mardi 30 décembre 2014

[Diex Aïe ! - Part III] Solitary Bizness



[Won't you dig a little deeper / And overcome the pain in your bleeding fingers? / Who knows, you might find some treasure / Or something strange that belongs to none other ]

On avait une sorte d'arrangement avec ma grand-mère : l'école maternelle n'était pas obligatoire, je le savais, elle le savait, et si jamais ça n'allait pas, elle était à 10 minutes de marche et pouvait revenir me chercher. Mais on avait cet autre pacte aussi, celui du respect extrême qui m'empêcherait d'abuser de ce pouvoir.

Je n'en ai pas abusé. Même si parfois, j'aurais dû.
Mon souvenir de cette jungle de maternelle ont fondamentalement défini qui je suis aujourd'hui, à un point qui m'essouffle. 

J'arrivais aux aurores, souvent dans les premiers de la classe, puis j'étais rejointe par V. qui ressemblait à un petit hérisson et que j'aimais d'amour, ensemble on comptait jusqu'à 1000 (pour voir s'il y avait autre chose après) et on chantait des chansons de William Sheller. Puis les autres arrivaient et il allait systématiquement avec eux, me laissant toute seule à ruminer.

Un jour, il a déménagé, mais j'ai continué d'aller m'asseoir sur notre banc et à le faire vivre, dans ma tête. J'avais une peur intense : celle de l'oublier. 

Les gardes chiourmes me forçaient alors à ingurgiter un verre de lait. Je voyais pas l'intérêt. Ca m'a vite fait chier. J'ai donc utilisé mon énorme cerveau pour trouver toutes les cachettes disponibles pour planquer le verre plein dès qu'elles avaient le dos tourné. 
J'étais bien vite dénoncée, mais elles allaient bientôt s'apercevoir que si j'ai décidé de ne pas manger quelque chose, personne ne peut me forcer à l'avaler. 

L'art, aussi. Je n'aimais rien de plus que ces grandes feuilles blanches et la peinture à disposition, alors quand on m'a forcé à m'asseoir sur les petites chaises pendant des heures pour suivre des consignes et dessiner ce qu'ELLES avaient décidé qu'on dessinerait, forcément ça n'est pas passé.

J'étais déjà une rebelle têtue aux idées très arrêtées qui ne supportait pas qu'on empiète sur sa liberté d'expression ou qu'on jugule sa créativité.

Je menais ma barque, mais en solitaire. C'est à dire qu'en dehors de plaire à mes grands-parents et de récolter les louanges des vagues amis de mes parents devant qui on m'envoyait faire le singe savant, rien n'importait au niveau social. 

J'avais déjà compris que les profs étaient des imposteurs qui savaient généralement, en ayant potassé, moins de choses que moi intuitivement. 

Et puis il y avait les autres, masse grouillante, des petites choses qui ne semblaient pas avoir deux neurones de connectés. Je regardais parfois ces goules au nez coulant en tentant de leur soutirer des mots qui voudraient dire quelque chose. Un truc autre que ces borborygmes animaux. 
Mais non. Des petits normands, il y en avait beaucoup de cabossés, qui partaient pas avec les mêmes chances dans la vie. 

J'ai eu la chance de me retrouver en moyen-grand l'année d'après, et de pouvoir fréquenter des esprits plus développés. N'empêche, les vieilles matrones voulaient toujours me traiter comme un enfant et me forcer à faire la sieste, par exemple. Elles n'ont pas été déçues : j'ai bien retourné tout le dortoir et je me suis fait virer. Condamnée à attendre sur les tapis de jeu de la pièce adjacente en compagnie des autres repris de justice. Dont le gamin qui m'avait mordue jusqu'au sang parce que je l'avais regardé de travers.

J'ai connu le mitard. A 4 ans. Parce que j'avais déjà des soucis pour dormir sur commande. Une impossibilité à me détendre et à mettre mon cerveau sur pause.

Alors j'ai retourné la salle de jeux, et on a finalement annoncé à ma mère que "c'était plus possible". 

Et c'est ainsi qu'au lieu d'aller en grande section, tout le monde s'est mis d'accord : j'irai direct en CP, les gardes chiourmes se débarrassaient de moi, et ma mère pouvait se vanter d'avoir un petit singe vraiment très savant.

Win/win. Sauf pour moi. 

Déjà que j'étais une attardée au niveau des relations sociales - même si j'avais appris à manipuler mes comparses pour leur faire faire ce dont j'avais envie MOI, même si j'avais développé l'art du mensonge et de l'invention grotesque déclamée avec une intention redoutable, même si j'étais à deux doigts de maîtriser la pyromanie avec une grande et de foutre le feu à la maternelle après trois semaines d'entraînement - maintenant j'allais être en décalage permanent. 

Surtout qu'ils ont eu l'idée du siècle de me foutre trois ans dans la classe d'une prof un peu spéciale ; ma mère. Chose qui allait fausser mes relations aux autres et détraquer mon rapport à la cellule parentale, désormais assimilée à la tyrannie adulte des gardes de maternelle. 

Mais c'est une autre histoire.  



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