lundi 6 août 2018

Gulls in the sky and in my blue eyes




A un moment, dans les jours qui ont suivi mon retour d'outre-Atlantique, j'ai décidé que j'en avais marre d'être pauvre.
Alors non, je n'ai pas fondé ma start-up, ou pris en otage le caniche d'une vieille. J'ai juste "arrêté d'être pauvre". 
Je me suis mise à arrêter de m'arrêter de dépenser. 
J'ai dépensé ce que j'avais besoin, quand j'en avais besoin. 

Pour l'instant, rien à signaler, ma banque fait dodo dans la quiétude caniculaire et ma carte bleue passe toujours - au pire j'en ai une seconde, sur un compte planqué en Allemagne, qui me permet de faire des achats sans frais à l'étranger. Même qu'elle est transparente et qu'elle permet de créer pas mal de lien social avec les employés qui pensent que c'est un jouet.

C'est ainsi que, pour la première fois depuis quatre ans, mesdames et messieurs, je me suis payé une mutuelle. Car oui, j'avais pas de quoi jusqu'ici. Alors entendons nous : c'est une mutuelle toute pourrave qui rembourse presque que dalle, mais comme je DOIS changer de lunettes, j'y gagne de toute façon. 

Je me suis donc rendue la fleur au fusil dans un établissement de santé qui avait plus des airs de Pôle Emploi que de clinique où je me suis fait engueuler de prime abord parce que j'avais pas de médecin traitant : "mon médecin est complet en fait" "cherchez-en un autre" "que je le paye 30 balles pour obtenir un papier me permettant de pas payer 15 balles vous voulez dire ?" "oui voilà" "bah non, du coup" "bah c'est 15 balles, alors" "bah ok."

Puis j'ai passé un examen avec une femme qui m'a demandé si c'était mieux avant ou après et j'étais bien incapable de lui répondre. Agacée, au bout d'un moment, elle m'a encouragée d'un "ne réfléchissez pas" qui m'a beaucoup fait réfléchir quant au fait que, c'est vrai, je réfléchis trop. 

Bref. Lassée, elle m'a envoyée dans l'autre pièce, où un ophtalmo m'a reçue et a réussi l'exploit de m'adresser moins de dix mots. "Carte vitale" et "C'est pour des lunettes ?"
J'ai bien senti tout le poids de ma mutuelle au rabais dans cet échange. Si j'avais pris l'option à 80€, ptet j'aurais eu droit à bonjour et au revoir ? On ne le saura jamais.

Ma prescription en main, il a fallu reprendre un ticket pour attendre, aller m'asseoir pour la 3e fois, et enfin régler mes 15€ de punition parce que "j'ai-pas-déclaré-de-médecin-traitant-étant-donné-que-je-vais-plus-chez-le-docteur-depuis-quatre-ans-vu-que-je-peux-pas-me-le-payer". Puis je suis sortie sur le bitume surchauffé, afin de me mettre en route vers l'opticien attitré de ma mutuelle pour bénéficier d'un rabais de 15% fort bienvenu. 
Là-bas, un charmant jeune opticien m'a accueillie. On a parlé de tout, de rien, il a été transparent sur les coûts et sur leurs problèmes informatiques et j'étais ravie de parler à un être humain qui prenait de toute évidence son boulot à cœur jusqu'à ce que je m'apercoive que Jean-Optique évitait soigneusement mon regard, ce qui était pas raccord avec sa chatoyance. 

Il m'a enfin dit d'aller essayer des modèles et c'est là que j'ai compris. Je me suis vue dans le miroir. Et j'ai immédiatement insulté en mon for intérieur Jean-Ophtalmo qui, par économie de palabre, ne m'avait pas prévenue qu'il m'avait foutu du collyre rouge pendant l'examen. 

Mon reflet avait été remplacé par une sorte de Dame Blanche pleurant des larmes de sang. 

J'avais marché bien 2 kilomètres comme ça en plein Paris. J'ai discuté 20 minutes avec Jean-Optique.
Heureusement que je n'ai aucun égo et que j'ai arrêté de faire attention à mon apparence (dans la limite hygiénique de la chose, of course). 

Je me suis nettoyée comme un petit chat piteux, en ravalant le dernier morceau de fierté qui visiblement flottait encore au plus profond de mon âme et je me suis concentrée sur mon choix de lunettes solaires, pour me cacher derrière par la même occasion. 

Une fois les modèles choisis, je les ai ramenés à la table de Jean-Optique, qui s'attendait plutôt à ce que j'en ramène 5 et qu'on choisisse ensemble. Mais, en tant qu'independant woman, j'avais déjà fait mon choix, ferme, définitif et classieux, et c'est pas un mâle sans cheveux, aussi sympa soit-il, qui allait décider de quoi j'aurais l'air pour le restant de la vie de cette paire de lunettes.

Il m'a quand même dit de les essayer, histoire de valider mon choix (#patriarcatdesyeux) puis a validé mon choix (#validiste2000). Malgré cette mutuelle, j'en ai quand même eu pour 120€ (et mon dernier morceau d'égo, donc) et je me suis dit que, vraiment, ça tombait quand même bien que j'ai décidé d'arrêter d'être pauvre.


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