samedi 19 novembre 2011

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[Bon en avant pour cette dernière note, comme je le disais ailleurs, cette "chose" n'a jamais été finie, bien sûr, il y a une dizaine de pages derrière, que je pourrai filer aux plus motivés, mais rien que je ne sois certaine de garder, ce dont je suis sûre s'arrête ici][et bientôt, reprise de l'activité normale...]

Une jeune professeure était en route pour leur salle de classe principale. Celle où ils devaient avoir cours sans trop savoir sur quoi. Toutes les têtes de leur promo se collèrent aux vitres, suivant le passage de cette blonde à la trentaine glorieuse, les garçons pour des raisons évidentes, les filles parce qu’elles étaient particulièrement inquiètes de voir cette enseignante trimballer une trentaine de blouses blanches dans ses bras. 
On entendit quelques « What the fuck » résonner.
Peut-être même que l’un d’eux provenait de la jolie bouche de Jude.
La main de Pierre l’encouragea à avancer. Sauf qu’elle ne voulait pas. Comme un mauvais pressentiment s’insinuait et même le contact entre eux ne le calmait pas.
Elle se détourna de lui et jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, le jeune homme semblait complètement se désintéresser d’elle, en fait, elle comprit que son geste n’avait pour but que de la pousser de son chemin.
Jude le regardait emboiter le pas à la nouvelle prof, hébétée.
Son malaise grandit jusqu’à la tromper, elle cru à une soudaine envie d’aller aux toilettes mais lorsqu’elle fut sur place, rien.
Au lieu de s’enfermer dans une des cabines puantes et tagguées elle se regarda fermement dans le miroir. Et cela dura, dura, dura. Les chiffres de sa montre numérique se succédaient mais elle les voyait à l’envers. Il lui fallut de l’eau glacée en abondance pour se sortir de cette torpeur. Ca et l’impression envahissante que Pierre était en pleine détresse.
Idée folle. Pour Jude, il était inconcevable qu’un type comme lui puisse atteindre un quelconque degré de perdition.
Cependant elle marcha à sa rencontre, et entra en plein cours. Ne portant pas plus d’intérêt que ça à la voix qui sonnait comme un clairon en lui disant :
         _ Andrews, je présume, la dernière sur la liste... Prenez donc une blouse et choisissez un coéquipier.
La jeune fille ne bougea pas, pour toute réponse elle grimaça à l’impétueuse. Une odeur de mort emplissait la salle… Et Jude n’avait qu’à baisser les yeux pour en connaître la cause. Quelques souris blanches et un rat étaient figés, étalés sur la paillasse de fortune incarnée par le bureau du professeur.
Sans respirer, le cœur battant dans les tempes, elle rejoignit une grande silhouette appuyée sur le rebord de la fenêtre, le dos tourné à l’assemblée.
Quand elle posa sa main sur son omoplate elle le sentit émettre un léger gémissement.
La tête de Pierre se baissa et disparut pratiquement à la vue de tous. Il tremblait.
C’est un instant, un instant dans cette suite de petits événements qui a fait sens dans l’esprit de Jude.
Instinctivement. Comme si elle l’avait déjà fait, se cachant des autres derrière la stature de son ami, elle dégagea ses cheveux de son cou.
Elle sentait le regard de Pierre sans oser le croiser. De peur d’y voir l’étincelle qui mettrait le feu à leur relation.
         _ Fais-le, ça ira mieux.
Comme elle passait une main sous sa blouse pour rapprocher leurs deux corps, il grogna de plus belle, luttant intérieurement.
Le brouhaha de la classe dissimulait les sons et les actes du couple. Tous les élèves avaient à présent ouvert leur souris respectives en deux. Cela empirait grandement les choses, il fallait qu’il la choisisse elle plutôt que le reste de la promotion.
Elle se serra tout contre lui et attendit, forcément crispée.
Puis elle sentit des mèches folles venir lui caresser les joues, un souffle, des lèvres contre son cou.
1… 2… 3…
La douleur était plus cuisante qu’elle ne l’aurait pensée. Mais comment s’imaginer que le type bizarre avec qui elle jouait un chassé-croisé plein de promiscuité aurait besoin, un jour, de s’abreuver à une de ses veines.
Ce n’était pas un déchirement, c’était plutôt chirurgical, ce qui ne veut pas dire indolore. Ici, aucun anesthésiant. Seulement l’adrénaline. Et cela était loin de suffire quand trois centimètres d’émail débarquent sans prévenir dans la partie la plus fine et sensible de votre corps.
Jude fit le rapprochement un peu facile entre l’acte sexuel et ce qu’elle était entrain de vivre, surtout lorsqu’elle se sentit s’habituer à la pression des lèvres, les sentant presque plus que les canines, et que la fuite de son propre sang vers un corps étranger la fit doucement vaciller.
Comme ces alpinistes pris au piège dans des trous de glace, elle sentit le froid l’envahir, le calme faire place, son cœur ralentir. Les survivants qui se sentent partir luttent pour ne pas s’endormir. C’est pourquoi Juliannah avait les yeux écarquillés ne voyant rien de bien passionnant à part quelques épis de blond parsemant un plafond en contreplaqué. Ou bien était-ce du bois ?
Juliannah pensait aux enfants qu’elle n’avait jamais voulus. Elle aurait presque pu rire de ne toujours pas en vouloir, alors au seuil de la mort.
La mort.
Le mot était prononcé mentalement.
Viscéralement, il prenait une place dans tout l’être de la jeune fille. Cherchant à chasser les bribes de vie, de chaleur et toute trace éventuelle de lutte, de résistance.
Elle savait qu’il allait trop loin. Ce n’était pas son intention de se suicider en pleine classe, encore moins dans les bras d’un garçon qu’elle aimait sans doute un peu trop et qu’on accuserait sûrement d’un meurtre pas si évident.
Pour cela, et seulement à ce moment, elle réussit à faire rouler sa nuque de l’emprise de son amant.
Le nouveau grognement – mais cette fois de mécontentement – de Pierre fut étouffé par la peau de Jude qui, dans un murmure rauque émit un mot qui ressemblait à « Stop ».
C’est presque à regret que l’invasion s’arrêta, et Jude était dans un état proche de celui d’un junky en plein rush.
Sa tête ne se tenait plus toute seule et atterrit dans les deux mains du jeune homme ; elle s’y logeait parfaitement.
Ayant retrouvé toute sa vigueur, et plus encore, Pierre émit un « Oh non », dont toute la classe profita.
Vif, de par sa nature, celle-là même qui ne saurait être dévoilée, il balaya la pièce du regard, lançant à l’assemblée que Jude s’était évanoui.
Quelques rires fusèrent. Beaucoup comprenaient mais se taisaient. Une souris ça a beau être petit, la découper c’est impressionnant.
Les filles trouvèrent Saint-Just d’une force princière lorsqu’il souleva sa camarade et la transporta en deux pas hors de la salle. Les garçons le trouvèrent un peu over-dramatique dans sa démarche et son empressement. Les deux groupes reprirent pourtant quasi instantanément leurs petites affaires, laissant ces deux personnages aux leurs, qui, manifestement n’avaient rien en commun.

Folle. Folle.
C’est le mot que les dents maintenant rétractées de Pierre Saint-Just laissaient filer.
Jude, elle, se contenta d’étirer un sourire et de dire « pas l’hôpital ».
Outre l’explication plus que douteuse que les jeunes gens auraient dû fournir, Pierre savait. Il savait qu’elle était AB- bien avant d’avoir pu la goûter. Son odeur était différente depuis le départ. Depuis le métro. Le groupe sanguin le plus rare, qui ne peut recevoir de don que de son propre groupe : le serpent qui se mord la queue.
Peu de gens ont le souvenir d’avoir vu ce jour-là un élégant garçon en blouse blanche transporter ce qui ressemblait vaguement à un cadavre d’un bout à l’autre d’une avenue de Paris.
Pourtant, c’est à pieds qu’il l’amena chez lui. Chez eux. C’est du bout de ses bras qu’il la laissa rouler sur le lit. La plaie à son cou déjà refermée. Propriété antiseptique de la morsure du vampire oblige.
Vampire.
Pierre Saint-Just n’avait plus pensé à lui de la sorte depuis des années.
Comme un humain ne réfléchit sans doute que rarement à son statut racial.
Comment cette petite chose de 22 ans avait-elle pu deviner son mal ? Le ressentir… et savoir quoi faire.
C’est alors qu’il se rappela.
« Juliannah Andrews, elle nous pose problème et elle ne devrait pas. Débrouille-toi comme tu veux, Saint-Just, débrouille-toi mais découvre ce qu’elle sait, et agis en conséquences. »
Alors Pierre Saint-Just avait obéi, pouvait il en être autrement ? Il avait intercepté le sac de la jeune fille dès leur première rencontre.
Une chance.
Lorsqu’il avait fouillé en un temps record ses fichiers et ses écrits, il était bien vite tombé sur ce qui causait tant de trouble à ceux qui étaient plus hauts placés que lui encore.
Une ébauche de roman. Pas mauvais. Reprenant les mythes les moins éculés sur sa race, un roman… Il n’y avait pas de doute, Pierre le savait, le sentait, personne ne prendrait jamais ces mots au sérieux. Tout au plus servirait il à un divertissement participant au folklore vampirique : leur meilleur atout. Car lorsque l’on guettait une créature à l’œil bigarré intolérant à l’ail ne se reflétant pas, on passait systématiquement à côté des vrais.
Et pourtant ils étaient partout. Les Arts, les finances, le crime, bien entendu… mais plus la politique. Plus depuis la révolution. Car s’il est vrai qu’une guillotine viendrait à bout de n’importe quel humain, les vampires n’avaient pas échappé à la règle. Comment non-vivre sans tête ?
La décapitation restait le moyen principal d’en venir à bout.
Les Anciens avaient surtout peur de ces petites fourmis perspicaces qui établissaient sur leurs tableurs des listings interminables de supposées créatures de la nuit. Juliannah avait été repérée, à cause des recherches assez poussées qu’elle avait menées sur le net (où l’impunité est une légende urbaine).
         _ Jude, si tu t’endors, tu meures.
         _ Je ferme juste les yeux…
         _ Je te l’interdis.
Sauf que : sans conscience, son pouvoir de fascination sur elle n’avait aucune prise, et il avait beau l’invectiver, elle ne pouvait plus lui répondre.
Il tenait à elle, oui, mais à aucun moment il ne pensa à lui injecter son propre sang dans les veines. Ce qui l’aurait tuée, certes, mais aussi sauvée.
A chaque fois qu’il la réveillait, elle entrouvrait des yeux presque sans chaleur.
Il l’enterra sous des couvertures, la secoua de temps en temps, et pensa à appeler quelqu’un. Seulement en 10 ans de vague à l’âme, il avait perdu de vue la plupart de ses amis, et en 10 ans, les téléphones portables étaient apparus, Internet s’était développé, mais les télécommunications entre vampires : non.
La méfiance prévalait en ces années où la vie privée n’était plus qu’une notion approximative.
Chacun pour soi.
Il regarda Jude, qui n’avait pas agit pour elle-même, il réalisa que c’était elle qu’il voulait appeler.
L’embrasser n’était pas une tentative de sauvetage de conte de fée, c’était une manière de se rassurer, de sentir qu’elle pouvait encore répondre.
Pour la première fois depuis des dizaines d’années, Pierre s’enfonça dans le désarroi, sa figure sans rides nichée au creux du cou de la jeune fille.
Il n’avait pas le droit de s’endormir, mais n’avait tout simplement pas la force d’assister au combat de Jude.

C’est un contact sec mais doux qui le tira de sa stupeur, les heures avaient défilées. Il crut qu’il avait rêvé et hésita à ouvrir les yeux.
Des doigts se mirent à parcourir ses cheveux hirsutes, beaucoup trop longs pour des cheveux courts.
Un sourire faible l’accueillit. Ils avaient beau être nez à nez, il dut toucher ses lèvres pour s’assurer qu’elles n’étaient pas froides. La couleur avait déguerpi.
Aucune question ne fusa de sa part, mais il savait pertinemment que l’heure était aux explications.

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