jeudi 17 novembre 2011

5

 Et on repart en avant... (suite chronologique du 1) :

Elle ne croyait pas aux coïncidences, encore moins au destin – pas plus à la colère de voir un ex débarquer du néant.
Ce n’était pas son ex. C’était juste ce type. Affolant mais qui ne l’avait jamais rendue folle, ni malheureuse. Un garçon beau comme un dieu, galant comme un diable, qui apparaissait et disparaissait à sa guise et dont la présence ne permettait aucune question.
Jude –d’un coup, elle était redevenue Jude- fixa le tableau comme s’il était la plus passionnante pièce de la création (alors qu’en fait, celle-ci se trouvait certainement à ses côtés). Peu importe ce que disait le professeur, sauf quand il commença à vouloir faire le tour des curriculums de toute son assemblée.
A ce moment précis, elle trembla. Plus pour ce qu’allait dire son voisin que pour son propre discours.
Mais ils étaient au centre de la pièce, et par conséquence pas les premiers à prendre la parole.
Une fille encore plus blonde que Pierre étala son parcours, de grandes écoles en stages de luxe, le professeur, dans un sourire entendu releva le nom de famille en demandant « la fille de… ? » qui se vit récompensé d’une réponse affirmative.
Lorsque la vague arriva derrière eux, les deux du milieu, elle le regarda en panique, cherchant une réponse à qui s’élancerait en premier. Il ouvrit juste la main en signe de retrait.
Elle balbutia son nom mais reprit de sa superbe au moment de lister son parcours, loin d’être chaotique, mais tellement différent des autres. Elle se trouvait dans une situation critique : soit elle s’imposait comme unique, orientait ses différences comme sa force et s’appliquait un masque de rareté, soit elle plongeait dans la lie marginale d’une classe possédant déjà ses codes. D’un coup, la présence incongrue de Pierre à ses côtés lui parue comme anecdotique, et elle l’oublia vite.
Le flot de ses paroles résonna longtemps après qu’elle eut fermé la bouche, un silence d’or s’était établi après les deux premières phrases, elle s’était assise sur un trône tout en haut d’une tour d’ébène.
Des mots simples et droits, une confiance en elle rayonnante, cela suffisait aux yeux de l’auditoire… pour l’instant.
A peine calmée de sa prestation, le souvenir de celle à venir la frappa.
Elle se plaça de trois-quarts pour observer son voisin entre deux mèches de cheveux.
Il resta dans une position décontractée sans pour autant paraître provocant, ses yeux s’ouvrirent grand pour épouser ceux de son interlocuteur principal. Une autoroute les liait à ceux du professeur.
         Pierre Saint-Just…
         … révolutionnaire !
Il n'y a que ceux qui sont dans les batailles qui gagnent.
         Vous devez avoir l’habitude des remarques sur votre nom, mais cela m’intéresserait de connaître sa provenance.
         Moi également. Malheureusement, je suis le dernier de ma lignée, et personne n’est en mesure de répondre à nos questions.
         Le ton était ferme et mettait fin à toute réplique.
         Dîtes moi d’où vous venez, vous, cela nous suffira.
         Un pur produit de Paris ayant poursuivi des études littéraires fort peu passionnantes et qui espère trouver la lumière ici, enfin.
Malgré l’abondance de détails qui avaient fusés sur les vies professionnelles des membres de cette classe, la réponse laconique du voisin de Jude semblait combler l’inquisiteur.
Deux sourires discrets entre l’étudiant et l’enseignant (bien que les rôles semblaient confus) plus tard, la ronde reprit son cours. Avec plus d’hésitations, et quelques regards curieux envers cet énergumène à la voix grave.
Puis une pause fut décidée à l’unanimité.
Pierre se leva naturellement, et n’évita pas le regard de sa voisine.
Il passa une écharpe, histoire de lui faire comprendre qu’il comptait sortir, ce à quoi elle répondit en emportant sa veste.
Après avoir parcouru une moitié de couloir côte à côte, Jude céda à la pression du silence :
         Tu n’es manifestement pas conducteur de métro.
Il eut un petit rire qu’elle ne lui connaissait pas. Un rire qu’elle enregistra en pensant qu’elle ferait tout son possible pour lui soutirer de nouveau.
         Je suis étudiant, tout comme toi.
Posés contre un pilier, ils se regardaient comme des amis qui n’avaient pas besoin de paroles.
Elle s’attendait à ce qu’il fume, mais rien.
         Je suis aussi surpris que tu l’es, je t’assure.
Sans savoir si elle le croyait, ils reprirent leur lente marche synchronisée, étonnante à voir ; on pouvait, en effet, supposer que Jude faisait deux pas quand il n’en avait qu’un à faire.
Déjà, tous les regards étaient sur eux, et plus tard, lorsque Jude se rendit dans le lieu où les langues se délient – les toilettes des filles – elle fut assaillie de questions : « Saint-Just, c’est ton frère ? » - « Le grand blond, tu le connaissais avant ? » - « Vous êtes ensembles ? ». Ce à quoi elle répondit « Non, jusqu’à preuve du contraire » - « Vaguement » - « … ». Elle claqua la porte sans avoir l’air de le faire, et retourna à sa place.


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