Sa chaise avait effectué un tour sur elle-même. Son esprit également.
Elle faisait plus que lui faire face désormais : il l'accompagnait.
Le mariage n'avait certes jamais été célébré mais c'était tout comme. Contraints à la vie commune depuis de si longues années. Il avait été sa principale préoccupation, depuis tout ce temps.
Lady Violet ne s'était pas fait une raison : elle avait tiré le meilleur parti de la situation. C'est son imagination qui lui avait dicté cette conduite. Elle n'aurait de toute façon pas pu survivre dans cet état de colère et de frustration permanent.
Désormais convaincue qu'on n'annulerait pas ses fiançailles et qu'elle resterait dans cet état, entre deux eaux, pour le reste de sa vie.
Elle savait que c'était faux, et que la question serait tranchée bien assez tôt. Mais voilà qu'elle était dans une position infâme : plus le temps s'écoulait plus son avenir s'assombrissait. Ce qu'elle redoutait le plus, il y a dix ans, incarnait désormais l'échappatoire le plus radieux.
Rester là. Immobile et inactive. Avec ses soupirs pour seuls compagnons.
Cela ne durerait pas car cela ne pouvait plus durer.
Elle avait fini par accéder à la mystérieuse lettre. Des mois après sa réception, elle s'était glissée dans le cabinet privé de sa mère et avait trouvé le précieux pli. Violet s'était empressée de sautiller et d'accabler sa génitrice "Quelle imprudence...". Mais, bien sûr, Lady M. n'était pas née de la dernière pluie, et n'avait pas laissé de trace. Juste archivé l'enveloppe, afin de se remémorer son sceau, au besoin.
La frustration avait atteint son paroxysme, et Lady V. chiffonna brutalement l'enveloppe.
Elle avait tout tenté à l'intérieur du château pour obtenir ses réponses, il fallait penser plus largement. Devenir plus ambitieuse.
C'est cet été là qu'au lieu de rêvasser dans son labyrinthe, elle s'entraîna à l'escalade.
C'est cet été là qu'elle vola des cordes, de la nourriture et broda avec soin ses bijoux à l'intérieur de sa veste de cavalière.
Une nuit sans lune de septembre, finalement, Lady V. fit un dernier signe de la main au portrait et noua une extrémité de la corde à la rambarde de sa fenêtre.
Le vide l'interpella et pendant de longs instants, elle hésita.
Ce fut de penser qu'elle ne faisait que troquer un gouffre pour un autre qui la décida.
Elle descendit en rappel de manière très maladroite. S'agrippant comme elle le pouvait et s'arrachant au passage des parcelles de peau. Elle secouait la tête en se disant que si cette échappée s'était révélé trop facile, elle n'en aurait été que décevante.
Elle courut jusqu'aux portes, prise d'un rire difficile à retenir, là-bas, elle avait tout prévu.et dissimulé le matériel nécessaire à son ascension des hauts-murs.
Elle empila tout le fatras amassé au cours de l'été et commença sa lente montée.
Jamais elle n'avait vécu d'événements aussi excitants au cours de la même journée "sauf peut-être ce fameux jour de mes 10 ans" se disait-elle.
Quand elle fut à cheval, tout en haut, une jambe pendant vers la liberté tandis que l'autre pointait vers la maison qu'elle avait toujours connu, elle prit un moment pour observer le château.
Jamais elle n'avait pu profiter de ce point de vue. D'ici, les pierres voulaient dire quelque chose. Cette construction avait un sens. Mais au pied de l'édifice, tout cela semblait bien absurde.
Enfin, elle laissa glisser la corde qu'elle avait fixé à un arbre, de l'autre côté, et de façon plus naturelle, cette fois, suivi sa descente vers le chemin en contrebas.
Lady V. n'eut pas le temps d'esquisser un sourire en se relevant : deux bottes noires lui faisaient face.
Tout alla très vite dans son esprit : elle n'avait fait part de ses plans à personne - ou alors avait-elle parlé à voix haute au portrait comme cela arrivait parfois ? - qui pouvait donc l'attendre ? Car cela ne pouvait être un hasard...
Elle osa relever la tête, affichant pour le geste un air de défiance.
"Mademoiselle, je vous en prie, ne m'opposez pas de résistance."
L'homme avait un visage juvénile et devait même être moins âgé qu'elle. Il faisait partie de la garde, il en avait l'uniforme.
Elle hésita à le contredire et à tenter sa chance - sa dernière chance - en essayant de le prendre de vitesse, mais quelque chose de sûr et d'affirmé, dans le regard du jeune homme lui assurait qu'elle allait perdre.
"M'attendiez-vous ?"
Il parut hésiter. Ses ordres devaient lui interdire d'adresser la parole à Violet.
"...depuis si longtemps que personne n'y croyait plus, Mademoiselle."
Ainsi donc elle était si transparente... Tous ces gens qui l'entouraient mais ne la comprenaient pas pourtant avaient vu clair dans son attitude et savaient ce qui se tramait.
A son grand réconfort, Lady Violet resta digne, et aucune larme ne s'échappa tandis qu'on l'escortait jusqu'au portail. La pensée que ce garçon pouvait sans doute être soudoyé lui traversa l'esprit mais ne s'y figea pas : on le retrouverait forcément et il en paierait mille fois le prix.
La tête baissée, elle rentra bien docilement dans sa cellule.
Les jours qui suivirent personne ne commenta les faits - le silence, toujours - on ne renforça même pas la sécurité de ses fenêtres : tout le monde savait qu'on ne l'y reprendrait plus.
Lady V. regarda les jours passer durant un an et demi. Jusqu'à cet anniversaire.
Ce jour là, elle décida qu'elle se laissait deux ans.
Deux dernières années. Le temps d'écrire tout cela peut-être et de laisser une trace de son passage sur Terre. Le temps de faire ses adieux à tout ce qu'elle avait apprécié dans son existence.
Ce jour là, elle commença à mourir un peu.
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