J’ai beaucoup d’admiration pour Mark Haddon. Il a été un des premiers à
mettre en scène un ado atypique dans le Bizarre incident du chien pendant la
nuit, paru en 2003. Il a été l’un des pionniers de la littérature YA telle qu’on
la connait aujourd’hui – axée sur l’acceptation, la diversité, l’accompagnement.
Il se trouve que l’excellente pièce tirée du roman (écrite par Simon
Stephens) était montée dans une mise en scène inédite (aka pas celle du West
End et de Broadway) à Montréal et qu’il ne m’en fallait pas plus pour m’exclamer
« prenez toute ma monnaie ».
C’est quelque chose de lire un texte qui se passe dans la tête de quelqu’un
d’atypique, Mark Haddon n’a pas mis d’étiquette sur Christopher, son héros,
donc le lecteur peut y mettre ce qu’il veut (bien que le consensus soit un
syndrome d’Asperger, même si je trouve ça très réducteur). C’est autre chose de
le voir incarné. Il y a une frontière immensément délicate entre la caricature
et la justesse. Ce que j’ai vu était sur le fil et vacillait, sans jamais
tomber d’un côté ou de l’autre.
Depuis que ma psychiatre a eu la bonne idée de sortir de manière inopinée « C’est
fou je m’en étais pas rendu compte jusqu’ici mais socialement, vous avez quand
même pas mal de points communs avec les Asperger » je suis passée un peu
par tous les stades.
1)
« Je
croyais que ça se disait plus »
2)
« Ca
se saurait. J’ai 30 ans quand même »
3)
« Et
si c’était pas si con ? »
4)
« Non
c’est n’imp, j’ai toujours eu 5 en maths. »
5)
« Est-ce
que je viens de réduire les autistes à haut niveau de fonctionnement à Rainman ? »
Et enfin :
6)
Est-ce
si important, de mettre un mot là-dessus ?
Je navigue toujours un peu entre ces six points. Surtout maintenant que ça
fait 15 jours que je suis arrivée et que le manque de relations sociales se
fait sentir.
Là où je suis un paradoxe, c’est que, au moment même où j’ai ressenti ce
besoin, j’ai eu une opportunité. (Ma proprio m’a proposé de me présenter un
groupe d’expatriés qui se réunissent toutes les semaines dans le bar sous notre
immeuble.) Et tout mon instinct m’a hurlé « non non non non non ». Ma
bonne éducation et le fait que je sache pas dire non et que de toute façon ce
serait difficile d’échapper à ma proprio qui habite à un étage de moi m’ont
fait répondre « Oh bah oui, super idée, pourquoi pas ! »
J’ai tassé tout ça sous une montagne de déni en me concentrant sur le
boulot et en subissant de temps en temps des petits pics de « Et si on
parlait à des gens ? » sans les écouter le moins du monde.
C’est alors que le jour venu de la fameuse soirée, je me suis dit que j’allais
couper la poire en deux. Que visiblement j’étais en lutte quant à cette soirée,
mais que j’avais quand même besoin de voir du monde. De faire quelque chose de social. Qu’il fallait agir là-dessus. J’ai
donc pris la décision d’aller… dans un CAFE avec des CHATS.
Parce que je me complets dans mon rôle de crazy cat lady à un point tel que
8 chats en liberté dans un café végétarien avec des canapés et de la limonade
maison a vraiment totalement éclipsé (of the heart) la perspective d’une soirée
bière avec une trouzaine d’inconnus FRANÇAIS.
Fière de mon choix, même si un peu triste pour moi-même de baisser les bras
face à « l’humain » une fois de plus, je me suis rendue au Café Chat
l’Heureux et j’ai découvert un monde de calme, de bienveillance et j’ai été
hypnotisée par Sheldon, le gros chat noir, sosie de mon défunt chat-Marlowe.
C’est la première fois que j’étais confrontée à nouveau à un gros chat noir
fluffy avec une tête un peu bêbête et une démarche pataude mais un regard jaune
vif et perçant. Quelque chose dans mon cœur a flanché quand on s’est regardés.
J’ai vraiment compris au plus profond de moi que Marlowe était à la fois
irremplaçable et parti à tout jamais, et à quel point il avait compté plus que
tout pendant le peu de temps qu’on a eu ensemble.
Tout ça a été profondément ancré grâce au regard échangé pendant une
dizaine de secondes avec ce félin canadien.
Et il y avait aussi des chats qui faisaient du skateboard.
Du coup, quand j’ai reçu le sms de ma proprio disant « hey ho c’est
maintenant la soirée », le côté « je sais pas dire non » l’a
emporté et j’ai couru 1,5 kilomètres sous la pluie en mode « je vais arracher
ce putain de sparadrap social »
1h après j’avais ma troisième pinte en main, j’échangeais avec mon 5e
interlocuteur et j’allais m’engager dans une partie de carte très dangereuse
(moyennant des shots).
I guess I’ll be okay.
- "même si un peu triste pour moi-même de baisser les bras face à « l’humain » une fois de plus" = moi j'appelle ça trouver sa zone de confort et c'est plutôt malin. quand tu es à l'autre bout du monde, c'est important d'avoir des moments zen !
RépondreSupprimer- j'ai rigolé sur tes points 4 et 5.
- A-t-on besoin de mettre des mots ? c'est une bonne question. J'ai une pote qui ne va pas bien en ce moment, et je me suis demandé si elle n'était pas "on the spectrum". Et puis je me suis demandé si ça l'aiderait que je lui en parle. Je me suis dit que non. C'est tellement délicat...
Mettre des mots c'est un débat même interne au cerveau de ma psychiatre qui m'a dit "borderline oui ca colle mais pourquoi mettre des mots là dessus ?" et qui a fait ce parallèle sorti de nulle part avec Asperger. Mettre des mots ça m'aide socialement pour expliquer vite un truc hyper complexe. Ca aide aussi à se sentir moins isolé mais j'imagine que c'est propre à chacun.
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