mardi 28 octobre 2014

Breakeven



Il est la seule exception.
Depuis la semaine désastreuse de 2013 où j'ai perdu mon cousin, mon boulot et mon appartement, j'ai décidé que Fuck off, moi aussi, j'allais vivre au jour le jour. 

Après tout, la vie est un CDD, l'éternité m'a toujours foutu la trouille, et si je suis fascinée par le mythe du vampire, ça n'est pas parce que je l'envie, mais parce que j'ai une énorme empathie pour lui, et ma curiosité est plutôt de savoir comment il occupe ses millions de journées, plutôt que de vouloir lui ressembler. 

Pour autant je n'ai rien contre la gloire, et les réussites, et les petits rappels des trucs bien qu'on a fait, un jour, dans un passé pas si lointain. 

Adopter un chat va contre tout ça. J'en ai pris pour 15 ans minimum. Les premiers jours, j'ai regardé ce truc tout rond, tout doux et très très bruyant, et je me suis demandé ce qui avait bien pu me prendre.

Une peluche, ça c'est un investissement qui vous lâche pas. Mais un chat. Bon dieu Johnson. Pourquoi ? Un être envers qui tu es responsable, un truc sensible que tu ne peux pas plaquer du jour au lendemain parce que tu auras jugé qu'il a dépassé tes limites.

Peut-être que c'est pour ça que je l'ai fait. Pour me forcer à avoir une relation longue durée avec quelqu'un de présent quotidiennement. 

N'empêche, comme je me presse de quitter les uns pour les autres, des vêtements pour d'autres, des traits de caractères pour d'autres, j'ai passé cette année à essayer de refourguer le chat à qui le voudrait bien.

Entendons nous bien, je ne cherche pas à l'abandonner. Je crois que je suis bien trop liée, et ça me fait d'ailleurs bien chier, de me dire que je vais agoniser, très certainement, un jour, parce que je me suis imposé d'avoir un chat et que dans un futur incertain, il ne sera plus là. 
Mais je lui cherche un plan B. Parce que je me connais.

Je n'accepte que des contrats qui ont un terme. Que des amitiés dont j'ai estimé la durée approximative. Que des amoureux qui correspondent à mon échelle digne d'un créateur de parfum : "Passion d'été" "Spleen d'automne" "Lien d'hiver" "Renouveau de printemps". Je n'envisagerai jamais les garçons autres. Les infinis. 
Je les regarde de loin. Ca suffit bien. Je ne m'imposerai pas à leur harmonie, au risque de faire le Marlowe dans un jeu de quilles.

Alors un chat ? Quand on pense que je sors la phrase "nan mais je me suiciderai pas ce mois-ci je vois Damon Albarn en novembre" à qui veut bien ne pas trop grimacer en l'entendant.
Parce que c'est vrai. C'est ma liberté, et je n'ai pas connu de plus grande injustice que quand une psychiatre m'a déclarée hors-la-loi après un essai loupé. 
Le malheur, disait-elle, c'est que dans ce cas de figure, on ne peut enfermer le criminel car il est la victime. 
Moi, j'estime qu'il n'y a pas de victime consentante.
J'ai toujours à peu près connu mes limites, même si j'ai su m'étonner. 

Tant que je sais qu'il a un foyer où atterrir, je n'aurai pas de regrets. A partir du moment où je détiens la solution, mon esprit est apaisé. Je peux continuer ma vie, et, comme l'héroïne de Gone Girl, repousser le petit post-it de mois en mois.   

samedi 18 octobre 2014

The Last of the summer days





En sortant du cinéma, j'ai croisé un fantôme de mon passé. J'ai vite tourné les épaules, et j'ai préféré regarder l'horizon. Il était bleu pas automnal. J'ai pris une photo, et j'ai entamé mes 20 minutes de marche pour revenir chez moi.

Un père célibataire avec fille, c'est son week-end. Il me sourit puis se souvient qu'il a une gamine au bout du bras.

Je passe mes mains dans mes poches. L'air est plein de cuisine de saison alors que les fenêtres auraient dû rester fermées. Mais il fait pas loin de 25°, à 20h. Les épices, les arômes s'accordent à la variété du quartier, des indiens, des chinois, des français de souche.
Mon estomac invente plein de choses qu'on pourrait faire tous les deux.

Mes pieds, eux, connaissent le chemin et n'ont pas envie de rester plantés sous des néons. Le cerveau décide qu'on a bien assez à la maison.

Je relativise quelque chose de théorique, car la longévité de mes relations n'a jamais réussi à me le prouver : même si j'avais des copains, je serais impossible à gérer en couple.

Chez moi, rien ne dure. Et un inconnu assis sur mon canapé l'a cerné en 5 minutes. "Peur de l'engagement ?". Non, je tente toujours. Mais je me débrouille pour tout foutre en l'air, ou pour gratter là où je ne devrai pas, jusqu'à me dégoûter des gens.

Je suis à un tournant de ma vie. Je l'ignorais encore en déposant sa rose annuel sur la tombe d'Oscar, mais tout va changer.
Mon quotidien, du moins.

Je vais faire le choix rationnel, tout en n'arrêtant pas de me demander ce qu'aurait ouvert une autre décision.

J'écoutais cet inconnu me raconter sa vie, essayer de faire connaissance en temps record, de chercher la compatibilité à chaque coin de phrase. Puis, à force de fixer son visage, je l'ai vraiment vu. Et je me suis prise à penser que je pourrais tout à fait coucher avec lui. J'ai plongé mon nez dans ma tasse de café, au cas où ça s'afficherait en direct comme une bande info sur mon front.

En un temps record aussi, je sais que ça n'ira pas. Que je pourrai tenter tant que je veux. Je ne pourrai ni vivre avec lui, ni vivre quoi que ce soit d'un temps soit peu sérieux avec lui. Le côté artiste maudit, l'égo sur la main, l'instabilité. Il est chou. J'ai passé un bon moment, mais le soir, en me couchant, je l'ai presque oublié.

Il m'a moins touché que cet autre avec juste un regard sincère, un sourire direct et une timidité touchante. Le genre de garçon dont je ne m'approche pas non plus de peur de les casser. Des petites poupées de porcelaine que je regarde évoluer en me disant "c'est bien qu'il en reste.".

Cette semaine, j'ai plu à un homme. Tellement qu'il est revenu trois fois, m'a rappelée sous des prétextes un peu léger. Sa nervosité, son bégaiement, ses regards à moitié étouffés. Le "Woah" qui s'est échappé de sa bouche en m'écoutant étaler ma science. J'ai été zen-cool-sympa avec lui. Parce que ça m'a fait du bien d'assister à ça. De me souvenir que ça peut être positif, toute cette histoire d'interactions sociales.

Je pense que si je m'auto-convainc que je ne trouverai jamais personne, c'est surtout parce que je pense que je serais bien incapable de vivre quoi que ce soit, avec qui que ce soit.
Je suis l'Homme de verre des relations humaines.

Secrètement, dans mon for intérieur, j'ai le portrait secret caché d'un grand roux aux yeux bleu lagon. Celui que j'affuble du lourd fardeau de mes derniers espoirs. Celui à qui va incomber la tâche de me briser le coeur en d'encore plus petits morceaux.

The last good guy of the earth. 

jeudi 2 octobre 2014

Oh tell me what could you possibly want now you've got it all






"Pour moi Pete Doherty c'est un gros junky dégueulasse" "Les Libertines ? Han nan, je connais pas. Je devrais. Ils sont connus ?" "Nan je vois pas, par contre j'ai vu M en concert, c'était trop bien !" "Carl qui ?" "DE TOUTE FAÇON ILS SE SONT REFORMES POUR L'ARGENT." "Dans trois semaines tu parles d'un autre groupe de toute façon / roulement d'yeux/" "Carl, moi je trouve qu'il..."

Je n'ai jamais été aussi calme en assénant, à répétition, mes "D'accord." "Ils ont réanimé le rock en Grand Bretagne pendant que les Strokes le faisaient aux US, en gros." "Ok ok ok." "Carl B., un ami." "En effet. Et alors ?" "Non." "Si quelqu'un dit quelque chose de désobligeant sur lui je quitte cette pièce, je suis très calme, je préviens juste. /smiley face/"

Même quand, 5 minutes avant que je m'élance vers le métro, mon sac PV à moitié sur l'épaule, ma collègue est venue me demander de lire un manuscrit en entier et d'en faire le rapport dans la nuit. Dans MA nuit. Je suis restée calme. 

J'avais la crève, mal aux pieds, mal aux yeux, un stress à fleur de peau, des angoisses dans la gorge. 10€ sur mon compte en banque. 

Je m'en fous. Mes bottes noires ont dérapé sur tous les pavés discordants menant au zénith.

J'avais rendez-vous. Depuis 10 ans.

Pas un seul moment je n'ai tressailli en me disant qu'ils allaient me planter. Et pourtant dieu sait que je me fais planter quand j'ai rendez-vous avec les gens. C'est comme un comique de répétition/malédiction personnelle. Si j'avais eu instagram à un très jeune âge j'aurais pu avoir la plus grande collection de plantages dans des endroits insolites.
Bref.

Je sais toujours, et là je savais qu'ils seraient là. Tous autant qu'ils sont, et c'était bien ça l'important.

J'ai lu mon manuscrit en alternant avec une pinte. J'ai vu trois premières parties défiler sans bien les retenir, sans même les écouter, mais, quand les lumières se sont absentées j'avais lu 85% de mon bousin et je pouvais enfin brancher tous mes sens.

J'ai respiré comme si j'allais accoucher. J'ai pincé les lèvres comme si j'allais souffrir atrocement. 

La petite musique. L'écran. Leurs ombres. Carl B. Carl B. et l'autre. Ensemble. 
Ca y est.

Là. Ils sont là. 

Mon hypnose zombiesque a duré 2 chansons et à la troisième, j'ai explosé.
En sanglots.

Mais bon. C'était assez inattendu. Même pour moi.
J'ai vite frotté mes joues, mon maquillage, ma morve. Je me suis dis "Non mais quand même..." et puis j'ai pleuré à nouveau à la 4e, la 5e et la 6e. Et j'ai fini par abandonner, par tout laisser couler.

Ca n'était pas que des substances corporelles par décilitres qui s'évacuaient de tout mon visage, c'était 10 ans de ma vie.

C'était Heights Johnson 16 ans d'âge et sa grimace éternelle. Seule encore et toujours, mais un peu forte, pour la première fois sans doute.
J'ai commencé à écouter les Libertines quand j'ai commencé à ouvrir un blog, à m'approprier ma vie, à m'autoriser à être.
A me permettre d'aimer ces têtes de camés même s'ils n'étaient pas plastiquement parfaits et propres et bien élevés.

C'était Johnson de maintenant, celle qui ne répond plus quand on l'appelle par son vrai nom car ça signifie souvent obligations, phobie administrative et boulot. "Johnson" c'est quand même plus fun, c'est souvent alcool, confidences, fromage & rockstars.

Oui. Bon. 

J'ai beaucoup pensé à ma gueule pendant ce concert des Libertines.
J'ai perdu mon souffle au premier mic share (c'est quand ils partagent un micro en se serrant comme une portée de chatons tout juste sortis du ventre de leur mère, en plus sexuellement chargé). 
J'ai perdu mon souffle au second. J'ai fini sur les rotules. Le palpitant à 10 000. La bouche tordue parce que OUI je pleurais encore tout en ne respirant plus.

Plus que jamais je savais qu'eux étaient les vrais gens de ma vie. Les infaillibles. Les seuls qui, 10 ans après, soient toujours là. Toujours aussi nettement là. 

Là quand je les invoque, quand je marche dans la rue, que ce soit à Paris, Saint-Cloud, Le Havre ou London. 

Ce sont mes héros, et je me branle de savoir pourquoi ils se sont reformés. Ils auraient pu ramper dans leur vomi sur scène, j'aurais applaudi des deux mains.

Je les aime plus que tous les autres, et sûrement plus que j'aimerai jamais un autre groupe, parce qu'ils ont été là pour moi. Tous les matins dans le bus qui me portait à l'abattoir. Là quand j'ai failli réussir à partir et qu'on m'a ranimé. 

Ils étaient les seuls, pendant longtemps, à faire sens.

Je me fous des injustices, de me faire virer, harceler, frapper. Je les ai eux. Et même si un jour la vie invente un tour cruel pour me les enlever : je les aurais connus. Vus. Sentis. Touchés.

J'en ai rien à faire non plus qu'on me trouve too much, que j'exagère, que "roh Johnson tu amplifies toujours tout !" : Fuck. You. 

C'est ma richesse, c'est mon moteur. C'est eux, mon feu. 

Si vous m'aimez c'est pour ça, avouez-le, ou alors vous ne me connaissez pas vraiment, et c'est pas faute d'être une vitre transparente avec infos détaillées disponibles on demand. Arrêtez d'essayer de m'éteindre putain de merde.

Est-ce qu'ils s'éteignent eux ? Est-ce qu'ils sont moins bons dix ans après ? Est-ce qu'ils sont moins sincères surtout ? 
Pas avec ce que j'ai pris dans la gueule.
Dans la gueule et partout.

Je suis bien placée pour reconnaître le génie de Carl, et peut-être un peu trop Pete moi-même pour ignorer complètement ce qu'il est intrinsèquement, mais eux ensemble, c'est l'unité la plus explosive, intense et éternelle à laquelle j'ai jamais assisté.

C'était beau. C'était eux. C'était vrai.

J'ai pu regarder, et, rien que ça, ça m'a ouvert les yeux ; finalement, ça valait le coup de vivre 10 ans de plus.

Juste pour ce soir.