouffer une seconde fois mon chat n'était pas dans mes plans), il m'a regardé avec le même air con que dans le bus et m'a simplement dit "bah..." après quoi je l'ai secoué physiquement, trop sûre de ce qui allait suivre, mais j'avais besoin de l'entendre : "bah... j'en ai pas mis".

Il savait fort bien que je n'étais pas sous pilule, et je savais fort bien qu'il n'était pas exclusif (moi, je l'étais par la force des choses, j'ai rarement assez d'énergie pour voir plusieurs personnes en même temps) - il m'avait confié qu'au jour de l'an, entre deux textos tout mignons qui avaient failli me provoquer une crise de "oh mon dieu il s'amourache ! il faut absolument que je fasse une mise au point", il s'était tapé deux jumelles de quinze ans "du coup ça fait trente, LOL !"-.

Je l'ai repoussé, suis allée dormir sur le canapé, appliquant le traitement par le silence, parce qu'il n'y avait plus rien à dire. 

Ma colère était froide, sourde, prête à briser des montagnes. C'était arrivé, ENCORE. J'allais devoir ENCORE, prendre la pilule du lendemain. Un putain de DIMANCHE. J'allais voir mon cycle bousillé à cause de ce pauvre con.

Il y avait cette colère de surface, oui. Mais elle couvrait l'iceberg plus profond, celle qui se doutait, sans avoir les mots pour le dire à l'époque, que oui, ce que je venais de vivre, c'était bel et bien : un viol.

Un consentement bafoué.

Par quelqu'un qui savait pertinemment ce qu'il faisait. 

Lui m'a dit qu'il avait l'impression que je m'acharnais sur lui, que ok il avait fait une connerie, mais qu'il ne méritait quand même pas tous ces reproches.

Voilà, voilà la fosse des Mariannes qu'il y a entre eux et nous.

Le degré de désengagement, d'inconséquence qu'ils atteignent si on les laisser faire.

Car ces histoires de capotes qu'elles aient été retirées pendant l'acte ou jamais mises, sachant que cette fois-ci : je lui avais mis l'étui dans la main, ça m'est arrivé trois fois. Ma vie sexuelle ayant commencé quand j'avais 24 ans et s'étant terminée avec les hommes quand j'en avais 32, je vous laisse vous rendre compte de l'étendue du phénomène.

Quant à l'épilogue avec ce garçon, il est arrivé une semaine après (le matin du CapoteGate il avait finalement baissé les bras, et m'avait laissé trouver ma pilule toute seule : lui avait escalade avec son BFF), mon ventre était en guerre mondiale quand il m'a supplié de pouvoir débarquer chez moi. Je lui ai dit "ok mais hors de question qu'on fasse quoi que ce soit". Il puait l'alcool comme un clodo. Avait des propos incohérents. Je l'ai bordé et je lui ai dit qu'on devrait avoir une discussion le lendemain.

J'ai fait les choses bien, je l'ai attiré dans un lieu public pour lui annoncer que devant l'irrespect total de sa personne envers la mienne, on allait s'arrêter là, mais il m'a coupé l'herbe sous le pied, non pas pour rompre notre relation, mais pour me dire, nonchalamment : "non mais on se voit depuis si longtemps maintenant, qu'on peut dire qu'on est ensemble..."

Les lesbiennes apprécieront tous les efforts fournis par ce mâle pour me faire basculer dans leur camp.


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