mardi 12 juin 2018

So you felt like dropping in and just expect me to be free


C'est les pieds dans un pays qui n'appelle même pas le football "football" que je fête les 20 ans de France 98.

J'avais 10 ans, je m'en souviens donc très bien. Et, pour vous dire l'importance que cette équipe a eu pour moi : les soirs de terreurs nocturnes, c'est à dire un soir sur deux dans mon cas, je me forçais à me concentrer sur les souvenirs de cette coupe du monde pour me calmer.

En fait, dans ma vie, à cette époque là, je n'avais pas d'autre souvenir heureux. Ça paraît sans doute bête, vu comme ça, naïf, surtout. Alors c'est important pour moi de rentrer dans les détails de "pourquoi".

Car derrière le sport - qui est loin d'être ma grande passion - ce moment suspendu de juin à juillet 98 fut pour moi une ancre dans une période troublée. 

C'était la fin de l'école primaire, et le grand saut dans l'inconnu du collège, où j'allais être martyrisée pendant 4 ans, sans l'aide d'aucun adulte autour de moi pour m'en sortir. 

C'était un été où, comme d'habitude, je faisais des allers-retours entre chez mes parents et chez mes grands-parents (chez qui j'ai passé le plus clair de mon enfance). Dans mon souvenir, il faisait un temps magnifique. On venait d'installer une télé dans ma chambre et je chillais grave en lisant des montagnes de livres pris à la bibliothèque et en jouant à Mario Bros et Tetris. 

J'écoutais Queen, les Worlds Apart et j'étais en pleine folie Leo Dicaprio. Mes bouquins sur le Titanic étaient ma possession la plus précieuse mais, par contre, j'avais pas trop d'amis.

C'était un été en solitaire, parfois loin de l'amour inconditionnel de Pépé et Mémé. Et je détestais le football, parce que c'est ce qui accaparait mon père et la télévision du salon 4 soirs sur 7 de la semaine. En période scolaire, quand j'étais dans la maison de mes parents, je ne le croisais pas - j'étais couchée avec qu'il rentre et il partait bosser avant que je me lève. De la période entre mes 6 et 13 ans, je n'ai de souvenir de mon père qu'allongé sur le canapé, un doigt et beaucoup trop de verres dans le nez, en train de hurler des injures au poste ou à ma mère. 
Pour moi, le foot était la cause de cette violence faite homme. 

Du coup, la coupe du monde en France, ça me passait au dessus, du moins pendant les deux-trois premières semaines. 

Puis quand j'ai vu que ma famille était plus rassemblée que d'habitude devant le poste, j'ai commencé à tendre l'oreille (à peu près au moment de France - Arabie Saoudite, 2e match de poule). Ça parlait beaucoup du mauvais geste de Zidane qui, dans mon imaginaire enfantin, était plus ce type inoffensif sur lequel fantasmaient mes sœurs et leurs copines et ma mère et ses copines. Sa faute - ce carton rouge totalement mérité - a beaucoup impressionné l'enfant que j'étais. 

Plus que d'habitude, j'étais confinée dans ma chambre, avec interdiction d'en sortir, pour ne pas "gêner" les adultes. Mais, avec ma télé flambant vieille, je pouvais suivre ce qu'ils suivaient à distance, et tenter de comprendre l'intérêt. 

Le jour du 1/8e de final contre le Paraguay, nous étions invités chez des amis de mes parents ayant deux filles, une plus vieille, une plus jeune. Comme toujours, quand des enfants étaient plus sportifs que moi, j'avais eu droit à un discours en mode "Eux ils ont de la chance d'avoir une fille qui fait du sport" (cela faisait 5 ans que je faisais de la gym à raison de 4h par semaine, sans autre motivation que pour leur faire plaisir, mais ça semblait leur échapper). 
L'aînée était jolie et gracieuse, drôle, mais pas trop, elle aidait toujours docilement sa mère, à la cuisine, au service. Là encore, ma mère à moi me regardait de haut en bas avec une moue et me sortait "c'est pas toi qui ferait ça hein". C'est elle, aussi, qui me hurlait de sortir de la cuisine et de pas traîner dans ses pattes quand je lui proposais mon aide, mais ça semblait lui échapper également.

Les filles me jaugeaient, me testaient, essayaient de savoir si elles me détestaient. Heureusement, elles étaient bien élevées, et leur père, en affaires avec le mien, avait dû leur ordonner de pas trop me malmener. Au final, on s'est bien marrées. On jouait dans le jardin et dans le garage quand il faisait trop chaud. Jusqu'au moment où l'aînée a dit "on remonte".

J'ai pas compris pourquoi on interrompait la récré, comme ça, d'un coup, mais je savais déjà à l'époque que les ados avaient ce côté girouette, impulsif. Alors j'ai suivi, espérant pécho une rasade de coca en plus (ce truc que j'adorais mais qui faisait dire à ma mère et à ma sœur aînée que "j'allais devenir grosse, à force, et avoir des dents pourries", pourtant elles continuaient à en acheter, le paradoxe semblant leur échapper.)

En fait, Fille #1 voulait voir le match. Fille #2, la sportive, a décidé qu'elle allait s'entraîner à frapper la balle à la cave, pour bien respecter son scrupuleux entraînement de championne, et m'a informé que je devais pas la perturber.
Alors je suis restée à regarder ce match tendu comme un string. J'ai découvert ce colosse nommé Chilavert, gardien de but invincible de la "petite" équipe du Paraguay. 
J'ai vu tous les adultes de la pièce se transformer en petits enfants, suspendus aux actions décisives, pendant la période de but en or. Ce match m'a semblé durer mille an, mais tout était passionnant. 

J'avais aussi un poster géant de Lizarazu torse nu dans ma chambre, que ma soeur aînée jugeait inapproprié mais qu'elle matait allégrement à chaque fois qu'elle me rendait visite.  J'avais un gros faible pour David Trézéguet et vaguement conscience qu'on était en famille très lointaine avec Emmanuel Petit. Mon neveu #1, né l'été d'avant, était le sosie de Fabien Barthez (ainsi que ma plus grande source de joie, quand j'avais l'occasion de le voir).

Ça commençait à faire pas mal d'éléments pour attiser ma curiosité et me faire ressentir le grand élan national qui a transporté tout le monde, ce mois de juillet là. 

Pour le quart contre l'Italie, j'étais claquemurée dans ma chambre chez mes parents, interdiction de sortir et de gêner les adultes. Je suivais le match en jouant à la gameboy et en m'emmerdant sévère, ne comprenant pas le génie stratégique des deux équipes et l'annihilation d'une défense de fer par une autre. Jusqu'aux tirs au but. 
N'importe quel enfant peut comprendre cet enjeu là. Le duel. La pression. Le silence qui se fait. Le tout ou rien en instantané.

Quand la barre a été touchée une dernière fois et la France qualifiée, les cris de mes parents ont retenti et j'ai été heureuse aussi, même si j'étais heureuse dans ma chambre, bannie. 

Mes parents, pour la demi-finale, m'ont larguée chez mes grands-parents, histoire que je ne sois vraiment pas dans leurs jambes, que je ne gâche pas la fête. 

Ils étaient pas sûrs de vouloir regarder le match. Je savais que Pépé en avait envie, mais Mémé commandait, et Mémé, du vivant de Pépé, elle était vachement moins rock&roll qu'après son décès. Du coup je l'ai jouée fine, en négociant pour moi - à qui elle pouvait rien refuser - de voir le match sur l'unique télé et offrir ça à mon grand-père. 

Ce match contre la Croatie était d'une violence sans nom. Le but de Suker, qui a calmé tout le monde et éteint la fête. L'expulsion de Blanc, ce trauma total. Jusqu'au burlesque : les deux buts de Thuram, un défenseur, dont un du mauvais pied. 

Les klaxons ont commencé à retentir dans notre petite ville. Mes grands-parents m'ont autorisé à brailler "On est en finale ! On est en finale !" avec le chœur des gens dans la rue et je me suis marrée comme jamais (la vie était régie selon beaucoup de règles non négociables chez mes grands-parents, et celle de ne pas se faire remarquer était la première, en lettres d'or, gravées sur du simili-marbre parce qu'un sous et un sous).

Paralysée par mes terreurs nocturnes, je ne pouvais pas dormir seule, c'est donc à côté de Pépé que je cherchais le sommeil, beaucoup trop éveillée pour ça, en riant avec lui en entendant les gens chanter. Il a fallu trois sommations de ma grand-mère pour qu'on se mette à chuchoter et que je finisse par trouver le sommeil. 

Pour la finale, ça a été de l'ordre d'un mariage question préparatifs. Tout le monde était déguisé, apprêté. C'était un carnaval. Pendant une semaine tout le monde était heureux, survolté. Je voyais les gens qui, d'habitude, me faisaient la tête et me rabrouaient sans cesse soudain sourire sans raison apparente. 

 On a commencé l'apéro très tôt, il y avait des salades, du pain, du fromage, je mangeais comme les grands, ce qui, pour la végétarienne que j'étais déjà depuis sept ans à l'époque, était rarissime. 

Plus les grands buvaient de la bière - il faisait très chaud - plus l'ambiance montait, tout le monde riait et oubliait les trois quatre gosses. J'étais en première ligne devant la télé, assise par terre, hypnotisée. 

Chaque but a été un tremblement de terre de joie. Un raz-de-marée de bonheur. Je n'avais vraiment au grand jamais connu ça. Le baromètre de ma vie allait de "tragédie" à "ferme ta gueule", alors ce petit échantillon d'autre chose m'a complètement éblouie.

Personne n'a pensé à me coucher. On m'a embarqué dans une voiture, confié un drapeau et on a fait le tour de la ville. Tout le monde était trop heureux, plus personne n'avait besoin de se défouler sur moi. On s'est couchés très très tard et le lendemain, le ravissement a continué. La montée des Champs, la visite à Chirac...

J'ai eu un bol monstre d'attraper le cheval à ce moment là, car l'Euro 2000 suivrait, puis ma découverte de Liverpool FC (mon groupe de coeur #youllneverwalkalone) puis mon amourachement d'un certain blondinet footeux qui a très mal vieilli. Bref, mon amour du foot m'a poursuivie jusqu'à mes 20 ans, où je n'ai plus eu la télé et où je n'avais pas les moyens de suivre les matchs au bar du coin.

Alors je me suis contentée des grands rendez-vous, qui tombaient pendant les vacances. Et voilà que 20 ans ont passé. 
Neveu #1 a désormais plus la coupe de Dugarry à l'époque que celle de Barthez. Zidane a fait ce qu'il a fait en finale puis s'est complètement calmé. Je fantasme toujours sur Lizarazu. 
J'ai eu un pincement au coeur en voyant Aimé Jacquet avant l'amical France-USA de samedi dernier, et j'ai déjà réglé mon réveil sur 5h du mat, samedi prochain, et payé un billet à 15 dollars sans le pourboires pour voir France - Australie. 

Ils ont pas intérêt de déconner, mon coeur de petite fille est en jeu.



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