lundi 29 juin 2020

I never find out till I'm head over heels



Elle était tellement plus grande que moi que jamais, au cours de notre soirée, je ne me suis posé la question de son âge.
Mon cerveau est resté bloqué aux premières années de ma vie où plus la personne était grande, plus elle était âgée (Jeanne Calment a fini sa vie à 5 mètres 92 dans ma logique). 
C'est l'hiver, je suis encore toute enfarinée, mon corps ne s'est pas réveillé.

Le groupe se sépare et naturellement, je la raccompagne dans la direction de son bus. Je ne me pose même pas la question. Quand on arrive à son arrêt, elle rougit puis me remercie longuement de ne pas l'avoir laissée attendre seule.
Je suis un peu abasourdie puis je sens que des petites décharges électriques remontent de ma colonne. 

Les filles ne m'ayant pas intéressée pendant 30 ans, le lesbianisme politique a longtemps été politique avant de devenir concret.
Je reprenais une vie amoureuse de zéro, sans les mauvaises habitudes patriarcales, si possible, et je n'avais pas encore considéré le jour où j'aurai vraiment de l'attirance pour une femme.

Mais voilà, elle était grande, blonde, drôle, intelligente, polyglotte, anglaise, et je me suis retrouvée comme un petit moustique dans son aura. Déjà bien éblouie par mes propres sensations nouvelles. 

On discute des semaines à venir, de quand on refera du militantisme ensemble, et elle me prévient qu'elle ne sera pas dispo pendant quelques jours parce que "sa meuf est Paris". 

Je me suis sûrement mise à sourire comme une teubé. La déception qu'elle soit déjà prise aurait pu arriver aussi vite, mais 1) c'est pas parce que j'ai arrêté les mecs que j'ai une subite envie de me mettre en couple et 2) j'avais eu ma première crush IRL sur une meuf compatible sexuellement et that's a bingo. 

Mon, la douche froide est arrivée peu après quand j'ai appris qu'elle avait 19 ans et qu'elle était donc plus jeune que deux de mes neveux à qui j'ai changé les couches. 

Depuis, je ne rencontre que des vingtenaires, et c'est avec elles que je m'entends clairement le mieux. Certaines ont beau me dire que la différence ne se voyant pas (elles pensent toutes que j'ai leur âge avant que je le précise ou qu'une obscure référence des années 90 ne me trahisse), c'est pas problématique, je reste super gênée par ce gouffre d'une dizaine d'années entre nous. Surtout à cette période de nos vies, elles sont toujours étudiantes, ou en tout cas vivent tout comme, et je suis dans la vie active depuis 10 ans. Flirter avec ces meufs reviendrait, pour moi, à être ce dude creepy à la sortie des écoles. 

Bizarrement, ça me gênait moins avec les mecs. Mais je passais rarement plus de 24h avec eux. Mais même au fond de mon alcoolémie de retour de boîte, je m'assurais qu'ils étaient toujours et tous majeurs. C'est vous dire où ça se place sur l'échelle de mes valeurs.

Je ne l'ai jamais revue. Le confinement. Pas sûr qu'elle soit restée en France ou qu'elle ait pu y revenir. La vie. De toute façon : sa meuf. Bref, c'était une jolie première expérience sensorielle. J'ai 12 ans à nouveau.

Depuis, il y a eu deux ou trois crushs, très très sages. Je suis la woman alpha, celle qui drague, c'était le cas avec les mecs, c'est bien parti pour l'être avec les filles. 
Des problèmes s'enfilent à l'horizon, dus à mon anxiété naturelle : et si elles veulent plus ? et si je fais du mal à une femme alors que je me bats contre ça tous les jours ? et si elles s'aperçoivent que mon corps, lui, n'a plus 20 ans ? 

Le chat n'absorbe pas toujours mes élans de manque de tendresse. Côté orgasmes, je suis en auto-suffisance parfaite, mais la nature humaine me fait parfois chercher du lien là où cela n'est pas encore possible. Ce qui est formidable, c'est que j'en ai conscience. 

Et quand je me projette, nouer un contact humain, avec tout ce que cela peut entraîner, me fait bien plus peur que rester dans ma zone de confort et attendre de voir. 

Mes amies d'avant, elles, en sont encore à me poser des questions sur celui avec qui il ne s'est rien passé, qui, s'il ne partira jamais vraiment, s'il est à l'origine de tout ce chambardement de vie, s'il est peut-être mort à l'heure qu'il est pour ce que j'en sais, ne fait plus partie de mes préoccupations. 

Je tiens à avancer lentement, et respecter mon rythme. Peut-être que je resterai seule toute ma vie, j'ai survécu 30 ans ainsi, après tout. Cela m'effraie bien moins que retomber amoureuse un jour, si je suis honnête. 


lundi 8 juin 2020

Who's gonna save them from you?




Depuis ma dernière note, je suis entrée chez les voisins. Même si j'aurais préféré que ça n'arrive pas.

Je me donne corps et âmes à deux causes : gagner de l'argent (afin de rester indépendante le plus longtemps possible) et le militantimsm. 
Souvent, quand je forme des nouvelles colleuses, elles me demandent "mais comment tu as le temps de faire tout ça ?" généralement je réponds que je ne dors pas, mais c'est faux, si je ne dormais pas, je retomberais en dépression et tout déraillerait. Quand je suis un peu plus franche je dis "J'ai pas de vie." et c'est déjà plus vrai. 

Quand je ne forme pas, ne colle pas moi-même, je peins les slogans à tours de bras, dans mon temps libre. Ce samedi là, j'avais invité deux trois colleuses à venir profiter de ma cour pour une session peinture. Tout était calme, le soleil brillait et à part des bourrasques facétieuses, j'avais tout pour apaiser enfin cette tension qui ne me lâche jamais. 

Les copines sont parties, j'en attendais une autre. J'en profite pour manger. C'est là que j'entends un râle. Je pense à un chat en chaleur et puis j'entends des mots. Je comprends vite.

La vieille-voisine appelle sa fille à l'aide. Je me souviens rapidement qu'elle l'a prévenue qu'elle sortait et ne rentrait pas de la soirée. Je me dis qu'il y a un espoir que ça passe tout seul, même si je n'y crois pas, alors je finis mon repas, et ma pote arrive.

Là, alors qu'on aurait dû peindre et boire un coup, ma conscience reprend le dessus, et je lui explique la situation. 

J'appelle le SAMU afin d'avoir quelqu'un au téléphone qui puisse prouver que je ne suis pas entrée par effraction. Quelque part, j'espère que la porte sera fermée. Que mon rôle s'arrête là. 

Mais non.

Quand j'entendre, une odeur âcre m'emplit les poumons, et je mets quelques secondes à situer la vieille.
Elle est étendue de tout son long sous la table de la salle à manger, son pyjama ne couvre pas tout son ventre et elle geint à l'aveugle.

Je décris la situation à la dame du SAMU qui a l'air de pas du tout maîtriser la situation. Je tente de relever la voisine, mais c'est un poids mort de plus de 80 kilos, à vue de nez. Impossible. Elle n'est d'aucune aide et n'entend rien. Son appareil auditif semble capter des ondes radios. 

Je finis par persuader la dame du SAMU de m'envoyer les pompiers. Elle semble fébrile, prend mon adresse 5 fois. Je raccroche et appelle la fille de ma voisine. Celle-ci décroche et je l'entends dire à quelqu'un d'autre "ça c'est encore maman...". Elle est hyper calme, voire même non concernée. Elle m'a dit que j'ai bien fait, et de juste préciser que sa mère est diabétique.

Ma pote est venue m'aider à mettre la vieille sur une chaise mais elle ne tient pas et manque s'écrouler face la première sur le carrelage. On décide de la coucher puis de la mettre en PLS. Le pyjama est couvert de vomi et elle s'est pissé dessus. 

Je dis à ma pote d'aller attendre les pompiers devant. Ils passent sans s'arrêter. L'opératrice s'était gourrée dans l'adresse, ils vont mettre 30 longues minutes à venir.

Trente minutes pendant lesquelles, tentant de ne pas avoir la nausée, je bloquais la vieille en PLS de mon genou, appliquant tout mon poids pour éviter qu'elle soit sur le dos et qu'elle nous fasse une Jimi Hendrix. 

En trente minutes, elle a le temps de s'endormir - je la réveille - de chanter, d'avoir des hauts le cœur me faisant prier je ne sais quel dieu pour que le cauchemar ne s'empire pas, et de m'engueuler, parce qu'elle veut aller se coucher et qu'après tout, elle n'a bu que trois bières. 

Quand les pompiers arrivent, ils lui mettent un masque et je suis prise d'une crise de culpabilité : je me suis pas protégée en entrant. Puis je me dis qu'à force d'aller acheter 2 à 3 fois par jour des bières, elle a depuis longtemps dû être en contact avec le virus. 

Je me retrouve à fouiller les affaires d'inconnus pour retrouver ses papiers d'identité, ses ordonnances (couvertes de vomi séché), en entendant, hébétée, qu'ils vont emmener la vieille à l'hosto. 

Je préviens sa fille qui ne peut pas plus s'en ficher et parvient même à râler parce que l’hôpital n'est pas le plus proche. 

Alors qu'on raccroche, l'éthylotest parle : 2 grammes 6, soit plutôt 15 bières que 3. Les secours trouvent des traces de contusions plus ou moins vieilles prouvant que ce genre de mésaventures lui arrivent régulièrement. Puis ils l'embarquent, et c'est fini. Je me lave fort pour chasser l'odeur. Je bois un coup, on peint un peu, mais le coeur n'y est plus. 

Dans la nuit, j'entends du raffut dans l'immeuble, des voix masculines parlent très fort. La vieille a signé une décharge, elle est de retour avant même sa famille. Je me demande si je devrais sortir puis me dis que j'en ai assez fait. 

Je tente de dormir, la peur au ventre qu'on me laisse finir comme ça. 
Avec la peur de devenir cette baleine échouée sous ma propre table de salle à manger. 
Est-ce que l'alcool repousserait assez le chat pour l'empêcher de me manger le visage ?