mercredi 28 janvier 2015

[Diex Aïe - Part X] Seeing life through the keyhole


 
[To keep away from the black hole /
In my heart there's plenty of room /
For everyone to kill the gloom]

La "Normandie" s'est arrêtée pour moi peu après. 
Il y a eu quelques péripéties (dont une glorieuse menace de mise à la porte du lycée trois semaines avant le bac \o/) puis un sas de décompression de deux ans au Havre, mais, dans l'ensemble, la porte était claquée.

Bien sûr, il y a eu des bons moments. Des moments d'autant plus mémorables qu'ils étaient ponctuels.
Ma première rencontre avec Carl B., c'était en Normandie. 
Mon gros chat tigré, d'autant plus irremplaçable maintenant que j'ai adopté Satan, c'était en Normandie.
Mémé et Pépé, réduits en poussière, flottent dans la Seine. C'est pratique. Je la vois depuis Paris.

Le reste, d'après mes seize ans, est documenté ici et là sur Internet, j'ai mis des verrous, parfois, mais des réponses sont disponibles pour ceux qui les chercheraient.

A l'heure du bilan, je m'aperçois que je n'ai pas vraiment eu de chance dans tout ce qui relevait de l'imprévisible, mais le reste, je l'ai pris à bras le corps.
Tout ce sur quoi j'avais de la maîtrise, je l'ai bravé au mieux.

J'ai atteint le but d'une petite Johnson de 16 ans, roulée en boule contre le comptoir de la cuisine de ses cousins, à San Diego, qui pleurait parce que ses parents menaçaient de ne pas financer ses études (quand bien même ils l'empêchaient d'être boursière...) - je suis entrée à la Sorbonne.

J'ai emménagé à Paris.
Je suis devenue éditrice.
J'ai embrassé des garçons.
J'ai adopté mon propre chat.
J'ai vu les Libertines en concert.
J'ai trouvé une grande blonde qui semble me comprendre, vraiment, beaucoup et souvent.
J'ai voyagé, beaucoup. Je suis allée à New York. (Bon, on sait tous dans quelles circonstances, mais ça compte quand même).
Il ne me reste pas grand-chose à accomplir.

En fait, il reste une seule chose.

Celle après laquelle j'ai couru toute ma vie.

Je n'ai aucune prise sur l'amour, ou le fait d'être aimée un jour.
Je sais juste qu'à chaque fois que j'ai été stable, en harmonie avec moi-même et ouverte aux autres, je me suis pris des roustes plus abrasives que toutes celles administrées par mes deux parents réunis.
Ca m'a jamais empêché de me relever, même si ça a considérablement ralenti ma course en avant.

Je trouve ça dommage, d'en être arrivée là, d'avoir tout surmonté, et de ne rien trouver.
Ni satisfaction, ni fierté.

Le bilan de cette petite vie, ma vie, c'est un sur-place déguisé en mouvement perpétuel.
J'en suis au même point, là est la vérité.
Je m'en aperçois, maintenant.

Je survis grâce aux amis qui veulent bien m'accompagner un temps, grâce au semblant de famille que je me suis reconstituée from scratch. Grâce à la musique.
Comme quand j'avais 14, 15, 16 ans.

J'ai cru que je deviendrai aimable en devenant intéressante, accomplie, cultivée et drôle et pleine de ressources en matière de rockstars, de cimetières et d'histoires rocambolesques.
Je n'ai jamais cherché qu'une chose, comme on court après un appât.
J'ai dépensé beaucoup d'énergie, presque toute mon énergie.

Je pensais qu'un jour tout cela serait récompensé, forcément, par ce que je voulais le plus, au fond.

Mais je me suis trompée : il n'y a rien que je pourrai changer, ajouter, empiler à ce que je suis déjà.
Rien n'y fait, rien n'y fera.
Tout n'est que divertissement.

dimanche 25 janvier 2015

[Diex Aïe - Part IX] Some say I’m not here at all



[I’ve been searching for a heart of gold]

Spoiler alert: Je me suis ratée. 

Bahoui.

Et en même temps, ça a réglé pas mal de mes problèmes.

Dans la voiture, alors que ma mère me ramenait chez eux, elle m'a balancé toutes les mesures d'austérité qui allaient jalonner ma vie dès à présent. Plus de sorties seule, plus jamais sans surveillance, devoir répondre dès qu'elle m'appellerait (montrer "signe de vie")... 

J'ai regardé le paysage "Si ça peut te rassurer..." je lui ai dit très calmement "Ca tiendra jamais, sur la durée, vous ne serez jamais... sûrs."

Je les tenais enfin. 
Leur trouille était immense. Sûrement sincère, quelque part, mais aussi bien consciente qu'un jour je me réussisse et qu'on voit à quel point ils avaient merdé. 
J'avais désormais un sacré levier de négociation. 

Personne n'a compris, bien sûr. Car personne ne m'a jamais prise au sérieux. J'étais la petite dernière qui n'avait pas à se plaindre, qui avait toujours tout eu, et les gens pensaient imbécilement que j'avais eu de l'amour aussi.
Non. Ce concept m'a toujours échappé. 

Je n'arrive pas à me souvenir de la réaction de Mémé. Je crois que je l'ai occultée. Je crois qu'on ne lui peut-être même jamais dit. 

Quand je suis retournée au lycée, enfin, j'étais entourée. 
De silence.
Pas de moqueries, pas de piques. Juste un épais et confortable silence. 

Des murmures oui et des regards en coin, et des esquisses de "Johnson, je suis dé..." que je ne laissais pas s'achever.

Il y avait une force de la nature dans ma classe de première. Une fille que je respectais infiniment, et qui se trouvait avoir des formations de secouriste à la pelle. Elle a aussitôt vu la trace de la perf. 
Elle m'a gueulé dessus comme sur du poisson pourri. Je crois que j'en avais besoin. J'ai rigolé et puis j'ai pleuré. C'est sorti. 
Il faisait un soleil de tous les diables. 
J'ai gardé la trace du pansement sur ma main pendant des années, parce que la peau tout autour était brûlée. 

J'étais invincible. Muette et sereine. Je recevais les plus proches et leurs interrogations comme un prophète qui sait tout. Qui sait plus loin.
Et qu'est-ce que ça fait ? Et comment on se sent ?
Tout ça est venu bien tard.

Car c'est toute seule que je me suis réveillée aux urgences.
Toute seule que j'ai roulé des yeux en me disant "...et merde.". J'ai eu un bref espoir d'être dans un état critique, puis j'ai bien vu que non. Je pouvais me redresser, pas de trucs pour vérifier les battements de mon cœur. Juste cette foutue perf qui me tiraillait la peau de la main. 

De l'autre côté du rideau, une autre suicidée, une autre ratée, chouinait. Moi non.
Moi j'avais un putain de mal à l'estomac (le lavage), aux joues (les claques du pompier dans l'ambulance), au dos (mon père qui m'a traînée dans les escaliers). 
Et à la main, piquée. 

Ma voisine recevait des visiteurs qui n'avaient pas un regard pour moi, pas une parole. Des désespérés. Ses parents. Son copain. 
Moi, ...

Moi, et bien, y avait personne.

Ca m'a même pas étonné. Et c'est ça qui m'a fait le plus mal : de ne pas être étonnée que personne se soit donné la peine de rester, pour éviter que je sois seule au réveil. 

L'infirmière-de-ma-vie a dû s'y coller. Elle m'a écoutée, aimée, compassionnée, comme jamais je ne l'avais été dans toute une vie. 
Je ne connaîtrai jamais son nom. Son service était terminé après ça. Mais elle m'a déperfusée. 
Elle a fait le boulot d'un mère. 
C'était bien de voir que ça aurait dû être, même pendant un court moment.
Je ne l'oublierai jamais. 

Elle m'avait repêchée alors que j'errais dans les couloirs du C.H.U, en blouse d'hosto, nageant dans la gênance que le premier mec à m'avoir déshabillée soit un inconnu qui venait de me gifler. Je tenais la perf du bout du bras, comme une lanterne. J'ai fini par trouver les toilettes et m'y enfermer un moment, pour faire le point. Me demandant si je pouvais me barrer et n'avoir rien à affronter le lendemain. Et puis la vue de mon sang sur le carrelage m'a fait revenir bien sagement à ma chambre.
La perf me charcutait. 

Un clodo m'a demandé pour la troisième fois un stylo, alors même que j'étais aussi nue que lui. 

J'ai compris, cette nuit là, qu'il n'y avait jamais rien à attendre des gens, mais que je ne pourrai jamais non plus ne rien attendre tout à fait. Que mon petit cœur qui s'était accroché hurlerait toujours "Surprenez-moi !" "Prove me wrong!".

J'avais survécu. C'était pas étonnant, ça aussi je l'avais raté, mais maintenant, au moins, plus personne ne pouvait faire l'autruche.
Ca a parlé. Ca a parlé moyen, et pas longtemps, et comme chez Ces gens-là. 
Ca n'a rien arrangé, sur le long terme, mais j'ai eu quelques instants de paix de l'esprit. 

Ma plus grande erreur aurait été de ne pas le faire.
De me taire, et de me tuer plus sûrement encore. De disparaître de l'intérieur. De me compromettre.

Je me suis dit qu'il n'y avait plus si longtemps à tenir. Une année à tirer, mais une année d'aînée régnant sur le lycée, et ensuite, la gloire, les garçons sûrement (enfin !), Paris... La vie.

Mais, spoiler alert: personne ne m'a jamais surprise. 

And nobody ever proved me wrong.

mercredi 21 janvier 2015

Riptide


Bien sûr que non je vous dirai rien.
Bien sûr que non je dirai rien.

C'est un peu comme si on m'avait prise par surprise pour le test universel.

"Hey Johnson ? T'as toujours tout dit, mais là tu dis rien, hein ?"

Oui. Non. Là, sûr de sûr, je dirai rien. Même à mon pire ennemi, je dirai rien.
Parce que non.
Non.

Je refuse que ça existe.

J'aurais aimé être de ces âmes qui peuvent se reposer dans les bras d'autres.
Mais t'as pas voulu de moi.
Je regardais vers le haut, tes traits plus que parfaits,et j'osais, sans un souffle, espérer.
Ptet que j'aurais mieux tenu.
Ptet que non.

Voilà. Je suis seule sur un quai. Seule sur un métro.

Peut-être que j'étais faite pour ça : digérer ce que les autres ne peuvent pas assimiler.
Etre le pilier.

J'ai jamais espéré de pas être seule. Parce que c'était clair. J'étais faite pour ça.

Mais des bras peuvent faire douter.
Peuvent faire penser, pour un instant. Pour un instant seulement... Qu'on est fait pour plus.

Que peut-être, oui, peut-être qu'on s'est trompé toute sa vie. Et peut-être que t'es là pour rectifier le tir ?

Ah ? non ? Au temps pour moi.

C'est que je voyais les autres tourner et valser et s'aimer et que j'ai cru que peut-être. Non mais...

Non mais... c'est moi.

J'aime pas quand les autres présument, j'aurais jamais dû présumer.

J'étais bien, moi, là. J'ai rarement été bien. Mais dans tes bras, à ce moment là, oui, j'étais bien.

C'est pas rien. C'est pas beaucoup, mais c'est pas rien.

Je n'ai jamais servi à grand chose d'autre que faire prendre conscience aux gens ce dont ils avaient vraiment envie.

Je n'ai jamais mérité rien d'autre que des hochements de tête lointains.
Et même ceux-là, je ne les ai pas.

Le ciel est noir, je n'ose confronter le nombre d'étoiles qu'il daigne m'offrir.
Je sais que je vais blesser des gens en quittant tout ça.

Mais est-ce bien raisonnable de vouloir me garder ici quand je ne suis rien pour personne ?

lundi 19 janvier 2015

[Diex Aïe - Part VIII] It's better to stay away



[ From games you don't know how to play / 
And when you notice it's too late anyway / 
Cause they change the rules day after day. ]


Je ne peux toujours pas trop parler de lui. J'avais 15 ans. Ca m'a poursuivi jusqu'à mes 17. 

Ce que je sais, c'est que tout ce qui le touchait était extrêmement grave. 

Je prends la vie à 100 000% de ce qu'elle devrait me faire ressentir, à cause de mon hypersensibilité maladive et de mon système nerveux poreux, et lui c'était un multiplicateur infini. 
C'était dur de vivre ça. De tourner comme un lion en cage avec cette certitude complètement fausse, que je n'étais à la hauteur de personne. ("Fausse", je l'ai compris après 8 ans, tout de même, mais après l'avoir entendu de toutes part pendant 4 ans, même le plus robuste des entêtements cède).

J'avais la sensation, du haut de mes quinze petits printemps, que plus rien ne pourrait m'arriver de ce côté de ma vie. J'avais fait le deuil d'avoir des relations viables, un jour, avec quiconque.

J'avais un groupe de potes oui, mais on était plus dans la dictature et l'habitude qu'autre chose. La classe de seconde est un état transitoire : bientôt la première allait nous propulser aux quatre coins du lycée, voire du département, et j'allais de nouveau (sur)nager seule.

Du coup, je me suis rabattue sur une idole. Un chanteur qui semblait comprendre tout ce qui m'arrivait mieux que moi. J'ai tout mis dans ma "relation" avec lui. Dès que j'ai eu internet à la maison, j'ai créé une petite communauté le concernant, et j'ai enfin trouvé des gens qui me ressemblaient. Ca a été le début de beaucoup de choses. 

Et puis, et puis. Et puis... Et puis il y a un vendredi soir où tu rentres, mais 5 minutes à peine, le temps de prendre tes affaires de dessin et où on t'interrompt. Pour te dire un truc vachement grave en plus. 
Ca se fait vraiment pas, ce genre de choses.

C'était beaucoup trop compliqué, tout, pour que ça arrive maintenant.

Je suis retournée dans ma unhappy place. Je me suis beaucoup tue.
Sauf quand cette connasse de prof d'Allemand a insisté pour que je lui dise pourquoi j'avais été absente à deux de ses cours. 

"Raison familiale, c'est écrit là."
"Non mais ça veut rien dire ça."
"Bah c'est ma justif, ça a été validé."
"Il va falloir m'en dire un peu plus si tu veux que je te note présente."
La classe s'impatientait derrière, mais tendait l'oreille en même temps.
"Je... J'ai..."
"OUI ?"

"Mon grand-père est mort."

Je l'ai dit assez fort pour que tout le monde cesse de spéculer. Pour que la prof se prenne une bouffée de culpabilité d'avoir voulu fouiner dans mon caca.
"Ah oui. Ah bien. Désolée, du coup."
"Du coup, je vais m'asseoir hein, du coup."
"Oui, du coup, oui."

Johnson a eu dès lors un regard très noir. Des yeux très méchants. Des sourcils très froncés. Mais ça n'était plus occasionnel. Ca a été tout le temps. Tout le temps. Tout le temps.

La rage et le feu et pas grand-chose d'autre. Tout était révolte. 
Me réveiller à 6h30 parce que le ramassage scolaire passait en premier par chez nous. Arriver trop tôt, devant des portes closes. Se geler. Chopper maladies sur maladies parce qu'on dort jamais assez, quand on se lève à 6h30 du matin et que ce putain de ramassage scolaire nous ramène qu'à 19h. 

Mes parents se sont obstinés sur la règle du "couchée à 21h, extinction des feux à 21h30" pendant mon année de seconde et ont vite compris que rentrer du lycée, manger et faire mes devoirs me transformaient un peu plus en monstre chaque jour.
Du coup, à partir du moment où je suis devenue bad Johnson, avec son coeur en berne dont personne ne voudra, avec son corps qui change plus vite que la musique, avec ses amis qui se barrent aussi vite qu'ils sont arrivés, avec son roc qui venait de se faire crématiser et éparpillé dans la Seine - ébranlant par là même une Mémé devenue encore plus muette, depuis ce moment, oui, mes parents ont commencé à me ficher la paix. 
A partir du moment où je la fermais, où je me faisais oublier, ils ont commencé à arrêter de me chercher des noises. 

J'ai squatté une autre chambre que la mienne, sans trop leur demander leur avis. Celle où il y avait Internet, et j'ai vécu là. Mes vêtements, mes cheveux, mon rare maquillage devenant tous les jours plus sombres, alors que le sommeil me quittait totalement.
Tandis que je décortiquais le plafond, à tout moment je pouvais exploser. Non : imploser.

J'étais en première. Il est mort. Je n'ai plus dormi. Et...

Un soir tout a été réuni. 

Les somnifères prescrits pour mes sévères troubles du sommeil.
La vodka qui lambinait dans le frigo familial. 
L'humiliation publique, dans le bus qui me ramenait épuisée d'une journée de combat contre tout et tout le monde. Une journée de plus.
L'humiliation publique comme avant, mais cette fois...
C'était devant lui. 

Et il a ri.

Il a ri.

Alors, ivre de sanglots, je me suis traînée jusque ma maison. Sans trop comprendre que j'étais blessée mortellement. Je me suis arrêtée sur la tombe de mon vieux chat. J'ai vacillé. Le cul dans l'herbe j'ai pleuré sans respirer. J'étais abattue. Finie. Transpercée de part en part par la vie. 
Il ne me restait plus rien. 
Enfin...

Enfin si. Sûrement que là, ma mère allait comprendre. Sûrement que là, quelqu'un allait se dire "c'en est trop" "une personne ne peut pas en supporter autant" "viens là, on va tout arranger.".

Alors je me suis remise debout, sans grâce. J'ai traîné mon sac trop lourd et mes jambes jusqu'à la maison. Ma main a finalement maîtrisé ses tremblements, assez, en tout cas, pour que je vienne à bout de la serrure. Dedans, un vacarme assourdissant. Ma mère gueulait contre mon père, le chat et ses casseroles. Oui, les trois en même temps. Et par-dessus ça, mon père répliquait, le chat répliquait et les casseroles aussi. Oui, les casseroles aussi. Et le téléphone sonnait. 
Ca je ne pourrai jamais l'oublier. 
Je suis passée devant. Parce que j'étais pleine de tout un tas de liquides se déversant de tous un tas d'orifices de mon visage. Parce que même si j'avais pu soulever le téléphone, j'aurais pas pu parler.
Parce que je voulais pas qu'ils décrochent, je voulais qu'ils me voient.

Je suis arrivée devant ma mère, finalement, après au moins 8 mètres qui ont paru une éternité. 
J'ai découvert encore plus de bruit et de fureur. J'étais au milieu du chat, de l'engueulade et des casseroles. Avec ma morve, mes pleurs et sans téléphone à la main. 
Je suis allée sur le balcon. Essayer de me faire remarquer comme ça. De montrer à ma façon que ça n'allait mais alors vraiment vraiment vraiment pas.
Oui mais voilà.
J'étais coupable du crime suprême. Je n'avais pas décroché le téléphone, et maintenant c'était trop tard. 
Et qu'allaient penser les gens, au bout du fil ? 
Et si c'était important ?
Je ne servais vraiment à rien, selon ma mère. A part être dans le chemin.
Oui.
Elle se doutait de quelque chose, car depuis quelques temps, je n'avais plus le droit de prendre mes somnifères moi-même. Elle les cachait et me les donnait. Mais je savais parfaitement où.

Alors, quand elle est retournée dans la cuisine, il faisait jour, et joli avec ça. La nuit ne tombait pas. C'était un printemps à température confortable. Un joli printemps. Quand elle est retournée dans la cuisine je l'ai suivie. Me reprenant des averses de foudre. J'ai caressé la tête du chat.

Pour lui dire au revoir.

Je ne pouvais pas faire mieux.

A travers le voile de mes larmes, j'ai pris les médicaments, pendant que ma mère composait le 31 31 pour savoir qui l'avait appelé. Qui je lui avais fait manquer. Puis elle est revenue m'insulter. Me couvrir d'autre chose que ce que j'avais osé espérer. Alors, sous ses yeux. J'ai ouvert le frigo.
Je n'avais pas le droit de me servir seule. De manger plus que ce qu'elle m'allouait. Mais j'ai quand même ouvert le frigo.
J'ai sorti la bouteille d'eau pour faire diversion et j'ai chopé la mignonette de vodka. Aussi vite glissée dans ma poche.

Et puis je suis montée dans la salle de bain. Je me suis enfermée.
J'ai regardé mon reflet.
J'ai décidé à l'unanimité que tout cela n'était pas rattrapable. Qu'à la limite si on était dans une partie de jeu vidéo, je recommencerais tout à zéro. Mais c'était pas le cas.
Alors j'ai haussé les épaules, j'ai sangloté/soupiré et je me suis éloignée.
Sur la commode blanche, j'ai pris les pilules une à une, puis deux par deux, entrecoupées de vodka. 

La salle de bain, c'est le seul endroit qui fermait à clefs. Du coup, même s'ils se doutaient d'un truc, ils l'auraient tous dans le cul. Ils me trouveraient qu'après avoir sacrifié leur porte. Et je pense pas qu'ils auraient sacrifié leur porte avant un siècle au moins.

Après avoir vidé la plaquette, je me suis sentie un peu conne. 
Pas de ce que je venais de faire, non, pas du tout même, c'était à peu près la seule chose dont j'étais vraiment sûre, mais conne d'en être réduite à attendre.
Et maintenant ?
Et si ça marchait pas ?
Et si on m'avait filé des placebo ? 
J'ai avalé encore de la vodka, pour être sûre. 

Et maintenant ? Putain c'était long. Putain que c'était long. 
Je me suis regardée devant l'autre miroir. Le rond. Et j'ai souri. J'avais enfin eu le courage de le faire.
Ca y était.
C'était peut-être pour ça que ça mettait du temps. C'était pour que j'ai tout le loisir de profiter d'avoir agi, pour une fois dans ma vie. De ne pas m'être laissée faire. 

J'étais contente. Apaisée. Je me détendais.
J'avais absolument aucune conscience que c'était, en fait, les médicaments qui me rendaient heureuse. 

Puis j'ai refroncé les sourcils : mais ? Et un mot d'adieu ? Pour leur dire que même si on les réconfortait en leur jurant que c'était pas leur faute, si si, ça l'était ? Parce que merde. Faudrait pas mettre ça habilement sur le dos des jeux vidéos, des internets ou que sais-je ? Et puis y avait quand même mon ami d'enfance, que j'aimais beaucoup et à qui je voulais tout léguer. Même s'il m'avait encore plus souvent abandonnée que tout le monde, il avait le mérite d'être toujours revenu, lui. Enfin, 99% des fois quand je lui demandais, mais il acceptait. Il acceptait ma présence dans sa vie cool, alors je pouvais bien lui léguer ma gameboy.

Alors je suis retournée dans ma chambre. J'ai réussi, après de gros gros efforts qui me rendaient euphorique - ayé, enfin, ça faisait effet ! - à trouver papier et crayon. Je crois même que c'était un crayon tout nul, mais j'avais pas - plus - la force d'en chercher un autre. J'ai scribouillé ça. Je me suis amusée du fait que je dépassais de plus en plus, que ça voulait plus rien dire. J'ai fini par inscrire seulement des mots clefs. Oh le poster de Buffy en 5D ! C'est trop cool. Je savais pas qu'il y avait une cinquième dimension ! Merde. Je suis plus dans la salle de bain. Du coup je suis pas enfermée à clef. Merde. Merde. J'arrive plus à me lever. Si je m'effondre là, ils vont me trouver. Non non non... Pourquoi il faut toujours que je foire tout ?

Et puis la nuit.



dimanche 18 janvier 2015

[Diex Aïe ! - Part VII] Here comes another day



[The bird of prey has finally flown away]


Et l'amour dans tout ça ?

Parce que j'ai bien conscience que je ne parle que de ça, ici et dans la vraie vie, et que je vous fait mon autobio accélérée en évitant le sujet. 

Disons que l'amour physique n'a commencé qu'une fois le lycée terminé. Dans le sens où j'ai connu mon premier baiser à 17 ans, une fois mon bac en poche. J'ai toujours été un peu à la masse au niveau des relations humaines. 

L'amour théorique, quant à lui, m'a rendu malheureuse dès la sixième. En primaire, je n'avais que des idoles de papier glacé. J'étais folle de Léo Dicaprio, et l'avenir m'a donné raison. J'ai toujours eu un goût très sûr, en matière de garçons.

Au collège, quand mes hormones ont commencé à venir toquer à la porte, je pensais que ça m'arriverait comme à tout le monde, de sortir avec un mec. Que c'était un passage obligé. 
Ca a fait partie de mes désillusions terribles. 

Moi la néonazie de l'hormone n'aimant que les blonds aux yeux bleus, j'ai commencé par avoir des crushs sur des types s'appelant Farid, Omar et Salah. Autant vous dire qu'ils ne correspondaient que de très loin à l'idéal "Léo". 
Ils étaient tous très populaires et ne m'auraient donc envisagée pour rien au monde. Je les ai gardés comme des secrets, sous clef. Je les regardais quand je pouvais et je m'imaginais dans quel monde science fictionnel ils pourraient être approchables.
Aucun scénario n'était viable. 
Dans l'ensemble, même si je ne le vivais pas très bien, ils n'ont jamais été horribles avec moi. Je crois qu'ils avaient un bon fond, tous les trois. Ils se sont foutus de ma gueule quand notre société moyen-âgeuse ne leur en donnait pas le choix, quand il n'y avait personne d'autre sur qui taper. Mais le dernier, par exemple, me prenait toujours dans son équipe, en EPS, avant que je sois la dernière choisie. Parce que je le faisais rire, parfois. 
Et ça, c'était m'épargner un déshonneur de plus. Et c'était cool. 

Je savais pertinemment qu'il me faudrait attendre l'après. Je me disais qu'au lycée, peut-être... mais je tentais de ne pas m'emballer. 

Il n'y a eu qu'une exception au collège, quand même. F. un garçon un peu limité mais drôle et qui a été ce qui se rapproche le plus d'un "pote" pour moi. Quand j'ai appris qu'il allait déménager, et changer d'établissement, mon coeur s'est emballé. J'étais au pied du mur, bien forcée d'admettre que oui, ptet qu'en fait c'était plus qu'un pote. Alors je me suis pas dégonflée. J'ai fait un truc fou. Je lui ai filé mon numéro, sur un petit bout de papier, en lui disant que ce serait con qu'on perde le contact, après. 

Fière de moi, je suis allée récupérer mes affaires. Il faisait beau ce jour là, je crois. C'est assez rare, en Normandie du haut, pour être noté. Quand je suis sortie du bâtiment, j'ai repéré F. en pleine discussion avec un pote à lui. J'étais tout près d'eux, je me suis dit que j'allais les rattraper (en pleine crise de confiance, la meuf), arrivée presque à leur hauteur, je l'ai entendu dire "...T'sais quoi ? Y a Johnson qui m'a filé son numéro" "Oh ? Et tu vas en faire quoi ?" "Bah qu'est-ce tu crois ? *rire gras*". 

Je n'ai pas eu le temps de comprendre, d'interpréter. 
J'ai vu F. faire une boule de mon petit papier et le jeter par dessus son épaule.

Nombre de mes copines ponctuelles m'ont abandonnée parce que je les empêchais d'accéder à un statut social où elles pourraient avoir un copain. La plupart ne s'emmerdaient pas et se mettaient à m'insulter, comme les autres, en présence du garçon de leur choix. De toute façon, si ça marchait pas, je serai toujours à la même place quand la tempête serait passée... Je n'ai jamais été un sacrifice, ni même un dommage collatéral. 

Donc, même accompagnée, j'étais seule. C'était plus supportable, mais pas tout à fait quand même.

Alors rien que le fait qu'on me foute la paix au lycée. Qu'on accepte que je sois seule était une avancée grandiose. Je n'avais quasi jamais à raser les murs. Ce n'était plus à la mode de prendre en grippe un individu. Et surtout, il y avait tout à coup pire que moi. J'étais sortie des égouts et j'errais dans le caniveau. 

J'ai profité de ce calme pendant un bon trimestre de seconde avant d'avoir le coeur déchiré par quelque chose de nouveau.
Cette fois, ce n'était la faute de personne. Cette fois, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même.
Cette fois, j'étais dans la merde. Parce que cette fois : j'avais eu le coup de foudre.



samedi 17 janvier 2015

[Diex Aïe ! - Part VI] I'm bored to death on this flight


[Will you help me kill some time?]

On pourrait croire qu'au lycée tout serait allé mieux. C'est pas faux. Il y avait enfin quelques challenge intellectuels, mais aussi beaucoup de matières où on te maintenait la tête sous l'eau bien fort jusqu'à temps que tu hit rock bottom. 
"Vous voyez bien qu'elle est littéraire !". 

Quelque part au milieu de mon année de seconde, on m'a dit qu'il était impératif que je retourne au collège.
Je n'étais pas en position de refuser. 
Ce moment où tes cauchemars deviennent tangibles. Ce moment là, cette marche à l'échafaud du retour sur les lieux du trépas.

Pour rajouter à cette séance de torture, le diplôme du brevet (sérieusement ? rien que ça ?) était remis devant tout le monde et on devait traverser le vaste réfectoire pour aller le chercher. Chaque avancée d'élève se faisait sous couvert d'applaudissements. 
Je suis plutôt de la fin d'alphabet et j'égrenais un chapelet intellectuel fait de prières à n'importe qui, en bonne athée que je suis. 
Bien sûr, les populaires, les drôles, les beaux, même les intellos sympas étaient accueillis avec des salves et des cris et des sifflets enthousiastes.
Quand on est arrivés aux "J" comme "Johnson", j'ai serré fort les fesses et pensé à la France. 

Bien sûr, personne n'a applaudi. J'ai glissé sur le lino. Pas trop lentement, pas trop rapidement, pour traverser, encaisser.
Puis un prof ou deux, voyant ça, ont commencé. Alors les deux personnes assises à côté de moi les ont suivi, sûrement saisis par l'impérieuse idée que j'allais me rasseoir bientôt et qu'il faudrait garder la face.

Ils m'auraient lapidée que ça n'aurait pas été pire.
Non, j'exagère pas.
Parce que du temps où j'étais en quatrième, ils m'ont lapidée.

Un caillou dans le nez, bouleversant la seule symétrie qui me restait. 

Je suis rentrée chez moi, avec une blessure silencieuse. Me disant que le lycée n'y ferait rien.
Que ce qui était bien. Que ce qui était mieux. Que ma vie, la vraie, commencerait... après. 

mercredi 14 janvier 2015

Mad World



Il y a un nouvel homme dans ma vie.
Depuis un peu moins d'une semaine.

Ca tombe bien. Ces derniers jours ont été de ceux où il est capital d'avoir une paire de bras à portée.

Il est de taille moyenne. A des yeux couleur noisette, sûrement. Les cheveux très courts, trop court. Habillé de couleurs sombres. 

Il est là.

Je l'ai pas choisi. 

J'ai pas compris, au début. Je l'ai croisé une première fois. Je me suis dit "Oh, une nouvelle tête.". Puis une deuxième. Puis une troisième. Et il était toujours là.

Debout à côté de la machine à café, dans l'alignement des deux accès aux ascenseurs.

Car, oui, le nouvel homme qu'il y a dans ma vie est à mon boulot.

Je le regarde, à travers la vitre du bureau, et je me demande ce qu'il fait exactement. Et pourquoi.
Et mon cerveau essaye encore une fois, vainement, de comprendre comment on en est arrivés là.

Lui me regarde en coin, puis retourne faire sa ronde, après avoir tripoté son oreillette qui dépasse un peu trop pour rendre cet être civil. 

Tant qu'il s'ennuie, on est vivants.

J'ai deux nouveaux voisins, aussi.
Un garçon, une fille.
Ils ont un grand camion et ils restent debout, toute la journée.
Ce matin, ils avaient un grand café. Parce qu'il fait froid, malgré leur armure.

Mes deux nouveaux voisins ont une armure, oui. 
Ils se tiennent prêts. 

Je leur passe devant pour aller au travail, je serre dans ma poche le badge que je dois dorénavant avoir tout le temps sur moi. De mon autre main, je dégage mes cheveux pris dans l'autre badge, celui que j'ai fixé moi-même à ma boutonnière, et que je veux dorénavant avoir tout le temps sur moi.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, j'ai écrit un truc qui se voulait drôle, et puis je l'ai pas publié, me disant que je le relirai à tête reposée. 
Mais le matin, ce sont les sirènes qui m'ont tiré de mon sommeil.

Depuis quelques jours, je n'ai plus besoin de réveil.

Mardi dernier, j'ai pleuré à cause des cadavres de sapins qui jonchaient les rues, à cause d'un shar-pei abandonné dans une gare écossaise, avec sa petite valise. 
Alors mercredi...

Mardi, je pleurais aussi ses bras à lui. Un peu sans raison. Parce que le manque.
Depuis mercredi, j'ai plein de nouveaux bras, dans ma vie. Avec des brassards et des écussons. Des bras qui fouillent mon sac, à l'aller, au retour, à l'entrée et sans détours. 

Mardi je pleurais pour rien, je pleurais pour moi. 
Mardi, c'était le monde d'avant, le monde où on n'était pas encore habitués à l'horreur.
Est-ce qu'on s'habitue ? On fait avec.

L'horreur flotte, au détour des conversations, dans les mines détournées, dans les crayons posés, dans les journaux télés. 
On n'a plus de larmes mais on a des mitraillettes, dans les maisons d'édition. 

Alors voilà mon uchronie : c'est ma vie, elle est pareille que mardi.
Il y a juste un homme armé devant mon bureau. 
Il y a juste deux policiers, devant le journal en face de chez moi.


mardi 6 janvier 2015

[Diex Aïe ! - Part V] Crush!


[I can't bury the hatchet]

Personne ne m'avait préparé à ça. J'ai débarqué dans la 4ème dimension. Habillée comme une petite fille du dimanche. Persuadée d'être dans un concours de cerveau, à lever la main tout le temps. 
J'avais tout faux. Et je me suis fait détruire en moins de deux. 

Alors oui j'avais un gros égo, mais les enfants sont prétentieux par défaut.
Effectivement, il doit y avoir une grosse part de slapette au fond de moi, mais on a beaucoup encouragé cela dans les premières années de ma vie. La petite dernière saute une classe, ça prouve qu'on a bien eu raison de la faire, finalement. 

A 11 ans, j'entrais donc en sixième avec un passif de warrior, persuadée que rien ne pourrait m'arriver. J'avais imposé mon végétarisme, le fait que je sois gauchère, j'avais adopté un chat errant un peu sauvage, je brillais de partout et, dernière victoire en date : j'avais vaincu les tocs générés par ma déstabilisation désorientée du CM1. C'était pas rien. 

Le premier jour, les plus grands m'ont envoyé des balles de tennis dans la gueule, tirées au pied. Parce que j'étais au mauvais endroit dans la cour. J'ai appris que j'avais un rang, un statut, imposé par les autres et donc une place. Un monde plein de règles absurdes qui allaient me bouffer l'existence. Un sac trop lourd à porter comme un fardeau, mais si tu le poses, les autres l'explosent ou te dérobent tout à l'intérieur. J'étais Sisyphe, d'un versant à l'autre de la montagne. 
J'ai essayé pourtant. Avec la première fille à côté de qui j'étais assise. Elle m'a repoussé gentiment, en ne m'adressant juste pas la parole. 
A la cantine, il fallait impérativement rendre son plateau en l'ayant jumelé avec celui de quelqu'un d'autre. Ca paraît con, dit comme ça, mais ça m'a pourri tous les jours pendant 4 ans. 
Parce que j'étais souvent seule le midi, et que ces connasses de dames de la cantine n'acceptaient pas les plateaux cumulés par trois. Allez savoir pourquoi. 

J'ai dû, moi et mes débris d'égo, aller supplier mes congénères qui mangeaient à trois de bien vouloir me céder leurs rogatons, que je puisse enfin sortir de la cantine. 

C'était une bataille constante. Avec en point d'orgue, les humiliations des vestiaires de sport. Au moment où le corps devient complètement foufou et les hormones rendent cinglé. 

Et côté académique, j'ai commencé à me rendre compte que je n'étais pas invincible, que j'avais mes qualités, indiscutables, mais aussi mes faiblesses. On ne pardonne pas, quand on est un élève de sixième, à une gamine qui se met à pleurer pour un 16 en anglais. C'est qu'on ne s'imagine pas ce qu'elle se prend quand elle rentre chez elle.

Les années d'or de chez Mémé étaient bien loin. Et les week-end étaient désormais des enfers où j'avais des comptes à rendre sur tout. Où un 18 était un "peut mieux faire", où il fallait que je justifie chaque demi point de perdu, où mes rares moments de décompression étaient pourris par l'annonce que je devais faire d'une note un peu décevante à mes parents.

Puis, il y a eu les devoirs à la maison de math, ces choses déconcertantes qui me laissaient circonspecte. Ma mère n'a jamais été patiente, mais là, c'en était trop. Je suis retrouvée plus d'une fois propulsée contre le mur en même temps que mes cahiers, livres et ma trousse qui volait en se vidant de son contenu. 

Je me souviens très bien de mon envie de vomir quand les profs anéantissaient mes perspectives de vacances avec la distribution des sujets "à faire à la maison". 

Au milieu de tout ça, je me suis raccrochée à un roc, une jeune fille turque super dégourdie, qui s'est élevée toute seule, jolie comme un coeur et qui m'a prise sous son aile. Avec elle, je découvrais le côté moins middle-class de ma ville. Elle m'impressionnait vachement. Sur plein de trucs. Effectivement, académiquement, elle traînait la patte, mais elle parlait deux langues parfaitement, s'occupait de sa mère qui elle, ne parlait pas français, et devait faire avec les obligations de son éducation, encore plus rigide que la mienne. Je l'adorais, je crois. Et elle s'affichait avec moi sans sourciller. Je n'étais plus seule.

Alors quand mes affaires ont commencé à disparaître, quand ses potes un peu loubards traînaient avec nous et que ça coïncidait avec la subtilisation de mon porte-feuille, quand elle mentait éhontément devant moi : je la croyais de toute mes forces. Je la défendais jusque devant mes parents. Au risque de me prendre ce qui leur passait par les mains à ce moment-là. Je me disais que c'était rien que des racistes et qu'ils savaient pas ce que c'était que l'amitié. 
Elle m'a pris énormément. Au propre comme au figuré.
Et c'était tellement dur à accepter que ce n'est que quand j'ai eu 20 ans que j'ai relié les points. Que j'ai vu clair. Que j'ai compris qu'elle me manipulait et me soutirait tout ce qu'elle pouvait. 
Bientôt, elle a trouvé une proie plus riche que moi, et j'étais à nouveau seule.

Seule le matin, à faire semblant d'attendre quelqu'un jusqu'à ce que la cloche sonne. 
Seule pendant les cours, à devoir supplier pour pouvoir m'asseoir, accumulant les refus.
Seule pendant la récré, à essayer d'éviter les coups et les insultes.
Seule pendant la remise des copies et devant l'angoisse de l'annonce future à mes parents.
Seule à la cantine.
Seule pendant le sport.
Seule pendant l'étude, seule durant les coups dans le dos.
Seule en rentrant chez moi, en mâchouillant mon goûter avec le regard vide.
Seule, enfin, en ne parvenant pas à trouver le sommeil, parce que trop de choses à digérer. 

Mais pas plus seule que ce jour où, avec le coude brisé en mille morceaux - la fille la plus populaire m'ayant projetée à terre pour faire trébucher un troisième qui lui courrait après - j'ai compris que mes parents ne prendraient pas défense. Qu'aucune plainte ne serait déposée. Pour préserver les apparences.

J'ai compris qui était mon véritable ennemi dans la vie : les apparences et ceux qui s'y attachent.  


lundi 5 janvier 2015

[Diex Aïe ! - Part IV] Defender



[Don't you know that I've been / Runnin' since I was 16 / 
My feet are just so heavy / That I can't bear to stand]

Si la maternelle m'avait donné un bon aperçu d'à quel point le monde, en dehors de chez Mémé, pouvait être injuste, ce n'était rien à côté de ce que j'allais ramasser en CM1, une fois sortie de la couveuse maternelle.

Disons que durant mes trois premières années de primaire, j'étais le roi du pétrole. Une vraie princesse, au sens premier du terme. J'étais la fille de la maîtresse et donc j'avais le droit à des privilèges : personne n'osait m'emmerder. Etre mon ami(e) protégeait automatiquement des autres. Les parents de mes petits camarades les poussaient à se faire bien voir de moi donc j'avais nombre de cadeaux, un petit copain factice forcé par sa môman et tout le monde venait à mes anniversaires (même si personne ne jouait avec moi). 
Je n'en avais absolument pas conscience. Pour moi, la normalité c'était qu'on ait un a priori positif sur moi, parce que j'étais intelligente. Les adultes arrêtaient pas de le dire. Du coup je comprenais pas trop que ces vers grouillants se battent pas pour traîner avec moi. 
Il faut dire qu'ils me lassaient. Tous.

Sauf les gens passionnés. Ma voisine, chez Mémé, était une petite fille très simple, venant d'une famille très simple, mais c'était ma meilleure amie du monde entier. Non pas qu'elle avait grand chose à faire de moi, mais tout ce qu'elle le faisait, elle le faisait avec passion. 
Pareil, j'aimais cette autre élève qui pouvait passer des récrés entières à chanter, parce qu'elle était vraiment à fond là dedans et que ça l'animait d'une force vitale étrange et attirante.
Et puis, il y avait ceux qui acceptaient de jouer à mes jeux. Et eux ont été mes compagnons de récréations sur le long. 
Des jeux tirés tout droit de mon imaginaire, comme quand on joue aux cowboys et aux indiens, en se donnant des rôles. Mais avec une dimension mélodramatique déjà bien présente. Il y était déjà question de mort et d'amour inabouti. 
Peut-être était-ce parce que mon amoureux auto-décrété par sa mère venait de me plaquer devant l'autel à sa fête d'anniversaire ? Et qu'il me trompait éhontément avec une des deux jumelles ? 
J'en sais rien. J'ai jamais eu beaucoup de succès à ce niveau là, et jamais remonte à loin. 

En CM1 donc, plus de mère protectrice, qui enrobe tout d'euphémisme. Plus de protection divine. Une prof un peu toquée très adepte de la confrontation au réel, qui m'aimait pas des masses. 
Je n'ai jamais autant campé chez Mémé que cette année là. Simulant des crises de vomissements pour sécher l'école. 
A la place, je m'allongeais sur le banc, dans le jardin de ma grand-mère, et je regardais les nuages passer.
Je bossais ma théorie comme quoi les morts laissaient une trace aux vivants en ayant chacun un nuage, avec une forme rappelant leur vie. 
Leur totem. 

C'est aussi l'époque où mes cousins sont partis pour les USA, m'abandonnant à mon triste sort dans une famille peu compréhensive, surtout pas à l'écoute et carrément à cheval sur l'image qu'on donne de soi.
Alors que déjà, à l'époque, je n'en avais rien, mais alors rien, à foutre.
Mes deux bouffées d'oxygènes étaient propulsées à un océan de là.

C'est à cette époque que j'ai repris mon habitude de maternelle de zoner seule. Et si je changeais d'avis et que je voulais de la compagnie, je mangeais des trucs que Mémé me fourrait dans les poches. Ca attirait les autres. 

J'ai toujours maîtrisé le côté "animal" de mes congénères. Par contre les codes sociaux, eux, m'ont toujours échappé. Maintenant encore.

Donc je marchais, les mains dans les poches, les épaules prêtes à dodger les élèves malveillants, les ballons de foot, les cailloux qui volaient, et je m'enfonçais dans mon imaginaire. Mon premier projet de roman date du CE2. 
Je travaillais à ça.
A ça et à comment faire pour réintégrer les clans amicaux de ma classe tout en ne m'emmerdant pas. 
J'établissais des plans en 7/8 points, et je mettais les choses en oeuvre.
Bien souvent, je réussissais.

Parce qu'au milieu de tous ces ravis de la crèche, j'étais le mastermind
Autant vous dire que ce joli égo bien enflé n'a tenu qu'une demi journée une fois les semelles posées au collège.

Mais ce sera pour la prochaine fois.

jeudi 1 janvier 2015

This world is only gonna break your heart




Le ciel est violet et nuit à travers les vitres du train. 
Il me ramène en arrière vers Paris, vers Marlowe. 
Deux bonnes choses.
Je les compte sur les doigts d'une main, c'est donc précieux de se les remémorer.

Le garçon à côté de moi a beau être chou, et avenant, et... Je regarde le ciel violet & nuit. Je me remémore les bonnes choses de ma vie. Et je me fends de messages chiadés aux gens qui sont là. 

De ceux qui savent que quand je dis "dégage", en dedans je hurle "please stay. please stay. please stay.". 

What a wicked game to play, to make me feel this way. 
What a wicked thing to do, to let me dream of you.

J'ai 6 bons mois devant. 6 mois pendant lesquels, encore, j'aurai un niveau de vie adéquat pour rendre mon existence supportable.

Je compte les bonnes choses sur mes doigts, We are scientists dans mes oreilles, qui me figent toujours un sourire sur les lèvres. 
Les seuls à pouvoir accomplir ce miracle.

Est-ce qu'Elphaba, est-ce que le Phantom, se sont un jour donnés 6 mois ?

Le train s'arrête et je descends. Marlowe m'attend.
Il y a une guirlande violette à l'appartement.
J'ai quelques choses à faire, quelques gens à voir.

Nobody loves no one.