Sur le mur, derrière l'autel, est accrochée une toile presque plus immonde que celle restaurée par l'octogénaire espagnole. Sauf que celle-ci est originale.
Je suis assise entre Mémé et Lucienne. Le corps n'est pas arrivé, l'atmosphère est soutenable pour quelques minutes encore.
"J'ai 77 ans !" "86..."
"Et beh moi 24."
"Toi, t'es dans la fleur de l'âge ! T'as encore la vie devant toi !"
Je lève les yeux vers cette année écoulée. Vers ce caisson où on m'a enfoncée.
On ne peut pas pleurer quand on passe un IRM.
On ne peut pas bouger.
Si on pleure, c'est de la torture. Rien que d'imaginer les larmes, la morve, coulant sans pouvoir l'essuyer.
Alors on ne pleure pas pendant un IRM.
C'est à ça que je pense quand l'église se remplit un peu plus.
Mémé voit une dame en noir entrer et me hurle "PORTUGAISE !", sans trop vouloir hurler. 86 ans.
Je ris. Je lui demande si elle a bien éteint son portable. "Non. Mais je l'ai pas pris."
Elles reprennent leur discussion par dessus moi.
"C'est allé vite. Un mois et pouf !"
C'est allé aussi vite que recevoir un email avec les plus vieilles photos qu'on pouvait trouver de lui. Et bien sûr, sur ces clichés, l'image de mon grand-père, jeune et fringuant, comme je ne l'ai jamais connu.
Depuis sa mort, aucune ne m'a réellement touchée.
Les enterrements se sont succédés et j'ai pris le rôle utile de la personne qui a des mouchoirs à portée de main, qui dit aux vieilles quand il y a des marches, qui regarde où est le cimetière sur son gps.
Je sais très bien, comme je sais très bien tout le reste, quel prochain enterrement me touchera.
Le prêtre me regarde de travers quand je ne fais pas le signe de croix, quand je ne chante pas, je guette sur son visage les signes d'un AVC imminent lorsqu'il marque 5 secondes de pause entre chaque phrase.
Il répète à quel point il était "discret", et j'ai l'impression qu'on enterre une ombre.
Je me dis qu'à mon enterrement, je voudrais que des gens qui chantent juste. Et des jeunes. Et du rock.
Les tombes se ressemblent toutes, dans le cimetière, et je comprends que je suis devenue une bourgeoise de la mort, à force de ne fréquenter que des nécropoles huppées.
La responsable des pompes funèbres est d'une vulgarité sans nom. Incapable de retenir 5 lignes par coeur, elle lit son speech, ses bourrelets dépassent de sa veste cheap, ses cheveux gras à peine coiffés. Je me dis que je ne veux pas de ça non plus.
Ca parait long un enterrement, surtout pendant les prières, mais en fait ça n'est rien.
Un transfert pour une éternité en deux heures à peine.
Et puis rentrer, pour s'occuper des conséquences de la prochaine tumeur sur la famille, en attendant de fuir, loin et longtemps.
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