vendredi 16 mai 2014

Let's desert this day of hurt


La tension dans les épaules, la mâchoire serrée et les yeux un peu trop fixes. J'écoute d'une oreille distraite tout ce qu'on peut bien me dire. Mon esprit est ailleurs, vers lui. 

Je lui ai confié la lourde tâche d'effacer tous les soucis accumulés ces derniers temps. 
Il est à la hauteur. Je lui fais confiance.
J'ai un blog, il a une guitare.

Depuis qu'on a 16 ans, on s'exprime chacun de notre côté, comme on peut, avec ce qu'on a.
Mais on a vécu la même chose. Souvent.
Quand il chante, ce sont les mots que j'aurais pu écrire. Dans une autre langue, avec des "She" à la place des "He". Mais on parle bien du même "You".

Il y a longtemps maintenant, j'ai eu une année à base de lui et d'un autre. Où il aurait pu me faire courir n'importe où dans Paris.
Durant laquelle il m'a même fait me relever et prendre un métro en pleine nuit.

Il est mon passé régressif. Je laisse l'adolescence déferler dès qu'il s'agit de son minois. 

Hier, je suis retombée bien profond dans un marécage du passé. Ce genre d'endroits où tu entasses des souvenirs que tu mets sous clef. Tu te souviens vaguement de leur existence à cet endroit mais tu n'y fous plus les pieds. Tu sais que c'est la meilleure façon pour te faire bader. Pourtant, tu ne les supprimes pas. 

Hier, après une suite d'actions rocambolesques, je me suis retrouvée les pieds dedans, puis jusqu'au cou. Projetée deux ans en arrière, j'ai eu le sourire à l'envers pour toute la fin de la journée.
Je me suis souvenue de cet état de zombie qui a été le mien si longtemps, à New York et après. 
C'est toujours là. C'est tapi dans le noir. I remember everything. 

Alors c'est pour ça qu'il me faut un compagnon de route comme ce californien un peu souillon. Un type qui sait mettre ses émotions au service de plus grand que lui. Qui sait s'y replonger, à son grand désarroi, pour y puiser de quoi nourrir autre chose. Une foule de beautiful people, par exemple.
Et moi.

Décharger ses batteries pour recharger celles des autres.
C'est un petit secret qu'on partage. A quelques mètres l'un de l'autre.
A peine il nous échappe lors de quelques grimaces.

Quelque part dans nos coeurs respectifs, on aime toujours un autre qu'on sait mauvais pour nous. Trop loin. Trop compliqué. Trop cassé.
On en fait des kilomètres sur un blog, et des kilomètres sur les routes, pour tenter de semer nos bagages. Ses chansons et mes articles à la con.

a boulevard where we first met
an afternoon
a sun that sets
it's all the same 'cause I think of you
in every place that I go to
you're such a kid
you'll always be
it keeps me alive
when you're apart from me 


On sait que ce petit morceau de nos coeurs respectif est mort. Qu'il est inutilisable. Mais qu'on ne peut pas l'amputer. Alors on le garde. On le regarde parfois. On le touche du bout du doigt pour voir si, par miracle, il ne redémarrerait pas.

Notre vice est notre vertu. Et nous nous vautrons dans cette nostalgie dégueulasse dans le fond mais si jolie dans la forme.

Je crois qu'on partage la même longueur d'onde. La même mélancolie. La même puissance autodestructrice. Cette fureur qui nous pousse à tout sortir aux yeux des autres et à les laisser se démerder avec ça.

Hier soir, il avait la lourde tâche de me soulager de mes star crossed memories et j'ai beaucoup souri, dans le noir.
Un sourire bloqué, étiré au possible. J'ai pris conscience qu'il m'avait manqué. Qu'il n'y en avait pas deux comme lui pour moi.

Qu'on était trop peu, encore, à partager son désarroi.

all of my trains
my life spent away
in the dark of my veins
oh nothing can stay


Notre dernier point commun, enfin, c'est cette fuite perpétuelle. Le fait qu'on n'attache personne et que personne ne s'attache. On s'entoure, mais jamais pour toujours. Les gens beaux sont là, à portée, mais pas à nous, et nous jamais à eux.
Jamais vraiment.

Il y aura toujours un train.
Toujours un autre.
Et sans doute un ailleurs.

Mais aussi toujours ces soirées. Paris. Et des escapades d'un soir.
Lui et moi.

lundi 12 mai 2014

[Semaine de la fiction '14] Outro



Depuis un paquet de temps, je mets en place, sur ce blog, une semaine de la fiction. 

Le principe est simple : un texte par jour, pendant une semaine à huit jours, sur une thème donné, avec des références culturelles heightsiennes glissées comme easter eggs pour les plus fidèles lecteurs.

Si, pendant longtemps, elles ont été "improvisées", j'arrive à un âge où je me suis forcée à me prendre en main et à produire un semblant de "plan" et de matrice à suivre à chaque "épisode". 

L'occasion où jamais de traiter de l'évolution d'un personnage et de ses sentiments, tout au long de son (auto) éducation. 

Le thème de cette année a été, très clairement, l'unilatéralité. 

C'est un thème cher à Zweig - mon maître, après Oscar - et je vous renverrai vers Lettre d'une inconnue si vous ne comprenez pas à quoi je fais allusion.

L'unilatéralité, c'est très important, pour moi, dans ma vie, dans ma construction humaine propre, mais c'est aussi un concept que je n'ai jamais compris. C'est une solitude extrême, c'est un poste d'observation absolu, c'est la maîtrise totale de la "relation" à l'objet concerné. C'est aussi d'une lâcheté totale lors qu'elle est sue mais ignorée - ce qui n'est pas le cas ici. 

J'ai voulu insuffler quelque chose de pur à l'héroïne qui est /spoiler/ seule du début à la fin. Enfermée dans sa tête, et ainsi, sa voix n'est peut-être pas si étrangère à celle avec laquelle je m'exprime sur ce blog.

C'est une nouveauté aussi que j'explique mon projet (mais bon, je le fais à la fin et pas au début, je ne suis toujours pas très arrangeante avec mes lecteurs) et que j'exprime ma démarche. 

J'ai besoin de cadre dans mon écriture, c'est pourquoi je force un peu le trait pour une première. 

Sentez-vous libres de me dire ce que vous en avez pensé, je ne suis pas insensible aux retours. 

Et surtout, lisez dans l'ordre, voici un récapitulatif :

dimanche 11 mai 2014

[Semaine de la fiction '14 #7] The Last chapter




        Monsieur,

Je me suis fait un ami, il y a deux ans de cela, quand j'ai tenté de m'échapper de ce château où vous tardez à vous rendre. Cet homme m'était redevable, voyez-vous, de ne pas avoir fait d'esclandre. De ne pas avoir décidé, comme j'aurais pu le faire, de l'entraîner dans ma chute.
C'est ainsi que j'ai finalement trouvé un moyen de porter ma parole jusqu'à vous.
J'ai d'abord fourni votre sceau à ce garde - celui que ma mère avait imprudemment gardé  - et, de longs mois après, quand il m'a confirmé connaitre un des soldats partant bientôt renforcer vos rangs, j'ai pu commencer à imaginer quoi vous écrire...
Le fait est que votre intrusion dans ma vie a été des plus violentes, je vous ai combattu de toutes mes forces, jusqu'à ce soir où j'ai tenté de quitter ma famille et ma position pour m'extirper d'une situation qui n'était plus vivable.
Les jours, les heures ne passaient plus à la même vitesse et j'ai perdu goût à la vie. J'ai même pensé à commettre l'impardonnable. Je suis désolée d'être aussi directe, aussi brute, mais j'ai l'impression de pouvoir tout vous dire. Cela fait plus d'une décennie que je fais face à votre portrait et que je lui parle quotidiennement... Je sais bien que de votre côté, cela n'est sans doute pas le cas, et que vous risquez fort d'être outré en lisant ces lignes. Mais il faut bien que vous sachiez ce que vous allez trouver en rentrant. Car Monsieur, j'y crois désormais. Vous allez revenir, sain et sauf, et nous allons apprendre à nous connaître vraiment. J'ai trouvé la foi et l'espoir. Assez, en tout cas, pour continuer de vivre cette existence en attendant des jours meilleurs... 
Voilà ce que je suis résolue à vous avouer et voilà pourquoi j'ai placé tant d'efforts dans l'acheminement de ce message jusqu'à vous :
Après douze années à vous mépriser, à vous fuir et à vous défier, je crois que j'ai fini par vous attendre.

Affectueusement,
Lady V.

Lorsque Lady V. apporta la touche finale à la quinzième version de sa missive, elle ne pouvait être plus fière. 
Elle courut dans les escaliers, bousculant au passage les servants qui se rendaient en nombre vers sa chambre - cela devait être ce moment de l'année où ils retournaient les matelas.
L'air printanier lui donnait raison. Tout lui chantait que sa décision était la bonne. Qu'elle avait rejoint le chemin qui lui était destiné après tant d'années d'égarement.
Le chemin qu'elle connaissait par coeur lui semblait avoir été rallongé de dizaines de kilomètres.

Lorsque, enfin, elle rejoignit le portait, elle fut rassurée d'y découvrir le visage familier de l'homme qui l'avait escortée jusqu'au château. Il n'avait pas pris de grade mais semblait beaucoup plus sûr de lui. Elle avait confiance. Il ferait ce qu'elle lui demandait. C'était écrit.
Elle glissa le pli entre les barres de fer et il s'en saisit avant de la saluer et de se retirer.

Lady V. revint très calmement sur ses pas, un large sourire sur ses lèvres, ses yeux parcourant le chemin de pierre sans vraiment le regarder.
Elle s'imaginait tant de choses réelles désormais. Tant de versions de son futur qui pourraient réellement arriver, puisqu'elle l'avait finalement accepté. 
Puisque désormais, elle accueillait avec joie cette union qui allait lui apporter la liberté et la découverte du monde. Puisque désormais, elle était prête.

Violet sortit de ses rêveries un instant pour s'excuser de son comportement auprès des serviteurs qu'elle croisait dans le sens inverse que plus tôt. Ils baissèrent la tête et poursuivirent leur chemin.

Lady V. leur jetait toujours un regard interrogateur tandis qu'elle poussait la porte de sa chambre.
Elle finit par écarter sa culpabilité et la garder pour plus tard : l'heure était aux réjouissances. Elle s'installa dans sa chaise, prête à sourire à son futur mari.

Mais quand elle releva son visage, ce ne sont pas les yeux noirs de son fiancé qui l'accueillirent :
Un épais voile sombre recouvrait le portrait.

samedi 10 mai 2014

[Semaine de la fiction '14 #6] Iron



Cela faisait 10 ans.
Sa chaise avait effectué un tour sur elle-même. Son esprit également.

Elle faisait plus que lui faire face désormais : il l'accompagnait. 

Le mariage n'avait certes jamais été célébré mais c'était tout comme. Contraints à la vie commune depuis de si longues années. Il avait été sa principale préoccupation, depuis tout ce temps. 

Lady Violet ne s'était pas fait une raison : elle avait tiré le meilleur parti de la situation. C'est son imagination qui lui avait dicté cette conduite. Elle n'aurait de toute façon pas pu survivre dans cet état de colère et de frustration permanent. 

Désormais convaincue qu'on n'annulerait pas ses fiançailles et qu'elle resterait dans cet état, entre deux eaux, pour le reste de sa vie. 
Elle savait que c'était faux, et que la question serait tranchée bien assez tôt. Mais voilà qu'elle était dans une position infâme : plus le temps s'écoulait plus son avenir s'assombrissait. Ce qu'elle redoutait le plus, il y a dix ans, incarnait désormais l'échappatoire le plus radieux.

Rester là. Immobile et inactive. Avec ses soupirs pour seuls compagnons. 
Cela ne durerait pas car cela ne pouvait plus durer.

Elle avait fini par accéder à la mystérieuse lettre. Des mois après sa réception, elle s'était glissée dans le cabinet privé de sa mère et avait trouvé le précieux pli. Violet s'était empressée de sautiller et d'accabler sa génitrice "Quelle imprudence...". Mais, bien sûr, Lady M. n'était pas née de la dernière pluie, et n'avait pas laissé de trace. Juste archivé l'enveloppe, afin de se remémorer son sceau, au besoin. 

La frustration avait atteint son paroxysme, et Lady V. chiffonna brutalement l'enveloppe. 
Elle avait tout tenté à l'intérieur du château pour obtenir ses réponses, il fallait penser plus largement. Devenir plus ambitieuse.

C'est cet été là qu'au lieu de rêvasser dans son labyrinthe, elle s'entraîna à l'escalade. 
C'est cet été là qu'elle vola des cordes, de la nourriture et broda avec soin ses bijoux à l'intérieur de sa veste de cavalière. 

Une nuit sans lune de septembre, finalement, Lady V. fit un dernier signe de la main au portrait et noua une extrémité de la corde à la rambarde de sa fenêtre. 

Le vide l'interpella et pendant de longs instants, elle hésita. 

Ce fut de penser qu'elle ne faisait que troquer un gouffre pour un autre qui la décida.

Elle descendit en rappel de manière très maladroite. S'agrippant comme elle le pouvait et s'arrachant au passage des parcelles de peau. Elle secouait la tête en se disant que si cette échappée s'était révélé trop facile, elle n'en aurait été que décevante. 

Elle courut jusqu'aux portes, prise d'un rire difficile à retenir, là-bas, elle avait tout prévu.et dissimulé le matériel nécessaire à son ascension des hauts-murs. 
Elle empila tout le fatras amassé au cours de l'été et commença sa lente montée.
Jamais elle n'avait vécu d'événements aussi excitants au cours de la même journée "sauf peut-être ce fameux jour de mes 10 ans" se disait-elle.

Quand elle fut à cheval, tout en haut, une jambe pendant vers la liberté tandis que l'autre pointait vers la maison qu'elle avait toujours connu, elle prit un moment pour observer le château. 

Jamais elle n'avait pu profiter de ce point de vue. D'ici, les pierres voulaient dire quelque chose. Cette construction avait un sens. Mais au pied de l'édifice, tout cela semblait bien absurde.

Enfin, elle laissa glisser la corde qu'elle avait fixé à un arbre, de l'autre côté, et de façon plus naturelle, cette fois, suivi sa descente vers le chemin en contrebas.

Lady V. n'eut pas le temps d'esquisser un sourire en se relevant : deux bottes noires lui faisaient face. 

Tout alla très vite dans son esprit : elle n'avait fait part de ses plans à personne - ou alors avait-elle parlé à voix haute au portrait comme cela arrivait parfois ? - qui pouvait donc l'attendre ? Car cela ne pouvait être un hasard...

Elle osa relever la tête, affichant pour le geste un air de défiance. 

"Mademoiselle, je vous en prie, ne m'opposez pas de résistance."

L'homme avait un visage juvénile et devait même être moins âgé qu'elle. Il faisait partie de la garde, il en avait l'uniforme. 

Elle hésita à le contredire et à tenter sa chance - sa dernière chance - en essayant de le prendre de vitesse, mais quelque chose de sûr et d'affirmé, dans le regard du jeune homme lui assurait qu'elle allait perdre.

"M'attendiez-vous ?"

Il parut hésiter. Ses ordres devaient lui interdire d'adresser la parole à Violet.

"...depuis si longtemps que personne n'y croyait plus, Mademoiselle."

Ainsi donc elle était si transparente... Tous ces gens qui l'entouraient mais ne la comprenaient pas pourtant avaient vu clair dans son attitude et savaient ce qui se tramait. 

A son grand réconfort, Lady Violet resta digne, et aucune larme ne s'échappa tandis qu'on l'escortait jusqu'au portail. La pensée que ce garçon pouvait sans doute être soudoyé lui traversa l'esprit mais ne s'y figea pas : on le retrouverait forcément et il en paierait mille fois le prix. 

La tête baissée, elle rentra bien docilement dans sa cellule. 

Les jours qui suivirent personne ne commenta les faits - le silence, toujours - on ne renforça même pas la sécurité de ses fenêtres : tout le monde savait qu'on ne l'y reprendrait plus. 

Lady V. regarda les jours passer durant un an et demi. Jusqu'à cet anniversaire.

Ce jour là, elle décida qu'elle se laissait deux ans. 
Deux dernières années. Le temps d'écrire tout cela peut-être et de laisser une trace de son passage sur Terre. Le temps de faire ses adieux à tout ce qu'elle avait apprécié dans son existence.

Ce jour là, elle commença à mourir un peu.


vendredi 9 mai 2014

[Semaine de la fiction '14 #5] The medium, the message



La lettre était arrivée un soir. 
Pas un matin, comme le reste du courrier. Mais un soir. Par messager. 

L'enveloppe était cachetée. 
Violet n'avait pas pu s'approcher. Le protocole, encore. C'était déjà un hasard des plus fous qu'elle soit présente au moment de l'arrivée du cavalier.
Elle avait vu le pli passer de main en main sans pouvoir y glisser la sienne. 

Bien vite, elle avait compris qu'elle ne verrait jamais ce que renfermait la missive, mais peut-être, si elle parvenait à être au bon endroit au bon moment, pourrait-elle apercevoir la réaction de sa mère et en déduire si les nouvelles étaient bonnes ou mauvaises.

Mais Lady Violet se retrouva enfermée dans sa chambre une fois de plus, escortée par bien trop de domestiques pour pouvoir se soustraire à leur attention. 

Assise sur cette chaise qui était désormais tout juste capable de l'accueillir, elle affronta une fois de plus le portrait.
Ce soir-là, la rage, et la détermination étaient telles qu'elle se décida à innover.
Pour la première fois, elle lui parla.

"Que vouliez-vous me dire que vous ne pouviez m'exprimer face à face ?"

Avec des yeux grand ouverts et pleins d'attente, Lady V. tentait d'arborer un visage avenant. 
Au fur et à mesure que le temps s'écoulait, les traits de Lady V. s'affaissaient. 
Une rage sans commune mesure commença à s'instiller en elle.

Pendant 8 ans, on lui avait tout caché. Elle avait dû comprendre la vérité par elle même. En captant ça et là des bribes de conversation, des coups d'oeil, des messes basses et des mouvement d'objets ôtés un peu rapidement de sa vue.

La décision qui la concernait, qui la déterminait, avait été prise par d'autres qu'elle. A aucun moment elle n'avait été concertée, et, si elle s'était fait une sorte de raison à ce sujet, le fait de n'être jamais tenue informée la rendait folle.

Elle était la dernière à savoir.

Ses proches, ceux avec qui elle échangeait chaque jour, connaissaient tous des vérités qui lui échappaient. Cela rendait sa vie terriblement fausse. 
Inadéquate.
Cela rendait son existence imaginaire.

Elle était un de ces nuages. Se forgeant toute seule selon ses souhaits, envers et contre tout. Par défaut. Se découpant comme une ombre depuis l'espace laissé par les non-dits.

Lady V. avait 18 ans, et puisque le savoir ne venait pas à elle : elle avait décidé d'aller à lui.


jeudi 8 mai 2014

[Semaine de la fiction '14 #4] The Silence



Lady Violet était une femme. Plus une petite fille. C'est ce que sa famille, ses servantes et même son reflet dans le miroir lui disaient désormais. 

Elle avait 16 ans, et le mariage aurait pu avoir lieu. 

Ses sourcils étaient devenus plus bruns et plus fournis, et lorsqu'elle les fronçait, la terre du château tremblait. Du moins, cela avait le même effet.

Lady V. n'avait jamais été très loquace, surtout depuis la première apparition du tableau, mais, à présent, elle ne disait plus aucun mot. 
Sa vie n'était faite que de routine et elle en déroulait le fil avec une acceptation apparente qui compensait son attitude non conventionnelle. 

On ne lui permettait plus les mêmes libertés. On la chassait du portail, par exemple. On lui rappelait sans cesse qu'elle ne devait s'écarter du chemin. 

Les sourires qui animaient son visage encore deux années plus tôt étaient partis rejoindre les formes dans les nuages. 

A force de penser à la guerre et à toutes ces choses qu'elle ne connaîtrait jamais mais dont elle imaginait tant d'horreurs, elle avait fini par adopter une gravité terrifiante. Rien ne pouvait la lui retirer. 

Maintenant, elle formait le couple parfait avec l'homme du tableau se disait son entourage. Sa mine dure et autoritaire avait fini par l'atteindre. A compromettre sa naïveté et son innocence. 

Elle faisait cela à dessein. Elle regardait l'inconnu qui devait être son mari dans ses yeux d'huile et absorbait une partie de son malheur, de ses souffrances et de harassement dont il devait être victime sur le champ de bataille. Après tout, c'est ce que l'on attendait d'elle : partager sa vie. Pour le meilleur et pour le pire.

Bien sûr, elle n'était pas encore mariée et tout pouvait changer. Tout avait peut-être déjà changé. 

Peut-être était-il étendu quelque part entre deux dunes, la proie des charognards de toutes sortes qui ne sortaient que la nuit, quand il faisait jour chez elle.

Cela arrangerait bien ses affaires. Elle se condamnait un peu, à chaque fois que cette pensée la traversait. Jamais elle n'aurait à affronter le véritable regard de cet homme. Jamais il ne serait différent. 
Jamais il ne lui apparaîtrait et surtout jamais il ne ferait valoir ses droits sur elle.

Pour toujours elle serait libre.

Libre d'être enfermée. Dans ce château, puis au couvent. 

Lady V. commençait à développer une mélancolie beaucoup trop régulière pour être anecdotique. 
Ca n'était pas non plus le mal des jeunes adultes. Quelque chose d'entièrement différent la possédait, et elle ne regardait plus l'intérieur du puits de la même façon. Ni les remparts. Ni cette arme effilée que tenait l'armure du couloir Est. 

Elle secouait la tête et tentait de se souvenir de poèmes, à la place. Mais cette ruse fonctionnait de moins en moins bien.

Elle se sentait surtout très, très âgée. Comme si chaque seconde de sa vie avait été étirée et que ses seize printemps n'étaient qu'un malentendu.
Comme si ce couple étrange qu'elle formait avec le portrait l'avait placée dans une autre forme de réalité.


mercredi 7 mai 2014

[Semaine de la fiction '14 #3] Coming of age




Lady V. avait de plus en plus de mèches folles, quand elle se promenait pendant des heures dans les hautes herbes.
On la retrouvait parfois, le visage entre deux barreaux de fer du portail, à guetter la vie loin du château. 

Le sourire perpétuel de ses dix ans avait désormais complètement disparu. Le souci avait forgé deux rides verticales entre ses yeux. 
L'été, tout allait mieux, car elle pouvait s'enfoncer dans les tréfonds du labyrinthe. Retrouver son banc décrépi et glisser ses mains derrière sa nuque. 

Lady Violet aimait par dessus tout regarder les nuages et leur attribuer des formes. Elle pensait qu'il s'agissait de l'âme des morts. Qu'elle prenait une forme symbolique particulière à l'existence de chacun d'entre eux. 
Elle s'imaginait des histoires, de plus en plus compliquées.
Quand l'automne revenait, elle ne pouvait plus courir dans les hautes herbes, observer le monde depuis le portail ou s'étendre sur le banc, dans les recoins les plus sombres du labyrinthe. Mais les histoires, elles, l'accompagnaient et la réchauffaient plus sûrement que le feu dans l'âtre de sa chambre.

Alors qu'elle était à nouveau bloquée dans cette pièce occupée par un autre, elle ne fuyait plus.
Sa chaise faisait à nouveau face au portrait. 
De temps à autre, elle lançait un regard de défiance à l'homme, qui lui rendait bien.

La guerre s'était prolongée, c'est ce qu'on lui avait dit. C'est ce qu'elle avait accepté d'entendre.
Plus à l'Est, toujours plus loin. 
Il s'était enfoncé dans des terres de sable et d'animaux fantastiques, de ceux que l'on voit sur des gravures exotiques. 
Lady V. se disait que peut-être, en plongeant ses yeux dans les siens, elle verrait tous les paysages qu'il avait découvert - puis elle se reprenait. Car elle y décèlerait aussi sûrement les horreurs de la guerre, et cela, pour rien au monde elle ne voulait y être confrontée.

Alors elle fermait à nouveau fermement ses paupières et se plongeait dans les histoires des gens morts dans les nuages.

Elle savait que l'Inconnu ne l'importunerait pas avant encore longtemps. Elle se dit que c'était finalement un petit prix à payer que de lui octroyer cet espace sur son mur et cette pesanteur dans sa chambre. Elle se dit que le risque était grand pour lui, là-bas et qu'elle n'avait pas besoin de rajouter tant d'agressivité à sa vie.

Une question pourtant rodait dans son esprit :
En quelle forme de nuage se transformerait son âme au moment où il expirerait ?

mardi 6 mai 2014

Turning slowly, looking back, see



Deux ans.
Comme si les journaux n'étaient pas suffisants, le monde entier s'est mis à me le rappeler.

L'odeur de cuir mouillé et de café froid, partout. Comme à New York. 

Deux ans après mon attentat du World Trade Center à moi, on peut dire que j'ai avancé.
Si je ne l'avais pas fait, ça aurait été préoccupant, mais rien n'était gagné.
Pour autant, je ne dirais pas que c'est une victoire.
Je suis profondément traumatisée, à la fois par la rupture et ses circonstances, mais aussi par les semaines de solitude terrible qui ont suivi. 

Beaucoup d'amies ont subi des ruptures sales après moi, et cette expérience m'a poussé à être là pour elles. Même trop. Parce que cette désertion subie a été plus cruelle encore que le coup de guillotine initial.

On pouvait s'y attendre mais je n'ai pas retrouvé de petit-ami - déjà que celui-ci était un peu tombé du ciel.
Il m'a fallu 15 mois et 5 grammes pour ressentir à nouveau du désir.
18 mois et 4 grammes pour accepter qu'un garçon pose à nouveau ses mains sur moi. 

Le fait est que je suis une petite chose fragile et que chaque coup a un impact beaucoup plus important sur moi que sur la plupart des gens.

Il aura fallu 1 an et 10 mois pour que je puisse réécouter Eliott Smith.

Alors tout n'est pas gagné : 
Je ne peux toujours pas parler de New York ou entendre quelqu'un parler de New York sans sentir les prémices d'une crise d'angoisse se nouer en moi.
J'en fais une à chaque fois que je recroise les gens de cette époque là. Ceux qui n'ont pas survécu dans ma vie sociale.
Je n'ai rien réussi à construire avec personne alors que j'en crève d'envie. Mais les signaux d'alarmes sont généralement trop forts : j'ai vécu la déception, les non-dits, la lâcheté de plein fouet et je cherche celui qui saurait me rassurer sur tous ces points. Je reste persuadée qu'il n'existe pas. J'attends qu'on me détrompe. Mais attendre, c'est perdre à coup sûr.

Il aura fallu 1 an et 11 mois pour ne plus sentir ma bouche se tordre dès que quelqu'un prononçait son prénom.

A l'horizon de 2014, je regarde les couples s'étioler. Même ceux que les années n'avaient pas su séparer. Même ceux qui s'aimaient plus fort que la distance, les différences et la malveillance. Il ne reste rien, autour de moi, qui pourrait m'inspirer de l'espoir en la matière. Il subsiste seulement cette étincelle à la con, ce truc en moi qui me fait croire aux contes de fée et pleurer devant des conneries sirupeuses. Ce qui m'a fait appeler ce blog Love Street et ce qui me pousse à sourire aux garçons. Ce "peut-être, un jour" qui se glisse seulement un instant, parfois, dans mon flux de pensées et qui parvient à détraquer complètement mon système de défense. 

Je me suis fait à l'idée que nous cherchions toutes le "moins connard de tous", celui dont la connardise s'adaptera à notre souplesse et notre faculté à subir et pardonner.
C'est terrible, c'est affreux. Mais c'est le constat que je fais. 

Je ne sais pas ce qui fait partir en couille des garçons très bien à la base. Ce qui peut leur monter à la tête pour qu'ils se croient, d'un coup, comme ça, absolument tout permis. Pour que l'on passe de la prunelle de leurs yeux à "boarf, elle le verra pas" "elle me quittera pas pour ça" "je vais tenter on verra si ça passe". 

Je reste incrédule et désespérée, mais avec la volonté farouche d'être dans le faux.

Je n'arrêterai pas de chercher. Même si je passe mon temps à terre, vautrée dans la boue à déraper en tentant de me relever et ce en tentant d'oublier qu'il aura fallu 24 mois pour me remettre à peu près d'un mail envoyé en un quart de seconde.



[Semaine de la fiction '14 #2] Reckoning



Lady Violet, à douze ans, était consciente du monde qui l'entourait et de ce que l'on attendait d'elle.

Tous les jours, elle avait un peu tourné sa chaise. Désormais, le portrait braquait son regard sombre sur sa tempe gauche et son profil, tandis qu'elle vaquait à ses activités. 

Elle avait compris que c'était cet homme étrange, cette image fixée sur une toile, qu'elle devrait épouser un jour. Cet homme dont elle ne pouvait se résoudre à croiser le regard.

Mais on ne se mariait pas à 12 ans. C'est ce qu'elle se disait. Et lorsqu'on la recevait en société, elle prenait bien soin de camoufler les avancées de son esprit et se restreignait à une attitude enfantine la protégeant des questions pressantes.

Elle ne voulait pas savoir quand cela arriverait. 

Le soir, elle demandait à ce que les rideaux de son lit soient fermés, ainsi, l'espace d'une nuit, elle était protégée de ces yeux inquisiteurs. De cette présence non désirée.
Elle ne voulait rien savoir sur comment cela allait se passer.

Les paupières closes, elle murmurait aux esprits de la nuit à quel point elle aimerait que le portrait disparaisse. 

Chaque matin, pourtant, quand on venait la réveiller et que les rideaux étaient tirés, c'était le même regard qui lui faisait face.

Elle prit la mauvaise habitude de fixer ses pieds, on la reprit beaucoup à ce sujet, mais c'était son meilleur bouclier contre l'intrusion de cet homme dans son petit monde.
Lady Violet bouchait ses oreilles mentalement dès que le sujet était abordé. Elle mordait ses joues et contractait tous ses muscles. Elle créait une sorte de brouhaha interne qui couvrait tous les sons qui l'entourait.
Violet survivait assez bien ainsi, et passait entre les gouttes.

L'homme au tableau n'était qu'un lointain mirage. Parfois, elle n'était même plus sûre qu'il existait vraiment. Par moments, elle se demandait s'il n'était pas comme ces images pieuses dans les églises, puis elle se reprenait d'avoir blasphémé.

Quand toutefois leurs yeux se croisaient, elle en avait le souffle coupé et pinçait très fort sa bouche, comme si elle s'était fait prendre la main dans le sac, entrain de voler des gâteaux secs dans les cuisines.

Elle aurait juré que le tableau avait changé. Elle n'aurait su dire comment et savait fort bien que son esprit lui jouait des tours : c'était son imagination qui avait récréé une image différente de celle qu'elle évitait si bien de dévisager.

Selon son imagination, les yeux de l'homme s'étaient plissés, comme s'il était aveuglé par quelque chose, ou intrigué, ou... Son imagination allait loin, parfois. C'était dû à tant d'heures de solitude.

Ce que Lady Violet savait, en tout cas, c'est qu'elle commençait tout doucement à s'habituer à cette décharge électrique. 
Cela devenait même un jeu.

lundi 5 mai 2014

[Semaine de la fiction '14 #1] Lady V.



Lady Violet avait 10 ans quand on l'a fiancée.
Ce jour-là, on l'a rattrapée alors qu'elle s'élançait vers le jardin. Elle s'est débattue, un peu, mais avec la force d'une enfant.

Les adultes l'ont assise sur une des hautes chaises du château et ont parlé de choses qu'elle ne comprenait pas tout à fait. Tout ce qu'elle savait c'est qu'à côté d'elle, sur une assise semblable, se tenait un portrait.

Ils étaient côte côte, alors elle ne voyait pas bien qui il y avait dessus.

On lui demanda de placer sa petite main sur une Bible et on glissa autour de son cou un collier dont le pendentif était une sorte d'anneau. 

Lady Violet bailla et finit par s'endormir la tête sur son épaule. 

Le soir venu, après un grand et long repas, on lui permit de se retirer. 

C'est en courant dans les marches en pierre qu'elle rejoignit sa chambre. Elle allait pouvoir lire, ou broder, ou rêver. Ou même les trois. 
Pour un tout petit laps de temps, elle serait seule. Sans surveillance. 

Lady Violet claqua fort la porte derrière elle et sautilla jusqu'au centre de la pièce, mais quelque chose l'arrêta dans sa lancée.
Comme un chaton fixant un point imaginaire dans l'espace, elle s'immobilisa. 

Rien n'avait bougé, pourtant. Et personne n'était là.
Alors pourquoi cette sensation étrange d'être observée ?
Elle regarda prudemment autour d'elle tandis que dans sa tête, tous les contes et légendes et leurs ogres et leurs sorcières défilaient. 

Ce n'est que lorsqu'elle fit face au mur nord qu'elle le vit.
Le portrait. 

Il avait été accroché entre ses deux fenêtres, au-dessus d'une commode en chêne, à la place d'une aquarelle sans aucun intérêt représentant un cours d'eau. 

Maintenant que Lady Violet pouvait discerner les traits de son occupant, elle comprenait mieux pourquoi l'atmosphère avait changé.

Le vieux bonhomme avait le regard dur et la mâchoire serrée, comme si il ne pouvait pas avouer une bêtise qu'il aurait faite. Il lançait ses deux billes noires directement à la figure de Violet qui n'osait pas lui rendre cette oeillade. 

Elle était perturbée par ce changement non consenti et ne comprenait absolument pas pourquoi on lui imposait cette image incongrue. 

Dès lors - et parce qu'elle savait bien qu'il était inutile de protester - elle prit l'habitude de lire, de broder ou de rêver en tournant le dos au portrait qui la perturbait tant.

Mais elle sentait, toujours, sur sa nuque, peser le poids de son regard.