jeudi 10 novembre 2011

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La chambre. Il ne lui fallut pas plus de deux pas pour être prise de vertiges et se laisser tomber doucement dans les bras du garçon. C’était comme s’il la déshabillait tout en la serrant dans ses bras. Le temps : devenu une notion abstraite, et la vie quotidienne : un lointain souvenir.
Quand leurs corps se décollèrent enfin un peu, au moment où il l’allongeait sur le lit, elle eut un éclair de lucidité. Juste un instant pour s’interroger et comprendre qu’elle en avait vraiment envie.

C’était avoir toutes les réponses. L’intimité de l’autre sans passer par le bavardage éternel et, par là, forcément, se décevoir.
Elle aurait aimé pouvoir vivre comme ces héroïnes de roman, succombant au mystérieux prince charmant et sachant qu’ils allaient être happy ever after.
Mais elle ne sentait pas « son souffle chaud », ou « la subite intrusion de son âme dans la sienne », aucun poncif ne venait les encombrer.
Ils étaient loin de ne faire qu’un. Parce que sa peau à elle était brûlante, et que la sienne, bizarrement à température ambiante, la rafraîchissait. Parce que tout inimaginable que ce soit, la neige commençant à tomber par la fenêtre détourna l’attention de Jude du plus bel amant qu’elle ait jamais eu.
C’était imparfait.
Ces imperfections provoquaient plus de sourires d’entente profonde que de gêne dévorant tout plaisir.
Si Jude avait dû raconter cette aventure à une de ses amies, elle n’aurait tout simplement rien dit. Ce moment était comme une private-joke, seulement eux pouvaient le comprendre, en mesurer les tenants et les aboutissements, réaliser l’importance de chaque geste.
Il remarqua la neige bien plus tard, lorsqu’il lâcha prise et s’effondra en douceur sur elle.
C’est à cet exact instant qu’elle mit les mots sur ce qu’ils venaient de vivre, et la petite musique de nuit qui l’accompagna jusqu’au sommeil fut celle de Late Night Partner d’Ed Harcourt.
Pas My Funny Valentine, rien de Damien Rice, pas même Jeff Buckley. Seulement… Give me something that burns inside / To make me shiver, to shut my eyes / Late night partner don't bother sleeping / Tell me all the secrets you're keeping.

Elle avait beau avoir eu confiance en lui, cela ne l’empêcha pas de garder les yeux fermés à son réveil. Il y avait toutes les chances qu’un type pareil se soit envolé avant les premières lueurs du jour. Si tel était le cas, elle ne voulait en avoir la certitude que le plus tard possible. Savourer encore quelques instants sa victoire sur l’univers, persuadée d’avoir trompé ce grand garçon au point de le faire succomber à des charmes inexistants.
Mais Jude ne le connaissait encore que peu, et si elle avait été plus au fait de son compagnon, elle aurait su qu’il n’aurait jamais fait une chose pareille.
Elle aurait su qu’elle n’était pas une conquête.
Mais si elle en avait eu conscience, elle n’aurait pas compris pourquoi ce prince d’une nuit ne la rappellerait jamais.

La vie reprit son cours, et les petits ennuis se firent une place grandissante dans la vie de Jude. Pas de nouvelles du mystérieux étranger. Cependant cela ne la choquait pas, c’était presque prévisible. Il ne lui avait rien promis qu’il n’ait tenu.
Le temps s’accéléra l’espace d’un été qu’elle passa à travailler pour un négrier, du  genre de petits boulots harassants et mal payés que s’auto-infligent les grands étudiants complexés par leurs origines et leur manque d’expérience du terrain.
Jude mit le mois d’août à se remettre. A se remettre et à espérer.
Finalement, la nouvelle tomba comme une canonisation de son martyr estival : Sainte Jude était admise.

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